On ne devait pas susciter des soupçons, que ce soit par rapport à l'Enclave ou par rapport aux loups-garous. De toute évidence, ce qu'on a fait hier et aujourd'hui entrave un nombre incalculable de règles. On aurait dû faire un rapport à l'Enclave sur tout ce qu'il s'est passé, mais on s'est tous mis d'accord. On ne parlera ni de Bella, ni de moi, ni des vampires. On doit donc faire comme si de rien n'était en revenant travailler ce matin à l'Enclave.

L'attentat d'hier soir a jeté un vent d'inquiétude dans les couloirs de l'Enclave. Il est tout juste neuf heures, et je n'ai jamais autant vu de salariés s'agiter autant ensemble. Au moment où on arrive, Isaac est tout de suite interpellé et réquisitionné par Ingrid Olsen. Il la suit, sans nous accorder de regard. Laura part se faire un café, et je me retrouve seule avec Vildred, mon éternel acolyte.

Je suis dorénavant distante avec lui. La situation me rend dorénavant méfiante face à lui. Mais, je sais aussi qu'on doit rester alliés et soudés. Vildred a de toute évidence beaucoup d'avance dans ses recherches et sans lui, on serait perdu. Et en plus de cela, on a passé un marché lui et moi. Il épargne Bella et de mon côté je ne révèlerai pas au loup-garou qui s'est servi de moi pour tes intérêts obscures. J'étais prête à pactiser avec lui parce que je ne veux pas que Bella soit tuer. C'est elle le cœur du sujet. Si une personne connaît la vérité, c'est bien elle. Une partie de moi la hait éperdument pour m'avoir voler ma vie, mais une autre ressent le désir intense de la rencontrer de nouveau pour lui poser face à face toutes les questions qui me démangent. Il faut donc que je trouve un moyen de rentrer en contact avec elle, mais je n'ai pas encore trouvé comment.

Alors qu'on s'apprête à rentrer dans son bureau, on s'aperçoit que ce dernier est ouvert. Des hommes, présidés par Alhorn Griffins sont en train de le fouiller. Tous ses dossiers sont étalés sur le seul, en train d'être épluchés un à un. Je croise le regard du bras droit d'Ingrid Olsen et me crispe subitement. Me reviennent alors des flashs d'hier soir. C'est lui qui a arrêté Jayden. Il doit sûrement croupir dans une cellule à l'Enclave, et être suspecté d'avoir comploté avec les vampires. Il était sur le lieu du crime, sans invitation. Je me demande alors si je risque moi aussi quelque chose parce que Griffins m'a aperçue avec lui. Ce dernier me lance un regard qui me fait froid dans le dos, alors que je le défie silencieusement du mien, mais contre toute attente ne m'adresse pas un mot. Vildred est celui qui est au cœur de l'intérêt, ce matin, et ce n'est rien de bon.

— Est-ce que je peux vous aider, Messieurs ? tonne le Chasseur sur un ton ironique en pénétrant dans la pièce, et en fusillant Griffins du regard.

— Perquisition de vos affaires, Monsieur Khan.

Vildred hausse un sourcil.

— Oh, et je peux savoir en quel honneur ?

— Vous êtes suspectés de chantage et de menace de mort sur une sorcière de la périphérie. Et de toute évidence, après les événements d'hier soir, il est évident que certaines informations communiquées aux ravisseurs viennent de quelqu'un de l'intérieur. L'Enclave enquête donc.

Je frissonne alors. De quoi parle-t-il ? Je sais pertinemment que Vildred est capable de faire chanter quelqu'un. Mais, je sais aussi qu'il est assez prudent pour dissimuler toutes les preuves. Mais, à ce stade de l'enquête, j'ignore ce que l'Enclave a trouvé de compromettant sur lui.

Vildred continue de hausser un sourcil, impassible et toise son supérieur du regard.

— Et je peux savoir qui vous a transmis ces rumeurs aussi fallacieuses qu'absurdes ?

— Nous garantissons l'anonymat de nos témoins. Vous devriez le savoir après avoir travailler cinq année à l'Enclave. Mais, si vous n'avez rien à vous reprocher, Monsieur Khan, vous ne verrez pas d'inconvénient à ce qu'on fouille l'ensemble de vos espaces de travail ?

