Chapitre 6
Je commandais ce qu'ils appelaient un hamburger et un milkshake chocolat. Je savais vaguement ce que c'était mais je n'en avais jamais goûté. Selon les souvenirs de Selena, cela semblait bon mais à consommer avec modération. Entre-temps, la gentille dame m'avait demandé de l'appeler par son prénom -Josie- comme tout le monde le faisait en ville et nous avions un peu discuté de tout et de rien.
Pour l'instant, je n'avais pas encore d'opinion quant à sa nature mais mon instinct me disait qu'elle était humaine, à voir par la suite si cela se confirmait.
Un groupe de jeunes entra dans le Dîner alors que j'attendais ma commande. Le regard de Josie s'était allumé de joie et je compris que son fils se trouvait dans le groupe quand elle salua tous les jeunes de la table en s'attardant avec un câlin pour celui qui semblait avoir hérité du visage de sa mère. L'adolescent grogna qu'il ne voulait pas de démonstration d'affection devant ses amis -il le formula autrement mais c'était l'idée générale- et bien qu'il ne le montrait pas devant ses camarades, je vis qu'il était quand même heureux de voir sa mère avec une commissure des lèvres légèrement plus élevée que quand il était rentré.
J'aurais aimé avoir un enfant mais il y avait tellement de facteurs inconnus de par ma situation que je ne savais si cela en valait la peine. Serait-il immortel? Et si pas, serais-je capable de voir mon enfant vieillir et mourir sachant que je ne le rejoindrais jamais dans la mort? Et rendre quelqu'un immortel m'était impossible, bien que j'en avais le pouvoir, je ne voulais pas imposer cela à quelqu'un d'autre. Parce qu'au début, cela paraissait chouette de ne plus devoir s'inquiéter de la mort mais au bout d'un moment, savoir qu'il n'y aurait jamais de fin et voir tous ses proches nous quitter, devenait un véritable enfer. Je n'avais pas choisi d'être immortelle et je ne laisserais personne le subir. Après tout, la beauté de la vie était de savoir que tout avait une fin pour pouvoir en profiter.
A vrai dire, je ne savais même pas si j'étais physiologiquement capable de procréer, n'ayant jamais eu de cycle. Et aucun homme ne m'avait jamais donné envie d'enfanter, sauf un mais nous n'avions pas eu le temps d'y penser avant qu'il ne me soit enlevé.
Évidemment qu'en plus de deux millions et demie d'années, j'avais connu des amourettes et des aventures mais je n'avais connu le véritable amour qu'une seule fois. Je m'étais toujours interdit de m'attacher, sauf une fois et ça n'avait pas manqué.
Y repenser me fit perdre mon sourire. Je sentais que j'étais en train de raviver des souvenirs que j'avais longtemps enfouis et dont je n'étais pas encore prête à faire face.
Josie arriva avec mon plat et ma boisson, me tirant de mes pensées et ramenant un sourire sur mon visage.
- Et voici un hamburger et un milkshake pour la demoiselle! annonça-t-elle.
Elle déposa l'assiette devant moi et je fus surprise de voir écrit dans une sauce rouge -était-ce ce qu'ils appelaient du ketchup?- "Bienvenue".
- C'est mon mari qui tient la cuisine alors je lui ai demandé de faire une petite attention pour vous vu que vous m'avez dit que vous veniez d'emménager, me dit-elle en faisant un clin d'oeil.
- Merci, c'est gentil! répondis-je attendrie par la sincérité de son geste, elle me rappelait tellement mon amie Jeanne.
Elle s'éloigna avec un grand sourire et me laissa goûter à mon plat tranquillement.
Je regardais attentivement l'énorme Burger et me demandais comment j'allais bien pouvoir manger cela sans en mettre partout. Je pris mon courage à deux mains et empoignai le pain d'un geste plein de conviction. J'ouvris grand la bouche -allais-je vraiment avaler tout cela en une seule fois?- et croquai à pleines dents. Une explosion de saveurs envahit mon palais et je fermai les yeux pour savourer pleinement ce moment.
- Ça faisait longtemps que je n'avais pas goûté quelque chose d'aussi bon, déclarai-je dans un murmure.
Un raclement de gorge se fit entendre, me forçant à rouvrir les yeux pour contempler un Alistair les bras croisés, assis sur la banquette en face de moi. J'étais tellement absorbée par ma nouvelle expérience que je ne l'avais pas entendu débarquer, le bruit des jeunes, de la télévision et de la cuisine n'aidant pas non plus.
Il était habillé avec une veste de chasse et avait tiré ses cheveux en arrière sauf pour quelques mèches rebelles qui lui tombaient sur les tempes. Il me dévisageait avec un regard sévère et était clairement en train d'essayer de m'écraser avec son aura de dominant.
- Vous venez de gâcher mon expérience culinaire, dis-je nullement impressionnée.
- Selena m'a dit de quoi vous aviez discuté hier, commença-t-il de sa voix grave et rauque.
- Et je n'en attendais pas moins d'elle.
Était-il enclin à la discussion maintenant? Arriverions-nous à nous entendre? J'avais un petit espoir que oui.
