Tenebrae
On descend l'escalier à la vitesse de l'éclair. Arrivées dans l'entrée, j'inspire à fond. Je sais bien que mes parents seront surpris en voyant Rae. Ils ne s'attendent sans doute pas vraiment à ça. Mais tant pis. Quoiqu'ils en disent, elle restera à jamais ma sœur spirituelle.
A peine avons nous pénétré dans la cuisine, que mes parents se retournent vers nous. J'ai l'impression d'être comme sous les feux des projecteurs lors des spectacles. Ils scrutent Rae, guettant le moindre de ses mouvements. Pour briser le silence qui me met mal à l'aise, je tente :
- Je vous présente Rae...
Mais le silence continue. J'ai l'impression que le temps s'est arrêté. J'ai l'impression qu'une simple seconde dure des heures. Je veux que tout ceci se termine. Que ça se termine vite. Finalement, grâce au ciel, le silence est brisé par ma mère :
- Enchantée !
Je vois Rae qui tente désespérément de sourire.
- Et si on passait à table ? Je meurs de faim !
Merci William, je te le revaudrai. Promis.
Tandis que ma mère sers la pizza, mon père essaie en vain d'engager la conversation avec Rae :
- Alors, tu t'appelles Rae, c'est bien cela ?
- Tout à fait monsieur.
- Et... Comment tu as connu notre fille ?
- Hé bien... C'était une rencontre totalement au hasard... On s'est croisé dans une librairie. J'achetait mes cahiers pour la rentrée. A un moment, j'ai fait tombé tout ce que je tenais dans mes bras. Salem m'a alors aidé à ramasser. Comme on s'entendais plutôt bien et qu'on avait les même gouts, on s'est donné rendez-vous le lendemain pour boire un chocolat.
Je ne peux qu'admirer les efforts que fait Rae pour maitriser son langage. Et la facilité avec laquelle elle ment. Bien sûr, notre rencontre n'avais rien de la rencontre digne d'un bon gros roman à l'eau de rose dégoulinant qu'elle a décrite. En vérité, je me promenais dans la ville une nuit quand en passant dans une ruelle j'ai entendu un bruit. Je me suis retournée, croyant à un potentiel agresseur. Mais non, c'était uniquement Rae, allongée au sol, entre deux poubelles, ivre morte. J'ai voulu l'aider. Elle m'a d'abord repoussée, mais voyant ma veste de cuir cloutée, mon maquillage charbonneux, elle a finalement accepté mon aide, se disant qu'on devait bien un peu se ressembler au fond. Elle n'a pas voulu que je la raccompagne chez elle, alors je lui ait donné mon numéro pour qu'elle m'appelle si jamais elle avait un soucis. Ce n'est que le lendemain dans la soirée que j'ai reçu un SMS venant d'elle. Elle me donnait une adresse où venir la retrouver. C'était celle du Bloody Mary. C'est comme ça que j'ai connu ce bar. Et c'est là que j'ai commencé à être amie avec elle. Maintenant que j'y pense, nous ne nous sommes jamais réellement rencontré en dehors de cet endroit...
- Salem ? Je te parle !
- Hein ?!
Perdue dans mes pensées, je n'ai même pas entendu que ma mère me parlait.
- Ca fait combien de temps que vous vous connaissez ?
- Plusieurs mois... Je n'ai pas vraiment compté...
- Ah. Dis moi Rae, que font tes parents dans la vie ?
Je me mors la lèvre. J'aurai sans doute du prévenir ma mère de ne pas aborder ce sujet...
- Je suis orpheline madame...
- Oh, je suis navrée, je ne savais pas...
Ma mère me lance alors un regard de reproche, ce regard qui veut dire "tu aurais pu me prévenir !"... Je lui adresse un petit sourire d'excuse.
Même si Rae n'est pas orpheline, je sais qu'elle se considère comme telle. Et elle dit toujours qu'elle n'a pas de parents. Ca lui évite de répondre à toutes les questions qu'on pourrai lui poser eux...
