Chapitre 56
J'ai toujours aimé l'ambiance de Noël. Ces lumières, ces feux de cheminée, ces sapins, ces animations...
Je n'ai jamais arrêté d'espérer moi aussi un jour de pouvoir véritablement profiter d'un vrai Noël en famille.
J'étais restée immobile, dans la chambre d'ami de Vildred, assise en tailleur sur mon lit, mon téléphone entre les mains et les yeux rivés sur ce fameux message.
Il venait de mon père. Il m'avait demandé de revenir pour les fêtes de Noël, parce qu'il avait quelqu'un de la famille de très important à me présenter.
Il n'y a toujours eu que mon père et moi. Mes grands parents sont décédés il y à longtemps et mon père n'a pas eu de frère et sœur. J'étais obsédée de connaître l'identité de cette fameuse personne qu'il souhaitait me présenter. Une famille, j'en ai toujours voulu une. D'habitude, on fait Noël, ensemble, une soirée insipide et morose que je passait les yeux collés à la fenêtre, observer les sourires heureux sur les visages de mes voisins.
Je n'ai jamais désespéré qu'un jour je puisse vivre le plus beau Noël. Il est vrai qu'avec mon père, c'est un peu tendu, même si ces dernières années, depuis que je n'étais plus une adolescence, je m'étais assagies et renfermée sur moi. On gardait une relation cordiale, mais froide. Lui essayait d'avoir un impact dans ma vie en me posant toujours plein de questions et en faisant mine de m'intéresser à mes journées, mais je pense qu'il faisait surtout ça pour me contrôler. Il est possessif, ça a toujours été une évidence. Mais, j'espérais qu'un jour, il change, qu'il puisse me demander pardon pour tout ce qu'il m'avait dit, et surtout qu'il puisse me dire la vérité sur moi.
J'étais persuadée qu'il savait ce que j'étais. Il avait bien caché l'existence de ma mère et le fait qu'elle ait été pour moi qu'une mère porteuse, et Dieu seul sait les autres secret qu'il gardait bien précieusement enfoui.
Mais, les gens ce repentissent tous un jour, si ce n'est aux portes de la mort. Peut-être qu'il avait décider de prendre ce chemin. Quoiqu'il en soit, ce message n'était pas anodin. S'il voulait me présenter quelqu'un de la famille, c'était sûrement lié à mes origines.
Alors, oui, j'étais consciente du danger que tout cela pouvait représenter. Mais, je ne voulais pas être prise de remords. Une chose était claire : la clé de vérité se trouvait à deux endroits. Chez Bella et chez mon père. Bella étant introuvable, mon père restait la dernière solution.
Il était la seule personne destinée à répondre à mes questions existentielles. Et pourquoi pas essayer?
Vildred est la première personne à qui j'en ai parlé. Je lui ai montré le message et je lui ai dit simplement que j'envisageais de rentrer à la maison durant les fêtes de Noël. Il m'a écoutée jusqu'au bout sans rien dire. Puis, une fois mes arguments énoncés, il a pris la parole. Il n'a pas essayé de contredire mes arguments emprunts en partie d'émotion, mais il m'a mise en garde. Il m'a orientée vers la raison, vers le bon sens. Il m'a dit qu'il ne m'empêcherait pas de partir, parce qu'il comprenait la signification que pouvait avoir cette quête identitaire pour moi. Le bénéfice risque était pour lui élevé, mais, Vildred n'est pas quelqu'un de prudent. Il ne l'a jamais été. Alors, si une personne pouvait comprendre cet élan de folie, c'était bien lui. Il m'a dit qu'il me soutiendrait dans mes choix, et qu'il serait là, jamais véritablement loin, prêt à réagir si je lui demanderai.
Il avait fini par me demander si Isaac était d'accord.
Isaac...
Bien-sûr, je n'en avais pas encore parlé au jeune homme. C'était sa réaction que je redoutais le plus, parce que je savais qu'il aurait été le seul à trouver les mots exactes pour m'en dissuader. Mais, je ne pouvais pas lui mentir. J'allais être obligée de lui annoncer mon départ. J'espérais juste qu'il puisse le comprendre autant que Vildred lui l'avait compris.
Mais, Isaac n'a pas le calme et la raison du Chasseur. Il est régit par les émotions, par la peur, par la colère.
L'Enclave donne une semaine de trêve, pour Noël. Le dernier après-midi est rythmé par l'excitation, l'énervement et l'enthousiasme caractéristiques des départs en vacances. Les salariés ne travaillent pas vraiment, si ce n'est pas du tout, en réalité. Chacun demande à l'autre ce qu'il a prévu pour les fêtes, ce qu'il va offrir, ce qu'il compte avoir...Nathanaël qui vit chez sa mère reçoit sa famille éloignée française, Laura, comme elle ne parle plus avec sa famille, se prévoit un petit quelque chose avec son nouveau petit copain, le sorcier dont elle m'avait parlé.
