▫️Chapitre 18
🌿Herbe amère 🌿
Ça fait deux semaines que ça dure...
La majorité des connaissances que je croise dans les rues ou les magasins durant mes emplettes de Noël murmurent, toisent, et se retournent sur mon passage.
La nouvelle quant à mon homosexualité a bien circulé. Les ragots vont d'ailleurs de bon train dans mon voisinage...
Nana et moi ne nous laissons pas abbatre, ni affecter. Ces gens peuvent dire ce qu'ils veulent. Je m'y étais tout de même préparé, j'y fais face. Ma mère et ma sœur me soutiennent et le Jardin de Nana y survivra.
Ce qui me désole, en parallèle, c'est que Cyril reçoive systématiquement des appels inconnus et des messages vocaux indésirables sur son téléphone professionnel.
Il ne peut bloquer aucun des deux sans interférer directement avec les prises de contact de ses clients. Ce qui l'oblige donc à filtrer ses appels, mais toutes ces sonneries et ces injures contre lui sont intenables. Parce que, oui, il n'y a que lui qui se fait attaquer de cette manière. C'est signé Ludmila, ça ne peut être qu'elle. Elle doit savoir que s'en prendre à lui est la meilleure façon de me toucher. Et ça marche ! Je me sens tellement coupable d'avoir entraîné la personne que j'aime dans ce bourbier... C'est affreux. Je sais plus quoi faire pour désamorcer la situation.
Déjà, pour éviter que les choses ne s'enveniment, j'ai envoyé un premier message à Ludmila en vue d'expliquer pourquoi je ne lui avais rien dit. J'ai ensuite voulu discuter avec elle en lui ramenant les filles, le lundi suivant le week-end où elle a découvert notre la vérité. Mais elle a refusé de parler et m'a claqué la porte au nez.
Le harcèlement a commencé le jour d'après.
J'ai bien sûr depuis tenté de prendre contact avec elle, aussi bien qu'avec sa mère et ses cousins/cousines, qui sont à coup sûr dans la combine. Textos, appels, visites en personne, y'a rien à faire. Tout le monde fait le mort, la sourde oreille, ou je me retrouve à essuyer des insultes. Ça m'aurait été égal si toute leur haine se retournait vers moi, et plus sur mon Cyril. Mais c'est bien lui qui paie le prix fort, de quoi me rendre malade de remords.
Pas de surprise, Cyril le vit assez mal même s'il essaie de faire bonne figure. Il ne me reproche pas du tout la situation, mais ça impacte son moral et sa santé. À cause de moi... les insomnies dont il avait presque réussit à se débarrasser sont de retour et je n'ai aucune solution viable à lui offrir.
Sans vraiment réfléchir, j'ai tenté de proposer qu'il change de numéro, il y a deux jours. Cyril m'a judicieusement fait remarquer - de manière plus abrupte que lui et moi ne l'aurions d'ailleurs voulu - qu'il serait alors dans l'obligation de communiquer ses nouvelles coordonnées à ses prestataires et ses clients, en plus de modifier l'info au niveau administratif et surtout sur sa page Facebook professionnelle. Page ou Ludmila et ses complices pourront facilement trouver le nouveau, et continuer leurs méfaits. Le dernier recours pour mettre un terme à tout ça serait d'aller déposer une main courante à la police. Lui est décidé, mais je voudrais tenter une dernière tentative de dialogue.
Je suis actuellement au pied du bâtiment de Ludmila. C'est mon tour de garde et je vais chercher les jumelles. Ma mère m'a conseillé de me méfier. Vu que la leur n'a pas répondu à mon message de la veille, j'espère qu'elle ne fera pas d'histoire. J'essaierai à nouveau de raisonner Ludi par rapport à Cyril à la même occasion.
Quand je sonne à l'interphone, sa voix métallisé répond après seulement trois sonneries.
— Oui ?
— Salut. C'est moi, Ludmila.
Seul un rire dédaigneux me répond, puis ça raccroche.
Je me sens déjà bouillir. Luttant pour garder mon sang froid, j'appuis à nouveau sur le bouton d'appel. Cette fois, malgré des totalité qui s'enchaînent, je n'ai pas de réponse.
Je n'y réfléchis pas mille ans et profite sans tarder de la sortie d'un des résidents pour m'engouffrer dans le bâtiment. Une fois dans le hall bardé de beige et de visages masqués peu connus, j'avance jusqu'aux escaliers situés sur la gauche et les grimpes trois par trois. L'ascenseur prend toujours trop de temps à arriver.
