Vildred a l'habitude de mener mes entraînements le matin très tôt ou le soir. En journée, la salle dédiée à cela est occupée par les autres Surnaturels plus expérimentés.

Mais, étrangement il m'a donné rendez-vous pour le début d'après-midi. Je me demande ce qu'il a encore prévu. Cela me rend un peu anxieuse parce que la froideur émotionnelle du jeune homme m'empêche la plupart du temps de savoir à quoi m'attendre.

Je comprends rapidement qu'on se dirige bel et bien vers la salle d'entraînement. Un pic d'angoisse me fait alors frémir.

— On ne va quand même pas s'entraîner maintenant...? Je m'exclame, en essayant d'attraper le regard du Chasseur.

Mais, Vildred continue de fixer le bout du couloir droit devant lui, marchant d'un pas ardent et décidé, que je peine à suivre.

— Quel est le problème, Sosie? Réplique-t-il sans m'accorder toujours un seul regard.

— Bah...Les Surnaturels sont tous en train de s'entraîner...Je lâche.

— Et alors? La salle est grande, il y a de la place, réplique-t-il d'une manière tranchée, sans empathie.

J'ai l'impression qu'il fait exprès de ne pas comprendre.

Je dois alors mettre de côté mon ego pour lui avouer ce dont j'ai peur.

— Ce n'est pas une question de place...C'est juste que je ne me sens pas de m'entraîner près d'eux. Je me fais déjà dévisager comme un animal dans les couloirs de l'institut, et ceux, encore plus depuis mon altercation avec Ulrich...

Le Chasseur hoche la tête et lève un sourcil.

— C'était un beau coup apparemment. Si je pouvais ressentir des émotions, cela m'aurait rendu fier de toi.

— Merci. Mais, je doute que ce soit le cas pour les autres. J'ai plutôt susciter une montée d'agacement chez eux, je grimace alors.

— Ulrich est numéro trois. Il est pas mal aimé par les Surnaturels, mais pas par tous. Ce n'est qu'un opportuniste sans véritable potentiel. Mais, il est prêt à tout pour obtenir ce qu'il veut, pense a voix haute le Chasseur.

— Qu'est-ce qu'il veut? Je demande alors.

— La place d'Isaac. En montant les gens contre toi, c'est indirectement contre Isaac qu'ils les montent.

Je hoche la tête, attentive à ce qu'il dit. Je n'avais pas vu les choses comme ça mais c'est plutôt logique. Il semble toujours avoir eu un problème avec le loup-garou. Mais, difficile de l'imaginer réussir à détrôner le si populaire et adulé Isaac Peterson.

— Isaac semble être pourtant apprécié...Je tempère, alors.

Vildred acquiesce.

— Très apprécié même. Il est bosseur et talentueux, ce que n'est pas Ulrich. C'est pour ça que tu n'as rien à craindre. Et encore moins si les gens te vois à mes côtés. L'Enclave me craint. Si tu es avec moi, ils n'oseront pas te manquer de respect. Alors, c'est pour ça que tu vas à partir de maintenant t'imposer. Tu es Surnaturelle, ou je me trompe? Tranche-t-il.

— ...Oui, je lâche sans grande conviction.

— Alors, tu vas te comporter comme tel. On n'accède pas au respect des gens si on ne s'impose pas. Commence déjà par te montrer. Il faut que les gens te voient, qu'ils scrutent tes capacités de combat, qu'ils entendent ta voix. Le monde du Surnaturel est comme le monde du travail. C'est la loi de la jungle, du plus fort. L'intelligence est un atout remarquable mais elle ne suffit pas. Plein de dirigeant le deviennent alors que leur quotient intellectuel reste insignifiant. Et tu sais pourquoi?

— ....

Je ne réplique pas.

— Parce qu'ils sont charismatiques et qu'ils savent comment se faire remarquer.

— Et donc tu veux que m'entraîne parmi des types qui combattent depuis leur naissance, alors que je sais à peine donner un coup dans me casser un ongle? Je lâche alors.

— Tu ne seras pas la première à qui cela arrive. Regarde Laura. Elle est une combattante hors paire, alors qu'elle est née humaine. Crois-moi que toi, tu pourra aisément te fondre dans la masse. réplique-t-il, en me pointant du doigt.

C'est vrai que j'ai fait beaucoup de progrès, mais je ne suis pas encore confiante sur mes techniques. Mais, je décide d'essayer de lui faire confiance et de lâcher prise. C'est un Chasseur, donc il sait ce qu'il fait. Du moins j'espère...

On arrive devant la double porte qui mène au grand dojo. Vildred fait voler chacune des portières en plaquant ses deux mains avec force sur la surface.

Notre entrée est fracassante, mais, moi mal à l'aise.

Un bon nombre de mecs torse nus aux bras d'aciers s'entraînent vaillamment. Ils se retournent tous vers nous quand ils nous voient arriver. En même temps vu comment Vildred a fait claquer les portes...Même à l'autre bout de l'Enclave on nous aurait entendu et ressenti les tremblements de murs.