Et puis, qu'en est-il de Vildred.?
...Vildred ne fait rien.
Sa famille l'a invité, mais il a refusé de venir. Il dit que « Noël est d'un ennui et d'une inutilité mortelle ». Il râle même que l'Enclave octroie autant de vacances à ses employés. Comment voulez-vous apprécier Noël si vous êtes incapable de ressentir une seule émotion?
Quoiqu'il en soit, Vildred sera sûrement chez lui, seul, assis sur son immense canapé au milieu du luxueux salon de son riche appartement, à déguster le vin le plus cher de la ville. C'est comme ça qu'il aime sa vie.
Je souris, parce que je sais qu'en une semaine, une partie de lui va me manquer.
Je me dirige vers le bureau d'Isaac. Quelques heures seulement nous sépare du début des vacances. Je dois lui annoncer maintenant mon départ. Ce ne sera jamais le bon moment, de toute façon.
On ne s'est pas adressé la parole depuis le déjeuner qu'on a partagé tous les deux. En réalité, il est toujours très entouré quand il est à l'Enclave donc la plupart du temps il ne me remarque pas. Je ne lui en veux pas de toute façon. Après, tout, il est le numéro deux.
Quand j'arrive devant son bureau, je me rends compte que la porte est ouverte. Il est en train de discuter avec l'un des salariés.
La facilité aurait été de renoncer de le lui dire, de lui envoyer un message une fois être partie en prétextant ne pas avoir voulu le déranger puisqu'il n'était pas seul à son bureau...Mais, ce n'était pas l'option que j'avais choisie. Je ne voulais pas être lâche. Je voulais lui laisser l'occasion de me persuader de rester.
Parce que je savais qu'il allait vouloir le faire.
Il a été la seule personne à qui j'ai raconté ce que mon père m'avait fait. Ses violences, ses humiliations... J'avais vu ce soir là dans les yeux du loup-garou, au moment même où je lui avais livré mon histoire une onde profonde de haine. Isaac avait tout de suite haït au plus profond de lui mon père. Je sais qu'il ne me laisserais pas facilement revenir chez lui. Mais, il fallait qu'il comprenne que mon choix avait été mûrement réfléchi, et que j'avais besoin de revenir à New-York quelques temps.
Je prends une grande inspiration, et toque deux coups fermes.
Isaac et l'autre garçon jusqu'alors plongés dans leur discussion, se tournent vers moi.
Je fais un signe de la main au loup-garou, un peu mal à l'aise et sur la retenue
— Salut.
Isaac hausse un sourcil, étonné de me voir. Il est vrai que d'habitude, quand je suis à l'Enclave, je ne me permets pas ce genre de chose. C'est lui qui m'adresse la parole quand il en a besoin, et puis, on ne travaille pas dans le même service. Il est tout le temps très occupé.
— Oh, salut.
— Excuse-moi du dérangement, mais je me le suis permis parce que je dois bientôt partir. Est-ce que tu as deux minutes? J'ai un truc important à te dire, je déclare alors.
Isaac fait signe au jeune employé de nous laisser tous les deux. Je rentre dans son bureau et il pousse la porte une fois à l'intérieur, pour nous isoler.
— Bien-sûr. Qu'est-ce que tu veux me dire? Rien de grave?
Je fais quelques pas, et laisse s'écouler quelques secondes avant de répondre. Isaac a l'air lumineux, aujourd'hui. Je n'ai pas envie de lui apporter de nouveaux tourments.
— En fait...Je pars ce soir à New-York. Pour la semaine.
Le regard du loup-garou s'assombrit alors instantanément. Il change totalement d'expression, lui qui semblait de bonne humeur pour une fois, jusque-là.
— Chez ton père?
Son ton est plus sec, les traits de son visages plus durs. Il ne semble pas comprendre. Je frissonne un peu.
— ...Oui.
Le loup croise les bras et s'adosse à son bureau, ne détachant pas une seule seconde ses yeux de moi.
— Oh. Je ne m'attendais pas à ça. Qu'est-ce qu'il s'est passé?
Je laisse s'échapper quelques secondes avant de répondre. Je cherche les bons mots, ceux qui parviendront à lui faire comprendre la raison du risque que je vais prendre.
— J'ai reçu un message de sa part, il y a quelques jours. Il m'a demandé de rentrer pour les fêtes. Il m'a dit...il m'a dit qu'il avait quelqu'un de la famille de très important à me présenter.
