La journée est déjà bien entamée.

On avait passé beaucoup de temps à fouiller l'appartement, et les recherches avait été plutôt fructueuses. On avait relevé quelques détails intéressants qui pourrait nous révéler certains indices.

Il est dorénavant temps de rentrer à l'Enclave.

Vildred vient de raccrocher, après avoir passer un appel à Isaac pour le prévenir brièvement de la situation. On se dirige dorénavant vers sa voiture.

— Isaac à l'air particulièrement content. Tu verras comme ça qu'il n'est pas uniquement ronchon, lance le chasseur, en esquissant un petit ricanement.

— Ça existe vraiment, un Isaac de bonne humeur? J'ironise alors, en ouvrant la portière du luxueux cabriolet de mon nouveau coéquipier.

— Je te trouve un peu insolente, Sosie.

— Dis celui qui a pour réputation de ne pas suivre les règles.

Vildred hausse un sourcil m'adressant un regard approbateur.

— T'as du tempérament toi.

— Il en faut.

Vildred acquiesce et démarre la voiture. Il allume sa radio et diffuse du vieux jazz, instaurant une atmosphère tout de suite détendue.

— Qu'est-ce que ça te fait, d'écouter de la musique...? Je veux dire, tu ne peux pas ressentir quelque chose, pourtant tu as l'air d'apprécier ça?

Vildred laisse ses yeux rivés sur la route. Il laisse s'écouler quelques mystérieuses seconde de silence avant de répondre.

— C'est vrai, je ne ressens rien, aucune émotion. Mais, la musique à un effet sur le corps, sur la tension des muscles, sur la pression artérielle. Alors même si je ne ressens pas émotionnellement ses bienfaits, je sais rationnellement que c'est quelque chose de bénéfique.

Je hoche doucement la tête, fixant à mon tour la route.

— Je comprends ce que tu veux dire.

Le paysage extérieur se met à changer peu à peu. Les logements bas et si typique du Quartier Français, laissent progressivement place aux hauts buildings de Central Business District.

Je me tourne à nouveau vers le chasseur.

— Tous ces gens...ils semblent avoir si peur de toi...J'ai vu ton frère, hier. J'ai vu dans ses yeux ce qu'il ressentait par rapport à toi.

Ce que je viens de dire est assez osé, mais je sais que Vildred n'aura pas la capacité de se vexer. Je sais aussi que depuis le début, il s'était contenté de répondre à toutes les questions que j'avais osé lui poser. Bizarrement, plus je commençais à le connaître, moins je ressentais de peur à son égard.

— James est mon frère aîné. Il a huit ans de plus que moi. On vient d'une puissante famille de Chasseurs d'Ombre, mon père était le référent. James a récupéré ce statut quand il est décédé, il y a quelques années.

— Toutes mes condoléances.

— A vrai dire, aujourd'hui, cela ne me fait ni chaud ni froid.

Forcément, s'il ne ressent plus rien.

— C'est une évidence.

— James a toujours aimé tout contrôler et d'autant plus depuis qu'il est devenu le supérieur de tous les Chasseurs d'Ombre. Alors, quand j'ai perdu toutes mes émotions, je pense qu'il a eu peur mon son statut. C'est le cas de beaucoup. Les gens ont peur de la différence, ils ont peur de ce qu'il connaissent pas, ils ont peur de ne pas avoir une longueur d'avance. Alors que quand tu n'as pas d'émotion, c'est toi qui l'a, la longueur d'avance. Tu perçois les choses différemment, tu résonnes différemment. Tu comprends d'autant plus rapidement les failles émotionnelles des autres. Les gens te voient donc comme une menace, parce que c'est ce que tu es. Tu es un frein à leur raisonnement, à tous ce qu'ils ont connu auparavant. Ta divergence devient ta principale arme, que personne aujourd'hui ne sait désamorcer.

— Tu m'apprendras? A résonner sans émotion?

Vildred, tout en conduisant, pose ses yeux violets profonds sur moi, surpris. Un esquisse un léger sourire, presque imperceptible, me transperçant de son regard électrisant.

— C'est une demande étonnante. Personne n'a désiré une telle chose.

— Erreur de leur part.

— Qui es-tu, Linda Prior? Murmure-t-il.