Mes larges foulées me mènent vite au troisième étage, ou je pousse la porte donnant sur les couloirs. L'appartement de Ludmila n'est qu'à quelques pas. J'y avance, puis sonne et frappe à dans le même temps.
— Ludmila !
Presque instantanément, la porte s'ouvre. Sur nul autre petit minois que celui d'Amandine.
— Coucou papa, lance-t-elle le plus innocemment du monde.
La porte s'ouvre plus largement, une deuxième tête brune y apparaît.
— Ben, commence Adé en fonçant des sourcils sans même me saluer, t'as pas le corona ?
— Non, ma puce, je réponds doucement alors que mes nerfs se tendent.
Inutile de lui demander pourquoi elle pose cette question...
— Mais... Maman elle a dit que t'étais malade, reprend-elle.
— Et qu'on pouvait pas aller te voir, termine sa sœur.
De quoi me faire fumer les oreilles d'une colère que je dissimule tant bien que mal. Je me penche vers les filles, qui me fixent avec des grands yeux intrigués.
— Non, mes abeilles. Je vais bien et je viens vous chercher pour venir à la maison. Allez prendre vos affaires, je vous attend.
— D'accord ! s'écrient-elles.
Adélaïde ajoute :
— Mamaaaan ! Papa est pas malade, en fait.
— On va prendre notre sac, on revient, renchérit sa sœur.
— Non, les filles. Votre papa et moi on doit parler, lance Ludmila qui émerge d'un couloir. Attendez-moi dans votre chambre, j'arrive dans un moment.
— Qu'est-ce tu leur as raconté ?? je demande sans préavis tandis qu'elle vient s'accouder à l'encadrement de la porte.
— Bien le bonsoir, Christopher.
Elle affiche un sourire narquois, le regard direct. Sa voix est trop calme, presque chantante.
— Qu'est-ce que tu fais là ? Tu t'es perdu dans le quartier ?
Et ça y est... On y va... Je savais qu'elle n'était pas du tout calme. Elle reste toujours aussi manipulatrice et va essayer de me faire péter un plomb.
Je la préviens d'une voix basse.
— S'il te plaît, ne joue pas à ce jeu là. Je vais attendre les filles et je vais les prendre pour mes deux semaines, comme d'habitude.
— Je ne crois pas, non, refute-t-elle en me toisant.
Puis elle se redresse et croise les bras sur sa poitrine, le regard toujours bien ancré au le mien.
— Tu croyais quoi ? Que tout allait rester comme avant ? elle ricane d'un dédain qui ne peut être feint, avant de reprendre. T'as fait ton choix, mon pauvre garçon, donc tu vas t'y tenir. Les pd font pas de gosses. T'en n'a donc plus, oublie les.
— Ludmila...
Mon ton est très bas, dangereux.
J'ai le rythme cardiaque et la respiration qui s'accélèrent. Elle continue à me défier du regard. Je vois rouge. Je sais où elle veut en venir.
Aux mains...
Elle veut que je fasse une connerie. Une qu'elle pourra utiliser contre moi. Et j'ai beau le savoir, j'en suis quand même à deux doigts.
— Quoi ? rétorque-t-elle. Tu veux dire quelque chose, Christopher ?
— Arrête ça, Ludmila. Appelle les filles.
— Je te l'ai dit, t'as plus de filles. Une fois que je serai mariée-
Pas moyen que je la laisse finir cette phrase ! Mon corps réagit avant même mon esprit.
Avant que je le réalise, mon poing vole vers la porte et y laisse sa trace.
Le bruit sourd de l'impact la fait sursauter. Il est suivi d'un deuxième claquage quand, sous l'élan reçu, la porte va taper contre le mur adjacent.
— Déconne pas avec moi, Ludmila !
— Tu comptes me frapper ?! hurle-t-elle à ma suite. Hein, Chris, c'est ça que tu veux ?!
— Papa ?
À l'entente de la voix tremblante de ma fille, ma colère fond comme neige au soleil.
Le corps de Ludmila se décale lorsqu'elle se retourne. Mes yeux hagards se posent sur les jumelles, debout dans le séjour, leurs petits sacs entre les bras.
