Je n'ai pas vraiment bien dormi cette nuit.

Je n'ai pas arrêté de cogiter à propos de ce qu'il s'était passé hier soir.

Une fois levée, j'ouvre les rideaux de la petite chambre de l'appartement sous les toits que je loue au centre du Quartier Français, et attrape un carnet que je viens d'acheter ainsi qu'un stylo. Je note alors tout ce qui m'a paru bizarre: l'emploi du mot « pouvoirs » par l'étrange Vildred, la tentative d'hypnose, ainsi que le vampirisme. Straze, celui dont Vildred avait brisé la nuque en était-il donc un? Avais-je eu raison? Le paranormal existait-il bel et bien comme j'en avais été persuadée depuis des années? Cela faisait tout de mêmes beaucoup de preuves pour une soirée.

Mais étrangement, j'avais l'impression que c'était pour moi comme une évidence que la Nouvelle Orléans était peuplée de créatures surnaturelles. Bizarrement, cela ne me surprenait pas.

Je referme mon carnet et pense à mon père.

Je suis fille unique. Je n'ai pas vraiment de contact avec ma mère qui n'a jamais eu l'instinct maternel, et vit uniquement avec mon père depuis toujours, sur la baie des Hamptons, dans l'état de New-York. Que dire sur ma vie à part que je ne l'appréciais pas vraiment...Mon père est du genre ultra protecteur avec moi. Il est tellement strict qu'il n'accepte jamais que je sorte de la ville, hormis pour les études. Je suis en fac de lettres à New-York mais ce semestre-là se fait en partenariat avec l'Université de Philadelphie. Il avait donc accepté pour les études que j'aille étudier là bas durant environ six mois. J'en avais donc profité pour partir à la place à la Nouvelle Orléans en prenant une année sabbatique, sans le lui dire.

Je sais qu'un jour, il découvrira que je lui ai menti, mais je n'en pouvais plus. Je ressentais le besoin viscéral de prendre mes distances avec lui et de souffler, loin de ma vie terriblement insipide et ennuyeuse, et surtout d'aller visiter la Nouvelle Orléans. C'était mon rêve depuis que j'étais adolescente et je comptais bien le réaliser. J'aurais le temps de lui révéler la vérité une fois que je serai rentrée d'ici.

Je tripote entre mes doigts le bout de parchemin que l'hypnotiseur m'a transmis. Il y a son numéro écrit dessus ainsi que son nom.

Nathanaël Dubois.

Son nom semble bien français, ce qui me fait déduire que sa famille est implantée à la Nouvelle Orléans depuis des siècles, étant donnée qu'elle a été fondée par Jean-Baptiste Lemoine, un colon français.

Intriguée par Nathanaël, je tape son nom dans la barre de recherche Google.

Aucun compte Facebook, Instagram, Twitter, ni même LinkedIn. C'est quand même très étrange pour un jeune garçon qui n'a même pas vingt ans...

Qui es-tu Nathanaël...

Je fixe de nouveau le bout de papier. Je suis prise par l'envie de lui téléphoner. Mais, je finis toujours par me rétracter à chaque fois que je suis sur le point de le faire.

J'angoisse en réalité de me faire piéger.

Peut-être que ce Vildred m'a sauvé la vie en éliminant temporairement le soi-disant vampire, mais il n'en ai pas moins que sans Nathanaël, il m'aurait sans doute Kidnappée.

Je ne peux pas faire confiance à ces gens.

*

Le soleil est à son zénith.

Je me décide alors à sortir afin de visiter le célèbre Quartier Français et de faire quelques courses.

Je rentre dans une supérette qui m'a l'air sympa, et achète de quoi manger pour les jours suivants. J'arrive à la caisse, et présente mes articles.

La caissière m'adresse un étrange sourire très expressif quand elle m'aperçoit.

— Contente de vous voir, Mademoiselle Johnson! Ça faisait longtemps qu'on ne vous a pas vu passer à la boutique, déclare la femme.

