Soupçons
Bien sûr, il faut que je sois la première à passer. Génial. Je me lève, fixe mes amis avant de rejoindre mon instructeur qui referme la porte derrière nous.
– Assis toi, lance-t-il sur un ton autoritaire.
Je prends donc place sur le fauteuil sans dire un mot, attendant que le sérum me soit injecté, ce que fait Quatre après avoir préparé le matériel.
– Tu te rappelles de ce que je t'ai dit. Gère ce que tu vois devant toi et contrôle ta respiration.
– D'accord, réponds-je, accompagnant ma parole d'un signe de tête.
Une fois endormie, je me retrouve toujours dans ce tunnel noir avant de me retrouver coincée sous le lac gelé et jusqu'à maintenant, je ne suis jamais arrivée au-delà puisque je me réveille toujours après la chute des loups dans l'eau glaciale. Il paraît que la dernière peur est celle que l'on redoute le plus, car enfouie au plus profond de nous, on ne s'en débarrasse jamais vraiment, et ça, je le comprends seulement une fois que j'ouvre mes yeux, me rendant compte que je suis dans la forêt. Cette même forêt où j'ai vu Zac lors de mon test d'aptitude. Et bizarrement, je peux tout ressentir comme si j'y étais réellement. Je sens les odeurs de pins fraîchement humides par la rosée du matin. Je peux entendre les piaillements des oiseaux et les craquements de branches balayées par le vent. Je peux même sentir le vent caresser ma peau, ce qui me donne un léger frisson alors qu'il ne fait même pas froid.
Je continue donc d'avancer à travers ces bois, ne sachant pas vraiment ce qui m'y attend, même si j'en ai une vague idée étant donné où je me retrouve coincée. Après plusieurs mètres, j'aperçois une fine silhouette derrière un arbre avant de disparaître sur ma gauche.
– Zac, murmuré-je.
Je cours vers l'arbre mais il n'y a personne. Alors je scrute les alentours, tourne sur moi-même tout en hurlant le prénom de mon frère, car je suis persuadée qu'il s'agit de lui.
Je me remets à courir dans sa direction, m'écorchant parfois les mains à cause des feuillages dont je ne fais même pas attention. Et là, j'entends mon prénom. Il s'agit de Zac qui m'appelle à l'aide. Il n'y a aucun doute là-dessus. Je pourrais reconnaître sa voix n'importe où, peu importe les bruits alentours.
– Zac ! hurlé-je. Où es tu ? crié-je de plus belle, tout en courant pour le retrouver. Zac ! Montre-toi, continuant de courir toujours plus vite, toujours plus loin.
Il faut savoir que ma plus grande peur n'est pas d'affronter mon père, mais le fait de ne pas avoir su protéger Zac en tenant la promesse que je lui avais faite lorsqu'il n'était encore qu'un bébé. Je me sens responsable de ce qui lui est arrivé, et pire. Je me sens coupable de sa mort, et cette culpabilité ne m'a jamais quitté. Elle me ronge de l'intérieur depuis toutes ces années. J'ai rompu la promesse que je lui ai faite, et de là-haut, je m'imagine qu'il peut me voir et qu'il doit probablement m'en vouloir de ne pas avoir su, et de ne pas avoir pu le protéger comme il fallait. Comme je le devais, et le pire dans tout ça, c'est qu'il aurait raison. Voilà ce qu'est ma plus grande peur et jusqu'à maintenant, je n'ai jamais réussi à l'affronter, ni même à la canaliser.
Je continue de courir comme une dingue, écoutant l'écho de Zac à travers les feuillages, quand une fois de plus, je me retrouve face à Nicholas, toujours tenant mon frère par les cheveux d'une main, une ceinture dans l'autre avec ce sourire rempli d'arrogance et d'amertume sur les lèvres.
– Lâche-le ! lui ordonné-je tout en lui hurlant dessus, les poings serrés et la mâchoire crispée.
Ce qu'il fait sans tarder en le jetant furieusement sur le sol. Mais à cet instant, une vague de haine, toujours la même, vient me submerger et si je n'ai pas réussi à protéger mon frère dans la vie réelle, je peux au moins essayer de le faire dans la simulation, même si ça signifie me trahir aux yeux de Quatre, étant donné qu'il voit ce qui se passe dans ma tête à cet instant bien précis.
