▫️Chapitre 10
🧅 Sirop à l'oignon 🧅
— T’as déjà fait de la moto ?
— Jamais, répond la voix lente de Cyril, à l'autre bout du fil.
— Cool. Je vais pouvoir t’offrir une première fois en prime.
— Quelle idée lubrique as-tu encore en tête, Christopher ?
Cette interrogation me tire un léger rire. Même en restant un peu trop sérieux, son ton laisse transparaître sa curiosité.
— Ben, je me disais que si t'avais un moment dans la semaine, on pourrait aller faire un tour à la rivière.
Il sait parfaitement ce que j'entends par là. S'il n'est pas question de ma mère ou des choses qu'elle me demande de ramener à Cyril, lui et moi ne nous voyons que pour le sexe. On se comprend d'ailleurs plutôt bien sur le sujet. Il est du genre à aimer les randonnées, entre autres virées dans la nature, et en ce qui me concerne, faire des galipettes dans une chambre perds vite de son intérêt.
— Laquelle ? me demande-t-il d'une voix tranquille où je sens poindre la fatigue.
Il est tout de même déjà minuit.
— Je sais pas encore, c'est pas le choix qui manque. Mais libère-toi déjà le temps de faire autre chose que bosser, on se décidera ensuite sur le lieu.
À son tour de ricaner. Mais c'est vrai, je jurerais que ce mec ne vit que pour bosser, rendre service à ses proches et s'occuper de ses animaux... Après, il ne me raconte pas sa vie en détail. C'est simplement ce que j'en vois depuis qu'on se connaît.
Entamant mon petit rituel, je me lève et procède à ma check-list mentale tout en reprenant.
— Je vais devoir te laisser, je dois aller faire mon tour de garde.
— Oui, pas de soucis. Je vais moi-même aller au lit.
— Ok. Tu penseras à moi.
— Je crois avoir mieux à faire, mon coco, répond-il du tac au tac.
Je ne peux m'empêcher de pouffer de rire.
— Wow ! T'es toujours aussi dur, hein ?
— À certains moments plus que d'autres, lance-t-il amusé. Allez, bonne nuit, Chris. Fais attention à toi ce soir.
— Comme toujours. Bye.
On se salut sans cérémonie. Après avoir raccroché, je fais mes dernières vérifications avant de sortir pour ma ronde.
Cyril et moi discutons plus régulièrement maintenant qu'on est ''potes avec bénéfices''. Ça dure depuis deux mois et je le sollicite de plus en plus. Lorsqu'il a le temps, il accepte volontiers nos rencontres et certaines de mes lubies. Il n'a pas l'air d'être le genre de type à faire du chichi ou réserver de mauvaises surprises. Malgré un comportement qui reste amical, parfois même bienveillant, il se cantonne avec aisance à ce sur quoi on s'est mis d'accord : du sexe sans stress. Le rêve de nombreux mecs ! Je nous ai d'ailleurs découvert plus en commun que je ne l'aurais imaginé.
Comme il est fréquemment sujet aux insomnies et je que dors peu - en plus de travailler de nuit - j'ai pris l'habitude de l'enquiquiner quand, comme ce soir, je suis à la clinique et qu'il peine à s'endormir. Étonnement, il échange de bon cœur avec moi jusqu'à ce que le sommeil frappe à sa porte. Mon débit de connerie doit parfois être si intense qu'il provoque un effet soporifique. C'est pas forcément une bonne chose, quand on y pense. Mais ça l'est dans ce cas précis.
Mon tour de garde terminé, je reprends place dans la loge et consulte distraitement mon téléphone.
Le reste de la soirée se déroule calmement, en omettant le mec bourré venu taper aux portes pour me convaincre de le laisser monter voir sa copine.
🧅
Le jeudi qui suit, Cyril et moi concrétisons notre rencard.
Je suis passé le chercher chez lui à 8h et après environ quarante minutes de folle chevauche sur le dos de Séraphe, on arrive au plus profond de la ville de Petit-Bourg. Je m'engage tranquillement sur la route menant au parking de la rivière.
Ça faisait un petit moment que je n'avais pas sorti ma douce pour un trajet longue distance. Mon passager étant novice, j'ai été sage niveau pilotage ; respect des limitations de vitesse et pas trop de slaloms sauvages entre les voitures. Cyril s'est quand même cramponné à moi comme si sa vie en dépendait.
Bon... C'était un peu le cas, mais sa manière de m'entourer de ses bras était assez intime. Néanmoins, vu les circonstances, ça ne m'a pas dérangé pas outre mesure.
