Repoussant les nombreuses carcasses humaines qui, suspendues devant lui, barrent sa route, et, esquivant à qui mieux mieux les gerbes de gaz incandescents manquant de le brûler vifs, Kylian rattrape Julia.

Alors que pour la fuyarde plus rien ne semble capable de lui sauver la vie, l'arme maintenue depuis tout ce temps entre ses omoplates et le bandeau couvrant ses seins finit son cycle de recharge.

Prévenue par un signal sonore qui attire immédiatement son attention, Julia dégaine le pistolet dont elle avait oublié jusqu'à l'existence.

— Arrête-toi, ou je tire ! hurle-t-elle à destination de Kylian, tout en braquant le canon sur lui.

Mais la bête humaine au regard rouge percé de noir ne l'écoute pas. Elle continue à avancer vers la rouquine, tout en montrant ses dents, du sang et de l'écume aux lèvres.

Pour faire cesser toutes spéculations, Julia fait alors feu contre une portion du conduit et, face au danger devenu bien trop réel, Kylian s'arrête net.

— Je vais te tirer dessus, le prévient Julia tout en visant son ami. Je te jure que je vais le faire si tu fais un pas de plus.

Dans l'étouffante chaleur du goulot éclairé par les mille et une nuances de jaune orangé en provenance des giclées flamboyantes qui n'ont jamais cessé de s'activer à intervalle régulier, l'ancien partenaire de cellule de Julia semble avoir retrouvé ses esprits. Ses traits de visage distordus ont à présent laissé place à un naturel qui, malgré son nez éclaté, le rend beau.

— Julia, fais rien stupide ! lui dit alors Kylian d'une voix à peine reconnaissable qu'il se force à rendre la plus douce possible.

Troublée par ce changement de comportement aussi soudain qu'inattendu, les yeux couleurs émeraude de Julia se remplissent de larmes et son cœur d'un espoir naïf. En tendant vers la rouquine une main amicale, le garçon l'invite alors à le rejoindre tout en lui disant de son phrasé limité :

— Moi aider toi. Moi aider toi. Partir.

Malgré l'émoi qui la submerge et son irrépressible envie de se jeter au cou de Kylian pour y trouver un réconfort aussi fugace soit-il, Julia ne baisse pas la garde. Ravalant un sanglot, elle assure un peu plus la prise de ses deux mains sur la crosse du pistolet au bout de ses bras tendus et répond :

—D'accord, mais avant, si tu es vraiment redevenu toi-même, dis-moi la première chose que tu m'as dite quand on s'est rencontré. Si tu te rappelles, alors je te promets que je te suivrai.

Ayant régressé à un état tel que la moindre évocation d'un souvenir même aussi récent lui est devenu impossible, Kylian fronce les sourcils de plus en plus, jusqu'à ce que cette crispation qui durcit son regard contamine à nouveau le reste des traits de tout son visage.

— C'était juste après que tu m'aies sauvé la vie dans ce tunnel bordé de lumière jaune. Tu n'arrives pas à te souvenir, n'est-ce pas ?

Dévoré par la contrariété, le garçon à l'air démoniaque montre alors ses dents et se met à grogner tel un chien de garde qui serait prêt à bondir.

— Tu m'as dit... Tu m'as dit que les autres ne seraient pas toujours là pour me venir en aide.

Ces mots à peine lâchés comme une insulte, Kylian se jette sur Julia. Le voyant faire, la rouquine fait feu, blessant le garçon à l'épaule, mais il ne ralentit pas pour autant sa course et l'attaque.

Dans l'espace exigu de construction tubulaire, l'échange de coups entre les deux anciens amis est devenu particulièrement hasardeux. Les poings serrés de la brute que Julia esquive finissent à chaque fois par percuter les parois du passage où les flammes qui s'activent engerbes manquent à de multiples reprises de les mettre en feu tous les deux.

Durant l'échauffourée, alors qu'elle tire pour blesser Kylian, mais le manque à chaque fois, une projection flamboyante rate de peu Julia et l'envoie bouler à terre. Elle lâche son unique moyen de défense qui, venant ricocher sur la surface du conduit, termine sa course sur un tapis roulant. Débutant à quelques mètres de là où se trouve l'adolescente, ce nouveau mécanisme en fonctionnement entraîne vers une autre section de l'usine des carcasses humaines fraîchement coupées en deux.

À terre, sans qu'elle puisse encore s'expliquer comment ces corps scindés de la sorte se sont retrouvés ici, fixant son regard sur son agresseur qui avance vers elle, Julia tente de s'éloigner de lui en rampant, tout en prenant soin de lui faire le plus face possible.

Arrivé à son niveau, la dominant de sa stature de colosse venu des Enfers, ce qui était autrefois ce jeune homme si serviable, avenant et prêt à tout pour sa sécurité s'apprête à frapper Julia lorsqu'une boule de gaz incandescente le touche en pleine tête.

