Hamza s'était assoupi. Après des mois et des mois d'errances, d'angoisse, de désespoir et de nuits cauchemardesques, il avait enfin réussi à dormir sans être sur le qui-vive. Son esprit émergea doucement, puis il se releva précautionneusement, essayant d'oublier tous les tiraillements de son corps. A peine avait il reprit ses facultés, que les murmures des ombres envahirent sa lucidité. Il grimaça, ordonnant à toutes ses voix de se taire.  Il s'appuya malencontreusement sur son poignet. Quand il s'aperçût de sa faute, il attendit un déferlement de douleur l'atteindre, mais au lieu de cela, rien ne se produisit. Son poignet ne semblait plus être enflé. Pis, il n'avait plus d'élancement. Il regarda son poignet attelé, défit l'harnachement improvisé de la Tremblote et le bougea précautionneusement dans tous les sens. Il n'avait plus mal. Incertain que cela soit réel, il malaxa son poignet.

- Enfin vous êtes réveillé.

Hamza se braqua à la voix. Il y avait quelqu'un dans la pièce et ce n'était pas la Tremblote.

L'homme se tenait à contre jour, tout comme s'était tenu la tremblote quelques heures plutôt.

Hamza ramena à lui la couverture, protégeant son corps encore dénudé. Un réflexe bien dérisoire. L'homme regardait par la fenêtre ne prêtant pas attention aux gestes d'Hamza. Il était en train de  lustrer sa longue barbe, en pleine réflexion.

- La Tremblote, un homme  qui a finalement de la jugeote quand il faut, se moqua l'inconnu.

-Je... vous connais,

Hamza chercha dans son esprit encore embrumé, à qui pouvait appartenir cette voix qui lui semblait si familière. Dans le même temps les murmures habituels dans son esprit, se mirent à s'agiter dans tous les sens. Tous crièrent d'être sur ses gardes. Pour la première fois, la voix des ombres voulait, semblait il, le protéger.

Tues le! avant qu'il ne soit trop tard!

Il va nous tomber dessus!

trahison, trahison !!

- Ça suffit! marmonna Hamza dont la voix porta jusqu'à son visiteur.

- Allons, ma présence vous dérange t'il ? J'en suis navré! Moi qui suit venu sauver mon élève.

Un long frisson parcourut le corps d'Hamza. Avait il bien entendu? Élève! Ce ne pouvait qu'être...

- Je vois que les soins que je vous ai apporté ont fait de l'effet...continua t'il

- Benedictus? murmura stupéfait Hamza

L'homme se retourna et marcha rapidement jusqu'au chevet d'Hamza. Il avança sa main où sa chevalière, emblème de son pouvoir, était prêt à être baiser comme la tradition l'exigeait. Hamza regarda la bague quelques instants, hésitant à se soumettre ainsi. Puis il prit conscience que lui et son ancien mentor n'était plus en bon terme.  Les voix des ombres s'élevèrent pour ne former qu'une seul voix.

Fuis!!!

- La douleur a t'elle disparu? demanda alors Benedictus, toujours la main tendu.

Hamza s'inspecta rapidement, il était visiblement guéri de ses nombreuses blessures. Il regarda son poignet qui était redevenu souple comme si rien ne s'était passé. Il ne souffrait plus. L'archevêque l'avait soigné. Il regarda alors la chevalière brillait malgré la pénombre de la chambre et finalement il posa ses lèvres dessus. Le froid de l'or, dont était faite la chevalière, le saisit sur le coup, comme si Benedictus le marquait.

- Votre éminence, murmura Hamza

- Mon très cher Hamza...répondit Benedictus

Il lui caressa ses cheveux.

Hamza se raidit immédiatement. Ses yeux se fermèrent comme s'il cherchait à s'imprégner de ce geste si anodin. Ce geste tellement lié à Tarenn, que brusquement le visage de l'Archidruide apparut dans ses pensées. Il pouvait même sentir le souffle du druide sur sa nuque, ses mots si... indécents qu'il lui susurrait pendant les nuits partagés ensemble.

- Mon cher apprenti... Vous semblez quand même avoir mal. Que s'était il donc passé là-bas ?

Hamza rouvrit les yeux, Benedictus était maintenant à quelques centimètres de son visage, le scrutant attentivement. Il avait cessé ses caresses sur sa tête.

- Vous... êtes différent du prêtre que j'ai formé...

Benedictus recula d'un seul coup.

- Je... ne perçois plus la Lumière en vous?? Pourquoi avez vous ces étranges volutes noires dans vos iris? Qu'avez vous fait Hamza Samson?? s'écria t'il

Hamza fut pris de panique. Ses mains se crispèrent sur la couverture.

