Chapitre trente
Bonne lecture !
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Il ne l'a encore jamais vu dans cet état.
Elle marche, elle crie, et en cela rien de nouveau, mais cette fois elle pleure à chaudes larmes. Son visage est brouillé comme un vieux mouchoir, elle donne des coups dans tout ce qui passe ; chaises, tables, vase, elle a déjà brisé plusieurs assiettes sur le sol de la cuisine.
Quand Octav' a commencé à l'entendre, il s'est approché des escaliers. Ça fait des mois qu'il ne se cache plus, qu'il n'est pas rentré dans son placard, et maintenant il tente de la rassurer ou de la calmer – son père lui avait dit de l'ignorer quand elle faisait ses crises, mais il ne peut pas le faire –. Ça marche rarement, mais la culpabilité qu'il ressent à l'entendre et à ne rien faire est bien pire.
Elle hurle en bas, insulte son père de tous les noms, et Octavius tend l'oreille pour essayer de comprendre. C'est dur car elle mâche beaucoup de ses mots, qu'ils sont coupés par ses sanglots, et que les bruits de verre brisé sont plus importants que le reste, mais finalement quelques phrases ressortent. Traître, menteur, abandon.
Tu nous as laissés. Tu as pris tes affaires. Tu m'as laissée seule avec lui. Nous sommes une famille, une famille, une famille.
Il ne lui faut qu'un instant pour comprendre qu'elle parle de son père. Que toute cette colère lui est destinée, et que cette fois les choses sont différentes : il n'est pas seulement parti à l'hôtel, il n'a pas seulement prétexté un problème au travail, il ne s'est pas seulement échappé quelques heures pour une promenade.
Il a pris ses affaires.
Il ne doit pas répondre au téléphone, il n'a rien dit, pas prévenu, et Octavius comprend rapidement ce que ça veut dire : il est parti.
Il nous a laissés, pense-t-il en se mordant la lèvre.
Pendant une seconde, il est tenté de se dire que ce n'est pas grave. Qu'ils peuvent très bien être deux, ce n'est rien, qu'il est assez fort pour supporter tout seul. Si son père n'a plus la force d'aider sa mère, alors il le fera tout seul. Il réussit presque à se convaincre, et se redresse un peu avant de faire un pas en avant.
C'est durant cette seconde qu'il descend les escaliers en vitesse. Ses pieds lui semblent trop lourds, il fait trop de bruit, puis quand il arrive en bas, un cadre tombe et se brise dans le salon. Il déglutit, essaye de chercher sa mère, car il ne veut pas qu'elle se fasse du mal ; il n'est plus dans le placard il est là et il est grand, alors il peut sans doute faire quelque chose. Quand il la trouve, elle s'acharne sur le téléphone fixe en hurlant de rage. La voix du répondeur, il l'a déjà entendu plusieurs fois alors qu'il tentait de l'appeler : son père qui leur demande simplement de rappeler plus tard.
Au bout de la troisième fois, elle finit par le lancer contre une fenêtre. Elle ne se casse pas heureusement, alors Octavius en profite pour se rapprocher. Il bégaye d'une voix douce, certain que s'il n'élève pas le ton alors elle pourra se calmer toute seule et comprendre que cela ne sert à rien. Qu'il reviendra peut-être, ou peut-être pas, mais il faut qu'elle arrête de crier...
Il n'a même pas le temps de faire quatre pas qu'elle attrape un vase dans un sanglot et la seconde d'après il est au sol, une main sur le front. Le temps s'arrête, sa vision trouble le surprend, et il met un instant à comprendre que ce qui coule sur son visage, c'est du sang. La douleur arrive presque immédiatement, l'étourdissant jusqu'à ce qu'il se recroqueville sur le sol, et au loin il entend sa mère attraper des bouts de porcelaine avec ses doigts tremblants.
Il y a trop de sang, et Octavius a la tête qui tourne. Même en appuyant, même en essayant de dégager son visage, il n'y arrive pas car ça coule encore et toujours, davantage à chaque seconde. Pourquoi cet endroit saigne autant, il se pose la question, mais l'idée disparaît aussitôt car ce n'est pas important. Il essaye de se relever, demande à sa mère de lâcher ça, qu'elle peut se couper, se blesser, mais la seule chose qui sort de sa bouche est une sorte de gargouillis apeuré.
Il est effrayé, il a peur, et il a mal.
Mais surtout il se rend compte qu'il avait tort : il ne peut pas faire ça tout seul. Il pousse ses jambes tremblantes à reculer, il écoute son cœur qui tambourine violemment dans sa poitrine, et décolle enfin sa main de son visage car cela ne sert à rien.
Si son père était bel et bien parti, s'il les avait bel et bien laissés seul, alors Octavius a besoin d'aide.
Il tourne les talons en trébuchant sur le tapis. Sa vision obstruée lui donne un aperçu déformé de sa maison, mais il réussit tout de même à trouver la porte d'entrée. Elle n'est pas verrouillée, et il se jette presque dehors en haletant difficilement. Sa poitrine lui fait mal, son front lui fait mal, mais surtout il essaye de retenir ses larmes car il n'est plus un enfant.
