60. Aseptisée
S'aidant du meuble sur lequel elle a pris appui pour retrouver une stature bien droite, folle d'une colère qui la fait trembler, la responsable se jette sur sa prisonnière. En plus de venir placer les dents de la fourchette au niveau de la jugulaire de Julia, elle enserre de sa main libre sa gorge.
Alors qu'elle lui dévoile de beaucoup trop près son visage ensanglanté et massacré, dans le fauteuil la retenant prisonnière, Julia ne peut plus respirer. À califourchon sur elle, la responsable l'étrangle et accentue de seconde en seconde la pression faite sur sa trachée.
Voyant que le teint de peau de sa victime passe du blanc au rose avant de virer au violet et que ses yeux grands ouverts et révulsés commencent à rouler vers l'arrière, la blonde relâche son emprise. Se collant encore davantage à sa proie qui respire à nouveau et retrouve sa couleur humaine, elle lui crache des mots entrecoupés de reniflements rendus atroces par l'absence de son nez :
— Je devrais... Je devrais te tuer... Je devrais te tuer pour ce que tu m'as fait, mais... Mais... Mais si je dois en arriver là, sache que... Oh oui, putain, sache que je ne gaspillerais pas une seule de mes balles.
À peine ces derniers mots ont-ils été prononcés que la responsable lève haut vers le ciel sa main armée de la fourchette avant de sèchement en planter l'extrémité dans l'épaule de sa prisonnière.
Lorsque le métal pointu transperce la peau et la chair de Julia, cette dernière hurle tout ce qu'elle a, mais la douleur est si vive, si insoutenable, qu'aucun son ne parvient à sortir de sa bouche pourtant grande ouverte.
Tout en maintenant enfoncées les dents de la fourchette dans l'épaule de sa victime, la responsable reprend alors d'un calme retrouvé ses élucubrations entrecoupées de reniflements dégoûtants :
— L'ironie dans tout ça, c'est que... C'est que j'exècre la viande que nous produisons. Je la trouve... Aseptisée. Je connais bien quelques petits éleveurs, mais même... Même pour une personne de mon rang, c'est presque impossible de s'en procurer, finit-elle par avouer avant d'éclater d'un rire qui, à mesure qu'il se prolonge, se transforme en un sifflement très aigu qui résonne dans la pièce. Et de toute façon... De toute façon, même quand je parviens m'en procurer, à cause du transport, elle n'est... Elle n'est jamais... Elle n'est jamais assez fraîche à mon goût.
Retirant les dents de la fourchette restée plantée dans l'épaule de Julia, à nouveau, la responsable abat sa main armée - à l'exact même endroit où la chair ouverte de sa prisonnière s'est mise à saigner abondamment.
Une fois encore, hurlant sans parvenir à émettre le moindre son, Julia se crispe davantage dans son fauteuil. Tournant la pointe du couvert métallique dans la plaie pour ne pas qu'elle se referme, la blonde est à présent totalement avachie sur l'adolescente et elle lui dit :
— Je me demande quel goût tu as. Je pensais... Je pensais pouvoir résister, mais puisque tu refuses de me parler... De me parler de ces putains de créatures de merde... Que ceux qui tentent d'entrer ici parviendront tôt ou tard à le faire, autant... Autant en profiter. Oui, voilà : autant en profiter une dernière fois.
Retirant d'un geste sec de l'épaule de Julia la fourchette, la responsable vient ensuite en positionner les dents au centre de sa poitrine. Enfonçant le métal pointu entre les deux seins de l'adolescente qui, au bord du malaise, ne réagit plus à la douleur, c'est haletante d'un plaisir qu'elle ne prend même plus la peine de dissimuler qu'elle lui murmure langoureusement :
— Tu sais... Il existe... Il existe une légende ancestrale... Elle raconte que lorsqu'on se nourrit des organes d'une autre personne et tout particulièrement... Tout particulièrement de son cœur, on lui vole sa force.... On lui vole sa force et sa jeunesse.
Soulevant de sa main libre le débardeur couvrant le torse de Julia, la blonde met ainsi à l'air libre la blessure sanguinolante qu'elle vient d'y faire avec la fourchette :
— Pour être totalement honnête avec toi, je ne suis pas superstitieuse, mais... Mais... Mais je dois bien l'admettre maintenant, à presque cent soixante ans, je me dis... Je me dis qu'il n'est jamais trop tard pour commencer à croire à tout ce folklore de merde.
Cette phrase terminée dans un soupir de jubilation, l'infâme geôlière embrasse à pleine bouche la plaie faite entre les seins de Julia pour y aspirer le sang qui s'en échappe.
Après une dizaine de secondes passées à se nourrir de sa prisonnière, ce « baiser » non consenti s'étant transformé en une fiévreuse étreinte, dans une tension comparable à celle d'un loup qui hurlerait le ralliement de ses frères, la responsable redresse le haut de son corps pour reprendre sa respiration.
Restant cambrée exagérément et ouvrant grand sa gueule maculée du sang de Julia, elle tient la pose avant de replonger brutalement sur sa proie, mais la violence de son mouvement fait bascule le fauteuil vers l'arrière. Le choc avec le sol a comme immédiate conséquence de casser l'accroche qui retenait immobile le bras droit de l'adolescente. Néanmoins, elle reste encore trop entravée pour pouvoir fuir.
Tout en ricanant affreusement en raison de l'absence de son nez et ayant elle aussi rejoint le sol, la blonde force de ses deux mains sa prisonnière à la fixer droit dans les yeux. Alors que suite à la chute, Julia est encore dans un état second, que son regard vacillant cherche à se raccrocher à une réalité devenue beaucoup trop étrange, le rictus d'extase qui pouvait se lire sur le visage de la responsable se transforme soudain en une expression de dégoût mêlée d'effroi.