— Quelqu'un fascinée par les modes de pensées divergente, sûrement, je réponds tout en soutenant son regard hypnotisant.

C'est la première fois que je ne perçois plus le regard et le contact de Vildred comme froid. Pourtant, il n'a pas arrêté de se comporter de la même façon avec moi depuis le début. Je comprends alors que j'ai changé ma perception à son égard, parce que je n'ai plus peur.

C'est donc ça, faire abstraction de ses émotions?

— Je ne sais pas ce que tu es exactement, Linda Prior. Mais, ce que mon intuition me souffle, c'est que tu es bien plus qu'un simple sosie.

Je maintiens quelque seconde mon regard au niveau du sien, avant de le laisser divaguer devant moi, au niveau de la route.

J'ai laissé mon esprit errer dans une marre infinie de questions existentielles, dont je savais que je n'aurais pas les réponses. J'ai aimé ce moment.

***

Arrivés à l'Enclave, je suis Vildred dans l'ascenseur qui mène à l'étage directif du bâtiment. Les portes s'ouvrent sur le long couloir, que nous empruntons côte à côte, fiers de l'avancée de nos recherches.

Tout un petit attroupement de Surnaturels nous attendent dans la salle commune, dont les habitués, Nathanaël et Isaac. Nous sommes accueillis par de chaleureux applaudissements. Une partie de moi est un peu déstabilisée par tous ces yeux rivés à mon niveau, au contraire de Vildred qui reste impassible, comme à son habitude.

Mon regard croise celui d'Isaac quelques secondes. Pendant un instant, je comprends qu'il n'est pas aussi froid que d'habitude. Serait-ce un début d'estime dans le creux de ses yeux ambrés? Je ne m'aventurerai pas jusque-là. Mais, je note tout de suite une baisse de méfiance à mon égard.

Isaac tempère alors ses hommes qui commencent un peu trop a s'emballer.

— Calmez-vous. Même si on avance, on est encore loin du but. Il nous reste encore beaucoup de travail, avant de découvrir ce que l'on ignore. Tous à vos postes!

Les Surnaturels s'exécutent, quittent la pièce, jusqu'à ce qu'il en reste plus que Nathanaël, Isaac et nous.

Vildred retire son long manteau noir qu'il suspend, et attrape une pomme rouge vif dans laquelle il mord dedans, toujours autant impassible.

— Vildred, j'hésite grandement entre t'embrasser ou t'arracher les yeux, lance le loup-garou.

— Tu es certes séduisant Isaac, mais pas mon genre.

— Plus sérieusement. S'il avait découvert que ce n'était pas Bella, elle aurait eu de graves ennuis, réplique Isaac, en me désignant du menton.

Je reste un peu à l'écart, croise les bras et tire une chaise pour m'asseoir, continuant d'avoir une oreille attentive.

— Je contrôlais la situation. Je lui serais venu en aide si c'était allé trop loin. Les vampires sont coriaces mais hautement prévisibles. Enfin, pour nous les Chasseurs, renchérit-il avec une pointe d'arrogance dans la voix.

Soudain, Laura débarque, et d'un bon pas nous rejoint.

— Alors! Racontez-moi! Je n'ai pas suivi. Linda à dû duper un vampire en se faisant passer pour Bella, apparemment? C'était qui?

Pas de réponse. Une atmosphère embarrassante s'empare subitement de la pièce.

La jeune femme cherche à attraper le regard d'Isaac mais se dernier blêmit. Nathanaël détourne le sien, et Vildred reste en retrait à fixer sombrement la vampire.

Le sourire de Laura disparaît.

— Pourquoi vous réagissez comme ça? Dîtes-moi qui c'était...! S'exclame-t-elle en fronçant les sourcils, ne comprenant pas la réaction étrange de ses amis.

— Laura...Commence Isaac, mal à l'aise, essayant de trouver les mots.

— C'était Stan, le coupe brusquement Vildred, de façon impassible.

Isaac lance alors au chasseur un regard désapprobateur, remettant en cause l'aspect brusque de sa réponse.

La jeune femme se fige et déglutit. Son regard s'assombrit et les traits de son visage se durcissent.

— Je vois. Merci de vous être empressé de m'en informer.

— Laura...On sait que c'est difficile pour toi...Commence Isaac.