Je prends sur moi pour ne pas baisser le regard. Mais, je ne me sens pas à ma place devant tous ses regards qui me scrutent, jugeant ma présence comme non attendue et non voulue.

Et merde.

Je ne l'avais pas vu en entrant, mais Isaac est là. Je croise brièvement son regard, et me décompose encore plus.

Je sais ce qu'il pense de mes habiletés au combat. Il m'a plusieurs fois répété que je n'avais pas de potentiel, de muscle ni d'endurance. Je vais sûrement me taper la honte.

La seule solution est de l'ignorer au maximum. Il ne faut pas que je pense à lui.

Vildred décroche deux épée et m'en lance une. Je manque de la faire tomber en la rattrapant maladroitement, et fronce les sourcils d'incompréhension.

— Attends...Quoi? Elles sont tranchantes...! Je bégaie alors.

D'habitude, quand on manie les épées, celles qu'il choisit ont leur lame protégée. Ce n'est pas le cas de celles-ci. Ce sont de véritables armes de guerre, lourdes et tranchantes.

— Tu as peur, Sosie? Me provoque-t-il, en me fixant droit dans les yeux, d'une voix plus basse pour que je sois la seule à entendre.

Il me teste, je le sais. Je fixe les lames et plante de nouveau mes yeux dans les siens, en fronçant les sourcils.

Un feu ardent étrange se met alors à animer mes entrailles. Une volonté soudaine et viscérale de combattre s'éveille en moi.

— Peur? Au contraire, je rétorque sèchement, en serrant ma main plus fortement sur le manche.

Vildred hoche très succinctement la tête, me toisant d'un regard perçant.

— C'est ce que je voulais entendre.

Il se dirige au centre du tatami parmi les autres Surnaturels, et je le suis. Il se met à marcher solennellement en cercle, son épée à la main, ses yeux violets transperçant les miens. J'imite sa marche, soutenant son regard intense et concentré. Il redresse alors son épée, ce qui me fait comprendre qu'il marque le début du combat.

Le duel débute alors. Il me laisse étrangement mener le rythme. Je donne les coups et lui les pare. Au début, c'est assez tranquille mais rapidement, il décide d'accélérer le rythme, m'obligeant à augmenter la vitesse des mes gestes si je veux garder l'amont du combat. Vildred pare tous mes coups à la perfection, comme s'il devinait a l'avance mes stratégies mises en place.

Son regard est volontairement narquois. Il veut tester mes limites, me faire sortir de mes gongs, dans un unique but de me provoquer et d'attiser en moi une certaine ardeur. Et ça fonctionne.

Son attitude m'agace de plus en plus. Je multiplie mes coups d'épée avec plus de rapidité, de force et d'envergure. Je sens qu'il tente de reprendre la direction du combat pour voir si je vais céder. Mais, je ne cède pas.

Une énergie étrange et brûlante anime alors le creux de mon ventre. Une certaine rage m'anime alors face à ses provocations. Je prends plaisir à multiplier les coups, à faire face à ceux de mon adversaire.

Petit à petit, un écart se creuse entre nous et les autres Surnaturels. Un cercle se dessine autour de nous, et les regards se dirige sur notre duel. J'y porte attention, ce qui me déstabilise un peu au début mais finit cependant par me motiver encore plus. Bientôt, seul le bruit des lames tranchantes qui s'entrechoquent se fait entendre dans le dojo.

Et puis je commence à oublier les regards, à oublier la présence des autres Surnaturels et celle d'Isaac. Je suis entièrement dévouée à mon épée et focalisée sur notre duel, comme si plus rien n'avait d'importance autour. Je sens alors comme un alignement se constituer en moi, vous savez, ce sentiment si particulier d'être persuadé d'être au bon endroit au bon moment.

Je vis pleinement notre combat. La vitesse des lames s'entrechoquant ensemble est intense, si bien que je ne suis plus que concentrée sur les deux épées. Leur lames argentées n'est plus que la seule chose qui compte. Nous ne sommes plus seulement un duel, nous sommes une union.

Le sentiment que je ressens alors est puissant.

Indescriptible.

Un des meilleurs que je n'ai jamais ressenti.

Une toute puissance.

Voilà ce qui semble m'animer alors.

Jusqu'au moment où Vildred exécute un mouvement inhabituel de recul. Il vient d'interrompre subitement le combat, et fixe la main qui tient son épée.

Du sang frais s'écoule d'une entaille située entre le pouce et l'index.

J'entrouvre ma bouche, sans pouvoir sortir un seul son, mes yeux rivés sur sa main. Je comprends que c'est moi qui suis à l'origine de la blessure. Des murmures s'élèvent alors parmi les Surnaturels qui regardaient le combat autour de nous.

Je lève mes yeux pour croiser le regard du Chasseur.

Il m'adresse alors un sourire étrange qui provoque en moi une résonance très particulière que je peine à décrypter.

Une seule phrase a clôturé ce duel.

—  « Et le sang fu versé »...