— Tu peux bien imaginer que je ne peux pas t'encourager à y aller après tout ce que tu m'as dit sur lui, réplique-t-il.
Contre toute attente, Isaac reste calme. Je sais qu'il ressent beaucoup de haine face à mon père, après lui avoir raconté mon adolescence, mais ce n'est pas contre moi qu'il la témoigne.
Dans ses yeux se cache une onde d'inquiétude qui me touche un peu. Il faut que je trouve les mots justes pour le rassurer.
— Je sais, Isaac. Je sais. Je ne suis pas venue chercher des encouragements. Je suis venue te l'annoncer et te dire au revoir. C'était la moindre des choses.
Le jeune homme fronce légèrement ses sourcils. Je vois qu'il réfléchit.
— Et, si c'était faux? Et s'il inventait ça pour que tu reviennes à New-York?
C'est une possibilité, c'est vrai. Mais, le risque vaut la peine d'être pris.
— Il ne pourra pas me garder enfermée à la maison. Dans tous les cas, j'aurais toujours un moyen de rentrer à La Nouvelle Orléans. Mon père est peut-être manipulateur et possessif, mais il n'est pas dangereux. Encore moins maintenant que je suis entraînée.
Le loup-garou secoue sombrement la tête.
— Je ne lui fais pas confiance, et tu ne devrais pas sous-estimer ses capacités, renchérit-il.
Je remarque que les muscles de ses bras sont tendus. Son ton est très calme, mais je sens qu'une certaine nervosité a pris par en lui, bien qu'il la contrôle.
J'essaie de le tempérer alors.
— J'ai besoin d'y aller.
— Dis-moi, alors. Dis-moi pourquoi tu as besoin d'y aller.
— J'ai besoin d'avoir des réponses. Je n'en peux plus de faire comme si de rien n'était, d'ignorer les questions existentielles qui me hantent.
— Il n'y a pas qu'une seule manière d'obtenir des réponses, Linda.
Je secoue la tête.
— Toi-même l'a dit: mon père est le seul qui doit savoir ce que je suis, si c'est héréditaire. Et si cette mystérieuse personne est là pour m'apporter ces réponses? Peut-être que mon père est enfin prêt à me parler de tout ça et à me dire de la vérité. Imagine si je passais à côté de cette opportunité? S'il était la clé à toutes nos questions?
Ma voix est un peu fragile. J'ai du mal à cacher mes émotions ce qui me déstabilise un peu c'est vrai.
Isaac plante des yeux dans les miens et dans ses iris, je lis une onde de compassion soudaine. Il semble comprendre ce que je ressens.
— Je vois...Je ne pensais pas que cela t'affectait autant...déclare-t-il d'une voix plus basse.
Il commence enfin à se rendre compte ce que tout cela représente pour moi. Je le vois à la manière avec laquelle il me regarde.
Un regard compréhensif et protecteur qui je l'avoue ne me rends pas indifférente. Il ne veut pas que je parte. L'idée de me savoir à plusieurs milliers de kilomètres sans aucune assistance le tourmente.
— Je reviendrai dans une semaine, de toute façon. Je ne compte pas y retourner définitivement. Vous n'allez pas vous débarrassez de moi aussi facilement, je lui souris alors, l'air taquin, pour le rassurer.
Il me rend contre toute attente mon sourire et décroise ses bras.
— Je te rappelle aussi que tu as fixé un rendez-vous chez ton tatoueur. Annuler va te coûter cher.
Je laisse échapper un petit rire.
— Oh, je me débrouillerai avec lui pour en fixer une nouvelle.
— Mmmh. C'est beaucoup lui demander.
— Tant pis. J'irai chez un autre tatoueur.
— Ah non. Il ne partage pas ses clients, réplique-t-il sur un ton plus sec, mais avec une onde cachée de plaisanterie qui me fait sourire.
— Ah, oui? Il n'aime pas le marché concurrentiel?
Isaac ne répond pas. Il semble de nouveau happer par ses pensées. Son regard s'assombrit de nouveau subitement et il redevient sérieux.
— Je te taquine, mais en vérité je n'aime pas cette idée de te voir rentrer seule chez lui. Je t'aurais accompagnée si ce n'était pas pendant les fêtes de Noël.
Je lui adresse un sourire reconnaissant. Isaac veut toujours bien faire et surtout le maximum. Il a le droit lui aussi parfois de décompresser. Mais, surtout, il faut qu'il me fasse confiance et qu'il me donne ma chance. Pour le moment, que ce soit avec lui, Vildred ou même Laura, j'ai toujours été encadrée. Il arrivera bien un moment où je serai livrée à moi-même. Il faut que j'apprenne à me débrouiller seule. Au moins essayer...