Je me fige alors sur place. Je fixe la caissière dans les yeux, complètement perturbée par sa remarque, avant de me reprendre et d'esquisser un sourire détendu. (Seulement en apparence...)

Je ne dis rien. Je récupère très vite mes produits et m'empresse de détaler.

Je rentre directement chez moi, range mes articles et me pose mon lit, totalement livide.

C'était la deuxième fois en moins de vingt-quatre heures qu'on me confond avec quelqu'un d'autre.

Me vient subitement une idée.

Je comprends après quelques secondes de réflexion que j'ai le nom complet de la fille qui semble donc me ressembler.

Vildred m'avait appelée comme ça quand il m'a interpellée hier soir, à Seventh Ward.

Arabella Johnson.

Je tape ni une ni deux son nom dans la barre de recherche Instagram et tombe directement sur son profil.

Et là, stupeur.

La fille est mon parfait sosie.

Elle a des cheveux roux foncés et ondulés comme moi, la peau claire, le même petit gain de beauté en dessous de son œil droit, ainsi que de grands yeux marrons-verts.

Tout exactement comme moi.

Comme de vraies jumelles.

Sauf que je le sais, je n'ai pas de jumelles. Ma mère n'a eu qu'une seule fille dont elle n'a jamais daigné vraiment s'en occuper.

Mais alors, qui est cette Arabella?

Je défile alors ses photos, en remontant son feed.

Beaucoup de photos d'elle et de photos de paysage de lacs sont localisés dans les Bayous de La Nouvelles Orléans. Sûrement là où elle a grandi, je suppose.

Je tombe alors sur une photo qui suscite grandement mon intérêt. Sur celle-ci, elle est avec un jeune homme que je reconnais immédiatement.

C'est Vildred.

Il paraît étrangement un peu différent. Son visage est lumineux et son sourire chaleureux. Rien à voir avec la froideur de ses traits actuels...Mais, une chose est frappante: ses yeux. Il ne sont plus de la même couleur. Ils sont bruns, alors que ceux que j'ai vu hier était d'un violet très profond. Peut-être qu'il porte des lentilles de contact, mais tout cela semble bizarre.

Je regarde la date du post et me rend compte que la photo a été publiée il y a trois ans.

Vildred enlace Arabella d'une main par la taille. Ils semblent assez proches. Peut-être sa petite amie...?

Malheureusement, elle ne l'a pas identifié ce qui m'empêche de le stalker à son tour.

Mais, cette ressemblance frappante me laisse totalement sans voix. Tout se bouscule dans ma tête. J'hésite alors a envoyer un message à mon sosie, mais me rend compte que le compte n'a pas été alimenté depuis quelques mois. Est-il à l'abandon?

J'éteins enfin mon téléphone et m'allonge sur mon lit en laissant échapper un soufflement de nervosité.

Depuis que je suis arrivée ici, les étrangetés se succèdent et deviennent de plus en plus préoccupantes.

J'ai bien trop de question pour en chercher les réponses. Mais je sais que quelqu'un est en capacité de les apporter.

Je me lève et récupère le numéro de Nathanaël Dubois que j'avais laissé en plan sur mon bureau. Je me mets alors à hésiter. Je ne sais plus quoi faire. Mon instinct me souffle de fuir et de rentrer à New-York mais ma curiosité me pousse à rester et à composer ce numéro.

C'est le cœur battant et le bout des doigts tremblant que j'active une à une les touches du clavier de mon téléphone.

Je décide après une grande inspiration de lancer l'appel.

Une voix masculine et douce résonne alors à l'autre bout du fil. Je la reconnais.

— Allo?

— Salut, Nathanaël. C'est Linda, la fille de Seventh Ward. Je t'appelle parce que j'ai changé d'avis. J'ai beaucoup de questions qui demeurent sans réponses.

— Rejoins-moi à quatorze heure, à Cafe Beignet, sur la rue de Royal Street. Je viendrais avec une amie à qui j'ai parlé de toi.

J'accepte le rendez-vous et raccroche.

Je me laisse alors tomber sur mon lit, le cœur battant partager entre une excitation débordante et une inquiétude évidente.