Les joyaux bruns de mes princesses laissent transparaître autant d'étonnement que de crainte. Elles ne m'ont jamais vu ainsi. Elle n'ont jamais assisté à aucune des prises de becs entre leur mère et moi depuis qu'elle ont l'âge de les comprendre. J'y ai mis un point d'honneur. Et aujourd'hui...
Aujourd'hui, mes filles fondent dans un torant de larmes silencieuses sous mes yeux aussi coupables qu'impuissants.
— Va-t-en, Chris, me souffle Ludmila en me regardant dans le blanc des yeux. Et ne reviens pas... Sinon, tu risques d'avoir de gros problèmes avec la justice.
— Tu peux pas me faire ça, Ludmila...
Mon- Mon ton est certainement des plus suppliant. Lorsqu'elle me répond, le sien garde sa froideur. Malgré la rancœur qui s'y mêle.
— Tu crois ça ? Après toutes les souffrances que tu m'as fait endurer avant de me lâcher comme une merde... Après ton indifférence pendant des années... Il a fallu que tu, que tu fasses ça... Que je l'apprenne en plus par une amie, comme une conne. Et tu crois que moi, je vais hésiter ?
— Mais je te l'ai dit... J'ai- Je voulais juste laisser la chance aux filles d'avoir un Noël normal. J'allais te dire, je te jure.
— Pft... Tu comprends vraiment rien, hein ? Quoiqu'il en soit, c'est mon dernier avertissement avant que j'appelle la police, Chris. Va-t-en !
Sa dernière phrase est une nouvelle fois hurlée. Ce qui perturbe encore plus les filles.
— Maman ! Pourquoi, pourquoi papa et toi vous... vous criez ?
Adélaïde hoquète au milieu de ses pleurs. J'essaie de la rassurer du regard.
— Ma puce...
— Votre papa est malade, m'interrompt Ludmila. Il va devoir partir pour se faire soigner.
J'y crois pas... D'un coup, je réalise que tout ce qu'elle a fait était calculé.
Me laisser les filles jusqu'à lundi, parce qu'elle terminait son week-end avec ses potes. S'attaquer à Cyril, pour qu'il craque et s'en aille en me blessant comme je l'ai blessée elle... Ou juste pour me faire monter en pression pour la suite. Qui consistait à me faire venir aujourd'hui et me provoquer de manière à créer un précédent de violence conjugale.
Elle a véritablement tout planifié, ça me... Je dois me résigner. Je suis trop remué pour avoir le dessus. Je dois partir avant que les choses s'aggravent, mais pas avant d'avoir parlé à mes filles.
— Désolé mes abeilles, je lance tristement devant leurs yeux perdus. Je vais bientôt revenir, ne vous en faites pas. Et surtout, n'oubliez pas que Super Papa vous aime. De tout son cœur. D'accord ?
Elles hochent toutes les deux la tête, Ludmila me toise sévèrement et claque sa porte sans cérémonie.
Mon monde s'écroule.
Mes mains attrapent désespérément mon crâne. Je lève la tête en l'air pour retenir mes larmes et tourne sur moi-même.
— Qu'est-ce que je vais faire ?
J'en peux plus, je manque d'air.
Je vais suffoquer.
Il faut que je quitte cet endroit.
Mon corps enclenche le pilote automatique. Mes jambes me portent de leur propre chef jusqu'aux escaliers.
Tout se mélange, dans ma tête. J'essaie de trouver une solution immédiate, mais rien n'en sort. Sauf...
Maman !
Il faut que j'appelle ma mère.
Je sors mon téléphone de ma poche en dévalant les marches, cherche et presse le numéro de Nana dans ma liste d'appel. Dans ma hâte et mon manque d'attention, mon pied dérape sur une des marches. Je me rattrape de justesse à la rambarde, ma mère décroche.
— Oui, Toto ?
— M'man, elle... Elle a-
— Ludmila t'empêche de récupérer les filles.
— Oui.
Ma réponse reste à moitié bloquée dans ma gorge, alors même que ce n'était pas une question du côté de ma mère. Elle l'a deviné à ma voix.
— T'avais raison, maman.
Elle m'avait prévenu que leur mère préparait autre chose. Je n'ai pas écouté.
— Qu'est-ce qu'on-
— Papa !
Je reconnais la voix d'une des filles. Elle fait écho dans la cage d'escalier.
— Papa ! crie-t-elle encore. Attends-moi !