Vildred exécute un geste de la main, très sûr de lui.

— Faites-donc. Je me réjouis de vous observer perdre l'intégralité de votre temps.

— De ce fait, Monsieur Khan, nous vous conseillons de ne pas prévoir de quitter la ville d'ici les prochains jours, et d'annuler vos plans pour la journée.

Vildred sort alors son téléphone, et se met à pianoter.

— Eh bien, dans ce cas-là, je préviens mes collaborateurs que mes rendez-vous prévus n'auront pas lieu.

Je me crispe quand je sens mon téléphone se met à vibrer dans mon sac, m'indiquant que je viens de recevoir un message. Personne ne semble l'avoir entendu, mais, comme mes sens sont beaucoup plus aiguisés depuis ma transformation, j'arrive à le percevoir.

Discrètement, je sors l'engin de mon sac à main et porte attention à l'écran.

Vildred vient de m'envoyer un message.

« Il y a un ordinateur, dans mon local au -2. Il ne faut pas que Griffins le trouve. J'ai un double des clés sur la commode à l'appart. Va le récupérer avant qu'il ne le fasse. »

Mon cœur se soulève alors. Je lève les yeux vers le Chasseur, pas du tout rassurée. Je viens d'avoir la confirmation qu'il a quelque chose à se reprocher. Et si j'accepte de l'aider, je deviens complice de ces crimes.

Vildred reste totalement impassible, ne reflétant absolument rien dans son regard. Je sais que n'ai pas le choix. J'ignore ce qu'il cache dans cet ordinateur, mais si c'est quelque chose qui concerne Bella ou moi, l'Enclave ne doit pas être mise au courant. Mais, comment savoir si cela me concerne où bien si cela concerne les crimes qu'il a commis ?

Quoiqu'il en soit, Vildred est mon allié. Malgré tous les ressentiments et la rancoeur que j'éprouve pour lui, je dois lui apporter mon aide.

Mais, le temps est compté. Je dois regagner son appartement, revenir à l'Enclave et récupérer son ordinateur avant que Griffins et ses hommes ne le fassent. Pour le moment, ils fouillent son bureau, et ils ne semblent avoir entamer qu'une petite partie, ce qui me laisse un peu de temps. Mais, suffisamment ?

Je me commande immédiatement un Uber pour ne pas en perdre davantage, et cherche un prétexte pour m'éclipser.

— Je vais voir avec Laura ce qu'on peut faire sans toi, pour ne pas prendre de retard dans le programme, je déclare alors, avant de quitter la pièce.

Personne semble avoir fait attention à moi, ils sont tous obnubilés par ce qu'ils pourraient découvrir. 

Tant mieux.

J'affiche une expression neutre sur mon visage, m'avance calmement vers l'ascenseur qui mène à la sortie, et une fois dehors, monte dans le Uber. Il me dépose chez Vildred, je courre récupérer ses clés, lui disant de m'attendre devant, et parviens en même pas deux minutes à regagner la voiture. Il me dépose quelques minutes plus tard de nouveau a l'Enclave, et je me dirige directement vers le niveau -2, le cœur tambourinant d'une intensité folle dans ma poitrine.

L'angoisse est à son comble. Je me détends un peu quand je m'aperçois que le couloir menant aux locaux des chefs de service est vide. Je me précipite vers celui de Vildred et le déverrouille. Son ordinateur est mis en évidence sur son bureau. Je m'apprête alors à le saisir pour le mettre dans mon sac quand je me fige brusquement. Me vient la soudaine envie de fouiller à l'intérieur pour voir ce qu'il dissimule. Je l'allume alors, et tombe sur une session verrouillée. Je réfléchis pendant quelques secondes au code, sans parvenir à le trouver. Connaissant Vildred, mon mot de passe doit être impossible à craquer. Je renonce alors, en glisse enfin l'appareil dans mon sac. Je referme rapidement la porte derrière moi et marche rapidement vers l'ascenseur au bout du couloir.

Sauf qu'au moment où je m'approche de ce dernier, les portes s'ouvrent, et je me retrouve face à Ulrick. Mon cœur se soulève alors, je sursaute et fait un pas de reflex en arrière, ne m'étant pas attendue a le trouver ici-même à cet instant.

