Ch3 : mon cher voisin
Je pris une résolution. A partir de maintenant, il allait devoir compter sur ma présence. J'allais m'imposer dans cette école, j'allais m'y faire une place. Et pour cela, je décidai qu'au déjeuner j'allais me mettre à la table des garçons. Tant pis si ça devait m'attirer des ennuis. Ils allaient devoir me supporter.
Et c'est ce que je fis. Le lendemain, au réfectoire, je suis allée m'asseoir à la même place. Les garçons arrivèrent, je les ignorais et continuais de déjeuner. Je ne le vis pas mais je sentis son regard posé sur moi.
- Espèce de sa...
Je relevais la tête et le regardai dans les yeux, les lèvres pincées.
- Je ne bougerais pas. Tu peux dire ce que tu veux, je ne bougerais pas d'ici.
- Tsss... Les Françaises sont toutes pareilles ! Des...
Il était en train de s'énerver. Il posa son plateau à l'autre bout de la table et fit mine de se diriger vers moi. J'en profitais pour l'observer. Pourquoi fallait-il qu'il soit beau ? Ses yeux, en dépit de la lueur meurtrière qui les allumait, étaient vivants, foncés, presque noirs. Son nez droit, ses lèvres bien dessinées, ses pommettes hautes, ses cheveux noirs relevés... Une voix me fit revenir sur terre.
- Kang-Min, Arrête ! Laisse tomber, assieds-toi, on règlera ça après.
Lui... Min-Kyung, si je me souvenais bien. C'était lui que j'avais failli tuer sur place d'un regard, la première fois que je me suis assise à cette table. Il avait attrapé le bras de mon voisin et s'était placé entre lui et moi. Kang-Min se dégagea d'un mouvement d'épaule et alla s'asseoir le plus loin possible de moi, à la même table, après avoir fusillé du regard celui qui devait être son « bras-droit ». « Il a encore failli mourir sur place, mon sauveur... Le pauvre ». Min-Kyung se retourna vers moi, et nos regards se croisèrent. Il avait un regard si doux et si gentil, des trais fins... En bref, lui aussi était beau. Très beau, même. Il détourna le regard et s'assit à la droite du chef de la bande. Les autres s'assirent à leur tour, et ils discutèrent entre eux. Voilà, j'avais gagné une bataille. Mais je me retrouvais seule. Tant pis. Je préférais me taire et finir mon repas en silence.
Une fois mon déjeuner fini, je rejoignis le toit, et m'appuyais à la barrière. J'étais inquiète. Qu'allait-il se passer ? « Je n'aurais pas dû le défier... ». J'étais perdue dans mes pensées lorsque quelqu'un surgit derrière moi et me poussa en avant. La surprise et le choc me propulsèrent vers l'avant. Je crus que j'allais tomber quand des bras me tirèrent en arrière. Sous le coup de la frayeur, je me retournais, et découvris Kang-Min, le visage étrangement calme. Mais ses yeux trahissaient sa colère immense. Il murmura :
- Cette fois tu es en vie. Mais la prochaine fois, je ne te rattraperais pas. Je me contenterais de t'aider à tomber, comme je l'ai fait à l'instant.
- Mais qu'est-ce que je t'ai fait, bordel ! A part hier, où je t'ai frappé ! C'est pas moi qui aie commencé à m'énerver pour rien !
- T'es française, ça suffit à tout expliquer !
Il attrapa mon bras, et serra. J'ouvris la bouche et fermais les yeux sous la douleur.
- Mon... Mon origine ne me définit pas ! (Je dégageai mon bras et posai ma main là où il m'avait fait mal) Tu ne me connais pas, tu ne sais rien de moi ! Donc ne me juges pas !
Il s'apprêtait à parler lorsque la sonnerie retentit. Il se contenta donc de me fusiller du regard et partit. Avec un soupir, je le suivis et rejoignis la classe.
Après cela, les jours défilèrent, quasiment identiques. Je me levai pour aller en cours, mon voisin de classe me lançait un regard meurtrier que je lui rendais avec grand plaisir, les cours de la matinée passaient. Ensuite venait l'heure du déjeuner. Je m'installai toujours à la même table, dos à la fenêtre, et malheureusement pour moi, face à Kang-Min. Pendant les repas, on évitait de se regarder. Enfin en tout cas j'évitais de capter son regard. Puis venaient les cours de l'après-midi, et, enfin, je pouvais rentrer chez moi.
Les jours qui suivirent, je tentais d'en apprendre plus sur Kang-Min. Il s'avérait que tout le monde avait peur de lui et de son groupe. Il tyrannisait les élèves pour son bon plaisir, et s'il n'était pas respecté, celui ou celle s'opposant à lui le regrettait. La plupart du temps, ils finissaient même par quitter l'école, pour éviter d'être trop gravement blessés. Une rumeur disait même que Kang-Min avait envoyé un élève à l'hôpital, qu'il avait été dans le coma, et qu'il ne put pas sortir avant 2 mois d'hospitalisation. Je pris conscience de la bêtise que j'avais faite en m'opposant à lui, mais je ne comptais pas renoncer pour autant.