Le repas se poursuit dans la meilleure des ambiance. Mais j'ai envie de parler seule à seule avec Rae. Je veux savoir ce qu'elle ressens, comment elle a trouvé tout ça.
- Maman ? On peut sortir ce soir ?
Elle se tourne alors vers Rae.
- Mais je ne sais pas si ton amie en a envie...
- Ne vous en faites pas madame, j'ai souvent l'habitude de me promener le soir. Je n'arrive pas à m'endormir sinon.
Je sens ma mère légèrement réticente à nous laisser sortir...
- Bon... Très bien... Mais ne rentrez pas trop tard.
Je me lève de table à la vitesse de l'éclair. Rae se lève aussi, mais d'une manière beaucoup moins rapide et donc bien plus polie et respectueuse que la mienne.
Quand elle arrive devant la porte, j'ai eu le temps de monter dans ma chambre et de prendre nos vestes.
J'ouvre la porte d'entrée et pousse quasiment Rae dehors.
- Je savais pas que tu pouvais parler aussi bien !
- T'crois que j'fais comment au lycée ?
- Et je ne savais pas que tu mentais aussi bien et aussi facilement...
- Parce que t'crois que l'histoire de notre rencontre aurait plus à tes parents ? N'importe quel parents aurait détesté ! Tu d'vrais m'remercier...
Elle affiche un sourire satisfait.
- Surement pas ! T'as vu un peu le putain de navet à l'eau de rose que tu leur a balancé ? Vu comment on est toute les deux, c'est carrément pas crédible ton truc !!
- Ils y ont pourtant cru non ?
La voyant avec son éternel sourire en coin qui veut dire "j'ai raison, t'as vu ?", je ne peux m'empêcher de rire.
Presque malgré nous, nos pas nous ont mené devant le Bloody Mary.
- J'te préviens Rae, si tu rentres bourrée à la maison, mes parents vont me passer un savon demain ! Alors soit tu bois un verre d'alcool, soit tu t'en tapes 10 mais de jus d'orange !
- Je choisis le verre d'alcool !
On commande chacune un bloody mary.
Même s'il n'est que 22h15, je tire Rae par la manche.
- Allez, faut rentrer, on a promis de pas rentrer tard...
En soupirant et visiblement à contre cœur, elle se lève et me suit vers la sortie.
Dans l'air frais de la nuit, j'ai envie d'écouter un peu de musique pour faire passer plus rapidement le chemin jusqu'à ma maison.
Je tend un écouteur à Rae.
C'est la fin,
Retiens ton souffle et compte jusqu'à dix,
Sens la terre bouger et ensuite
Entend mon cœur éclater à nouveau.
Parce que c'est la fin,
J'ai noyé et rêvé ce moment,
Tellement tardé, je leur suis redevable,
Emportée, je suis volée.
Laisse le ciel s'effondrer,
Lorsqu'il s'émiettera,
Nous resterons debout
Et y feront face ensemble. **
Rae à commencer à chantonner en même temps.
J'adore cette chanson. J'adore tellement de chanson en fait. Mais celle là, je la ressens, je sais qu'elle est faite pour nous deux. Elle raconte une histoire. Une histoire que j'aimerai être la notre... Si même lorsque le monde s'effondrera sous nos yeux, Rae et moi pourront y faire face ensemble, ce serai merveilleux. Mais surement aussi très utopique. Je sais qu'un jour nos chemins se sépareront car il n'y a pas d'amitié qui soit éternelle. Mais je ne veux pas y penser maintenant.
Je regarde Rae dans la pénombre nocturne. Son visage est apaisé, levé vers le ciel, les yeux fermés, elle continue la chanson, comme si rien ne pourrait l'en empêcher. A la façon dont elle prononce les mots, avec tellement de conviction, je sens qu'elle veut y croire. Et je sais qu'aussi longtemps qu'elle vivra, elle continuera d'y croire.
** Chanson : "Skyfall" d'Adele.
Je dois dire que j'avais oublié le si beau sens des paroles de cette chanson... En la réécoutant il y a peu, je me suis dit qu'elle serai parfaite ici...
A bientôt,
Raven.
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