De toute évidence, il parvient aisément à lire sur mon visage mon expression de panique que je tente pourtant de dissimuler, tenant bien fort contre moi mon sac.

— Tiens, tiens...Mademoiselle Prior...Étonnant de croiser une simple salariée dans un couloir réservé aux chefs de service, susurre-t-il, en esquissant un sourire mauvais.

J'essaie alors de le contourner, mais il me bloque le passage.

— Je me suis trompée d'étage. Maintenant, pousse-toi, j'aimerais bien regagner l'ascenseur, je rétorque sèchement.

— Tu t'es « trompé d'étage »...Vraiment ?

Je m'apprête à le contourner quand il m'attrape brusquement par le bras pour me fait revenir vers lui. D'un geste brusque et incontrôlé, je le repousse brutalement contre le mur.

Ulrick sursaute alors à son tour, ne s'étant pas attendu à que je réagisse avec un geste aussi brusque. Il hausse un sourcil, suspicieux, puis me dévisage d'un regard rempli de doute, un petit sourire insupportable au coin de ses lèvres.

— Mais, d'où tiens-tu cette force physique soudaine ? murmure-t-il, incrédule.

—...

Je reste silencieuse. De toute évidence, mes nouvelles facultés proviennent de ma transformation. Et il en faut pas qu'il soit au courant. Il continue de m'analyser d'un regard mystérieux qui me donne la chair de poule.

— ...Qui es-tu, Linda Prior...? Articule-t-il plus bas.

Je lui lance un dernier regard mauvais, avant de monter dans l'ascenseur. Les portes se referment et me voilà enfin propulsée à l'étage de mon service.

Le cœur toujours battant, je tente de reprendre mon souffle. Un sentiment de soulagement me détend alors. J'arpente alors le couloir principal quand Laura m'interpelle.

— Ah, je te cherchais, Linda. On a du pain sur la planche. Le service Enquête doit se pencher sur l'attentat.

Je hoche alors la tête et vais la rejoindre. On travaille le reste de la journée, sans Vildred et sans voir les heures passer.

***

Dix-neuf heures.

Je m'apprête à rentrer à l'appartement. L'étage a déjà été considérablement déserté par les salariés, il ne reste plus grand monde. Je m'arrête devant une des salle de réunion. La baie vitrée laisse entrevoir Isaac avec ses subordonnés, tous trop concentrés pour s'apercevoir que je les observe, dans l'obscurité, de l'autre côté.

Isaac est appuyé contre la table central, légèrement penché, dans une position mettant en avant la musculature de ses bras. Ses cheveux noirs légèrement bouclés lui tombe ténébreusement devant ses beaux yeux ambrés. Je m'arrête, et le contemple silencieusement, m'immergeant de pensées à son égard.

J'essaie de me souvenir.

De me souvenir l'avoir aimer depuis toujours.

Parce que c'est la vérité. Je l'ai aimée depuis toute petite, mais je ne m'en souviens pas. Comment était-il quand on était ensemble ? Comment nos débuts sont-ils passés ? Nos premiers contacts physiques ? Nos premier baisers ?

Tout cela, je ne m'en souviens pas. Tous ces souvenirs m'ont été injustement retirés.

Mais, lui s'en souvient. Il sait tout ce qu'il s'est passé entre nous. Peut-être qu'un jour j'oserai le lui demander.

Mais, ce jour n'est pas encore venu. Je ne sais pas encore ce que je vais faire de lui. Pour le moment, je préfère laisser mes sentiments de côté pour me concentrer à la situation qui est extrêmement compliquée.

Mais, cela n'empêche pas qu'Isaac continue de me fasciner. Son aura meneur me séduit, son côté protecteur me captive. Et savoir que j'ai été la fille qu'il a le plus aimée depuis qu'il est jeune, m'obnubile.

— Les deux loups-garous presque enfin réunis, séparés dorénavant uniquement par une baie vitrée, faisant renaître au fond de la concernée d'intenses sentiments enfouis...Comme c'est romantique.

Je n'ai pas entendu Vildred arriver. Ce dernier est à côté de moi, à observer Isaac, de l'autre côté de la vitre. Je lève les yeux vers lui, le visage inexpressif et le toisant d'un regard froid.

— Pas un mot de plus, je rétorque.

