Je m'étais endormie avec un bombardement de douleur dans les muscles et les articulations.

Mais, une partie de moi avait trouvé cette journée excitante. J'avais aimé donner des coups, j'avais aimé m'entraîner bien que j'étais consciente que la hauteur de mon niveau était plus proche des pâquerettes qu'autre chose. Mais, lors de l'entraînement, j'avais ressenti une sensation étrange se loger au creux de mon ventre: une sensation brûlante d'enthousiasme et de rage douce qui me donnait envie de me surpasser. Alors, oui, je savais que le chemin allait être long avant d'atteindre un dixième du niveau de Vildred, mais j'étais motivée plus que jamais. Et au delà de ça, j'étais motivée aussi par le fait de faire ce que mon père m'avait toujours interdit.

Le lendemain, je me réveille avec la résurgence d'une douleur diffuse de courbatures musculaires, que je tente toutefois d'ignorer. Aujourd'hui, j'ai prévu de passer la journée avec Laura. Elle m'avait proposé de m'expliquer un peu l'objet de son travail, pour en connaître un peu plus sur son rôle dans l'institut.

Pour une fois, je n'ai pas rendez-vous trop tôt, ce qui me laisse de temps d'un semblant de grasse matinée. Une fois préparée, je me rends à l'Enclave. Le chemin commence doucement à être une habitude. Mais, ça ne me dérange pas. Je parais devenir de plus en plus intégrée parmi les Surnaturels et ça je sais que c'est principalement grâce à Laura et Vildred. Laura est appréciée au sein de l'organisme et Vildred est craint et respecté. Me voir assimilée à eux m'aide à devenir dans les yeux des autres, autre chose qu'un simple imposteur qui se ferait passé par une louve disparue.

Je déambule dans les couloirs à la recherche de Laura. Ces derniers semblent remplis. Les Surnaturels marchent et discutent bruyamment d'une salle à l'autre, le tout dans une ambiance motivante de travail. Alors que je traverse les longs corridors, je croise le regard d'Ulrich. Il semble méprisant, fourbe et acerbe. Il a un léger sourire mauvais au coin des lèvres qui me fait comprendre que malgré que je sois protégée par Vildred, il est toujours là et qu'il guettera tous mes faits et gestes pour me coincer. Je lui accorde un regard glacial mais ne perds pas plus de temps à lui accorder de l'importance. Continuant de chercher la jeune femme du regard, je finis par l'apercevoir un peu plus loin, en train de discuter joyeusement au bout d'un couloir avec deux autres Surnaturels que je ne connais pas. Je la salue alors timidement d'un signe de main, craignant de l'avoir un peu dérangée dans sa discussion. Elle m'adresse alors un sourire radieux et me fait une accolade chaleureuse, en faisant balancer sa grande queue de cheval haute par dessus son épaule recouverte par un voile en dentelle noire.

— Comment vas-tu? Me demande-t-elle, en m'accompagnant déjà à travers le couloir.

— Je vais bien, merci. Impatiente d'en apprendre un peu plus sur l'Enclave, je lui souris alors.

— Alors, tu ne seras pas déçue. Il faut juste que je passe dans la salle commune pour prendre un truc à manger au distributeur. Je n'ai pas eu le temps de déjeuner ce matin, m'indique-t-elle, en posant sa main sur son ventre plat qui dépasse de son haut court en dentelle.

— Aucun soucis.

On pénètre alors dans la salle commune, plutôt vide, mais dans laquelle j'aperçois Vildred.

Il sirote son thé dans un coin de la pièce, le regard appuyé à travers la large fenêtre du haut immeuble qui surplombe La Nouvelle Orléans.