***
2 semaines passèrent comme ça, et Kang-Min et moi étions toujours en vie. Il avait l'air d'avoir intégré ma présence, même s'il ne m'acceptait toujours pas. « Si la semaine qui vient se passe bien, je le laisserai tranquille, j'irais déjeuner ailleurs ». Nous étions samedi après-midi. Je décidai, sur cette bonne résolution, de faire des cookies, quand j'entendis frapper à la porte. J'ouvris, et je vis apparaître ma voisine avec sa petite fille. Je lui souris et m'inclinai.
- Bonjour !
- Ah, bonjour ! Je suis désolée de vous déranger, mais... je dois partir en urgence, et mon fils n'est pas là... Seulement je ne peux pas laisser ma fille toute seule ! Pouvez-vous la garder pour moi ?
- Oui bien sûr ! Pas de problème ! Viens, Eun-Hee, entre ! En plus tu tombes bien, je vais préparer des gâteaux ! Tu vas m'aider !
- Merci énormément, je reviendrais la chercher tout à l'heure ! Au fait, je vais vous passer mon numéro de téléphone, comme ça s'il y a le moindre souci, vous pourrez me contacter !
- Et vous pouvez m'appeler par mon prénom, je m'appelle Marie.
- Très bien, Marie ! En cas de problème tu peux m'appeler, je serais de retour vers 19h ! A tout à l'heure !
Je la regardais partir, tenant par la main la petite Eun-Hee. Je m'agenouillais auprès d'elle et lui souris.
- On va faire les gâteaux ?
Elle hocha timidement la tête et entra dans l'appartement. Je refermai derrière nous, et on commença à préparer les cookies. J'avais déjà sorti ce dont j'avais besoin. Je commençais à mélanger les ingrédients, la fillette me regardant faire avec de grands yeux, les 2 mains sur la table, et sur la pointe des pieds pour tenter de mieux voir. Je riais, j'arrêtai de mélanger et je pris Eun-Hee dans mes bras pour l'asseoir sur la chaise à côté de moi.
- Tu veux faire ? Tiens ! Regarde, il faut bien mélanger.
Elle frappa dans ses mains en signe d'approbation et commença à remuer la pâte. Elle paraissait vraiment déterminée. Une fois que la pâte fut prête, je préparai la plaque du four, et on mit les cookies dessus. Eun-Hee sautillait d'impatience devant le four. Pour la calmer un peu et la faire patienter, je décidai de l'installer à la table, avec des feuilles et des feutres.
- Oui ! Des dessins ! Tiens, du « rouge » !
A l'instant où elle prononça ce mot, j'écarquillais les yeux. Elle avait parlé en coréen jusque-là, sauf pour désigner la couleur... qu'elle dit en français. Je n'eus pas le temps de réfléchir plus là-dessus, car les cookies étaient cuits. Je les sortis du four et les posai sur une assiette. Eun-Hee avait l'air de les adorer, et aurait bien pu tous les manger, si je ne l'en avais pas empêché. Pendant le reste de l'après-midi, je jouais avec elle. J'arrivais à la faire parler de plus en plus, et je remarquai que dans son discours, elle désignait les couleurs en français, mais seulement les couleurs. « Sa mère a dû les lui apprendre, je pense ! Elle a été si gentille avec moi, alors que je suis française... Elle doit sûrement connaître un peu la France ». Voilà sur quoi je réfléchissais, lorsque l'on frappa à la porte. Je regardais ma montre. 19h. La maman de Eun-Hee devait être rentrée. Un sourire sur les lèvres, tenant la petite par la main, j'ouvris la porte et vit... Kang-Min. A la seconde où il me vit, le sourire sur son visage s'effaça, ses traits se durcirent.
- Oppa !
Il se tourna vers Eun-Hee, enleva violemment sa main de la mienne, et la prit dans ses bras. Il ne regarda droit dans les yeux et articula :
- Plus... Jamais... JAMAIS tu ne t'approches de ma sœur !
Sa voix était montée crescendo. Je restais bouche-bée.
- Kang-Min ! Je t'interdis de réagir comme ça !!
La voix de la mère d'Eun-Hee me permit de reprendre mes esprits.
- Marie, je suis vraiment désolée de la réaction de mon fils... Il n'est pas comme ça habituellement, je ne sais pas ce qu'il lui a pris.
- Ne... Ne vous inquiétez pas, tout va bien.
J'arrivais vaguement à afficher un sourire sur mes lèvres, du moins je l'espérais. Je rentrai chez moi pour prendre l'assiette avec les cookies restants, et la tendis à ma voisine.
- Ce sont les cookies que Eun-Hee et moi avons fait. Voici pour vous, pour vous remercier des gâteaux de riz qui étaient délicieux.
Elle me regarda tendrement, encore avec ce regard de mère, si doux.
- Ils ont l'air délicieux ! Merci beaucoup ! Voudrais-tu venir diner avec nous ? Je vais faire un plat typiquement coréen, pour te remercier d'avoir pris soin de ma fille !
