Son boîtier de piratage terminé toujours en main pour que Julia puisse mieux le voir, Enzo lui explique son fonctionnement :

— À chaque extrémité de ces grands systèmes de ventilation, il y a un panneau de commande. Il faudra y connecter nos boîtiers. Une fois en position, on les activera simultanément et les hélices s'arrêteront. À partir de ce moment, on devrait avoir une trentaine de secondes pour traverser. En tout cas, c'est la durée que j'ai pu estimer avant que l'hélice ne se relance complètement.

— Et on ne risque rien ? demande Julia. Il n'y a pas de drones ? Pas de gardes ? Pas de surveillance dans cet endroit ?

— Tout le temps où j'y étais, je n'ai rien remarqué de tel. Il doit y avoir de la maintenance, bien sûr, mais à moins de jouer de malchance, personne ne saura qu'on est là. Je pense même être le seul d'entre nous à y avoir jamais mis les pieds.

Bâillant soudainement, Julia vient cacher d'une main sa bouche grande ouverte et, fatalement, cet événement incongru détend l'atmosphère. Il arrache au métis un franc sourire que lui rend la rouquine.

—Repose-toi, conseille Enzo à Julia. Dès que tu auras repris des forces et que j'aurai terminé l'autre boîtier de piratage, nous partirons d'ici.

Sans se faire prier davantage, épuisée, Julia s'allonge à même le sol. Enzo, lui, se remet au travail et, trop heureux d'avoir enfin de la compagnie, il ne peut s'empêcher de prolonger la conversation avec son invitée :

— J'ai une question, demande-t-il plein d'appréhension. Tu n'es pas obligée de me répondre si... Si tu ne veux pas. Avec Kylian, est-ce que... Est-ce que dans votre cellule, vous étiez... Proches ?

— En quelque sorte, oui, dit Julia après une brève hésitation. Il m'a sauvé la vie et j'ai aussi sauvé la sienne. Enfin, si... si c'était bien le Kylian que j'ai connu, avoue l'adolescente bien consciente à présent que, dans cette fabrique de clones, les apparences étaient souvent trompeuses. Mais, et si c'était le sens caché de ta question, on était pas ensemble lui et moi.

Enzo, qui vient d'être percé à jour, se fige. Son visage s'est empourpré de honte et il ose à peine respirer. Heureusement pour lui, alors qu'il aurait voulu se terrer dans un trou de souris pour y disparaître définitivement, Julia continue et il peut se détendre :

— Quand je l'ai retrouvé dans cet abattoir, ce n'était plus le même. Ses yeux étaient injectés de sang et ses iris ne faisaient qu'un avec ses pupilles. C'est à ce moment-là qu'il a tenté de me tuer, conclut Julia.

— Ouais, renchérit Enzo, nous aussi on a eu ça dans notre cellule.

— Avec Hugo ? demande Julia.

— Non, avec un autre garçon, un Indien, mais je n'ai jamais connu son nom. Ça s'est passé juste avant qu'on soit séparé des filles. Il avait ce regard diabolique dont tu as parlé et il était devenu agressif. Heureusement, avec Kylian, on est parvenu à le faire se calmer. Même si ma... Ton clone pensait le contraire, je reste persuadé que ça venait de cette bouillie blanche qu'ils nous donnaient à manger, termine Enzo qui a repris sur son plan de travail aménagé le bricolage du second boîtier de piratage.

— Voilà encore quelque chose dont j'aurai aimé qu'on ne me reparle plus jamais, lâche Julia sans pour autant débattre du fait que ces stigmates (les yeux rouges, les iris fusionnés avec les pupilles, l'agressivité et le cannibalisme dans le cas du Hugo) ne pouvaient être liés à la nourriture qui leur avait été servie.

— Désolé, lui répond à demi-mot Enzo qui décidément a pris conscience qu'il ne manquait aucune occasion de se taire.

— C'est rien, ne t'inquiète pas, lui dit Julia. Je plaisantais.

— Du coup, c'était quoi ? demande l'autre.

— Quoi donc ? concède Julia qui, plongée dans ses propres pensées, a perdu le fil de leur conversation.

— Ce qu'on nous a donné à manger.

— J'en ai aucune idée, lui avoue-t-elle.

Avant de se raviser et de dire au métis de son savoir médical inné :

— J'imagine qu'il s'agissait d'un mélange d'eau, de protéines, de lipides, de glucides, mais aussi de vitamines, de minéraux et d'oligo-éléments. Le strict minimum pour que l'on reste en vie assez longtemps.

Après un moment de silence durant lequel ni Julia ni Enzo n'osent plus parler tellement leurs échanges soulèvent toujours plus de questions alors qu'ils devraient leur apporter des réponses, le garçon ajoute :

— Si... Si ça peut encore avoir de l'importance à tes yeux, je voulais te dire que... Que je regrette vraiment d'avoir tué Kylian. Même s'il n'était pas celui que tu as connu dans ta cellule.

Julia qui, toujours allongée sur le dos, regarde vers le plafond du refuge, ne réagit pas de suite à la confession d'Enzo. Cependant, après un temps, comme si elle voulait donner plus de sens à ce qu'elle allait lui répondre, du moins pour paraître plus sincère, elle redresse le haut de son corps avant de lui dire :

— Enzo?

— Oui?

—Regarde-moi, s'il te plaît.

Abandonnant son bricolage, l'adolescent se tourne vers la rouquine et il lui rend son regard.

— Tu n'as pas à t'excuser. Tu n'es pas responsable de ce qu'il s'est passé. Ni toi ni moi nous ne sommes responsables de tout ce qu'il se passe ici. Tu m'as simplement sauvé la vie au moment où j'en avais le plus besoin et c'est tout ce qui compte. J'espère seulement que mes amis vont bien, qu'on pourra les retrouver et leur venir en aide.

Se rallongeant sans plus de protocole et tournant le dos à Enzo qui se remet au travail, Julia ferme les yeux pour trouver un repos bien mérité. En effet, depuis le tunnel bordé d'éclairages jaunes clignotants, c'était la première fois qu'elle pouvait véritablement s'assoupir sans être interrompue ni par le bruit des engrenages d'usine ni par les drones donneur d'ordres et leurs lumières aveuglantes.

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Merci beaucoup d'avoir lu ce trente-sixième chapitre. J'espère que vous l'avez aimé autant que les précédents. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et à cliquer sur la petite étoile pour voter :) Je vais continuer de publier la suite au rythme d'un chapitre par semaine tous les dimanches vers 18 heures. Bises à toutes et à tous et surtout, prenez soin de vous et de vos proches.