J'apprécie toujours observer la manière dont il est habillé, lui qui a une manière si sophistiquée de se présenter. Ses longs cheveux noirs et lisses sont laissés détachés, tombant en parti devant son épaule. Il porte un col roulé violet foncé sous une veste blazer noir. Son éternel améthyste trône au centre de ses pectoraux saillants qui se laissent deviner à travers son haut qui près du corps. Il porte sur ses mains une paire de gants noirs en cuir qui lui apporte un côté raffiné indéniable. Vildred est le genre d'homme que je verrais bien défiler à la Fashion Week. Il est grand, plutôt fin mais taillé, les vêtements tombent bien sur lui, et il sait de tenir. Il est toujours droit, le menton fièrement relevé, le regard perçant et sa façon de se mouvoir est plutôt souple et élégante.

Son regard croise rapidement le mien, et il m'adresse un signe de tête de considération pour me saluer, tout en gardant son aspect froid et mystérieux habituels auxquels je commence à m'habituer. Vildred avec des émotions et un aspect chaleureux ne serait pas Vildred, de toute façon. Mais, au delà de cette apparence froide, son attitude à mon égard n'avait jamais été méprisante. J'avais toujours noté dans ses yeux une onde de considération à mon égard qui m'avait réconfortée plusieurs fois sur ma place parmi les Surnaturels. Je ne peux pas affirmer que le chasseur m'apprécie puisqu'il ne ressent pas d'émotion, mais il semble vouloir me faire exister. Et rien que pour ça, j'apprécie passer du temps avec lui.

Laura récupère un petit paquet de gaufres au distributeur, et on est déjà reparties. On arpente alors un long couloir jusqu'à son bureau, quand je tombe brusquement sur Isaac, entouré de plusieurs Surnaturels qui marchent en sens inverse.

Il pose ses yeux ambrés sur moi, et on s'échange un regard très bref qui me déstabilise un peu. Je vois dans ses yeux qu'il s'étonne de me voir ici. En réalité, je ne l'avais pas prévenu de mon retour, la raison principale étant que je n'avais pas forcément jaugé important de le faire. Isaac ne s'occupe pas de moi à l'Enclave, puisque c'est Vildred et Laura qui le font. Je me suis donc dit que ce n'était pas forcément nécessaire de lui envoyer un message. Mais, tout cela cache en réalité la vraie raison du pourquoi je ne l'ai pas prévenu. En réalité, je n'ose pas lui envoyer de message. J'ai peur de paraître trop forceuse même si je sais qu'envoyer un simple message ne l'est pas. Mais, avec lui, j'ai toujours peur de trop en faire. Même si nos relations se sont très légèrement apaisées durant ces quelques jours, je n'oublie pas les débuts chaotiques. Je sens qu'une partie de lui ne me considère pas encore légitime à tout ça.

Le regard qu'on s'échange est très bref, presque froid venant de sa part. Je comprends rapidement que le semblant de compassion et de gentillesse à mon égard dont il avait fait preuve à New-York n'était plus d'actualité à La Nouvelle Orléans. Il a repris sa place de numéro deux ainsi que son air distant et inaccessible, comme je l'avais craint.

Le loup-garou, n'ayant pas interrompu sa discussion avec les Surnaturels qui l'entourent, passe à côté de moi sans me dire bonjour, ou bien me saluer d'un quelconque signe de main. Il est déjà de l'autre côté à continuer d'arpenter le couloir d'un bon pas, quand je me demande si c'était à moi de faire le premier pas. Laura voit directement dans mon regard que je suis ailleurs.

— Ça va avec Isaac? Me demande-t-elle plus bas.

Je hausse les épaules.

— Je ne sais pas en réalité. J'avais l'impression qu'on avait pu un peu briser la glace lors de sa venue à New-York, mais il parait si...

— Inaccessible? Sourit la vampire.

Je hoche doucement la tête.

— C'est ça.

On arrive devant le bureau de la jeune femme. Elle me fait entrer et referme la porte derrière elle.

— En réalité, c'est assez étrange qu'il se comporte comme ça avec toi, parce que c'est quelqu'un de fondamentalement gentil et généreux. Il m'a beaucoup aidé quand j'étais seule et quand j'en avais le plus besoin, déclare-t-elle avec une onde de gratitude dans les yeux, quand elle se remémore ses souvenirs.

