Chapitre vingt-trois
Bonne lecture !
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Il ne faisait pas très beau et le sentier au bord de la falaise était ballotté par les vents. Les cheveux d'Octavius lui retombaient devant les yeux et il faisait bien attention à garder un œil sur Athy pour s'assurer qu'elle n'allait pas bêtement glisser et se briser les pattes sur les rochers. Il la voyait courir et attraper les quelques gouttes de pluie qui tombaient du ciel, et parfois elle revenait vers lui pour lui apporter un bâton humide.
Quand il s'arrêta sur le premier banc qui n'avait pas l'air d'être à deux doigts de s'écrouler, bien avant la plage perdue au loin, Octavius en profita pour inspirer un grand coup. Il s'assit doucement, essuya un peu son visage, et regarda la mer en face de lui qui s'étendait jusque dans les nuages gris. Tout au bout, le soleil était en train de se lever et il se demanda quand son sommeil s'était-il déréglé à ce point. Même s'il essayait de se coucher tôt il finissait par se réveiller avant l'aube, et s'il s'endormait tard alors c'était en début d'après-midi qu'il ouvrait les yeux.
Soudain, il se rendit compte qu'il avait oublié de prévenir Mika pour son absence de la veille. Aurait-il dû le faire ? Il n'avait pas vraiment été invité, c'était simplement quelque chose qui ressemblait à « si tu n'as rien de mieux à faire que te morfondre dans ta chambre viens voir Blaize se faire ridiculiser ». Rien de très officiel, juste un réconfort.
Athy aboya à ses pieds et il attrapa un bâton pour le lui lancer un peu plus loin.
Allait-elle être triste de retourner en ville après ces quelques jours au grand air ? Son appartement était grand mais cela lui suffirait-il ? Il voulait qu'elle soit heureuse avec lui, mais sa chienne avait vraiment l'air d'aimer la campagne. Elle avait vraiment l'air d'aimer ce village, et bien plus que lui.
Un soupir abaissa ses épaules et il se demanda ce qu'il allait faire.
Cela faisait des jours qu'il se trouvait des excuses pour rester, et il ne savait toujours pas quand repartir. Sa voiture prenait toujours la poussière sur le parking de l'hôtel, et sa chambre commençait à ressembler davantage à une décharge qu'à un lieu de vie. Chaque fois qu'il rentrait, Octavius laissait ses vêtements sur un tas dans un coin et regardait passivement sa pile de linges propres s'amoindrir. Il attendait patiemment quelque chose, sans pour autant savoir de quoi il s'agissait.
À la capitale, il avait eu sa vie. Au début de sa célébrité, il avait répondu à des interviews, s'était rendu compte que des gens qu'il ne connaissait pas l'appréciaient pour ce qu'il faisait, et cette constatation lui avait paru étrange. Il avait commencé à plaire aux femmes, à porter des lentilles de contact, à s'inquiéter de ce qu'on pensait de lui, et dix ans étaient passés à une vitesse affolante. Son troisième divorce lui avait un peu fait comprendre que lui même ne maîtrisait plus rien, et finalement il avait annoncé à sa maison d'édition qu'il n'y aurait pas de nouveau livre. Seul Alexandre continuait de prendre de ses nouvelles et d'espérer un retour ; pourtant ce n'était pas pour lui, ce n'était pas pour devenir celui qui publierait le nouveau roman d'Octavius Vasilis, mais simplement pour voir son ami revivre un peu, lui qui l'avait accompagné avec sa première œuvre.
Il avait eu de bons moments et d'autres qui l'embarrassaient profondément, mais aujourd'hui il en arrivait facilement à la conclusion que cette vie-là était terminée. Plus rien ne l'attendait là bas.
Quand Athy, enfin fatiguée, monta sur le banc avec lui pour poser sa tête sur ses cuisses, il la caressa distraitement en regardant l'horizon.
– Tu penses qu'ils nous restent des choses à faire ? demanda-t-il. Tu penses qu'il me reste des choses à dire ?
Il espérait sincèrement que oui.
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En revenant vers le centre du village pour remonter vers l'hôtel, le ventre d'Octavius gronda si fort qu'Athy se retourna loin devant lui. Ses oreilles dressées sur sa tête, elle l'observait sans bouger en attente d'un ordre quelconque, et il finit par soupirer, vaincu.
La ruelle où se trouvait le restaurant de Blaize n'avait pas changé en quelques jours : des maisons en pierres claires et des petits jardinets verdoyants, la façade se démarquait légèrement des habitations sans pour autant en dénaturer le charme. Octavius trouvait que la personne qui avait pris en main le chantier avait fait du très bon boulot, et avant de pousser la porte pour s'engouffrer à l'intérieur il vérifia que les pattes de sa chienne n'étaient pas trop sales après leur balade dans le sentier.
Le retentissement de la clochette au-dessus de la porte le prit par surprise : avait-elle été là la première fois ou ne s'en souvenait-il simplement pas ? À cette heure-là, il ne fut pas étonné de constater que seuls quelques habitués accoudés au comptoir ou lisant leur journal sur les tables avaient trouvé le courage de venir. Une odeur de café assez reposante régnait dans la pièce, et Octavius sentit ses épaules se détendre alors qu'il s'avançait légèrement.