Je me jette donc sur Nicholas et lui porte plusieurs coups, malgré ceux qu'ils me donnent en retour. Je ne lâche rien. Pas cette fois. Pas en étant certaine que Zac sera à l'abri et en sécurité. Je me bats comme une lionne en furie, jusqu'à ce qu'il sorte un couteau et qu'il me fasse une entaille au bras gauche que je ressens vivement sous l'aiguisement de la lame et la brûlure qu'elle vient de m'infliger. Je le fixe avec hargne avant de retourner le couteau contre lui et de le lui planter en pleine poitrine. Il tombe à terre sur le dos, et m'observe intensément. Sans savoir pourquoi, je m'agenouille à ses côtés, prends sa main dans les miennes tandis qu'il continue de me fixer avant de me murmurer un merci, comme si je venais de le délivrer de quelque chose, alors que je ne sais pas quoi lui répondre, la haine ne m'ayant toujours pas quitté. Je l'observe à mon tour, resserrant mes mains sur la sienne, jusqu'à qu'à ce qu'il me quitte, laissant couler une larme le long de sa joue alors que mon regard n'a jamais quitté le sien qui vient tout juste de s'éteindre.
Je lâche sa main, prends une grande inspiration, avant de me précipiter vers mon frère.
– Zac, dis-je tout en m'agenouillant près de lui, posant une main sur sa joue, l'autre sur son bras. Ça va mon grand ? demandé-je, tout en posant mon regard dans le sien.
Il me fait oui d'un signe de tête avant de se jeter dans mes bras, me serrant plus que de raisons, et tandis que je le serre de toutes mes forces, je l'entends me souffler au creux de l'oreille je t'aime avant de le sentir se dérober sous mes bras, juste avant qu'il ne devienne poussière et qu'il s'envole dans les airs, ne laissant qu'un nuage brumeux derrière lui, tandis que quelques résidus retombent sur le sol.
– Non,non,non, répété-je tout en remuant les retombées de particules sur la terre humide. Qu'est-ce qui se passe ? Zac ! crié-je dans un cri qui me crève le cœur. Reviens. Zac ! hurlé-je à pleins poumons, tout en prenant les cendres dans mes mains en fermant mes poings dessus, avant de pleurer sans jamais pouvoir m'arrêter. Zac, murmurant son prénom une dernière fois avant de me résigner.
Je me relève instinctivement, frotte furieusement mes mains sur mon pantalon et jette un dernier regard sur mon père avant d'entendre des craquements de branches non loin de moi. Mais, à cet instant, je ne sais pas ce qu'il y a de pire. Avoir tué mon père ou voir partir mon frère, me prenant la vérité en plein visage de sa propre mort, soudainement devenue si réelle. Si concrète, alors que jusqu'à maintenant, elle n'était qu'un songe. Un mauvais cauchemar.
Toujours autant de questions à se bousculer dans ma tête quand j'entends des grognements. Toujours des loups. Ils ne me quittent pas. Jamais. Comme s'ils cherchaient quelque chose. Comme si je leur appartenais. Alors une fois de plus, je me mets à courir sans trop savoir où aller, puisque mon esprit a décidé cette fois-ci de ne pas se réveiller. J'ai l'impression d'être enfermée dans mon propre corps depuis des heures. À bout de souffle et de force, je continue malgré tout de courir à travers le bois, évitant les ronces sur le sol, les branches dépassant des arbres, jusqu'à ce que je m'arrête net devant un précipice, où git l'océan plus bas. Tandis que je réfléchis à une autre issue en scrutant les alentours, j'entends la meute se rapprocher de plus en plus alors que je n'ai plus le temps de trouver une autre issue. C'est comme si toutes mes peurs étaient réunies en une seule, ce qui en fait sans doute ma plus grande peur. Avoir peur de ses propres peurs. Quel ironie. Malheureusement, à cet instant, peu de choix s'offrent à moi. Alors que je persiste à réfléchir à une autre échappatoire, cette même voix dans mon esprit me rappelle à l'ordre : rien de tout ça n'est réel. Sans réfléchir, je prends donc de l'élan et cours à pleine vitesse avant de me jeter, sans état d'âme, dans le vide avant d'atterrir plus bas dans l'océan gelé. Une fois en contact avec l'eau, des milliers de fourmillements me parcoururent le corps, comme si on m'enfonçait des aiguilles sur chaque parcelle de ma propre chair. J'essaie de revenir à la surface, mais d'un coup, un tourbillon m'emporte, puis une vague me submerge. Je n'arrive pas à reprendre mon souffle, et je n'arrive plus garder ma tête hors de l'eau. Je manque cruellement de me noyer à chaque seconde, quand brutalement, je sors de mon sommeil.