— Tu as ce que je t'ai demandé ? réplique le Chasseur, laissant de côté son ironie pour laisser place au sérieux.

Je détourne le regard et le repositionne sur Isaac, et maintiens quelques secondes de suspens avant de répondre.

— Dans mon sac.

Dans le reflet de la vitre, j'aperçois alors un sourire énigmatique de satisfaction quasiment imperceptible se dessiner sur les lèvres du Chasseur.

— Voyez-vous ça...Je ne peux pas être plus fier de mon élève.

Vildred glisse sa main dans mon sac pour tâter son appareil.

Je repousse brusquement sa main en attrapant fermement son poignet pour l'immobiliser.

— Qu'est-ce qu'il y a dans cet ordinateur ?

Vildred hausse un sourcil et me toise d'un regard énigmatique, en esquissant de nouveau un sourire de satisfaction. Il approche son visage du mien en pénétrant davantage mes yeux dans son regard infiniment perçant.

— Tu n'aimerais pas le savoir.

— Qu'est-ce que tu as fait, Vildred ? je murmure.

Vildred ne répond pas. Il se remet à fixer Isaac au loin, toujours en train de discuter avec ses collègues, concentré.

— J'ai une dette envers toi, Sosie. Je ne l'oublie pas.

Je sais qu'il ne parlera pas. Je repositionne à mon tour mon regard sur Isaac, songeuse, me laissant de nouveau submergée par un océan d'émotions. Un frisson se propage alors en moi.

— Que va-t-il faire ? Il arbore un air sûr de lui et impassible, mais je sais que cette situation le tourmente.

— Tu me demandes si ce qu'il a appris sur toi va le faire peu à peu revenir vers sa meute ?

—...

Je ne réponds pas. Mais mon absence de réponse en est de toute évidence une.

— ...Un loup-garou devient inarrêtable à partir du moment où les siens sont menacés. Tu as été menacée, et cela, Isaac ne le laissera pas passer.

Un frisson supplémentaire se propage en moi.

— Donc, j'ai une famille. Un père, une mère, une petite sœur...deux cousins, je déclare.

Un cousin qui voulait me nuire et un qui sait de tout évidence bien plus de chose qu'il ne laisse paraître.

— Tu as plus que cela. Tu as une meute toute entière à tes pieds.

Je tourne mon regard vers lui.

— Tu voulais payer ta dette ? Il y a en effet quelque chose que tu peux faire pour moi, je déclare mystérieusement.

Le Chasseur lève un sourcil et hoche alors succinctement la tête, attentif.

— Je t'écoute.

— Hier, un vampire m'a prise en filature. Jayden m'a sortie de là mais Alhorn Griffins est tombé sur nous avec sa patrouille et a l'emmené avec eux. Est-ce que tu peux le faire libérer ? Je lui dois bien cela.

— Je vais essayer, mais je ne veux rien te promettre. Isaac en tant que directeur administratif a plus facilement accès que moi à ces informations. J'irai lui en parler.

Je hoche la tête, en guise de remerciement et contemple de nouveau le loup-garou.

— Ce n'est que le début, n'est-ce pas ? Une guerre se prépare...

Vildred met quelques secondes avant de me répondre, arborant une attitude énigmatique et ténébreuse.

— De toute évidence, tu pourras mettre à profit tes nouvelles capacités.

— Et Bella ? Tu penses qu'elle est partie ?

Vildred fait quelques pas, avant de se repositionner de nouveau devant la vitre, avant de me livrer sa réponse.

— Je ne sais pas si tu as fait attention, mais elle portait à l'annulaire gauche une bague. Un talisman plutôt. J'ai fait des recherches, et apparemment, cela l'empêcherait de quitter un certain périmètre. Sûrement celui de La Nouvelle Orléans.

Je déglutis alors et hoche la tête, songeuse.

Bella est la victime de quelqu'un, de toute évidence.

— C'est donc qu'on l'utilise. Quelqu'un est derrière tout ça...Mon père ?

Vildred hausse les épaules.

— C'est possible. Mais, je ne pense pas qu'il agisse seul. Je pense que tout cela nous dépasse encore. Il y a une pièce du puzzle qui nous échappe.

— Eh bien, trouvons cette pièce. Trouvons ce que ces gens veulent de moi.