24
23 juin
- Côme, je peux entrer ?
Je n'ai pas répondu, mais Alice est tout de même entrée dans la chambre de son frère, où j'étais avachi dans le canapé.
- Tu ne devineras jamais, j'ai eu mon stage ! Tu sais, celui dans l'agence de com. Je commence dans une semaine.
- C'est super.
Silence. J'ai continué de fixer le plafond, comme je le faisais depuis plus d'une heure.
- Côme ?
- Mmh ?
- Tu... tu es sûr que ça va ?
- Nickel.
Elle a poussé un soupir, et encore une fois, silence. C'est resté comme ça pendant un long moment, Alice devait être partie, elle détestait ce genre de silence - ce qui expliquait pourquoi elle m'adressait peu la parole depuis quelques jours. Mais je n'ai pas cherché à vérifier. De toute manière, je me fichais un peu qu'elle soit là ou pas.
- Côme, il va vraiment falloir qu'on parle.
Alors, elle n'était pas partie.
- Ça fait deux semaines que les funérailles ont eu lieu... Je comprends que ça puisse être difficile, mais tu ne fais strictement rien. C'est à peine si tu manges quelque chose ou ferme l'œil de la nuit, Thomas m'a dit que tu ne dormais pas, il n'est pas dupe tu sais. Et je ne le suis pas non plus.
Ce qu'il y avait d'intéressant sur le plafond de Thomas, c'était toutes ces microscopiques fissures qui le ornaient. Ça ne remettait en aucun cas nos vie en question, mais je m'étais demandé ce qu'il se passerait, s'il arrivait qu'il tombe. Ça me tuerait, certainement. Sur le coup, aplati comme une crêpe par les décombres ; ou une mort lente, coincé sous les débris, asphyxié par le manque d'air respirable et par les poussières.
- Côme, s'il te plait, parle-moi au moins.
- Pas envie.
Elle a poussé un long soupir, entre l'agacement anodin et la rage culminante.
- Diane est venue. Tu ne veux pas aller la voir ?
Pas envie.
- Si elle veut, ai-je pourtant lâché.
Alice a encore une fois soupiré, et je l'ai entendu monter les marches de l'escaliers. D'autres pas sont descendus, eux, et le visage de Diane est apparu dans mon champ de vision, qui ne comportait jusqu'alors le plafond de la chambre et un morceau du canapé.
- Hey, a soufflé Diane.
- Hey.
Elle s'est pincée les lèvres, et s'est accroupie à côté du canapé. Ça m'a forcé à me redresser et à m'asseoir, ce qui m'a donné le vertige.
- Comment tu vas ?
- Je pète la forme, Alice doit me tenir en laisse.
Diane a esquissé un sourire, et j'ai tenté d'échapper à son regard qui persistait à pénétrer le mien.
- Côme, s'il te plait, regarde-moi.
J'ai soupiré et l'ai donc regardée. Et l'infime sentiment d'exister vraiment, qui s'animait en moi à chaque fois et uniquement à chaque fois que je croisais son regard, est apparu, l'espace de quelques secondes.
- Tu as reparlé à ton frère ?
- Je t'ai dit que je ne voulais plus entendre parler de lui. Inutile de me le demander à chaque fois.
Je ne voulais plus entendre parler de personne ; mais ça, inutile de le dire, elle semblait le comprendre. Thomas avait abandonné - enfin, il avait compris - et c'était tant mieux. Seules Alice et Diane persistaient à vouloir me changer, alors que j'allais bien. Vraiment.
Diane a longuement inspiré et a passé une main sur ses yeux.
- Tu sais, on veut simplement revoir le Côme d'avant.
- D'avant quoi ?
Elle s'est pincée les lèvres. Ah, qu'il était dur de parler de la mort, c'était pourtant si simple et si logique : on allait tous y passer, on y était tous destiné, alors pourquoi un tel tabou se construisait autour de la mort ? Pourquoi ne nous avait-on jamais parlé de la douleur suite à la perte d'un proche, à l'école ? Pourquoi ? Pourquoi mon père avait décidé de dire la vérité avant de mourir ?
- Côme...
- Laisse-moi.
- Je ne suis pas sûre de pouvoir continuer.
- Eh bien c'est super ! me suis-je exclamé en la repoussant. En voilà une bonne nouvelle. Si tu pouvais demander à Alice de te joindre dans cette initiative, ça m'arrangerait.
- Mais enfin, tu t'entends parler ?
Ce n'était pas la première fois qu'elle s'énervait en venant me voir ; mais c'était la première fois que je l'étais autant qu'elle.
- Et vous ? Vous vous voyez, me tourner autour comme vous le faites ? Vous ne voyez pas que ça m'étouffe ?
- On essaye juste de t'aider, Côme !
- M'aider pour quoi faire ? ai-je crié en me levant pour de bon. Mon père est mort, il ne va pas revenir sous prétexte que je ne vais pas bien, parce qu'apparemment, je ne vais pas bien.
- Tu ne vas pas bien, c'est un fait.
- Vous n'êtes pas dans ma tête, vous ne pouvez rien savoir.
Diane a eu un rire nerveux, qui a eu le mérite de me faire froid dans le dos.