- Comment je pourrais vous faire confiance? Vous débarquez sur mon territoire, brisez le sort de protection et n'apparaissez sur aucun registre du Conseil surnaturel, déclara-t-il.
Le Conseil surnaturel? Un registre? C'étaient quoi encore ces âneries?
- Je ne vous demande pas de me faire confiance directement mais de me croire. J'ai choisi une ville au hasard et c'est tombé sur cette charmante ville quand j'ai décidé de partir de chez moi, et je ne vais pas m'en excuser. Je ne compte d'ailleurs faire aucun mal aux gens de cette ville et aimerais juste en apprendre plus sur les loups-garous et les humains. Pour ce qui est du sort, comme je l'ai dit à Selena, je n'ai fait que l'effleurer et il s'est brisé. Ce n'est pas de ma faute s'il manquait de solidité. Et pour cette affaire de registre, j'ai longtemps vécu éloignée de tout, je ne savais donc même pas qu'il en existait un, expliquai-je calmement.
- Le registre existe depuis trois cent ans, vous n'allez pas me faire croire que du haut de vos... quoi, vingt-six ans? vous n'en avez jamais entendu parler! rétorqua-t-il.
- Oui, mon chou. Je n'en ai jamais entendu parler.
Je n'allais quand même pas lui dire que j'avais infiniment plus que vingt-six ans alors que je ne lui faisais pas confiance.
- Arrêtez de m'appeler ainsi. C'est Alistair. Pour vous, c'est même Monsieur Eavenston.
- Bien, Monsieur, levai-je les yeux au ciel.
Allais-je continuer à l'appeler Monsieur Eavenston? Évidemment que non et "mon chou" lui allait si bien -bien que j'avais une fâcheuse tendance à appeler tout le monde "mon chou"-!
- Vous savez ce que je crois, je pense que vous êtes une menteuse très douée au point de pouvoir manipuler vos battements de cœur quand vous mentez et que vous vous faites passer pour quelqu'un que vous n'êtes pas. Vous ne vous appelez sûrement pas Luna Moon et vous avez été envoyée par quelqu'un pour foutre la merde sur mon territoire, n'est-ce pas? m'accusa-t-il.
L'atmosphère s'était soudainement alourdie et je sentis des frissons dans mon dos à cause de la dose de pouvoir qu'il dégageait. Je me sentais toute émoustillée -fût un temps où j'appréciais me battre et cette soudaine démonstration de force ravivait une mémoire musculaire que je pensais perdue-. Cependant, je ne pus m'empêcher d'éclater sincèrement de rire, le prenant au dépourvu -je n'allais tout de même pas me battre avec lui-.
- Je ne vous savais pas si comique, mon chou! déclarai-je en essuyant une larme qui perlait au coin de mon œil. Et vous pouvez vraiment entendre les battements de cœur? Il va falloir que je note ça dans mon grimoire, ajoutai-je plus pour moi-même.
N'aurait-il pas dû entendre mon mensonge quand j'avais regardé les souvenirs de Selena alors? Ou bien était-ce que quand il se concentrait? Cette théorie méritait d'être un peu plus creusée.
- Vous n'allez pas réussir à me faire changer d'avis en prenant ça à la rigolade, je suis très sérieux.
- Et moi aussi. Je m'appelle Luna Moon, je n'ai été envoyée par personne. J'ai grandi toute ma vie isolée et j'ai voulu découvrir le monde. C'est tombé sur Fall Valley et maintenant que j'y suis, j'y reste, et c'est tout ce que vous avez à savoir sur moi, énonçai-je avec un ton plus sérieux.
Je mélangeais un peu de mensonge dans la vérité pour que cela passe sans problème auprès de son ouïe fine, maintenant que je savais qu'il pouvait entendre même un battement de coeur.
- Je reste persuadé qu'il y a quelque chose d'anormal avec vous. Mon instinct me le dit et il se trompe rarement.
Il devait avoir un fin instinct pour sentir que je n'étais pas une sorcière normale -ou les sorcières avaient peut-être beaucoup changer, j'allais devoir me renseigner au près de Selena- mais ce n'était pas pour autant que je lui dévoilerai qui j'étais. Et certainement pas avec des manières pareilles.
Il se leva, ayant terminé la conversation de son côté mais il me lança une dernière phrase avant de partir.
- C'est votre dernière chance de quitter ce territoire avant que ce ne soit moi qui vous mette dehors, me mit-il en garde.
- J'ai hâte de voir ça, mon chou! déclarai-je nullement impressionnée.
Ce fut à ce moment-là que je confirmais mes doutes: il avait un tic à la frustration. Il relevait systématiquement sa joue gauche quand il était frustré, formant ainsi une petite fossette . J'avais cru l'apercevoir la veille mais je venais de le confirmer.
Après sa visite, je fus tranquille pendant tout le reste de mon repas -que j'avais rapidement dû réchauffer par magie, le rustre m'ayant empêché de manger- et j'avais savouré chaque bouchée du Burger et chaque gorgée du milkshake. C'était définitivement la meilleure chose qui m'était arrivée de la journée pour le moment.
