— C'est Destiny Silva qui a retiré mes souvenirs ? je m'exclame, incrédule.

Le serveur arrive avec nos plats. Bella se jette immédiatement sur son burger, ne prenant même pas la peine de me répondre. Malgré tout ce qu'elle a englouti avant, j'ai l'impression qu'elle est loin d'être rassasiée. J'ignore à ce moment-là si c'est l'anxiété qui la met dans cet état, ou si elle n'a pas mangé depuis des jours. Sûrement un peu des deux.

— Il n'y a qu'elle qui peut me rendre mes souvenirs ? je poursuis, tourmentée par des milliers de questions.

— Tu connais la réponse, réplique contre toute attente mon sosie.

La réponse est oui, bien évidemment.

Nombreuses sont les interrogations qui subsistent encore.

— Bella...Tu t'es évadée, tu a fui l'Enclave. Comment c'est possible ? S'ils t'ont formaté à exécuter le moindre de leurs ordres, la simple pensée de t'évader ne devrait pas t'effleurer l'esprit. C'est à ça que sert le formatage : à créer un soldat pleinement fidèles à ses créateurs. Alors comment tu as fait ?

Bella ne répond pas tout de suite. Elle s'essuie la bouche avec sa serviette, bois un grand verre d'eau, puis m'adresse enfin un regard dénué de toute émotion, après de longues secondes d'attente.

— La réponse est simple. Ils n'ont pas pleinement réussi leur formatage.

Je plisse les yeux, attentive.

— Qu'est-ce qui a raté ?

— On n'est pas des machines, Linda. Penser qu'on peut complètement programmer un humain c'est dénier complètement sa nature. Tout programme a ses failles, et l'Enclave n'avait pas complètement prévu ça.

— Pas complètement ?

— Alhorn Griffins m'a surveillé dès les premières heures après le changement des sosies. Je devais lui rendre des comptes continuellement par téléphone, ou me rendre à l'Enclave avec ton oncle, pour passer plus facilement inaperçu. Le jour où on a été échangées, j'ai perçu dans le regard de Griffins qu'il doutait de moi et de son propre programme.

— Qu'est-ce qu'il l'a fait douter de toi ? je demande alors.

Des souvenirs semblent revenir à la surface. Son regard semble dorénavant lointain, comme si elle revivait à nouveau la scène.

— Les émotions et la peine qu'il a vu dans mes yeux.

Je fronce les sourcils, attentive à ce qu'elle me dit.

— A quel moment ?

Bella plonge ses yeux dans les miens. Elle m'accorde un regard sombre qui signifie bien des choses. Elle me répond après quelques secondes de silence.

— Quand je les ai vu, derrière cette vitre sans teint, t'effacer la mémoire.

—...

Mon cœur se soulève. Je frissonne alors, étonnée de sa réponse. Je ne sais pas quoi dire. Bella pousse un soupire et se redresse, continuant de me fixer.

— Que veux-tu, Linda ? M'entendre dire que je regrette ce qu'il t'est arrivé ? Que j'ai éprouvé des regrets et de la culpabilité par rapport à tout cela ?

Je secoue la tête, un peu embarrassée.

— Bella...

Mais, la jeune fille poursuit.

— Oui. J'ai ressenti des choses à ce moment-là. Griffins s'en est aperçu et s'en est suivi des années de calvaire supplémentaires où je recevais des menaces de sa part.

Je plisse les yeux, et m'accoude sur la table, essayant de ne perdre aucune miette de ce qu'elle me raconte.

— Il avait peur que tu parles ?

— Il avait peur que je fasse capoter leur plan. J'étais leur principale alliée, mais je pouvais à tout moment passer de l'autre côté. C'était sa crainte.

Un détail attise alors ma curiosité. Des questionnements subsistent.

— Pourquoi ne t'ont-ils pas hypnotisée ? Destiny Silva n'aurait sûrement pas refusé, je relève alors, dubitative.

— Parce que j'ai ton sang dans mes veines, Linda. C'est avec lui qu'ils m'ont conçue. Un loup-garou ne peut pas être hypnotisé.

— Donc, toi non plus...je devine alors.

— Sinon pourquoi auraient-ils passé quatorze ans à me formater ? C'était la seule solution pour que je leur obéisse.

Je laisse tomber mon visage entre mes mains, totalement décontenancée par tout ce qu'elle vient de me dire. Je pourrais passer en revue tout ce qu'elle m'a raconté et essayer de voir ce qui est vrai ou faux, mais elle semble sincère. Je n'ai pas envie de remettre en question l'existence de choses aussi graves, qui n'auraient jamais pu être le fruit de son imagination.

— Ils vont te tuer, s'ils te retrouvent ?

Bella mâche sa nourriture, alors que son regard se perd un peu dans ses pensées.

— Je ne sais pas. C'était la menace qu'Alhorn Griffins m'a faite pendant des années, mais mon sang est précieux. Autant que le tien. On n'est que deux. S'ils prennent le risque de tuer l'une de nous, cela diminue leur chance de reproduire le programme. Ils ont besoin de notre sang pour cela. Je pense que Griffins me veut vivante, mais il veut surtout que je ne puisse plus parler. Je pense qu'il me jettera un sort pour me rendre muette, quelque chose comme ça. Il en a les capacité. Je sais bien trop de choses. Ou alors, il demandera à Destiny Silva de m'effacer la mémoire. Je deviendrai plus qu'une poche de sang, sans âme. Je ne leur suis plus d'aucune autre utilité, dorénavant.