- C'est vrai, tu as raison, on ne peut rien savoir. Si ça se trouve, il y a deux semaines, quand tu disais que tu m'aimais, ce n'était pas vrai.
- Arrête de dire des conneries.
- Quoi ? Ce n'est pas des conneries : nous ne sommes pas dans ta tête après tout.
Qu'est-ce qu'elle m'agaçait à tout prendre au pied de la lettre.
- Tu sais quoi ? Tu as raison. Je ne t'aime pas, ai-je lâché. Tu vois, il y a une chose terriblement importante que je dois t'avouer, tu sais ? À chaque fois, je me dégonfle. Eh bien c'est ça, je ne t'aime pas.
- Sûrement, a-t-elle soufflé, n'ayant pas vraiment l'air de me croire.
- Je suis sérieux Diane ! ai-je hurlé. Je t'ai jamais aimé. Je te déteste, je te hais !
Diane ne bougeait pas, ses yeux droit dans les miens. Elle n'avait pas l'air de me croire. Seulement, ça se voyait qu'elle était à bout de nerfs.
- Non, qu'est-ce que je raconte : la vérité, la vraie vérité, c'est que je t'ai trompée. Elle s'appelle Charlotte, elle a notre âge, c'est une grande brune métisse et elle a plus de seins que jamais tu n'en auras dans toute ta vie. Je vais me marier avec elle et lui faire cinq gosses. Je te trompe, tu es fière de moi ? me suis-je encore plus énervé.
Diane a passé une main sur son visage, l'air fatiguée. Elle ne me croyait pas. Elle savait que ce n'était pas vrai.
- Tu veux savoir ? C'est faux, je ne t'ai pas trompée. Et je ne te déteste pas. Et ça non plus, ça ne rétablit pas la vérité. Non. La vérité est bien trop cruelle. La vérité, c'est...
- Merde Côme, il n'y a pas de vérité à établir, bon sang ! a-t-elle hurlé au-dessus de ma voix.
- Si, il y en a une.
- Mais qu'est-ce que tu racontes... a-t-elle soufflé.
Pourtant, quelque chose en elle voulait m'entendre. Quelque chose en elle savait que je n'étais pas devenu complètement fou et que j'avais une chose à lui dire. Plein de choses en réalité. Mais surtout la vérité.
- Et la vérité Diane, c'est que je suis fou de toi. A un point inimaginable. Dès que je t'ai vue, la première fois qu'on s'est rencontré, je savais que j'allais t'aimer comme je n'avais jamais aimé n'importe qui d'autre sur cette planète. Le truc, ai-je continué en riant nerveusement, c'est que t'étais pas la seule. Ah, ça, non ! J'ai une copine, Diane, j'avais une copine. Et je l'aimais aussi. Moins que toi, mais je tenais à elle. Alors je l'ai trompée. Avec toi.
Un sourire morbide devait être accroché à mes lèvres et pour rien au monde je ne voulais ne serait-ce qu'apercevoir mon reflet. Le visage de Diane me suffisait amplement.
- C'est faux, a-t-elle murmuré.
- C'est vrai, Diane. C'est tellement vrai, tu ne peux pas savoir à quel point.
Des larmes commençaient à s'amonceler au creux de ses yeux. Et c'est seulement à ce moment-là, juste avant qu'elle ne parte pour de bon, que j'ai compris que j'avais enfin dit la vérité. Là, dans la chambre de Thomas, alors que je n'avais pas vu de douche ni de repas à proprement parlé depuis trois jours, l'air d'avoir été incarcéré dans un asile et le sourire aux lèvres, parce que je ne m'étais pas rendu compte du poids que c'était.
Diane m'a longuement fixé, les yeux pourtant rivés dans le vide, à la recherche d'une autre vérité. Or il n'y avait que celle qu'elle venait d'entendre. Ses lèvres se pinçaient si fort qu'elles blanchissaient. Je n'ai fait qu'un pas vers elle, un seul.
- Si tu fais un pas de plus, je te tue.
Je me suis immobilisé. Jamais je ne l'avais vue ou entendue comme ça.
- Diane...
- Côme, je t'assure que si tu m'adresses encore une seule fois la parole, je t'explose le crâne. Tu comprends ça ? Tu comprends ?
Je n'ai rien dit. Diane avait les yeux rouges accrochés aux miens. J'avais peur. Si peur d'elle.
- Je ne veux plus jamais te revoir.
Je n'ai pas osé décrocher mon regard du sien. Elle a simplement fait quelques pas en arrière, et lorsqu'elle tourna la tête, plus jamais je ne revis ses yeux bleus. Elle a monté les escaliers, j'ai entendu Alice parler et Diane crier, puis une porte a claqué.
Elle était partie.
- Côme ?
J'ai levé les yeux vers Alice, pétrifié.
- Tu... Tu lui as dit ?
J'ai essayé de lui répondre, vainement. Au lieu de ça, les litres de larmes que je retenais depuis une quinzaine de jour se sont déversés, d'un coup, sans moyen de les retenir. Je me suis écroulé dans le canapé, et au bout d'un long moment, Alice est venue près de moi et m'a serré dans ses bras. Je me suis servi d'elle comme d'un déversoir, j'ai hurlé, j'ai insulté le monde entier.
Puis après ça ? Plus rien.
Je me sentais lessivé.
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