Se contorsionnant de douleur dans un rictus accompagné de cris dont la sauvagerie résonne dans l'espace clos comme le pire des assassinats, Kylian chavire. Tout en cherchant de ses mains à éteindre les flammes qui dévorent à présent son visage, fondent sa chair et carbonisent ses cheveux crépus, il se cogne contre la cloison délimitant le passage. Rebondissant dessus, il perd l'équilibre. Tournoyant sur lui-même, une nouvelle gerbe flamboyante qui jaillit le transforme alors en véritable torche humaine.

Profitant de cette ouverture inespérée pour fuir, Julia se redresse et, faisant dos à son agresseur, s'élance pour se mettre à courir, cependant, faisant face à la lame d'un mécanisme de scie sauteuse positionné à la verticale, elle manque de se faire tuer. In extremis, elle évite la découpe mortelle et atterrit sur le tapis roulant où quelques instants auparavant son arme avait été emportée.

Levant le regard sur le dispositif tranchant, Julia comprend immédiatement qu'elle vient d'échapper à un châtiment terrible. Sous ses yeux, dans un son prolongé et stridant, une carcasse d'adolescente accrochée dans les airs est fendue tout net en suivant le tracé formé par sa colonne vertébrale. Les deux moitiés parfaitement jumelles de corps ainsi obtenues sont alors relâchées là où la rouquine se trouve.

Emportée sur le tapis roulant qui continue sa course bien au-delà du dangereux canal, c'est après le passage d'une série de rideaux à lanières de plastique que Julia se retrouve sur la portion finale de cet abattoir pour êtres humains : celle du conditionnement. Éblouie par la clarté aseptisée de laboratoire pharmaceutique et la couleur blanche qui ici recouvre tout, la rouquine a à peine le temps de distinguer ce qu'il se passe plus en avant sur la chaîne d'usine que Kylian fait son apparition à quelques mètres derrière elle.

Sur la quasi-intégralité de la surface de son corps, d'innombrables cloques et plissures en tout genre se sont formées lui donnant l'aspect du chewing-gum. Sa peau habituellement d'un marron très foncé est maintenant marbré de plaques de chair à vif d'un rouge orangé qui, en suintant, le font luire de façon étrange.

Mais, c'est la vision du visage de Kylian, du moins ce qu'il en reste, qui arrache à Julia un véritable haut-le-cœur. Ses cheveux, son nez et ses oreilles ont complètement fondu. Et en voulant éteindre de ses mains les flammes qui avaient embrasé son faciès maléfique, les deux surfaces d'épiderme ayant fusionné, en tirant dessus, le garçon a littéralement arraché des bouts entiers de chair laissant par endroit apparaître le squelette de son crâne.

Malgré les atroces sévices qui l'ont à présent rendu méconnaissable et qui l'handicapent sévèrement, Kylian parvient, en rampant, à se rapprocher de Julia. Alors que pour fuir l'adolescente détourne son attention de l'abomination, elle voit l'arme qu'elle avait laissée échapper. Cette dernière se trouve à quelques enjambées de sa position et elle n'aura aucun mal à l'atteindre avant que Kylian ne soit sur elle.

Mais quelque chose alerte soudain la rouquine. À une dizaine de mètres devant elle, installés tout du long du tapis roulant entraînant les carcasses coupées en deux, une série de bras-robots équipés de lames de couteau débitent à un rythme infernal et dans une gestuelle millimétrée la viande lorsqu'elle arrive à leur niveau.

Ainsi mise en pièces en autant de morceaux de choix, les parcelles de corps humain sont ensuite envoyées sur une seconde unité qui les emballe sous vide dans des barquettes de plastique. Les colis finalisés sont alors étiquetés pour la vente avant d'être imbriqués par catégorie sur d'immenses palettes ou ils forment de hauts ensembles destinés au transport.

Julia, qui ne parvient plus à décrocher de cette atrocité, sent soudain au niveau d'un pied comme une contrainte. Tournant son buste pour regarder derrière elle, son visage devient blême lorsqu'elle voit que Kylian lui a attrapé la cheville et qu'il la tire pour la ramener vers lui.

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IMPORTANT : À partir ce lundi 23 mars vers 18 heures, via mon compte Instagram que je viens de spécialement créer (loraallansdottir), vous pourrez découvrir ou redécouvrir ma première histoire « La Saison du Suicide » dans un format pensé pour la lecture sur cette application. N'hésitez pas à déjà aller vous abonner, ça me fera plaisir :) Durant la semaine, je vais partager un chapitre par jour et ça tombe bien, cette histoire commence un lundi et se termine un samedi !

Quoiqu'il en soit, merci beaucoup d'avoir lu ce trentième chapitre de « Dévorée ». J'espère que vous l'avez aimé autant que les précédents. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et à cliquer sur la petite étoile pour voter :) Je vais continuer de publier la suite au rythme d'un chapitre par semaine tous les dimanches, mais à une nouvelle horaire qui sera vers 18 heures. Bises à toutes et tous et surtout, en cette période de confinement, prenez soin de vous et de vos proches.