Je me gare et on descend tour à tour de mon bébé. Cyril m'imite. Il enlève son casque, que je range dans mon coffre avec nos vestes avant d'en sortir son sac tout en le charriant gentiment.
— Alors, t'as apprécié ton premier tour de bolide ?
Je récolte une légère moue.
— Je ne suis pas vraiment fana de vitesse, confit-il en saisissant son sac à dos qu'il enfile d'un mouvement décontracté. Je préfère me déplacer à mobylette.
— Mais t'es un vrai bledard, ma parole.
Je ris un peu. Il retrousse les longues manches de son haut sans s'offenser et rétorque au contraire :
— Il n'y a rien de mal à cela.
— Non, c'est vrai. Puis t'es un bledard des plus intéressants.
— Oh, c'est censé être un compliment ? sourit-il.
— Ça l'est, mon tout beau.
— Tu dis beaucoup de bêtises avec cette bouche effrontée, Christopher... Je pense qu'on devrait entamer notre aventure, histoire que tu l'occupes autrement.
Alors ça ! Je l'ai pas vu venir. Cette provocation me titille fortement le bas-ventre. J'étouffe un rire, sans savoir où me mettre. Cyril peut paraître tout calme, puis lâcher ce genre d'accroche coquine sans sourciller. Le moins qu'on puisse dire est qu'il cache bien ce côté allumeur. Mais parfois, la dualité de ce caractère me déstabilise complètement. Heureusement qu'il n'y avait personne à proximité...
Il me lance un regard de biais, esquisse un de ses sourires ravageurs et s'avance de quelques pas pour ouvrir la marche.
— Attends, j'ai- Je dois encore attacher ma bécane et la couvrir.
— Pas de soucis.
Quelques minutes plus tard, nous progressons à pas tranquilles dans les environs de la rivière Corossol. Les bassins principaux sont assez fréquentés. Même avec la crise, mi-septembre reste une période appréciée des touristes. Mais en semaine, tôt le matin et en sortant des sentiers battus, on croise peu voire pas de monde le long des cours d'eau. C'est donc assez facilement mais au prix d'une bonne marche sportive que Cyril et moi trouvons un point d'eau à l'écart. J'avais presque oublié à quel point crapahuter sur les rochers, entre les lianes et autres branchages, est en fait palpitant... si on oublie les moustiques. L'optique des ébats en pleine forêt ne fait par contre qu'ajouter à mon excitation.
— On devrait être bien, ici, constate Cyril avant de se tourner vers moi.
J'opine.
Le sol est constitué d'innombrables pierres plates de tailles diverses. Plusieurs petits bassins sont naturellement creusés par Mère Nature le long de ce cours d'eau d'aspect moyen. Le plus large est un peu en contrebas et mesure une dizaine de mètres de diamètre. L'eau s'y déverse avec un débit acceptable. Il nous accueillera parfaitement.
Je finis par répondre verbalement.
— Ouais, c'est à la fois calme et beau. On a même une mini chute, en plus.
— Il faut parfois savoir se satisfaire des petites choses, souffle Cyril en calant son sac entre deux roches.
Il a un côté assez philosophe. Mais là...
— Ouais, non. Ça dépend.
— Je parle des petites choses de la vie, Chris, précise mon vis-à-vis vis dans un rire, après avoir ôté son haut. Tu es vraiment irrécupérable.
Et il s'y fait très bien, à mon plus grand plaisir.
Exposant tranquillement son buste tentateur sous mes yeux avides, Cyril se détourne pour admirer la magnificence des lieux. Moi, je le dévore du regard, sans honte aucune, avant de m'avancer en répliquant.
— On me le dit souvent. Bon, on se jette à l'eau ?
Ma main droite atterrit vigoureusement sur sa croupe, le faisant sursauter puis à nouveau rire. Cyril lève le visage vers moi et se retourne de manière à presser son torse contre mon flanc.
— Elle doit être assez froide, commence-t-il d'un ton suave que j'aime particulièrement entendre. On ferait mieux d'y entrer ensemble et de rester blottis l'un contre l'autre. Tu ne penses pas ?
La légère brise se faufilant par-dessus mon marcel caresse mes épaules, créant une vague de frissons sur mon épiderme. Cet émoi se mêle à celui soulevé par le regard pénétrant de Cyril. Je me pince brièvement la lèvre avant de répondre.
