Chapitre 7 - Le Crépuscule Pourpre
— Tu es venue.
Très observateur Sac à Sous.
— Bien sûr, je n'aurais raté ça pour rien au monde, répondis-je tout sourire.
Nous étions arrivés à la villa dans la soirée, mes trois soldats et moi. Nous avions passé la journée à bavarder, manger et flâner, pour nous remettre de la veille. À mon grand étonnement, aucun d'eux n'avait semblé pressé de rentrer à la villa. Les inconscients.
À la place, il m'avait aidé à faire ma valise, et Iris avait essayé plusieurs de mes tenues afin de trouver celle qui la mettrait plus à l'aise. Cela s'était transformé en session défilé. Ombre s'était même jointe à la partie et elle avait particulièrement apprécié mes ensembles en cuir. Je ne les avais jamais portés, il s'agissait de cadeaux qui avaient marqué la fin d'une romance des plus étranges. Je lui en fis généreusement don. Sans compensation monétaire, aucune.
Iris avait finalement jeté son dévolu sur une de mes tenues préférées, ce qui me confirmait que tout n'était pas perdu pour elle. Elle avait pris un haut crème simple aux fines bretelles rentré dans un pantalon en coton taille haute couleur lilas.
Alec s'était simplement rincé l'œil, se goinfrant de mes gâteaux. Une présence que j'avais rapidement oubliée et qui se rappelait à nous de temps à autre par quelques remarques inintéressantes.
J'avais également appris que la réputation du Crépuscule Pourpre avait été sérieusement terni par l'échec du Tombeau d'Icaris. C'était la divinité dont le Tombeau s'était élevé près de Barssa et qui avait valu le désastre dont nous avions fait les frais. Edan et sa Maison devaient se rendre de toute urgence à Manten, une des plus grandes cités commerciales da la région, à six journées de voyage de Barssa. Là-bas, plusieurs héros étaient postés et des représentants de la Fédération Populaire, l'autorité en charge du contrôle des activités des Maisons, avaient exigé des comptes.
Cette nouvelle ne m'avait guère enchantée. Et le Tombeau du Guérisseur ? J'aurais aimé l'atteindre avant le retour de Talia. Je n'étais pas certaine de pouvoir supporter une personne dans ma tête pour tout dire et... cela m'effrayait. Tout dans cette situation m'effrayait, me terrifiait. Je n'étais pas une aventurière. Je n'étais pas une héroïne. J'étais juste Alana, la gérante sympathique du quartier. Et cela me convenait. Le plus vite je pouvais me libérer de cette contrainte, le plus vite je pourrais reprendre ma vie.
Arrivés à la villa, des majordomes et domestiques m'avaient accueillie comme une invitée prestigieuse. On m'avait débarrassée de mes affaires, on les avait montées dans une chambre tout spécialement préparée pour moi et j'avais enfin pu détailler la villa. Je me sentais dans mon élément. De l'extérieur, la surface devait avoisiner dix fois l'espace occupé par mon auberge. Tous les murs extérieurs étaient en pierre polie blanche. Deux marches inutiles mais tape-à-l'œil permettaient d'atteindre l'entrée et les grandes portes en bois qui l'ornaient. Sur chacune d'elles, un soleil couchant sur l'horizon était peint.
L'intérieur était tout aussi fameux. Comme mon souvenir de la veille, des colonnes s'élevaient en tout point. Il n'y avait que très peu de murs, à la place, des colonnes, encore et encore, comme dans un temple dédié au culte. Des escaliers entouraient certaines d'entre elles et disparaissaient pour mener à l'étage où toutes les chambres se trouvaient. L'immense salon était rempli de canapés, de fauteuils, de tables. On aurait dit le large réfectoire d'une école. Au coin le plus à gauche, je repérais une grande bibliothèque ainsi qu'une cheminée éteinte. Le rêve. Dommage qu'il y ait tant de personnes à l'intérieur.
Car le rez-de-chaussée était plein à craquer. Pas seulement de personnels de maison mais aussi d'aventuriers. Une dizaine de têtes se tournèrent vers moi.
J'étais soudain intimidée. J'avais face à moi tous les membres du Crépuscule Pourpre. La Maison parmi les Maisons.
— Alana ! s'exclama mon soleil solidaire. Je commençais à croire que tu les gardais en otages.
Plusieurs personnes rirent à sa plaisanterie. Pas moi. Lesdits otages ne m'avaient rien rapporté. Inutiles.
— Approche, je vais te présenter à tes futurs compagnons de voyage.