- C'aurait été avec plaisir... (Je jetai un coup d'œil à Kang-Min) mais je crains que ce soir ce ne soit un peu compliqué...
- Unni, vient manger avec nous... !! S'il te plait !
Le regard de Eun-Hee me fit fondre. Je regardais Kang-Min, puis sa mère, qui m'encouragea encore une fois à venir, et je finis par accepter. Je rentrai récupérer mes clefs et mon téléphone, puis je les suivis chez eux. L'appartement était presque similaire au mien, mais en plus grand, avec 2 chambres en plus et un salon plus petit.
- Kang-Min, va avec Marie au salon pendant que je prépare le repas, nous allons diner là-bas.
- Maman... je...
- Fais ce que je te dis !
Il leva les yeux au ciel et se dirigea vers le salon. Je décidai de le suivre, et d'en profiter pour lui parler. Il sortit les couverts, et je m'occupais de les disposer sur la table. Une fois ceci fait, il s'assit à la table. Je m'assis face à lui.
- Ecoute, Kang-Min...
- Unni !!
Eun-Hee se précipita vers moi et s'accrocha à mon cou, ce qui me fit rire. Je la pris dans mes bras et la posa sur mes genoux. Alors que je jouais avec elle, Kang-Min me lança un regard particulièrement meurtrier... Mais pas comme d'habitude. J'arrivais presque à sentir toute sa haine. Je me penchais alors vers Eun-Hee et lui murmurai quelque chose à l'oreille, en jetant un regard en coin à Kang-Min. Eun-Hee approuva et rigola. Elle quitta mes genoux pour se jeter au cou de son frère. Les instants suivants, je ne pus croire ce que je vis. Ce n'était plus le même homme. A la seconde où sa sœur est allée le voir, il changea d'attitude. Il était doux, il rigolait, jouait avec elle... Je découvrais une personne totalement différente. Et pourtant... je sentais qu'il se retenait en ma présence.
Finalement, leur mère arriva avec le repas. Un vrai festin. Seul Kang-Min était froid avec moi, même s'il faisait des efforts, pour sa mère et sa petite sœur.
- Madame, je voulais vous poser une question...
- Oui, je t'écoute !
- Tout à l'heure, alors que Eun-Hee dessinait, elle nommait les couleurs en français.
Elle sourit.
- J'ai vécu en France, quand j'étais petite. C'est également là-bas, après avoir déménagé en Corée avec mes parents, lors d'un voyage scolaire, que j'ai rencontré mon mari. (A ces mots, son regard s'assombrit légèrement, mais elle se reprit presque aussitôt.) On peut dire que je suis... amoureuse de ce pays ! C'est pour ça que j'apprends le français à mes enfants.
- Je vois... Ça me fait plaisir de voir qu'il y a quand même des personnes qui apprécie la France, en Corée.
- Mais oui, il y en a ! Tu n'as pas à t'en faire pour ça.
Kang-Min qui, jusqu'ici, n'avait pas dit un mot, prit la parole.
- Les français n'ont rien à faire en Corée ! Et je ne comprends toujours pas pourquoi tu restes encore aveugle face à une telle évidence !
- Kang-Min ! Calme-toi !
Je fermai les yeux, et déclarai :
- Je ne sais pas ce qui t'as conduit à penser comme ça, mais tous les français ne sont pas similaires ! Oui, il y en a qui sont des abrutis incultes et immatures, mais pas tous. Et de telles personnes, tu en as même en Corée. Alors oui, nos cultures sont différentes, mais nous restons tous des humains. Et avant de juger, tu devrais d'abord essayer de connaitre la personne face à toi.
- Je ne...
- Kang-Min, maintenant tu arrêtes, et tu finis ton diner ! Non, je ne veux plus t'entendre !
Le reste du repas passa tant bien que mal, mais au fur et à mesure, une ambiance chaleureuse revint.
- C'était vraiment délicieux, merci beaucoup pour ce diner !
- C'était un plaisir de t'avoir avec nous. Non, laisse, je vais m'en charger !
Je souris.
- Ne vous inquiétez pas, vous avez été si gentille, je peux au moins vous aider à débarrasser !
Je me dirigeai vers la cuisine avec les plats, et les posai dans l'évier. Je repensai à la discussion sur la France. Qu'avait-il bien pu lui arriver pour qu'il haïsse autant les Français ? Alors que j'étais perdue dans mes pensées, une tape sur l'épaule me ramena à la réalité. C'était Kang-Min. Je fermai les yeux. « Fais des efforts, c'est ton voisin ! Tu ne peux pas rester en guerre avec lui » Je tentai un vague sourire.
- Ta maman est très gentille. Tu as beaucoup de chance de l'avoir.
- Mhmhmh... le repas est fini, donc maintenant, tire-toi.
Je soupirai. Ce n'était pas gagné... Après avoir salué tout le monde, je rentrai chez moi. Exténuée par cette longue journée, je m'affalai sur le lit, et m'endormis.
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