— Non... Non ! C'est impo... C'est impopo... C'est impossible, crache-t-elle dans un bégaiement qui trahit sa consternation.
Blême face à la découverte qu'elle vient de faire dans les prunelles de Julia, submergée par la panique, de ses doigts, la responsable écarte les paupières de l'adolescente pour mieux y voir ce qui la terrifie à tel point que sa respiration est devenue erratique - le blanc des globes oculaires de Julia est maintenant souillé de plaques rouges qui, à mesure qu'on les fixe, se rependent de plus en plus et la couleur émeraude de ses iris s'est assombri ce qui les fait presque se confondre avec le noir de ses pupilles.
— Tu... Tu... Tu es..., parvient tout juste à balbutier la responsable avant de légèrement relever son buste pour marquer encore davantage sa prise de conscience. Tu es conta... Tu es contamimi... Tu es contaminée.
Roulant brusquement de côté telle une furie, la blonde se remet debout, bien droite sur ses pieds. Véritablement en panique et hors de contrôle, elle ne cesse de tourner sur elle-même, faisant de multiples volte-face comme si elle cherchait une issue sans parvenir à en trouver une.
Celle qui auparavant montrait tant d'assurance, de flegme et de supériorité exulte à présent tout en essayant d'enlever le sang de Julia qui file de sa bouche et goutte sur le sol. En se nourrissant de l'adolescente, qui, à son tour, a été contaminée par le « super-gène » et a développé les mêmes symptômes ayant transformé l'espèce humaine, la responsable vient de se condamner à une mort certaine.
— Comment ? Mais comment ? Comment peux-tu..., articule-t-elle avec difficulté avant de se mettre à suffoquer et de suer à grosses gouttes.
Saisie à la gorge par une étreinte invisible, de ses mains, la blonde entoure maintenant son cou pour tenter de conjurer le sort qui s'est abattu sur elle. En quelques secondes à peine, son teint d'un blanc de porcelaine passe au rose ce qui, étrangement, la fait pour la première fois paraître humaine. Puis, alors qu'elle étouffe de plus en plus, elle est prise d'un violent vertige et manque de s'effondrer.
— La production, parvient-elle à dire d'une voix à peine audible. Il faut... Il faut stopper la production.
Au prix d'un effort qui lui arrache une grimace de douleur, la responsable dégaine alors de son holster son pistolet. Ce faisant, elle braque son regard sur Julia et, la visant, tire à plusieurs reprises, mais, ratant leur cible, les projectiles meurtriers ricochent sur la surface métallique du fauteuil dans un déluge d'étincelles.
Sa respiration rendue laborieuse à cause de l'empoisonnement qu'elle subit, le visage de la responsable a maintenant pris une teinte violette qui vire de plus en plus vers le bleu. Au moment où elle pose un genou à terre, des veines noires font leur apparition à la base de son cou et, se répandant sous sa peau tel un fléau, elles grandissent jusqu'à son front pour venir y cerner son regard et boucher ses tempes.
Se tournant vers la double porte toujours fermée à clé, laissant échapper de sa main son pistolet, la blonde s'effondre sur le sol. Se mettant à ramper dans un effort terrible, elle entreprend de rejoindre sa veste où se trouve l'unique accessoire permettant de déverrouiller l'entrée de la pièce : le fin stylet utilisé pendant sa présentation holographique.
Julia, quant à elle, a retrouvé tous ses esprits. Toujours partiellement prise au piège du fauteuil, elle cherche à y défaire les entraves restantes. Saisissant de sa main libre un système d'ouverture, en tirant dessus elle libère son autre bras. Dans une gymnastique rendue douloureuse à cause de sa blessure à l'épaule, l'adolescente tente alors de désengager le bas de son corps.
Tout près, sur le parterre de marbre, suffocante tel un poisson hors de l'eau, la responsable est entre temps parvenus à s'approcher de son vêtement. Fouillant dans la poche extérieure, elle en extirpe l'ustensile de commande qui lui permettra d'ouvrir l'unique accès de la pièce.
Plus loin, au niveau de la porte, les efforts de celui qui voulait en forcer l'ouverture sont devenus vains - le vrombissement de perceuse qui raisonnait jusqu'à présent a cessé et celui qui cherche à entrer met en garde la responsable en hurlant :
— Madame, si vous m'entendez, ouvrez immédiatement cette porte ou je la fais exploser.
Au sol, Julia doit maintenant agir et vite. D'ici peu, des soldats en armes ou, pire, des drones de combat, pénétreront dans la pièce et sa mort sera alors assurée. Parvenant à atteindre les mécanismes bloquant ses jambes, c'est en tirant dessus qu'elle se désincarcère complètement du fauteuil.
Relevant immédiatement son débardeur pour mettre à nu son ventre, l'adolescente y cherche les traces d'une opération chirurgicale et, ne trouvant aucune cicatrice, soulagée, elle éclate d'un rire de joie accompagnant un sanglot de bonheur - son important saignement, elle le savait à présent, n'avait pas eu les conséquences dramatiques qu'elle s'imaginait. L'enfant que Julia porte toujours en elle n'est pas celui dont sa geôlière s'était nourrie, comme cette dernière le lui avait laissé croire.
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Merci beaucoup d'avoir lu ce soixantième chapitre. J'espère que vous l'avez aimé autant que les précédents. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et à cliquer sur la petite étoile pour voter :) La suite ce dimanche. Bises à toutes et tous.
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