La jeune femme tire à son tour une chaise et s'assoit autour de la table, lançant son interlocuteur un regard froid qui ne lui est pas habituel.

— Ça ne l'est pas. Je suis passer à autre chose de toute façon. Est-ce que ça va? Me demande-t-elle alors, en se tournant vers moi.

— Ça va. Stan est...impressionnant. Mais avec de la chance, je m'en suis sortie.

— Ce n'était pas de la chance. Cette fille est douée, et je pense qu'elle nous servira bien plus qu'on le pense dans cette affaire, rétorque Vildred, en s'adressant à Isaac, en parlant de moi.

Isaac hoche légèrement la tête.

— Le seul problème, c'est que Stan est intelligent. Il s'est fait duper une fois mais ce sera la dernière. Il doit savoir maintenant que ce n'était pas Bella qu'il a vu aujourd'hui, quand il retrouvera la vraie, réplique-t-il.

— Ce n'est pas Stan qu'il faut duper, mais Straze. D'après ce que j'ai compris, il semble s'être épris pour Bella, renchérit Vildred, une lueur de mépris dans les yeux.

— Attendez, redites moi tout ce que vous avez appris. Il faut tout noter dans les moindres détails, le coupe subitement le loup-garou.

Laura se lève alors et attrape un gros feutre noir, avant de prendre l'initiative de se placer devant un tableau blanc.

— Tout commence apparemment hier soir, à la pharmacie? Relève Nathanaël en se tournant vers moi.

Je hoche la tête.

— La pharmacienne m'a prise pour Bella. Apparemment, elle était venue la veille pour une prescription d'anxiolytiques. On en a d'ailleurs retrouvé cachés chez elle, je réponds alors.

Laura se met alors à noter méticuleusement ce que je dis.

— Tu savais qu'elle en prenait? Demande Isaac, en se tournant vers Vildred.

— Ça faisait un moment que je ne la fréquentais plus. Mais, elle à toujours été douée pour cacher les choses.

— Alors, vous pensez quoi? Que c'est une névrosée? Demande Laura en rebouchant son feutre.

— On ne consomme pas des anxiolytiques pour rien, réplique Isaac.

— Bella a peut-être fui l'enclave pour une raison qui l'a plongée dans cette angoisse, hypothétise Laura.

— Et pour quelles raisons? L'Enclave a toujours été là pour elle. Non, pour moi si elle a fui c'est qu'elle avait quelque chose à se reprocher. Elle a dû trahir les accords, renchérit froidement le loup-garou.

— Et pourquoi les vampires accepteraient de la recueillir? C'est un poids pour eux, et on sait aussi que les vampires et les loups-garous ne peuvent pas se voir, relève la jeune femme.

— Peut-être que ça les concerne. On sait que ça fait depuis quelques années que les vampires remettent en question l'autorité de l'Enclave, poursuit Isaac.

Vildred les coupe alors.

— Bella se sert des vampires. Elle est anémiée: Stan a déposé chez elle un médicament pour ça qu'il a trouvé visiblement chez Straze. C'est sa donneuse de sang. Elle cherche à s'attirer les faveurs des vampires en passant par Straze.

— Et ce n'est pas un hasard si elle les a choisi. Les vampires ont des capacités protectrices bien supérieures aux autres espèces, je suis bien placée pour le savoir, déclare Laura.

— Visiblement, elle a peur qu'on apprenne quelque chose, et cette chose la plonge dans une angoisse telle, qu'elle est obligée de se soigner aux anxiolytiques. Pour moi, tout est lié renchérit Isaac.

— On a un problème maintenant. Quand Stan va retrouver Bella, il va comprendre que celle qu'il a vu n'était pas elle, mais son sosie...S'inquiète Laura.

— Ce n'est pas un hasard si Straze cherche à récupérer Linda, réplique Vildred.

— Pourquoi? Demande-t-elle.

— Je suis prêt à parier que Bella en sait plus que nous sur ce phénomène de Doppelgänger qui la concerne. Straze ne convoite pas à ce point Linda pour rien, déclare-t-il.

Tous les regards se posent alors sur moi.

Mon cœur se soulève et une montée d'angoisse me fait alors frémir.

— ...Linda l'ignore mais elle est liée à tout ça. Les vampires le savent et Bella aussi.