Impossible de différencier les jumelles uniquement par la voix. Je suis presque arrivé au rez-de-chaussée, j'ai beau lever la tête, les escaliers m'empêchent de la voir. J'ignore laquelle descend me rejoindre, mais je devine à son timbre haletant qu'elle cavale.
— Chérie, ne court pas. Je viens te rejoindre.
Je rebrousse chemin aussi vite que je peux.
— Papa ! Maman dit que tu reviendras pas. Je veux pas que tu t'en ailles.
Je la voit enfin, un étage plus haut.
— Amandine, ne court pas dans les esc-
La terreur aspire la fin de ma phrase quand la petite rate une marche. Elle perd l'équilibre.
— Amandine !
Je me propulse en avant pour la rattraper, alors que deux dizaines de marches nous séparent. Son corps menu part en avant, ses jambes fragiles cèdent. Tout se déroule bien trop vite pour que je puisse empêcher le pire. Je vis pourtant cette au ralenti.
Ma fille tombe et dégringole une dizaine de marches dans un grand bruit de fracas. Celui de mon cœur.
Elle a le réflexe d'à peu près se tasser sur elle-même. Son épaule bute contre les barreaux de la rampe durant sa chute. Sous mes yeux effarés, mon bébé finit malgré-elle sa course au pied de la dernière marche.
— Amandine !
Ma voix n'est plus mienne. Elle est souffrance... désarroi... effrois...
Je me précipite vers elle, redoutant le pire, et agenouille mon corps tremblant au côté du sien.
— Didine ?
Son avant-bras repose par-dessus sa tête. Ses jambes sont un peu en équerre sur les marches dans le sens ascendant. Une vraie vision d'horreur. Mais pas de sang.
J'ai quand même peur de la toucher. Je ne veux pas aggraver son état. Son visage me fait face et ses paupières closes crient l'inconscience. Je me dois tout de même de calmer ma panique pour évaluer sa situation.
— Ma puce, tu m'entends ?
Je saisis sa petite main dans la mienne.
— Didine, si tu entends, serre la main de papa ma chérie.
J'obtiens une légère pression en réponse.
— Oui, c'est bien ma puce. Je suis là, je vais appeler de l'aide.
Joignant les gestes à la parole, je reprends mon téléphone de ma main libre et compose le 18 tout en renchérissant :
— Tu as mal à un endroit plus que le reste, mon cœur ?
— Mon bras, sanglote-t-elle.
— D'accord. Surtout ne bouge pas, mon bébé.
🌿
Quelques minutes après la chute d'Amandine, sa mère a débarqué dans les escaliers comme une furie, Adélaïde sur les talons.
Effaré, j'ai dû lui hurler de faire attention à ce que Adé ne tombe pas elle aussi. Une fois à côté de notre fille, ses cris catastrophés ont paniqué la pauvre Amandine - qui essayait tant bien que mal de tester patiente - mais aussi Adélaïde... Les filles se sont mises à pleurer de plus belle. Des voisins curieux se sont rapidement amassés dans les escaliers pour se rincer les yeux. Bien sûr, Ludmila vociferait encore que tout était de ma faute, et moi... Moi je priais juste pour que les secours arrivent le plus vite possible et puissent s'occuper de ma fille sans embûche.
Heureusement, la circulation n'étant pas perturbée dans le quartier de Ludmila, la prise en charge de Didine a été rapide. Les pompiers n'autorisaient qu'un seul parent à bord. La petite a réclamé que ce soit moi, au grand damne de sa mère.
Dévasté de la voir sanglée au brancard, je lui ai tenu la main tout le long en tentant de la rassurer. Jusqu'à l'arrivée à l'hôpital, où ils ont dû l'emmener pour des scanners et autres examens. D'après le sapeur pompiers à nos côtés durant le trajet, le fait qu'elle soit consciente et nous parle de manière intelligible était une très bonne chose.
Trois heures plus tard, ma famille et celle de Ludmila sont réunies à l'hôpital dans une ambiance sibérienne.
Avec la grève qui se poursuit et les satanées restrictions covid, ils ont eu beaucoup de difficultés à me rejoindre. Après quoi, ça été le bal des reproches d'un côté et de l'autre. Tout le monde, moi compris, exprimait sa colère à qui mieux mieux, jusqu’à ce qu'une infirmière menace de tous nous dégager si on ne se calmait pas immédiatement. On n'a donc pas eu d'autres choix.