Collant un sourire enchanté sur mon visage, j'avais alors enduré des présentations interminables. Beaucoup étaient surpris de notre future collaboration. Lucas avait assuré que c'était la moindre des choses car, sans moi, les dégâts sur Barssa et les conséquences pour leur Maison, auraient été bien plus importantes. Il avait vanté mes mérites, et, même pour moi pourtant très sensible à la flatterie, cela devenait gênant. Que l'on me dépeigne comme une héroïne devant ces modèles de vertu allait engendrer des attentes que je ne pourrais certainement pas tenir. Si la déception entachait nos relations, il allait devenir difficile pour moi de rester à leurs côtés sereinement.
Je tentai de retenir autant de prénoms et visages que possible. Arthur, le rouquin bavard. Harmine, aux dents écartées. Val, la sabreuse. Cette dernière était connue comme épéiste remarquable malgré sa cécité partielle, surnommée la Lame Noire. Justin, le petit jeune boutonneux. Marguerite, le monosourcil. Et j'en passais. Allie, la prêtresse était également là. Petite blonde à la forte poitrine. Elle avait l'air gentille. Naïve. Mais ils n'étaient tous que le menu-fretin. Tout comme mes trois petits soldats. Je visai plus haut. Hélas, aucun de mes futurs subalt... amis n'était en vue. À part Lucas bien sûr. Elsa et Marvel devaient être à l'étage. Quant à Edan, aucune idée. J'aurais aimé voir sa tête devant Iris. Ignorait-il réellement les sentiments de la jeune femme à son égard ? Je ne le saurais pas aujourd'hui. Dommage.
Attraction de la soirée, j'avais été mitraillée de questions, et je serais tombée au combat sans la défense assidue de mon protecteur ensoleillé. J'avais été passée sur le grill, j'étais cramée et ma tête au bord de l'implosion sous l'assaut des curieux. Je me débrouillais toujours pour répondre amicalement, aussi sincèrement que possible. Je ne tenais pas particulièrement à m'en faire des amis mais cela ne faisait pas de mal de ne pas s'en faire des ennemis.
J'étais dans l'antre du dragon, la tanière du lion. Toutes ces brebis égarées allaient être envoyées à l'abattoir, inconscientes de leur sort. Pire, conscientes mais volontaires, à la suite de la manipulation malsaine du tyran. Mais en tant que renard rusé, j'allais faire en sorte de lever un vent de révolte sur ces plaines. La chute du roi serait pour bientôt. L'empire serait à moi.
Bercée par mes illusions de grandeur, je parvins à tenir jusqu'au dîner. C'était là que le dragon s'était joint à nous. Edan Roselli m'avait fusillée dédaigneusement de ses bijoux émeraudes. Avait-il du mal à gérer les gueules de bois ?
— Tu comptes rester jusqu'à notre départ ? demanda-t-il.
— Tu fais preuve d'une telle hospitalité, comment refuser.
— Ses valises sont déjà dans une chambre, commenta Lucas, serviable.
— Ses valises ?
— Je les avais emportées. Au cas où.
— Bien sûr. Au cas où.
J'étais une personne très prévenante.
Nous quittâmes Barssa deux jours plus tard. J'eus donc du temps pour développer mes relations avec mes compagnons. Je m'étais intégrée comme un poisson dans l'eau. J'étais fière de moi. Tout le monde semblait m'apprécier. Ce qui n'était pas bien compliqué quand j'évoluais au milieu d'anges tombés du ciel, cela dit. Allie la devineresse m'avait carrément préparé un gâteau d'accueil.
Poussée par ces nobles attentions, j'étais même allée jusqu'à donner de ma personne. J'avais aidé une dizaine de petites mains à déblayer certaines zones complétement détruites de Barssa tandis que les gens importants s'occupaient de la paperasse. Il fallait bien commencer en bas de l'échelle.
Ma connaissance de quelques membres influents de la population locale avait été rassurante pour la ville. Le lien que j'offrais entre les aventuriers et les habitants effrayés et déçues soulagea quelque peu l'amertume que ces derniers ressentaient à l'égard des héros. Ils les tenaient pour responsable et il était difficile pour la Maison de se défendre.
— On a pas besoin de votre aide, vous en avez assez fait, persifla une femme d'âge mûr.
— Ne vous en faites pas, elle est naturellement aigrie, rien de personnel, expliquai-je.
Le sourire triste de mes compagnons n'atteignit cependant pas leurs yeux.
