37. Songe enfantin
S'enfonçant dans une profonde torpeur, Julia retrouve la chaleureuse atmosphère d'un songe enfantin devenu pour elle cruellement familier. Se rêvant à nouveau en simple figurante d'un tableau familial auquel elle ne pourrait prendre part, elle s'éveille allongée dans un confortable canapé.
Dans l'exacte même position que celle où elle s'est assoupie dans l'exiguïté du refuge niché dans un recoin du système d'aération, la rouquine se redresse pour s'asseoir. Regardant autour d'elle, après un rapide tour d'horizon, elle se rappelle le lieu de son précédent rêve : le salon d'une grande maison à l'architecture moderne où la lumière du jour pénètre par d'immenses verrières et souligne agréablement la simplicité d'un ameublement au design épuré.
Se levant pour faire quelques pas, attirant son attention et venant rompre la quiétude de ce moment, un « bip-bip », celui d'un four, fait se diriger Julia dans une progression devenue anormalement lente vers le coin cuisine qui jouxte le salon. Là, elle y retrouve les deux figures parentales qui, elles aussi, faisaient partie de son autre chimère.
Un gant de protection couvrant une main, le père, un bel homme d'une quarantaine d'années aux cheveux poivre et sel, s'approche du four encastré. L'ouvrant, il en sort un plat cristallin dans lequel se trouve une énorme dinde à la peau dorée et crépitante. Puis, saisissant un large couteau de cuisine, il commence à la découper avec dextérité.
La mère, une magnifique rousse au teint très pâle qui ne fait pas son âge, finit, quant à elle, d'équeuter des haricots verts qu'elle rince sous le robinet avant de les plonger dans une grande casserole remplie d'une eau frémissante.
Ce tableau idyllique qui ne semble plus vouloir prendre fin apparaît maintenant à Julia comme indéfectiblement lié à un événement tragique, mais dont elle ne parvient plus à se rappeler l'issue. Pourtant, ce mauvais présage se manifeste en elle sous la forme d'un frisson d'angoisse qui parcourt son échine.
Quelques secondes passent et un son, celui d'une chaise que l'on traîne sur le sol, fait se braquer Julia vers la partie salon de la maison. Son regard à présent aimanté à la table de repas ovale, elle y voit une fillette qui vient tout juste de s'installer.
Julia s'avance vers l'enfant. Ses yeux couleur émeraude, ses boucles flamboyantes et son visage à la peau d'une blancheur de lait tacheté de rousseur font parfaitement écho au physique de l'adolescente, mais avec une dizaine d'années de moins.
Revoyant soudain le dénouement terrible de cette vision du passé qui vire au cauchemar, c'est d'une main tendue vers sa benjamine que l'adolescente tente de la prévenir du danger. Mais Julia, sans pouvoir se l'expliquer, se retrouve transportée à plusieurs mètres de la scène et elle ne peut qu'observer impuissante la suite des événements.
Un flash et un fort « bang » créent d'abord un effet de surprise et, dans ce déferlement de lumières aveuglantes et de débris calcinés, la porte d'entrée de la maison vole en éclats. Pourfendant la fumée stagnante laissée par la déflagration, un peloton de soldats en armes vêtus de combinaisons sombres avance d'un pas rapide et ils souillent de leurs bottes crasseuses le parquet du vestibule.
Côté cuisine, les parents de Julia s'échangent un regard de peur intense pendant que les soldats qui progressent vers eux les encerclent. Mis en joue par de multiples canons de fusil mitrailleur qui maintenant les menacent, ils n'osent plus faire un geste, pas même respirer.
Inconsciente du danger qui l'entoure, la fillette se lève de sa chaise et se précipite vers la cuisine. Elle tente de rejoindre son père et sa mère, mais l'un des soldats l'en empêche. Faisant barrage de son imposante stature, il la saisit fermement par un bras pour, la tirant à lui, la retenir.
Apparaissant dans le cadre de ce qu'il reste de la porte d'entrée, un homme en uniforme noir cintré de haut gradé fait soudain irruption dans la maison. Une paire de lunettes sombres cache son regard et il marche à bon rythme vers la version enfant de Julia. Une fois sur elle, il la saisit par l'épaule, la tire à lui pour l'emporter, mais elle a tôt fait de se dégager de son emprise.
Venant trouver refuge dans les bras de sa mère, la fillette est immédiatement séparée d'elle par un soldat. Armé du couteau de cuisine qu'il tenait toujours en main, le père tente alors d'intervenir, mais il reçoit un puissant coup de crosse en plein visage. Poussé sans ménagement vers la partie salon, un autre coup le propulse sur la table ovale où, dans son sillage, il emporte toute la vaisselle qui s'y trouve.
Chutant lourdement dans un tintamarre de bruits de verres et d'assiettes qui se brisent, le père est plaqué au sol face contre terre par un soldat qui, manu militari, le menotte les mains dans le dos. De son arcade ouverte gicle à présente et en abondance un sang rouge vif qui, en plus de se répendre sur le parquet pour en combler le moindre interstice, recouvre son visage grimaçant d'une douleur qu'il ne peut contenir.
Dès lors, tout s'accélère et ce déchaînement de violence ne connaît plus de frein. La mère est forcée à rejoindre à terre son mari avant d'y être à son tour menottée. Sous le regard de ses parents qui la fixent terrifiés, la version enfant de Julia est kidnappée par l'homme en uniforme cintré et, alors que la fillette en pleurs passe à peine l'encadrement de la sortie, elle voit son père puis sa mère être froidement abattus d'une balle tirée en pleine tête.
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Encore merci d'avoir lu ce nouveau chapitre. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et à cliquer sur la petite étoile pour voter :) Je vais continuer de publier la suite au rythme d'un chapitre par semaine tous les dimanches vers 18 heures. Bises à toutes et à tous et surtout, prenez soin de vous et de vos proches.
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