Une fois redescendu d'un cran, je me suis senti encore plus mal. Adélaïde a sombré dans une crise de larmes. Elle était inconsolable et a fini par s'endormir de fatigue dans les bras de sa grand-mère maternelle. À présent, on attend des nouvelles de sa jumelle dans un calme relatif. Je suis à fois inquiet, sous pression, et épuisé par tout ce début de soirée cauchemardesque.
— Ça va aller, Toto...
Je pousse un soupir las en fixant l'écran de mon portable. Ma mère n'arrête pas de répéter ça en me pétrissant le bras. Elle aussi, meurt d'inquiétude. Tout comme Cécilia et Cyril, avec qui j'échange par messages. Caroline, elle... C'est plutôt le remord, qui l'étouffait avant que je lui ordonne de partir. Si on devait désigner un responsable à tout ça, ce serait elle et sa grande gueule. Elle a visiblement décidé d'aller se plaindre à qui voulait l'entendre que sa famille la tenait à l'écart parce qu'elle refusait de cautionner les bêtises du petit dernier. Et je la connais, c'est pas la peine de lui tirer les vers du nez pour qu'elle déballe les histoires des autres. À cause d'elle, l'information est arrivée jusqu'à une amie commune qui l'a dévoilée à Ludmila... Je crois que je le lui pardonnerai jamais.
— Monsieur Dolumeau ? appelle un médecin après ce qui me semble une éternité passée à attendre.
— Oui !
Je me lève sur le champ, suivis par mes proches. L'autre clan se rapproche aussi. On finit par se réunir autour du toubib comme un seul cor.
Ce dernier recule précautionneusement.
— Non, s'il vous plaît messieurs dames, je vais m'entretenir avec le père de l'enfant.
— Mais je suis sa mère ! intervient Ludmila, les yeux rougit par ses nombreux pleurs.
Je dois certainement être dans le même état...
— Très bien. Mais seulement les parents, s'il vous plaît. Je prierai les autres membres de la famille de rester à l'écart, dans le respect des mesures sanitaires préventives.
Nos familles s'exécutent. Satisfait, le médecin opine et revient au sujet principal.
— Rassurez-vous, votre petite fille va bien. Amandine est même très vive d'esprit, elle a pu me raconter les circonstances spectaculaires de sa chute dans les escaliers de l'immeuble où vous résidez. Il va de soit qu'elle en est encore assez secouée, mais malgré la grosse frayeur de son côté et du vôtre, il y a plus de peur que de mal.
— Dieu merci, souffle Ludmila.
Je la regarde du coin de l'œil, ruminant une acidité digne de l'herbe amère. Mon attention revient néanmoins rapidement au médecin qui poursuit :
— On dénote tout de même une légère fracture au niveau de la tête l'humérus, côté droit ; soit une fracture l'épaule, en plus de divers hématomes bénins. Nous n'avons par ailleurs pas observé de trauma crânien important. Cependant, une surveillance de 48h est requise après tout coup sérieux à la tête.
— Est-ce qu'on peut la voir ? je demande avec empressement.
— Oui, bien sûr. Malheureusement, vos familles ne pourront pas accéder à sa chambre. Uniquement vous êtes autorisé aux visites.
— Et sa sœur, insiste Ludmila. Il faut qu'elle voit sa sœur, elles sont jumelles. Elles ont besoin l'une de l'autre.
— Cela va de soi. Je vais vous laisser quelques instants pour rassurer vos proches. Mais avant de vous conduire à votre bout de chou, il me reste néanmoins un point important à aborder.
— Oui ?
— Quel est-il ? nous enquérons successivement Ludi et moi.
Le médecin se racle la gorge et réajuste machinalement sa blouse.
— Amandine a manifesté une certaine émotion, quant au départ de son père. Si vous lui avez expliqué la situation, je crains fort qu'elle ne l'ai pas saisit. Son trouble et l'agitation nerveuse en découlant l'ont malheureusement conduite à se ruer hors de chez sa mère pour vous rattraper, Monsieur Dolumeau. Il s'agit simplement là de mon analyse des causes de son accident, la psychologie pédiatrique n'est pas mon domaine de compétence. Cependant si vous faites face à des difficultés familiales, je peux vous orienter vers un confrère.
— Ce n'est pas-
— Merci.
Cette fois, c'est bien moi qui interrompt volontairement Ludmila.
Je reprends doucement après un bref regard vers elle :
— Toute l'aide qu'on pourrait recevoir sera la bienvenue.