— Quand tu es devenue vampire...Je devine alors.

Laura hoche la tête.

— J'étais seule et complètement perdue: une transformation est une étape tellement difficile à vivre. C'est un peu comme une seconde puberté, mais en plus rapide, en plus intense et en plus dévastatrice. Au delà des remaniements émotionnels extrêmement forts, il y a aussi l'affrontement du sujet face au fait qu'il est inlassablement appelé à tuer ou faire du mal. Parce que les vampires n'ont pas le choix: s'il veulent survivre, il leur faut du sang. Savoir que nos pulsions meurtrières sont réveillées par cette transformation est quelque chose d'insupportable à accepter. Isaac connaissait les enjeux de la transformation parce que lui aussi il a mal vécu la sienne. Il a su m'aider en trouvant les mots juste et en me donnant de précieux conseils. Si je suis là aujourd'hui, c'est grâce à lui. C'est pour ça qu'il est à l'Enclave. Il n'a jamais pu se relever des traumatismes qu'il a subi après avoir achever sa première victime.

Je fronce les sourcils.

— Il m'a dit qu'il travaillait à l'Enclave pour racheter les meurtres des loups-garous...

Laura secoue la tête.

— Non..., ce n'est pas exactement ça. S'il a décidé d'être à l'Enclave c'est parce que le poids de la culpabilité de la première victime qu'il a tuée, celle qui a déclenché sa malédiction, l'avait anéanti. Isaac cherche à se racheter en protégeant les humains des pulsions non contrôlées des gens comme nous.

— Je l'ignorais...Je murmure troublée.

— Beaucoup de Surnaturels ont un passé traumatique. Mais, Isaac s'en est sorti. Il aide les nouveaux Surnaturels à surmonter cette épreuve de la transformation, à accepter leur nouvelle identité. Mais, je crois qu'il porte encore le poids de son propre traumatisme, si bien que je sais qu'il ne voudra jamais se séparer du talisman qu'il porte et qui l'empêche de se transformer à la pleine lune. Le jour où il l'enlèvera sera le jour où il acceptera sa véritable nature avec ses faiblesses comme ses forces.

Je hoche la tête, touchée par ce récit qui ne fait qu'humaniser un peu plus le jeune homme, finalement.

— C'est pour ça que Bella ne voulait pas activer sa malédiction? Je demande alors.

— Je pense. Parmi les loups-garous, il a deux sortes: ceux qui veulent la déclencher le plus rapidement possible pour gagner en force physique et en cinq sens, parce que tout cela ne se déclenche qu'avec la malédiction, donc en ôtant la vie, et ceux qui au contraire sont terrifiés à l'idée de se transformer un jour et de ne plus pouvoir se contrôler. Bella s'est toujours débrouillée pour ne jamais avoir à tuer. Son binôme avec Vildred était extrêmement calculé: il tuait les cibles dangereuses dans le cadre du travail pour elle, et elle l'aider à les coincer. Parce que ce métier nous oblige à supprimer les Surnaturels trop dangereux, notamment quand on les surprends sur le terrain en train d'attaquer une innocente victime.

— Il y a une question que je me suis toujours posée, sans jamais trouver de réponse...Je réplique alors.

— Dis-moi.

— Pourquoi, Vildred qui est le meilleur des Chasseurs de la ville, n'a jamais réussi à mettre la main sur Bella?

J'ai toujours trouvé ça étrange, en réalité.

Laura hoche la tête.

— On s'est tous posé la question. Je pense que c'est parce qu'elle était la seule personne à aussi bien le connaître, comme elle est sortie avec lui en plus d'avoir été son binôme de travail pendant plusieurs années. Elle connaît son mode de fonctionnement, ses atouts, ses limites, ses failles. Parce que même si Vildred est un Chasseur hors pair, il n'est pas invincible. Une seule personne a réussi à lui échapper, et c'est Bella.