Quatre est devant l'écran, me retire les transmetteurs de sur mes tempes avant de prendre la parole.
– Que s'est il passé ? demande-t-il sans même savoir si je vais bien.
– Comment ça ? demandé-je, ne comprenant pas où il veut en venir.
– J'ai vu ta dernière simulation mais pas dans sa totalité. Je n'ai aperçu que les loups. Alors que s'est-il passé ?
– Je n'en sais rien. À toi de me le dire, réponds-je sur la défensive. C'est toi qui a l'habitude de faire passer ces tests. Pas moi, poursuis-je, le fixant droit dans les yeux, passant une main sur mon visage, avant de m'apercevoir qu'elle est écorchée.
– Alors comment t'as-fais ? insiste-il.
– Quoi ? dis-je, surprise par sa question, tandis que je cache mes mains dans les manches de mon pull.
– Comment tu as fais pour semer les loups ?
– J'ai sauté dans le vide.
– Hum, fait-il, peu convaincu alors qu'il hausse un sourcil suspect avant de replonger ses yeux sur l'écran.
Quant à moi, j'attends quelques secondes de retrouver mes esprits, lorsque je sens un picotement sur mon bras gauche. Exactement là où mon père m'a blessé dans ma simulation. Je vais pour lever la manche de mon pull afin de regarder mon bras quand Quatre reprend la parole, en se tournant vers moi.
– Qui est Zac ? me questionne-t-il soudainement, alors qu'il me fixe droit dans les yeux.
– Qui ça ?
– Zac. Tu n'as pas arrêté de répéter son prénom.
– Je... Je ne sais pas, bégayé-je, ne trouvant plus mes mots, mal à l'aise. Je sais pas quoi te dire.
– Dis-moi, poursuit-il tout en prenant place sur la chaise à côté de moi, plongeant son regard dans le mien. Quel a été ton résultat à ton test d'aptitude ?
– Altruiste, réponds-je sans réfléchir, sur un ton sûr.
– Tu mens. Je ne te crois pas, dit-il, le visage soudainement fermé. Je vais te poser la question une dernière fois. Quel a été ton résultat à ton test d'aptitude ? redemande-t-il, le dos droit et les bras croisés sur son torse.
– Altruiste, répété-je sur un ton ferme qui ne laisse place à aucun doute.
– Bien, souffle-t-il, détournant son regard avant de se lever brusquement. Tu peux y aller.
Je l'observe un moment avant de me lever et commence à partir. Lorsque je suis devant la porte, ma main posée sur la poignée, je suis interrompue.
– Addison. Pour info, reprend Quatre. Les audacieux ne sautent jamais, dit-il tout en me fixant droit dans les yeux, comme s'il voulait me faire passer un message.
– C'est qu'ils ne doivent pas être si audacieux, réponds-je, le fixant à mon tour alors que je hausse les épaules, avant de quitter la pièce et de partir le plus loin possible d'ici.
Une fois dehors et à l'abri des regards indiscrets, je soulève ma manche et là, stupéfaite, j'aperçois une entaille sur mon bras gauche. La même que celle que Nicholas m'a faite lors de notre combat pendant ma simulation. Sans parler de mes mains qui sont, elles aussi écorchées à certains endroits.
– C'est impossible, soupiré-je, sous le choc, envahit pas une vague d'inquiétude.
Je rebaisse vivement la manche de mon pull avant de partir, pour aller voir Tori. Arrivée au salon de tatouage, je la cherche du regard avant de la trouver quelques minutes plus tard. En voyant mon visage, elle comprend tout de suite qu'il y a un souci. Elle s'avance alors rapidement vers moi.
– Ady, dit-elle tout en plongeant son regard inquiet dans le mien. Qu'est-ce qui se passe ?
– Tori, articulé-je, la voix cassante. Tu avais raison. Je n'aurais jamais dû choisir les audacieux, soufflé-je avant de laisser couler une larme le long de mon visage.
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