🌿
Une fois nos proches informés de l'état satisfaisant d'Amandine, j'envoie un message à Cyril, qui se rongeait les sangs chez lui dans la même attente. Le médecin nous conduit ensuite à la chambre où est installée notre fille. Un sourire illumine son visage bien trop triste à la seconde même où elle aperçoit son double.
— Adé !
— Didine ! Tu t'es fait mal au bras ? constate la petite en arrivant près du lit de sa sœur emplatrée du poignet à l'épaule.
Elle grimpe sans difficultés à ses côtés et s'agenouille sur le lit médical pendant que sa sœur répond :
— Oui, ça m'a fait très très mal de tomber, et ensuite après, quand les gens en uniformes me touchaient beaucoup. Mais maintenant, j'ai mon armure. Ça va un peu.
Ludmila et moi nous rapprochons, chacun de son côté du lit. Elle glisse affectueusement les doigts dans les cheveux épais de notre fille, tandis que je lui caresse la joue du revers de l'index.
— Tu as été très courageuse, mon bébé, souffle sa mère en retenant un nouveau sanglot.
Je crois qu'elle a compris que sa manière d'agir a causé notre malheur.
Évidemment, elle a bien tenté de me le coller sur le dos. Je lui ai immédiatement fait remarquer que si elle m'avait juste laissé rentrer avec les filles, comme c'était convenu, Amandine ne m'aurait jamais poursuivit dans les escaliers.
Je ne les emprunte que lorsque je suis seul. Si les filles sont avec moi, je prend le temps d'attendre l'ascenseur.
— Hé papa, maman, nous interpelle tranquillement Amandine, sourcils légèrement froncés.
On se concentre tous les deux sur notre petite, qui se pince les lèvres avant de continuer.
— Pourquoi vous avez autant crié ? Vous vous êtes fâchés très fort parce que tu es malade, papa ?
Ludmila me fixe en se mordant la lèvre, ne sachant sans doute pas quoi répondre.
Muette comme une tombe, Adélaïde attend vraisemblablement aussi la réponse. J'en ai une toute faite. Je la réservait pour une autre occasion, mais celle-ci sera la bonne.
Glissant la main dans celle de mon petit cœur blessé, je souffle doucement :
— Non, votre maman s'est trompée. Je ne suis pas malade, je suis amoureux.
Les filles, tout comme leurs mère, ouvrent de grands yeux surpris. Sans doute pour des raisons différentes. Je reprends en saisissant à son tour la main d'Adé, et les regardent toutes les deux. L'une après l'autre.
— J'aurais dû le lui dire plus tôt, pour qu'elle comprenne qu'il n'y avait aucun risques pour vous, mes petites abeilles.
— Mais... t'es amoureux de qui, papa ?
— De tonton Cyril, je réponds en toute transparence.
— Tonton Cyril ?? s'étonnent-elle en chœur.
— Mais c'est un monsieur, me fait remarquer Amandine.
— Deux monsieur ils peuvent tomber amoureux ? m'interroge sa sœur.
— Oui, pupuce, ça arrive.
— Ah... souffle-t-elle avec un léger flottement avant de poursuivre. Ben je suis contente que ce soit tonton Cyril, que tu aimes.
— Oui, confirme Amandine. Nous aussi on l'aime bien.
— Tant mieux alors, je souris doucement, le cœur réchauffé.
Ludmila n'essaie pas de pourrir Cyril devant elle, c'est déjà un premier pas.
— Mais maman elle le connaît pas, réalise Amandine. On peut faire une sortie tous ensemble, quand j'aurai plus mon bobo au bras.
Mh, pas demain la veille...
— Oh, ce serait trop bien ! s'accorde Adélaïde. Tu verras, maman, il sait plein de choses, tonton Cyril, et il les explique pour que nous aussi on connaisse.
— C'est bien, articule difficilement Ludmila.
Je sens sa peine. Je sens son dépit et son amertume. Pourtant elle contient tout ça... Pour les filles. Pour ne plus les blesser.
Il aura fallu qu'on frôle le drame. Il va falloir qu'on s'assoit autour d'une table et qu'on discute à têtes reposées pour entrevoir le bout du tunnel appelé ressentiment... Idéalement avec des professionnels. Mais je sais qu'après les événements de soir, la relation co-parentale que Ludmila et moi entretenons depuis quatre ans n'aura plus la même dynamique toxique.
🌿
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