Iris vint presque immédiatement vers lui d'un pas guilleret avec un regard bienveillant pour Athy, son badge avec son nom toujours épinglé sur sa poitrine. Elle s'accroupit aussitôt pour la caresser, puis releva la tête vers lui une fois satisfaite.
– Vous souhaitez déjeuner ? demanda-t-elle en se redressant et en époussetant ses genoux.
Son air professionnel était revenu, toujours poli mais un peu plus sérieux. Pendant une seconde, Octavius voulut répondre quelque chose comme « non merci, seulement un café », puis se reprit aussitôt.
– Oui, merci.
Elle le conduisit vers une place dans un coin de la pièce, sur un petit canapé rigide qui donnait à sa table un peu d'intimité, puis le laissa regarder le menu tranquillement. Il avait encore du mal à se rendre compte que cet endroit était bel et bien dirigé par Blaize, lui qui avait l'impression de ne voir en lui que le meilleur ami de William qui le suivait un peu partout. Là où William était toujours gentil avec les autres, Blaize essayait de se défendre sans même avoir été attaqué : il appuyait sur les points faibles, se moquait bien des conséquences, et ne s'excusait que lorsque son ami l'obligeait à le faire. Enfin, souvent toutes ses remarques allaient à l'encontre des filles belles ou des garçons populaires, alors Octavius n'en avait jamais eu grand-chose à faire.
Aujourd'hui, d'après ce qu'il avait vu pendant la partie de cartes de l'autre soir, Blaize ne se sentait plus vraiment mal dans son corps et ne faisait le dur que pour rassurer son ego ; c'était déjà un peu mieux.
Quand Iris revint le voir avec une gamelle d'eau qu'elle posa à ses pieds, Octavius lui commanda la moitié du menu. Du sucré, du salé, il avait à présent une faim catastrophique et se demanda s'il n'allait pas en être malade de se remplir le ventre si brusquement. Mais sur le moment, ce n'était pas bien grave.
Il lui demanda également plusieurs cafés qu'elle lui apporta presque immédiatement, puis déposa les autres plats un par un sur sa table. Comme à son habitude, il donna la moitié de sa viande à sa chienne qui attendait sagement, puis avala toutes ces viennoiseries françaises, ses pancakes, ses œufs brouillés, tout ça sans faire de pause et en ayant l'impression d'avoir un immense trou à la place de l'estomac.
Quand enfin il fut rassasié, Octavius repoussa la dernière assiette loin de lui et soupira de contentement. Pour le coup, il était assez satisfait de lui même et ce repas consistant le mit d'une humeur étrangement bonne.
À sa grande surprise, Iris revint une fois tous les plats débarrassés et s'assit en face de lui pour donner quelques friandises à sa chienne. L'air de rien, elle demanda :
– Vous comptez sortir un nouveau livre ?
Cela aurait dû l'irriter un peu, mais elle n'avait pas l'air d'attendre une réponse positive. Comme quelqu'un qui demandait le temps qu'il ferait sans même vouloir sortir de chez lui. Elle se contentait d'offrir quelques restes à Athy avec un sourire discret, sans le regarder dans les yeux.
Comme il ne répondait pas – car si quelques semaines plus tôt la réponse aurait été un « non » catégorique, à présent il n'en était plus si certain – elle releva la tête et lui servit un verre d'eau avant de le pousser dans sa direction, comme pour l'inviter à s'hydrater davantage.
– Maintenant, tout le village ne parle plus que de vous. Madame Sophia était très appréciée par ici, elle faisait des cookies pour les fêtes de l'école, et apprenait à coudre aux enfants. Aux réunions pour les changements à la mairie, c'était toujours la première à taper sur les doigts du maire dès qu'il prenait une mauvaise décision, et elle lui offrait un gâteau quand il faisait quelque chose de bien.
Il avait du mal à la voir faire tout ça. Quand ils étaient ensemble à la capitale, elle ne cuisinait que de simples repas et refusait que toute forme de sucrerie entre chez eux. La retraite l'avait peut-être assagie, mais cette femme qu'elle lui décrivait, il ne la connaissait pas.
– Elle ne nous a jamais dit que son fils était auteur, continua-t-elle comme si de rien n'était. J'ai lu un de vos livres il y a longtemps, et je crois même que c'était elle qui me l'avait recommandé. Je l'ai toujours dans ma bibliothèque, et je m'en veux un peu de ne lui avoir jamais rendu.
Ça lui paraissait impossible. À la parution de sa première œuvre, Sophia Vasilis avait soupiré d'un air déçu en lui demandant « alors c'est vraiment ce que tu veux faire ? ». Elle n'avait pas rajouté « dommage », mais Octavius l'avait entendu.
– Par contre, elle venait prendre un thé tous les matins pour commenter le journal, et parfois elle nous disait qu'elle avait un petit-fils à la ville. Maintenant, je crois que c'est parce qu'elle voyait un article sur vous. Une fois, elle nous a dit que vous étiez gentil, peut-être un peu trop.
Il fronça les sourcils, le cœur serré. Octavius ne savait pas pourquoi elle se mettait à lui raconter tout ça, mais c'était agréable et douloureux à la fois.
– Et elle nous a aussi dit qu'elle était fière de vous. Je pensais que vous devriez le savoir.
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Des bisous !
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