Dans l'espace grand ouvert de la boîte qui les aura retenus captifs pendant un temps qui leur a paru infini, chaque prisonnier dévisage à présent son voisin pour y lire l'expression d'une profonde incompréhension.

Kylian et Julia qui se trouvent l'un à côté de l'autre se regardent intensément, lorsqu'à l'embrasure du passage nouvellement formé, une à une, de multiples lumières qui cachent la carcasse de drones font leur apparition. Plus petites, elles encadrent l'énorme phare qui trône en leur centre.

— GARÇON, VOUS, AVANCER. SINON, MOURIR ! finit par répéter la voix robot dans un crépitement effrayant.

Sans plus tarder, les lampions se mettent à virevolter dans tout l'espace et forcent les mâles à abandonner leurs homologues femelles. Kylian, qui s'éloigne à contrecœur de Julia, s'approche de Léa. Cette dernière se trouve au chevet d'Hugo qui, toujours en piteux état, n'a pas eu pleinement conscience de tout ce qu'il vient de se passer récemment.

Après avoir échangé un regard de consentement avec l'Asiatique, Kylian aide le blond à se relever pour qu'ensemble, ils rejoignent la « sortie ». Rendue atone par le chagrin, Julia, qui assiste à la scène ne parvient pas à dire au revoir au garçon à la peau sombre. Elle ne remarque même pas qu'Enzo, qui la dévisage et cherche son attention, s'éloigne d'elle à son tour. Ce faisant, comme tous les autres prisonniers, le métis aux yeux bleus finit par disparaître dans la blancheur éblouissante du puissant faisceau donneur d'ordres.

Lorsque l'ouverture formée dans la cloison se referme aussi sèchement qu'elle était apparue, il ne reste au sein de la boîte métallique qu'un groupe d'une trentaine de prisonnières hébétées. 

Après quelques secondes d'un silence qui ne semble plus vouloir prendre fin, dans un son de glissière, une nouvelle paroi s'écarte à l'opposé de la première. Par la large ouverture, un puissant phare s'allume et agresse de son rayon flamboyant le groupe de captives.

Irradiées par cette tiède clarté qui pourtant leur glace les sangs, toutes les adolescentes se tournent alors vers le phénomène.

— FILLES. VOUS, AVANCER. MAINTENANT. SINON, VOUS, MOURIR, hurle la même voix robot.

Suivant l'exemple des garçons, les filles se mettent à marcher en direction de l'œil qui les aveugle. À peine le seuil de la cellule a-t-il été franchi par les captives, que la lumière s'éteint, plongeant l'endroit dans le noir le plus total.

Progressant à tâtons dans un espace sans horizons où aucune paroi n'est là pour retenir leurs pas, le groupe de filles n'en mène pas large. Amalgamées et guidées par une peur aussi viscérale qu'instinctive, elles avancent d'un même chef. 

Au côté de Julia, faisant table rase de leur dispute passée, Léa s'est rapprochée pour venir saisir son bras et ainsi se donner un peu de courage. Malgré la pénombre qui ne laisse voir que la brillance de leurs yeux, les deux amies échangent un regard empli d'une peur qui peut aussi se lire sur les visages de leurs congénères.

— Femmes. Vous, arrêter. Stop, crache soudain une voix robot, certes plus apaisée que la précédente, mais dont la vindicte procure toujours autant d'angoisse.

À l'annonce de l'ordre, le cortège de filles cesse net son avancée. Après quoi, trois lumières apparaissent et lentement, se mettent en mouvement. Elles viennent scanner les captives, une à une, et, au travers de leur rayon, dévoilent les os et les organes de ces dernières.

Par ce procédé qui attire leur attention, Julia, Léa, mais aussi les autres filles, voient apparaître au niveau de leur bas-ventre l'embryon en formation dans leur utérus. À ce stade de la grossesse, ils ne mesurent qu'à peine dix centimètres et sont recroquevillés sur eux-mêmes telles des graines de haricot.

En dehors des deux amies qui sont déjà dans la confidence, les autres se sont raidies sur place, paralysées de la tête aux pieds par l'invraisemblable nouvelle qui les assaille et leur noue le ventre.