Ce n'est pas grave. Ça va aller. Ce n'était pas sa faute.
Les rues du village sont désertes. Il est tard, la nuit est tombée depuis longtemps, et Octavius se repère comme il peut avec une seule idée en tête : trouver de l'aide. Trouver quelqu'un qui comprendrait. Sa mère n'allait pas bien, sa mère était malade, et elle avait simplement...
Cette fois, il ne peut retenir son sanglot et tente d'accélérer en direction du square. Son front pulse, le sang coule, et il essaye de ne pas lui en vouloir. Elle avait blessé son fils. Son père était parti.
Il manque de tomber plusieurs fois en s'emmêlant les pieds, mais finalement quand il arrive devant l'immeuble de William, sa respiration sifflante l'empêche de réfléchir. Ses lunettes sont tombées quelque part, sa tête tourne, et ses pieds tremblants s'avancent jusqu'à la porte en vitre.
Il appuie sur le bouton « Gauthier » et entend l'écho de la sonnette. Il attend. Son cœur bat si fort dans sa poitrine qu'il le sent dans son front.
Que fait sa mère chez eux ? Se fait-elle du mal ? Est-elle partie à sa poursuite ? Il veut rentrer, vérifier, mais c'est impossible.
– Oui ?
Cette voix, ce n'est pas Will. C'est son père, et sa voix légèrement irritée le pousse à se demander l'heure qu'il peut être.
Il ouvre la bouche pour répondre, mais encore une fois, seul un gargouillis ridicule en sort. Il ouvre grand les yeux, panique encore davantage, et se mord la lèvre pour se forcer à parler.
– Je...
– Il y a quelqu'un ?
– Monsieur....
Il n'a pas parlé très fort, mais sa bouche est presque collée à l'interphone. Il fait qu'il l'entende, il faut qu'il fasse quelque chose.
– Monsieur Gauthier...
– Octavius ? C'est toi ?
Les larmes sur ses joues lui brûlent la peau.
– Oui, je – s'il vous plaît...
– Attends-nous, on arrive.
Le son se coupe, et ses jambes se dérobent sous son corps. Il se laisse glisser le long du mur, et en essuyant le sang sur son visage il se rend compte que son pull est plein de taches rouges. Et qu'il n'a pas de chaussures.
La porte s'ouvre soudain et il ouvre ses yeux qu'il ne se souvient pas avoir fermés.
– Octav'!
Le visage de William le prend par surprise, et il se résiste pas à l'envie de passer ses bras autour de son cou. Encore tremblant, il le sert fort contre lui.
– Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu vas b – c'est du sang ?
– Will, laisse-moi voir. Octavius, mon garçon, est-ce que tu vas bien ? On va t'emmener à l'hôpital, d'accord ?
Il ne répond pas tout de suite, et se laisse plusieurs secondes de calme, ses mains toujours accrochées au t-shirt de William. Puis quand il se sent prêt, il se recule légèrement et souffle :
– Non. Pas l'hôpital. Il faut aller voir ma mère.
– Octavius, tu as le front ouvert il faut qu'on –
– Non.
Il secoue la tête et se recule complètement. Il faut qu'ils comprennent.
– Ma mère, insiste-t-il. Elle ne va pas bien.
– Qu'est-ce qui s'est passé ?
Le père de Will ne semble vraiment pas comprendre. Il le regarde avec des sourcils froncés, inquiet, et tente d'examiner distraitement sa blessure.
– Quelqu'un est entré chez vous ?
Il sait ce qu'il pense. Et avant, il aurait simplement confirmé pour qu'il ne se doute de rien. Mais cette fois, il secoue à nouveau la tête.
– Ma mère est malade, couine-t-il. Il faut vraiment... il faut faire quelque chose.
Il est encore essoufflé, et chaque mot est difficile à sortir.
– C'est elle qui t'a fait ça.
William ne pose pas la question. Il constate simplement, accroupi devant lui, sa main posée sur son genou comme réconfort. Son père dévie son regard sur lui sans comprendre.
– Quoi ?
– Mon père est parti, dit Octavius. Elle est seule à la maison. Elle va se faire du mal et il y a du verre partout, il faut que quelqu'un y aille.
Sa gorge serrée lui rend la tâche difficile, et soudain il se remet à pleurer.
– Je pensais vraiment pouvoir le faire, explique-t-il. Je pensais qu'on avait pas besoin d'aide.
Will et son père échangent un regard, et tout à coup l'homme se lève et retourne à l'intérieur. La porte se referme derrière lui, et William écarte doucement ses mèches humides de sueur et de sang de son visage.
– Ça va aller, d'accord ? On est là. Mon père est parti appeler ses collègues. Ils vont aller chez toi, ça va aller.
Mais il a peur, Octavius le voit. Ses gestes sont doux mais un peu hésitants, comme s'il allait tomber en morceaux sous ses doigts.
– Je suis désolé, dit-il. Je suis désolé, William.
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Des bisous !
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