- Je... vous jure que je n'ai rien fait! répondit Hamza, je suis, je suis...

Benedictus plissa les yeux, semblant réfléchir.

- Vous avez incanté un mot interdit... compris l'ancien mentor

- Je... Je n'avais pas le choix!! Il en valait de nos vies! Je devais sauver Tarenn!!!

Le prénom se perdit dans la chambre. Hamza écarquilla les yeux. La bataille avec le Nérubien revint dans son esprit. C'était à cause de ce monstre qu'il avait dû employé le mot interdit. Il regarda du coin de l'œil son grimoire magique, précautionneusement posé sur la table de chevet.

Benedictus suivit son regard et vit à son tour le grimoire. Il se releva et attrapa le livre. Délicatement il fit tourner les pages par un sort de lévitation, évitant ainsi de toucher le papier, comme si le grimoire était maudit. Il s'arrêta sur une page en particulier, puis soupira.

- Mot de pouvoir : Mort... Le sort le plus interdit, même ceux qui manipule les ombres ne l'utilise qu'avec parcimonie... Car il peut aussi apporter la mort à celui qui le jette... Je pensais que mon apprenti était plus judicieux que cela. Mais finalement ce n'était pas de votre faute, vous avez été aveuglé par cet... Archidruide!

Hamza se braqua et se retourna vers Benedictus.

- Qu'avez vous dit?

L'Archevêque posa le grimoire là où il avait pris, et se tourna à son tour vers Hamza.

- Que croyez vous? J'ai eu vent de vos aventures... Ce... Tarenn n'a fait que vous embarquer dans de sales histoires! Vous avez été subjugué par cet elfe. Vous avez perdu la tête pour lui, et voilà maintenant comment je vous retrouve, déboussolé, apeuré, et ....vous vous êtes détourné de la Lumière.

Hamza se mit à trembler, la colère monta doucement en lui. Sa respiration augmenta comme s'il l'air se raréfier autour de lui.

- Vous avez été trop loin, juste pour un elfe...

- La ferme!! Vous ne savez rien !!! hurla Hamza

Les ombres envahirent son esprit. La puissance monta dans ces mains, il voulait tout détruire. Il leva les yeux vers Benedictus qui s'était encore plus écarté de lui. Tout son corps était maintenant envahit par les ombres. Il posa un pied sur le parquet, se fichant éperdument de sa nudité.

- Hamza, grommela Benedictus.

- Vous ne savez rien de moi! Ni de l'Archidruide! Comment osez vous m'abaisser? Vous voulez gouter à mon pouvoir? gronda Hamza

La pièce fut soudainement envahit par une brume sombre, où les volutes d'ombres et les tentacules prirent vie. Hamza se retrouva face à lui même, son double noirci, celui qu'il avait embrassé quelque temps auparavant.

- Enfin tu te laisse aller...

- Qu'est ce que ?? Laisse moi!!

- Te laisser? Alors que je peux de nouveau te parler ? Face à face, surement pas...Jusqu'à maintenant, je t'avais laissé tranquille, dit son double tout en s'approchant de lui.

Il caressa le visage troublé du prêtre. Hamza avait essayé de le repousser de nombreuses fois, mais cette fois ci, il le savait , il n'en aurait pas la force.

- Tu sais, je n'ai fait que veiller sur toi, Je ne t'ai jamais abandonné. L'Ombrefiel est juste le prolongement de mon être.

- Serais ce pour cela qu'il apparaissait sans que je l'invoque?

L'ombre se fondit presque sur Hamza, avant de reculer pour continuer à lui parler. Il caressa sa joue, puis son pouce vint effleurer la bouche du prêtre, avant de s'arrêter net.

- Tu es...difficilement pénétrable... confia L'Ombre. Je n'ai trouvé que cette appendice comme moyen de m'exprimer... Tu m'as tellement réprimandé que je n'avais que ce choix là...Un choix bien limité, car tu es têtu,  mais à cette instant ton cœur a craqué, tu as enfin lâché prise.

- Je ne veux pas sombrer, je ne suis pas ...comme cela. La Lumière a toujours été à mes cotés...

-  Toujours cette même dogme. La Lumière n'est pas la seule à être salutaire. Et je ne veux que ton bien... Nous sommes là pour t'aider.

L'Ombre laissa échapper des tentacules sombres, qui vinrent  frôler le corps d'Hamza, affolant son cœur et son souffle. Le prêtre se mit à haleter sans raison.