— Ne t'inquiète pas. Vraiment. Profitez-tous de votre Noël, vous en avez le droit. Vous travaillez tous tellement dur. Toi y compris...
— Et bien, j'imagine que je dois te faire confiance.
— Tu reviens chez ta famille, pour les fêtes? Je demande alors, afin d'aborder un sujet plus agréable.
Isaac hoche la tête.
— Je rentre chez eux demain, m'indique-t-il.
— C'est génial. Tu dois être pressé. On dit souvent que les loups-garous sont très famille.
Isaac acquiesce.
— C'est vrai. Les loups-garous sont très famille, il est impensable pour eux de passer Noël sans elle. Et puis, je me dis qu'il est peut-être temps de renouer avec mes parents. C'est vrai qu'avec l'Enclave, je me suis beaucoup éloigné d'eux. Je m'en veux un peu.
— Tu ne devrais pas. Tu fais ce qui te semble bon. Je suis sure qu'ils comprennent que le temps que tu ne leur offres pas est utile à de nombreuses personnes.
Le jeune homme devient pensif. Des regrets habillent désormais ses grands yeux ambrés.
— Oh, tu sais, m'éloigner d'eux n'a pas été une contrainte pour moi. Je l'ai voulu, justement. La meute ne m'intéressait plus, donc je suis parti. Alors, non, je ne l'ai pas fait pour de bonnes raisons. Quelque part, j'ai été égoïste, j'ai pensé qu'à moi, j'ai nié mes engagement à l'égard de la meute et je m'en rendais bien compte. Je pense qu'il est temps de leur présenter des excuses. Ça sert à ça, non? La trêve de Noël.
Je hoche doucement la tête et souris.
— Les fautes avouées sont à moitié pardonnées. Non?
— Ça, ça ne marche pas pour tout le monde, rétorque-t-il, le regard plus sombre, plantant ses yeux dans les miens.
Je sais qu'il parle de mon père.
Je détourne le regard et fait quelques pas.
— Tu m'en veux? D'avoir pris cette décision.
Isaac hausse les épaules et secoue la tête.
— Non. Je t'admire, je crois. Tu prends des risques, c'est bien. Mais, j'espère que cela ne te portera pas préjudice.
Je dirige de nouveau mon regard vers le sien.
— L'Enclave va me manquer.
Ses membres aussi...
— Si tu as le moindre doute, le moindre problème, à n'importe quel moment, contacte-moi. Je resterai joignable, cette semaine, affirme le loup-garou.
— Merci. Je crois que je ne pourrais pas être plus reconnaissante pour tout ce que vous faites pour moi..., pour tout ce que tu as fait pour moi.
Isaac secoue la tête et fronce légèrement les sourcils.
— C'est normal. Tu fais partie des nôtres, maintenant, réplique-t-il simplement.
— Bon...Je vais te laisser. Tu dois encore avoir du travail et je dois aller faire ma valise. Je ne t'embêtes pas plus que ça.
Isaac me raccompagne alors jusqu'à la porte de son bureau. Il m'accorde un dernier regard, gardant tous les deux une distance physique professionnelle. Je ne suis pas douée pour les au-revoir. Il aurait été un ami, je lui aurais fait une accolade, mais ce n'est pas le cas. J'ai parfois du mal à faire la différence entre le Isaac en tant que directeur administratif avec qui tout est si conventionnel, et le Isaac simplement loup-garou, avec qui j'ai pu avoir des discussions si profondes et passionnantes. Je ne sais pas lequel se trouve en face de moi, et peut-être que lui-même l'ignore. On reste alors figé, chacun de notre côté, une distance déterminée maintenue. Je ne pars qu'une semaine, mais, je sais qu'il me sera difficile de revenir dans le monde normal. Cependant, je sais pourquoi je pars et ce que je dois faire.
Isaac maintient son regard perçant au niveau de mes yeux. Le silence commence à me mettre un peu mal à l'aise. Je détourne mon regard quelques secondes et fait un pas à l'extérieur du bureau avant de le repositionner sur lui.
— Je te souhaite un joyeux Noël. A toi et à ta famille, je déclare alors.
— J'aimerais dire de même, mais ne m'en veux pas, je ne le souhaiterai qu'à toi, réplique le loup-garou, un léger sourire se dessinant sur ses lèvres.
Je souris à mon tour, puis romps le contact visuel.
Beaucoup de choses m'attendent dorénavant.
La semaine allait être longue et je l'ignorais encore.
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