Mais mon intervention eût le mérite de porter l'attention de la mégère sur moi et une belle joute verbale débuta.
— Qu'est-ce que tu fabriques avec eux, le rapace ? Tu n'as pas une auberge à faire tourner ?
Encore une qui avait cerné ma personnalité profonde. Une femme sympathique.
J'expliquais ensuite aux habitants que je croisais, et que j'appréciais un tant soit peu, que je tirerais prochainement ma révérence. Certains membres du troisième âge qui m'avaient adoptée marquèrent leur triste étonnement.
— Bon vent ! Tu es jeune, tu as bien raison ! Va !
— Quand j'avais ton âge...
— Ramène nous un souvenir !
— Pas sûr que nous soyons toujours en vie à ton retour.
De grands éclats de rire suivirent cette déclaration.
Un très bon moment.
Je fus également d'une utilité indéniable en ce qui concernait la gestion des budgets. Au détour d'une discussion entre plusieurs personnes de haut calibre comptant Edan, le majordome et plusieurs domestiques, mon oreille indiscrète m'assura mon premier moment de gloire alors que je jouais les coursières.
— Je ne veux pas que l'on se contente de blé, dit Edan, même s'ils en faisaient la culture.
Leur échange portait sur le transport de ravitaillement supplémentaire pour remplacer ceux détruits dans la région. L'exploitation des denrées pour nourrir le bétail était la principale source de revenus de nombreux paysans. La perte de leurs champs signifiait pour une bonne partie la perte de leurs revenus. Mais, à mon avis, ce n'était pas le seul problème sur lequel on pouvait jouer. D'une pierre, deux coups, telle était ma devise.
— La paille permettrait de jouer sur plusieurs tableaux, intervins-je tout naturellement en posant mon paquetage sur une table.
Je m'essuyais le front alors que les voix s'estompaient. Terriblement fière de mon petit effet, je continuai ma prestation.
— Il y a eu beaucoup de dégâts matériels, expliquai-je. Les artisans pourraient s'en servir de matériau de construction tandis que les paysans pourraient à la fois nourrir leur bêtes et relancer leur champs.
Il était évident que le majordome se demandait quel était ce drôle d'énergumène de génie. Edan haussa un sourcil, attentif. Je sortis le meilleur argument.
— En l'achetant en gros, tu ferais des économies. Les prix se cassent en ce moment sur la côte, au Nord-Est, si jamais vous avez de quoi transporter. Tu peux en avoir pour 40 pièces d'argent le kilo. Alors que le blé en est à 150.
Quelques chiffres pour garantir la fiabilité des informations et le tour était joué.
— Je connais un bon fournisseur si besoin, conclus-je en souriant.
Si en plus je pouvais me débrouiller pour enrichir ma famille... D'une pierre, plusieurs coups, telle était ma devise.
Edan me fixait comme s'il réalisait que, non seulement je possédais une enveloppe charnelle magnifique, mais aussi un cerveau de génie.
Prends ça dans les dents, Sac à Sous.
— Edouard, trancha le riche homme d'affaires en se tournant vers son bras droit. Renseigne toi sur la fourniture de paille.
Vive moi.
Durant la semaine que nous pris le trajet, j'en vins à plaisanter avec plusieurs des membres du Crépuscule Pourpre. Je ne savais comment, mais je me retrouvais à prodiguer des conseils à tout le monde. Mon expérience en tant que gérante d'une auberge me faisait paraître comme une experte en gestion de budget et en psychologie humaine. Notamment en séduction. Ce qui était vrai, bien sûr, mais qui n'avait rien à voir avec mon vécu. C'était innée.
Hélas, l'ombre du lion affamé me surplombait. Profit étant son deuxième prénom, et convaincu par ma petite démonstration, il ne lui avait pas fallu longtemps pour appliquer mon expertise sur ses stocks. J'avais été déployée en cuisine et aux côtés du secrétaire de la Maison pour lui prêter main forte.
Agacée par la fin prématurée de mes vacances auto-proclamées et désireuse de partager ma frustration, j'avais sondé les troupes. Elles étaient incroyablement dévouées à leur tyran. Je n'aurais pas été étonnée d'apprendre qu'une secte en son nom existait – bien que vexée de ne pas en avoir eu connaissance.
Qu'avait fait Sac à Sous pour mériter une telle loyauté ? Les seules fois où je m'étais attirée des regards foudroyants avaient été les quelques discussions où je l'avais ouvertement critiqué. Trop présomptueuse, j'avais franchi la ligne avec le bambin du lot, Justin, et l'épéiste, Val.