- La puissance des ombres te permettra d'exaucer tous tes désirs, tu pourras écraser tous ceux qui barreront ton chemin, mettre à genoux tout ceux que tu voudras, et... tu pourras soumettre n'importe quel individu... Tu seras maitre de ton destin, Hamza !

- Mais à quel prix! répondit Hamza malgré la délicieuse torture que les tentacules infligeaient maintenant à sa poitrine offerte.

- Écoutes nous et embrasses définitivement les Ombres, Hamza... murmura son double.

Mais alors qu'Hamza allait répondre, une vive Lumière s'interposa et l'éblouit.

- Hamza! Hamza! Revenez vers moi! Revenez vers la Lumière!!!

La voix de Benedictus écrasa la vision d'Hamza, et la Lumière qui se projeta dans toute la pièce faisant disparaitre les ombres. Seul le double d'Hamza persista.

- Ainsi tu es l'Ombre de mon apprenti... J'en avais vaguement entendu parlé, ceux qui n'ont pas l'habitude de manipuler les ombres, sont pris soit de folie, soit ils arrivent à se dédoubler pour se préserver... Mais un tel prodige ne se compte que sur le doigts d'une main... J'avais vu la grande puissance d'Hamza quand je l'ai pris sous mon aile. Il y avait quelque chose d'inhabituel que je n'ai jamais retrouvé chez les autres apprentis...  Alors tu es l'incarnation de sa puissance...

Benedictus se mit à sourire.

- Ce pendant... Tu n'as pas ta place ici, pas maintenant.

Il dirigea sa main et incanta un sort

- Que le Châtiment tombe sur tes ennemis ô Sainte Lumière!

Un trait de Lumière vive tomba sur l'Ombre d'Hamza qui le fit exploser en millier de particule d'ombre avant de disparaitre.

Hamza s'effondra sur le sol. La tête basse, il inspira difficilement. Benedictus l'avait tiré d'affaire, mais pour combien de temps ? Il se sentit brisé et abattu. L'homme se rapprocha de lui et s'agenouilla. Il releva la tête d'Hamza par le menton.

- Je pense que je suis arrivé à temps finalement, dit Benedictus.

Les voix s'étaient éteintes dans la tête d'Hamza. Il semblait avoir l'esprit clair maintenant.

- Éminence ?

- Il y avait de nombreuses rumeurs vous concernant, mon cher élève, et celle qui m'effrayait le plus était de vous savoir plonger dans les ténèbres. Heureusement que Roland a été vigilant, et qu'il a su me dire que vous étiez en vie. Oui, brave Roland, La Lumière saura le récompenser en tant voulu... Je vais vous aider Hamza, non , je vais t'aider à maitriser ton pouvoir...

Hamza fut mal à l'aise quand Benedictus le tutoya. Il avait l'impression que celui ci essayer de se rapprocher de lui.

- Comment? demanda t'il sur ses gardes.

- Tu es loin de tout connaitre de moi, cher apprenti, car oui, tu seras de nouveau un apprenti, que cela te plaise ou non.

Hamza se déroba sous la main tendu de l'Archevêque.

- Ne refaite jamais ceci, je ne suis pas un bon chien à vos ordres.

Benedictus sourcilla, puis sourit

- Très bien, je prends cela en compte. Viens, pour commencer nous devons rentrer à Hurlevent. Delà j'aurai toute l'aide nécessaire pour agir pour ton bien.

Cette fois, l'Archevêque avança la main vers Hamza. Ce dernier regarda la avec suspicion, puis son mentor. Finalement il l'attrapa afin qu'il puisse se relever. Au même moment, la couverture de son lit tomba sur son dos et l'enveloppa.

- Maintenant habilles toi. Dès que tu seras prêt, nous partirons.

Puis L'Archevêque, le laissa seul dans la chambre.

Entendant que son maitre descendait les escaliers, puis discuter, Hamza s'avança vers la fenêtre. Il regarda alors Benedictus sortir de la maison, accompagné par la tremblote. Ils parlèrent un petit moment avant que ce dernier tende la main et que Benedictus lui donne discrètement une bourse. Hamza fronça les sourcils. Il inspira profondément avant de laisser les ombres l'envahirent.

Nous t'avions prévenu...

Son double se tenait à ses cotés.

- Je ne sais pas ce qu'il se trame, mais tu m'as bien dit que j'aurai tous les pouvoirs si je t'acceptais pleinement ...

L'Ombre sourit :

Oui... Tous tes désirs seront réalisés! 

- Alors ne me quittes plus d'une semelle , je pense que j'aurai besoin de toi et de ton pouvoir des ombres bien assez tôt ...