— Ça me paraît une idée plutôt judicieuse, effectivement.
— Mh, mh. Je vais t'enlever ça, si tu veux bien, dit-il en s'emparant du bas de mon débardeur.
Un sourire satisfait prend place sur mes lèvres.
— Fais-toi plaisir.
🧅
Ma petite sortie coquine du matin s'est ponctuée par une averse en bonne et due forme. Alors oui, c'était cool de fricotter dans l'eau sous la pluie. Beaucoup moins de retourner jusqu'à la moto en pataugeant dans la gadou et sur les pierres glissantes aussi trempées que nous. Ça n'a pas eu l'air de déranger mon compagnon. Il a dit avoir l'habitude de se faire surprendre par la pluie à la plage, ou quand il doit déplacer ses bœufs. Moi, c'est pas du tout mon genre de ki-
Oh merde, je crois que je vais...
— A... At... Attchou !
— À tes souhaits ! J'espère que tu n'as pas attrapé le corona... avec toutes tes sorties de ces mois derniers.
Arf... Je hurle depuis la cuisine :
— Non, M'man. J'ai peut-être chopé la crève.
Mais en y repensant... ça valait le coup. C'est le cas de le dire.
Je rigole comme un con en terminant de me servir le repas du soir. Étant donné que je suis passé voir Jean à son garage dans l'après-midi et suis rentré tard, Nana a dîné sans moi.
Attrapant assiette, couverts et boisson, je me dirige vers le salon et m'installe à la table à manger.
— Dis, M'man, tu pourrais me faire un peu de sirop à l'oignon ?
— Tu ne peux pas le faire tout seul, Toto ? Un peu de miel, tu coupes des oignons et tu laisses reposer jusqu'à demain. Ce n'est pas sorcier.
— Oui, mais là je mange, mamoune. Tu peux me rendre ce service, s'il te plaît ? T'es la meilleure des mamans.
— Tchip... Timoun, an ja di'w las eséyé kouyioné mwen. Sé mwen ki fè'w.
[*onomatopée dédaigneuse* Petit, je t'ai déjà dit d'arrêter d'essayer de me berner. C'est moi qui t'ai fait.]
Je la gratifie d'un large sourire qui se veut des plus innocents. Elle me toise en se levant de son siège, abandonnant certainement à contrecœur son émission télé, mais ne peut s'empêcher de rire.
— Alala, mon fils... Si tu n'existais pas, il aurait fallu t'inventer.
— Che t'aime auchi, mamoune.
— Ne parle pas la bouche pleine ! râle-t-elle en entrant dans la cuisine.
Je ricane bêtement et manque de m'étouffer, ça se termine par une quinte de toux calmée par une gorgée de soda. Nana ressort de la pièce d'à côté une quinzaine de minutes plus tard et vient directement s'asseoir près de moi, au lieu de retourner à son fauteuil.
— Mon garçon, commence-t-elle d'un air solennel, on doit parler d'une chose importante.
Je manque une deuxième fois de m'étouffer avec mon verre de Vaval tropic*. Reposant ma boisson sur la table au côté de mon plat à moitié terminé, je réponds d'une voix étranglée.
— Oui ?
Son ton et ses yeux cuivre perçant font mon cœur danser le Gwo Ka.* Elle va aborder un sujet très sérieux, je le sens. Petit Jésus, fait que ce ne soit pas ce que je pense... Elle n'a aucune raison de savoir. Elle ne peut pas l'avoir comprit. Même si je suis sorti plus souvent les mois passées pour mes entrevues avec Cyril, je lui ai toujours dit être en compagnie d'un ou plusieurs amis, sans préciser où j'allais. Ce qui ne change pas vraiment de mes habitudes. Ou... Peut-être que quelqu'un nous a vus, ce matin. Mais... c'est impossible. Et puis, l'info ne lui serait pas déjà parvenue aux oreilles.
— Bon... commence-t-elle, paraissant chercher ses mots tandis que je blêmis, pendu à ses lèvres. J'ai quelque chose à te demander.
Je ne peux qu'hocher de la tête, ma gorge nouée m'empêche de parler.
— Pour commencer, sache que je suis très fière de toi, mon grand garçon.
Pu...rée. Faut qu'elle arrête de tourner autour du pot ! Mon palpitant ne va pas le supporter.
— C'est vrai, insiste-t-elle, ça fait déjà un moment que tu m'aides avec les livraisons de commandes... Et au final, tu t'es beaucoup investi dans la rénovation de la serre, autant physiquement que financièrement.