Silence.

Je regarde mon sosie, qui semble de plus en plus troublée cette discussion. Au début, je voyais une fille agressive et hargneuse, maintenant, je vois une jeune fille fragile et brisée. L'image que les autres font passer d'elle, n'est pas celle que j'ai ce soir-là. Bella n'est peut-être pas si méchante que ça en fin de compte ?

— Bella. Je vais te reposer la question. Tu n'a plus ton talisman, tu es donc en capacité de quitter La Nouvelle Orléans. Alors, qu'est-ce que tu fais encore là ?

Des larmes remplissent alors ses beaux yeux verts. Ses poings se serrent, faisant douloureusement rentrer des ongles dans sa paume.

Ma question est pertinente, et elle le sait. Elle est terrifiée par l'Enclave, ça se sent. Alors si elle est encore ici, c'est que cette raison est bien plus forte que son angoisse.

Bella ne répond toujours pas a ma question, et je pense que c'est par pudeur qu'elle ne le fait pas. Je pense qu'elle veut, au fond d'elle, se venger de l'Enclave. Ça veut dire qu'elle y croit encore. Il subsiste un infime espoir qu'elle puisse se racheter face à ce qu'elle a commis.

— Bella...Est-ce que tu veux arrêter l'Enclave ?

— Je veux plein de choses, Linda. Mais, vouloir ça ne suffit pas.

— C'est déjà un début. Les vampires veulent bien m'aider à les arrêter, à condition que je trouve rapidement une preuve pour convaincre les loups-garous de mon identité. J'ai besoin que tu m'aides.

Bella ne répond pas tout de suite. Son visage se ferme, ses yeux ne renferment plus aucune larme, et ses bras se croise fermement sur sa poitrine. Elle semble presque dans l'opposition.

— Je ne m'allierai pas à Vildred, ni à Isaac. Je sais qu'ils veulent ma mort.

— Je les empêcherais de mettre leurs désirs à exécution. S'ils savent que tu as la capacité de nous aider, ils ne te feront rien.

— Tu as l'air si sûr de toi, et tu ne devrais pas. J'ai passé des journées entière avec le Vildred sans émotion, et je sais qu'on ne peut pas lui faire confiance. S'il veut me tuer, il le fera un jour ou l'autre, avec ou sans ton accord.

— Alors, on baisse les bras ? On abandonne ? On laisse l'Enclave mettre la main sur nous et reproduire leur programme pour éradiquer les espèces qui les dérangent ? Bon sang, Bella ! Où est passée la hargne que tu avais quand tu voulais me tuer ? Hein ? Où est-elle ? Dirige-là vers ceux qui ont brisé ta vie. Alhorn Griffins doit payer pour ses crimes, sinon tout cela n'aurait servi à rien !

—...

Pas de réponse.

Bella est décontenancée, je le vois. Elle évite dorénavant mon regard, ce qui me laisse à penser qu'elle hésite sur ma proposition.

— Si tu es encore à La Nouvelle Orléans, si tu m'as sauvé la vie, si tu es là aujourd'hui devant moi, c'est qu'au fond de toi tu veux y croire. Tu veux croire en une possibilité de renverser l'Enclave. Alors, je te le redemande, Bella : allié-toi à nous. C'est notre seule solution pour survivre.

Bella réfléchit alors pendant quelques secondes  avant de répondre.

— Si je t'aide à trouver une preuve contre eux, je veux que tu m'aides à trouver Jonas, finit-elle par déclarer.

Je hoche la tête.

— Je le ferai.

Bella se lève alors de table, son assiette vidée, s'apprêtant à partir.

— Je vais y réfléchir. Je te recontacte prochainement.

Elle tourne alors les talons, me laissant seule dans le restaurant, devant bien évidemment payer l'ensemble de la note. De toute façon, elle n'a pas d'argent.

Je règle l'addition, prends mes affaires et sors l'établissement, encore troublée par tout ce que j'ai appris ce soir. Je retrouve alors Stan qui m'attendait dans sa voiture, et monte à l'intérieur. Il me raccompagne alors en silence jusqu'à la maison dans la forêt.

Une fois à destination, je le remercie de son aide, descend du véhicule et rejoint mon actuel domicile.

Vildred et Isaac, ne sont pas encore couchés, attendant impatiemment mon retour.

Quand je rentre dans la maison, le loup-garou, soulagé de me voir, me retire mon manteau, désirant de toute évidence que je lui raconte ma virée « chez les vampires ».

Je ne peux plus lui mentir.

Je vais tout lui raconter.

Je lui dois au moins cela.

Et puis, de toute façon, si je m'allie avec Bella, il devra un jour ou l'autre être au courant. Je vais me servir un verre d'eau à la cuisine et décide de me livrer enfin.

— J'ai vu Bella, ce soir. Je lui ai proposé une alliance.