Sans même que toutes n'aient eu le temps de réagir d'une quelconque manière à la révélation de leur grossesse, le scanner se termine et les lumières disparaissent, laissant à nouveau dans l'obscurité le groupe de filles.

Pour ne pas plier devant l'adversité, Léa se rapproche encore davantage de Julia et elle saisit sa main pour la serrer autant que possible. Soudain, sur le sol, désignant des emplacements spécifiques, de forts éclairages en forme de soucoupe s'allument. L'apparition presque divine est immédiatement suivie d'une énième injonction criée par la même voix robot :

— Femmes, vous, sur lumière. Maintenant.

Devenues parfaitement dociles par la crainte d'une mort certaine, dans une chorégraphie qui les rassemble et rappelle celle d'un ballet, toutes les prisonnières se mettent en mouvement.

Sous le regard dubitatif de Julia qui se trouve déjà sur l'un des emplacements et après lui avoir lâché la main, Léa s'éloigne. Les larmes aux yeux et la crainte ayant froissé son visage, l'Asiatique se déplace pour venir se positionner sur l'un des repères.

En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, toutes les captives se retrouvent alignées dans une formation les tenant exactement équidistante les unes des autres. Sans qu'elles puissent l'anticiper, se déployant par le haut, hors de leur champ de vision, un mécanisme prévu pour enserrer leur nuque et museler chacune d'entre elles se met en position. Dans un claquement sec qui les surprend toutes, il se verrouille sur leur chair.

Tentant immédiatement de se dégager de l'étreinte métallique qui l'étrangle, Julia appose ses mains sur l'harnachement. Alors qu'elle redouble d'efforts et sent que ses muscles contractés à l'extrême deviennent douloureux, un second, puis un troisième appareillage comparable au premier se ferment autour de ses avant-bras et de ses jambes.

À présent parfaitement immobilisée par ce carcan qui l'empêche de se débattre davantage, la rouquine se sent basculer vers l'arrière. Son corps finit alors en position quasi horizontale et ses pieds ne touchent plus terre. L'ensemble d'exosquelettes qui retient Julia est maintenant comparable à ce que serait l'assise d'un siège gynécologique, mais qui entraverait complètement la patiente.

Prise au piège, la rouquine lutte de toutes ses forces pour se sortir de là quand elle voit apparaître dans le plafond le début d'un autre mécanisme articulé. Se déployant tel un tentacule, il arbore à son extrémité un piston pour les injections intradermiques.

Sous le regard impuissant de Julia qui le fixe jusqu'à le perdre de vue, l'embout se positionne sur le muscle de l'épaule de sa victime. Dans un claquement sourd, l'inoculation d'un sédatif est alors faite à la rouquine de même qu'a chacune des autres captives qui, tout comme Julia, sont retenues dans des carcans de métal tous identiques entre eux.

Leur tâche ainsi accomplie, dans une chorégraphie parfaitement synchrone, les bras robotisés se rétractent avant de disparaître dans le plafond d'une noirceur d'encre. Sous l'effet du produit qui circule à présent dans ses veines, Julia, mais aussi ses sœurs, sombre en une poignée de secondes dans le plus profond des sommeils. Un black-out médicamenteux qui se révèle propice à la plus singulière des hallucinations.

-

Bonne rentrée à toutes et tous et merci beaucoup d'avoir lu ce vingtième et unième chapitre jusqu'au bout. J'espère que vous l'avez aimé autant que les précédents. Comme d'habitude, n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé et à cliquer sur l'étoile pour voter :)

Ce début d'année est pour moi le moment de faire un petit bilan concernant ma nouvelle histoire et je dois vous avouer qu'après « La Saison du Suicide » qui est très différente, je ne m'attendais pas à ce que « Dévorée » soit autant suivit. Je vous en remercie et je vais continuer de publier la suite au rythme d'un chapitre par semaine tous les dimanches matin vers 10 heures. Bises à toutes et à tous et, surtout, je vous souhaite de passer une excellente et agréable nouvelle année 2020.