Oh Dieu, merci ! Il ne s'agit que de ça. Fiou, j'ai cru que j'allais décéder. Les travaux à la maison sont terminés depuis quelques semaines, Nana est complètement folle de sa nouvelle pépinière ultra lumineuse. Je dois dire que l'aspect verrière bois et plexiglas en jette, mais pourquoi elle se sent obligée de me faire un discours cérémonial, là ? De quoi pousser mon angoisse à monter en flèche, pour pas grand-chose...
Tentant de reprendre un rythme cardiaque normal, je continue mon écoute passive du mieux que je peux.
— Avec tout ce qui se passe en ce moment, j'ai bien réfléchi, m'annonce-t-elle avant de se pincer brièvement la lèvre. Je pense te léguer le commerce après ma mort.
Que, quoi ? Je lui fais les gros yeux parce que, euh, c'était pas prévu, ça...
Oh, merde !
— M'man, t'es pas malade j'espère ??
— Mais non, Toto. Il reste que ce sont des choses qu'il faut prévoir. Même si je sais que les filles ne sont pas intéressées, je ne veux pas que vous vous fassiez la guerre pour des biens après mon départ.
— Mouais.
Moi, je n'ai pas envie d'y penser. Et puis se disputer pour des terres n'est pas le genre de Céci. Caroline, par contre...
— Si tu n'en as pas envie, ce n'est pas grave. Mais tu es déjà très présent dans mon commerce. Les clients te connaissent, certains même depuis l'époque où tu portais encore des couches !
— M'man... t'exagères.
Elle le sait et en rit, avant de reprendre :
— Il n'empêche que les gens t'apprécient, ils savent que le Jardin de Nana est une petite affaire familiale. Ce serait bien que tu prennes le relais au fur et à mesure, et surtout que tu acceptes enfin une paie. Parce que c'est bel et bien un second emploi, auquel tu te dévoues. Et puis je ne rajeunis pas... Les préparations et les compositions ne posent pas de problème, mais je ne peux plus courir à droite à gauche comme avant. Et à long time, ce sera peut-être une solution de repli si la clinique veut te faire des problèmes pour cette histoire de vaccination.
— Ce sera à voir. Pour l'instant, y'a rien d'obligatoire pour les agents de sécurité.
— Mais ça pourrait le devenir ! Et je ne veux pas que mes enfants se fassent encore empoisonner comme avec le chloredécone*.
— Oui, mais M'man, avec les filles et la pension alimentaire, je ne pourrai pas seulement vivre des recettes du Jardin.
— Fils, dans le pire des cas, tu pourras toujours jober ou trouver un autre travail. Parce que, qui va s'occuper de tes filles si tu meurs de complications liées à leur vaccin ?
Alors, ce qu'on ne va pas faire ce soir, c'est sombrer dans la parano.
— Ne pense pas comme ça, maman. D'une, je ne suis pas encore décidé sur la question. Puis personne ne peut prédire l'avenir, ni deviner qui sera victime d'effets indésirables, qu'il s'agisse de vaccins ou de médocs. Et de deux, je ne me le souhaite pas d'aussi tôt, mais je pourrais mourir de beaucoup de choses.
— Sauf qu'être frappé par la mort et aller la chercher sont deux choses différentes.
— Bon, écoutes, pour ce qui est de ton commerce, je vais y réfléchir. Quant au sujet de la vaccination, on n'y est pas encore alors ne stresse pas pour rien. D'accord mamoune ?
— Mh, bien. On en reparlera alors.
Elle souffle après un léger blanc :
— Je ne vais pas tarder à aller au lit. Si je ne te vois pas demain matin, n'oublie pas de prendre une bonne cuillère de sirop.
🧅
Vaval : marque de soda local. Le parfum tropic est mon préféré 😍
Gwo Ka : signifie ''gros tambour'', c'est l'instrument de musique local qui donne son nom à un genre musical rythmé par le son vibrant de ces tambours, le chant des tambouyés et les mouvements énergétiques des danseurs, danseuses.
Chloredécone : insecticide agricole cancérigène dont la toxicité est connue depuis les années 1960. L'utilisation a été interdite en France en 1990, sauf aux Antilles où les cultures et les sols ont continué a être pollués en connaissance de cause jusqu'en 1993 (le produit ayant été utilisé en masse sur ces territoires pendant 20ans). Cette affaire reste un scandale non réglé, avec des répercussions politiques et sanitaires jusqu'à ce jour.
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