Chapitre douze
Bonne lecture !
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Octavius peine à lire les mots devant lui, et plus il sert le livre entre ses doigts, plus le papier lui coupe la peau. Ses yeux lui font mal, très mal, mais il ne peut rien faire d'autre que se concentrer davantage et lire encore. C'est tout ce dont il a besoin ; ce bouquin aux pages cornées et jaunies qu'il emprunte toutes les semaines à la bibliothèque est la seule chose qui le maintient en place, éveillé. Son corps couvert de frisson s'engourdit de plus en plus, et à présent il ne sent même plus ses pieds. Peut-être a-t-il de la fièvre, mais il ne sait même pas à qui en parler.
Inspirant profondément, il tente de déchiffrer les quelques lettres qui forment ce mot compliqué qu'il peine à lire à chaque fois. Page deux cent dix-huit. Le haut du papier est assez effrité, comme si un liquide chaud était tombé dessus, et il se souvient de la dame aux livres qui lui rappelle de faire attention à chaque fois qu'elle note son nom dans le livre d'emprunt.
Tu aimes cette histoire, Octavius ?
Il hoche à chaque fois la tête. C'est toujours la même question.
Et pourquoi ça ?
C'est un enfant. Un enfant qui découvre le monde, qui rêve et qui pense par lui même, qui se fait des amis et qui apprend de plus en plus. Il a des rêves, des rêves immenses que ses proches encouragent, des rêves qui paraissent idiots à tout le monde au départ, mais qui finalement se révèlent faisables tant l'enfant y croit vraiment. À la fin, l'enfant devient un prince.
Un cri en bas le déconcentre une seconde mais il secoue la tête et s'y remet immédiatement.
C'est rien, se rassure-t-il. C'est bientôt terminé.
Pour couvrir le bruit du rez-de-chaussée, au delà des escaliers, il tente de se souvenir de la musique qu'il a entendue à l'école, celle que ce garçon chantait à la récrée, et malheureusement seul le rythme lui revient. Il chantonne tout bas, la bouche encore fermée, et se rend compte que sa gorge est tellement serrée que chaque note lui fait monter les larmes aux yeux.
Il a mal à la poitrine, mais surtout l'odeur à l'intérieur de son placard lui retourne le cœur : il s'y enferme toujours, à chaque fois que les voix commencent à résonner en bas, mais cette fois Octavius l'impression que ça dure bien plus longtemps que d'habitude. Il avait eu envie d'aller aux toilettes, une quarantaine de minutes plus tôt, et à présent son pantalon est humide et l'odeur l'humilie un peu plus à chaque seconde.
Il veut sortir, il veut aller à la salle de bain se nettoyer, il veut aller dormir ou au moins retrouver un peu de lumière pour voir son livre. Dans son placard, il n'y a rien à part ses vêtements suspendus un peu plus haut, et les quelques autres livres qu'il a volé à l'école. Il commence à y être à l'étroit, mais en vérité il ne se sent pas encore prêt à lui dire au revoir, alors il se contorsionne et se serre.
Son pantalon commence à lui piquer, à gratter, et sa gorge en feu le pousse à tousser quelques coups. Personne ne peut l'entendre : il le sait car si quelqu'un le pouvait, alors ce quelqu'un aurait également pu entendre ses parents. Et ils auraient arrêté de se disputer depuis longtemps.
En bas, une assiette vole en éclat et Octavius se met à lire à haute voix, en chuchotant face à son livre. Il plisse les yeux, inspire de grands coups, mais l'odeur acre de l'urine remonte jusque dans sa bouche alors il finit par respirer par le nez, dans la manche de son pyjama.
Le temps passe, et plus il passe plus il se demande s'il va devoir attendre encore longtemps. Plus aucun objet ne casse en bas mais il ne sait jamais quand il peut sortir ; ses parents sont-ils encore là ? Que lui diront-ils s'il décide de descendre ? Sa mère sera-t-elle déçue ou dégoûtée de le voir ainsi, dans cet état ? Il aurait dû aller dormir quand son père lui a ordonné de monter.
Son livre s'efface sous ses yeux troubles, et sa poitrine se déchire. Une quinte de toux s'échappe de sa bouche.
– L'enfant, murmure-t-il à travers ses larmes. L'enfant devient un prince. Il devient un prince.
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Quand il retourna au village, l'enseigne du supermarché attira son regard et il fut étonné de constater qu'il était encore ouvert. Il hésita un instant, immobile au milieu de la rue déserte puis quand un frisson le traversa des pieds à la tête, s'y engouffra presque en courant. Le caissier releva la tête à son approche et s'apprêta à dire quelque chose mais Octavius le devança :
– Pas de chien dans le magasin, je sais. Je fais vite.
Il avait marmonné ça en attrapant un panier, et disparaissait à présent dans les couloirs. Il attrapait des choses au hasard pour les faire tomber dans le caddie, puis changeait d'allée afin de recommencer. Des pâtes, de la nourriture pour chien, du dentifrice, des cotons-tiges. Il ne savait même pas ce dont il avait besoin, mais cela importait peu, car il finit par faire trois fois le tour du magasin. Il prenait, reposait, et reprenait quelques minutes plus tard. Athy le suivait à la trace, sa queue remuant gaiement derrière elle, et quand il commença à s'approcher des bouteilles de vin, il lui sembla qu'elle plissa les yeux.
De manière accusatrice.
– Arrête de me regarder comme ça, ordonna-t-il en attrapant une bouteille de rouge. T'as pas le droit de me juger.
Il arpenta le magasin jusqu'à ce que son panier soit complètement plein de trucs dont il se fichait pas mal, puis alla redéposer les légos qu'il avait pris parce que ça, c'était un peu trop. Le caissier n'était toujours pas venu le voir pour lui demander de partir, mais quand il se présenta devant lui avec toutes ses babioles, son regard sombre lui indiqua bien que ce n'était pas vraiment l'heure pour le faire chier.
– Pas de chien, la prochaine fois, fit-il en passant ses articles un à un.
– Ouais. Pardon.
Il garda la tête basse en cherchant son portefeuille dans les poches intérieurs de sa veste, jusqu'à ce que le caissier termine de scanner. Alors qu'il lui annonçait le prix, sa voix se fit soudain étonnée :
– Hé, mais je vous reconnais, dit-il, vous êtes pas le petit-fils de –
– Non.
– Mais y'avait votre photo dans le journal ce matin. Vous êtes l'auteur, non ? Vous pouvez sig –
– Non.
Il déposa le reste de liquide qu'il possédait dans son portefeuille sur le tapis et releva soudain les yeux. Ce garçon ne devait pas avoir plus de dix-neuf ans. Il travaillait sans doute là à temps partiel, et ne voyait en lui qu'un homme connu qui se ramenait un beau jour dans son village perdu.
Octavius ne s'énerva pas. Il essaya de ne pas s'énerver.
– Je ne suis personne. Et ma grand-mère vient de crever. Alors pas un mot.
Puis en avisant tous les articles, il demanda :
– Vous avez un sac ?
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Des bisous !
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