— Il nous a sauvés, chacun de nous. Ne parle pas de lui quand tu ne le connais pas.
J'avais eu du mal à rattraper ma bourde. Depuis ce jour-là, j'avais évité toutes remarques désobligeantes sur le propriétaire de la Maison. De toute évidence, ses soldats étaient fidèles. Ma prise de pouvoir allait être plus difficile que prévu.
J'avais échangé quelques mots avec chacun des aventuriers du Crépuscule Pourpre présents. J'avais complimenté, conseillé chacun d'eux, écouté, souri à chacun d'eux. J'avais été un modèle de bienveillance. Lucas n'avait qu'à bien se tenir.
Un soir, attablée avec plus des trois quarts de la Maison, j'avais délivré une de mes plus belles performances. Toujours au centre de l'attention, racontant des anecdotes déformées de ma vie, j'avais laissé libre cours à mes talents de commédienne.
— Alana ! m'interpella Petite Main numéro Un. Il faut absolument que tu leur racontes comment tu as géré la première bagarre dans ton auberge.
J'avais courageusement fui.
— Non, intervint Petite Main numéro Deux. Ta rencontre avec la vieille mégère de l'autre fois.
Comme si elle m'avait connue depuis toujours, la grand-mère m'avait embarquée pour nettoyer son potager. Menacée par ses yeux de vautour et son balai en main, j'avais obtempéré de bon cœur.
Mais c'était sans importance. Je ne pouvais pas briller avec ces péripéties.
À la place, je leur racontai mon arrivée à Barssa.
— Je n'ai jamais été très attachée à mes racines. Je crois qu'au fond, j'ai toujours eu l'âme d'une vraie aventurière, c'était le destin.
Quel baratin. Alors que je ne rêvais que de paresse et luxure.
— Figurez-vous que je n'ai pas fini à Barssa par hasard. J'ai entendu une légende racontant qu'un trésor y aurait été enterré, il y avait de cela des milliers d'années, par les tout premiers hommes voire par les dieux eux-même !
L'appel du gain, là, il y avait une part de vérité.
— As-tu trouvé quelque chose ?
Vu que je travaillais encore pour pouvoir me nourrir et me retrouvais à piller la tombe du vieux Claude pour mes fins de mois, la réponse était évidente.
— Et oui ! répondis-je après un moment de suspense tangible. J'y ai trouvé... un foyer. Une famille.
Plusieurs éclats de rire émus m'entourèrent.
— Et c'est le plus beau des trésors ! confirma Petite Main numéro Six.
Écoeurant.
— Cette histoire de trésor peut être lié au Tombeau, expliqua Allie, la devineresse. Sans doute que l'endroit est propice à leur émergence.
— Tu as sans doute raison, la caressai-je dans le sens du poil.
Puis je conclus :
— Finalement, c'était bel et bien le destin de tomber sur vous.
Attention Lucas, j'allais te faire de l'ombre.
Ces flatteries, ces échanges, m'avaient certes demandé beaucoup d'énergie, mais je me rendis compte que tout n'avait pas été si horrible.
J'avais ri, plaisanté. Je m'étais moqué, toujours de manière bienveillante, je m'étais chamaillée. Les héros étaient vraiment de bonnes personnes et il était difficile d'en trouver un qui me tapait vraiment sur le système.
J'avais appris à tolérer Alec. J'avais apprécié le moindre de mes échanges avec Elsa, les attendant avec impatience. J'avais adoré flâner avec Iris, la taquiner. J'avais aimé les moments chaleureux et vivifiants partagés avec Lucas.
J'avais même affectionné mes échanges avec Edan. Il était déjà intimement convaincu que je manipulais les autres, je ne voyais aucune raison de perdre de l'énergie à démentir. Ses compagnons pensaient que je m'amusais à ses dépens, en jouant un rôle avec lui, alors qu'en vérité, c'était avec eux tous que je le jouais. Avec lui, j'étais moi-même. C'était reposant.
Et finalement, tous mes efforts avaient payé. Car quand nous arrivâmes à Manten, une semaine plus tard, il me sembla que j'avais toujours été parmi eux. J'avais l'impression de faire partie de quelque chose. D'être à ma place.
J'avais cette impression de faire partie de la grande, de la prestigieuse famille du Crépuscule Pourpre.
Étonnamment, ce n'était pas si désagréable.
**--- Note de l'auteur ---**
Prochain chapitre :
« La Déesse des Désirs » (en deux parties)
Merci !
À très vite !
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