J'avais attendu patiemment quatorze heures en reprenant un milkshake -fraise cette fois-ci- et en faisant apparaître le livre "Comment dompter avec une cravache un homme rebelle: tous les plaisirs pour 2" dont j'avais pris soin de camoufler la couverture par celle de "La sorcière et le truand" pour ne pas attirer l'attention. Le temps était vite passé et à quatorze heures, je renvoyais mon livre sur ma table de chevet, bien déterminée à le continuer ce soir -il était beaucoup plus intéressant que je ne le pensais- , et sortais en direction de la première boutique pour attendre Danaé.
Au bout de deux minutes, je vis sa chevelure brune sortir de la boutique et elle m'adressa un grand sourire. Elle était définitivement le loup-garou le plus jovial que j'avais rencontré jusqu'à présent.
- Prête pour cette visite? me demanda-t-elle en m'attrapant le bras.
Je compris rapidement qu'elle était très tactile.
- Oui! Je n'attendais que ça!
Elle commença par me présenter la place, les deux boutiques, le Dîner et la petite bibliothèque que je n'avais même pas remarquée -elle tombait à pic vu que je venais de renouer avec la lecture-. Ensuite, elle m'expliqua les différents quartiers et leurs différentes histoires -elle en connaissait autant car elle travaillait comme guide touristique et guide de randonnée pour la ville durant l'été, j'avais demandé-. Elle continua avec le supermarché qui était un peu plus loin que chez moi et avec quelques explications sur la ville d'à côté qui, si j'avais bien compris, était définitivement plus grande et habitée que Fall Valley. J'avais essayé de lui tirer quelques informations sur la meute et Alistair mais elle changeait systématiquement de sujet et évitait de me répondre, je n'avais réussi qu'à en tirer qu'Alistair était garde-chasse.
À dix-sept heures, nous avions fini le tour de la ville mais au moment où je voulus partir, elle me retint en me disant qu'elle allait me montrer les différents chemins de randonnée. Je l'avais laissée m'emmener, me disant qu'il y avait encore un peu de temps avant que la nuit ne tombe. Cependant, je n'avais pu m'empêcher, l'espace d'un instant, de trouver cela louche. Cela se confirma quand trente minutes après, je voulus couper court à notre petite escapade mais elle me supplia de continuer encore un peu. Il se tramait quelque chose, je le sentais mais je laissais couler, sachant qu'ils ne pourraient rien me faire quoiqu'ils préparaient. À la tombée de la nuit, alors que je m'attendais à ce qu'elle me retienne encore quand nous eûmes terminé notre petite randonnée, elle me fit un grand sourire, me dit de passer quand je voulais à la boutique avant de me laisser en plan à l'entrée de la forêt.
Me serais-je trompée sur ses intentions? Je fis venir ma petite voiture sans chauffeur et lui ordonnai de prendre la direction de la maison une fois rentrée dedans. La radio joua un morceau très agréable que je ne connaissais pas encore mais que je n'allais pas tarder à apprendre.
J'arrivais devant ma maison et sortais de la voiture en fredonnant la dite chanson quand je sentis qu'il y avait un problème en arrivant devant ma porte.
- C'était donc pour ça qu'elle me retenait, compris-je immédiatement.
Ma porte n'avait pas été forcée -ouverte donc par magie- mais les intrus avaient délibérément laissé la porte ouverte pour me faire passer un message visiblement. Je poussais la porte pour voir que l'intérieur de chez moi avait été complètement retourné. Ils avaient ouvert mes placards à vaisselles et avaient tout balancé, toute ma porcelaine était brisée en mille morceaux. Les coussins des canapés avaient été enlevés et pour certains éventrés -je tenais les traces de griffes pour preuve-, il y avait des plumes volantes partout. La grande salle-à-manger avait des traces de griffes sur tous les murs dont un qui avait complètement été détapissé. Je montais à l'étage pour trouver ma chambre sens dessus dessous. Tous mes vêtements avaient été retirés de la penderie et mon lit défait. Un vrai carnage. Et là, je le vis. Mon livre. Il était ouvert par terre. Mon marquepage en dehors du livre.
Mon sang ne fit qu'un tour. Tout le reste pouvait être refait par ma magie mais s'il y avait bien une chose que la magie ne pouvait pas faire, c'était retrouvé une page. La lectrice en moi était furieuse.
Je regagnai tout de même un peu de mon sang froid en laissant le bénéfice du doute au coupable -peut-être ne l'avait-il pas fait exprès- et demandai à ma maison de rejouer la scène qui s'était déroulée dans ma chambre.
Je vis Alistair entrer et inspecter tous les recoins de la chambre avant de retirer tous mes vêtements de la penderie. Il tâta toutes les lattes de plancher et tous les murs dans l'espoir de trouver un renfoncement secret mais il ne trouva rien. Ensuite, son regard s'était posé sur le livre. Il l'avait pris, avait lu le titre, dit quelque chose puis l'avait ouvert, avait délibérément jeté le marquepage au sol, avait feuilleté le livre et l'avait laissé tombé au sol.
Le voilà mon coupable. Mon criminel.
Les loups-garous venaient de me déclarer ouvertement la guerre.
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