Chp 17 - Fassa : le vrai contrat
Lev m'avait proposé de passer le week-end en Islande pour le nouvel an. Il disait ne pas avoir d'autre engagement, et c'était la même chose pour moi. Je ne le lui dis pas, mais j'attendais beaucoup de ce voyage. J'avais l'intuition qu'il allait marquer une étape dans notre relation, un jalon.
Il ne faisait pas trop froid, et je dois reconnaître avoir été enchantée par le paysage. Ce qui me passionnait le plus, ce fut bien évidemment les légendes locales sur les trolls qui figuraient dans le guide comme sur les panneaux. Pour les Islandais, chaque curiosité naturelle était due à un troll, ou était, carrément, un troll. À midi, nous entrâmes dans un charmant gîte alpin pour manger trois frites et boire du chocolat.
— C'est trop beau ici, murmurai-je avec enthousiasme en regardant autour de moi. T'imagines un hôtel comme ça ?
Lev eut un sourire mystérieux, puis il se tourna vers le patron.
— Vous faites les nuits en ce moment ?
— Non, ce n'est pas la saison, répondit-il en essuyant un verre. On ferme vers six heures, puis on redescend avec le dernier téléphérique. La nuit, il n'y a personne ici. D'ailleurs, je ne peux que vous conseiller d'être revenus de votre balade assez tôt, car le temps se gâte. Il y a de la brume...
Je regardai par la fenêtre. En effet, il y avait un petit fond brumeux, sur une montagne avoisinante, qui risquait peut-être de tomber sur nous. Le patron et ses aides regardaient par les fenêtres en cul de bouteille d'un air préoccupé, essuyant des bocks de bière.
— Le patron vient de dire que le temps se gâte. Je crains qu'on ne soit obligé de renoncer au volcan aujourd'hui, Leefi.
— Non, pas la peine de redescendre tout de suite, répondit Lev en jetant un coup d'œil sur son iPhone. Je viens de checker la météo, ça va commencer à craindre dans deux bonnes heures. D'ici là, on a le temps de se balader un peu.
Je n'étais pas trop rassurée.
— Mais s'ils ferment le téléphérique, Lev ?
— Ils ne le fermeront pas, Fassa, me rassura-t-il.
Lev se leva pour payer au bar. Je le vis discuter pendant que je remettais mon manteau, et appliquai une bonne couche de labelo sur ses lèvres et de crème norvégienne sur mes mains.
— Alors ? Qu'est-ce qu'il a dit ? Est-ce qu'on doit redescendre ?
Lev secoua la tête en boutonnant sa parka.
— Il a dit qu'on avait le temps d'aller voir le volcan, si on faisait vite. On aura largement le temps d'attraper le dernier téléphérique.
— Tant mieux. Mais on dirait que tout le monde s'en va...
— Laisse-les donc. Ce sont des touristes d'Europe du Sud. À nous, ce n'est pas un petit peu de pluie qui nous fera peur !
Trente minutes plus tard, la brume était complète. Tout le monde, sauf nous, avait vidé les lieux. Nous avions raison, car lorsque nous arrivâmes devant le cratère, il faisait un temps radieux.
— La météo dit vraiment n'importe quoi, dis-je à Lev. Il fait un temps merveilleux ! Heureusement qu'on n'est pas redescendus.
J'étais fascinée : c'était le premier cratère que je voyais en vrai.
— Ne t'approche pas trop quand même, me conseilla Lev en me voyant gambader autour. Les émanations de souffre peuvent t'asphyxier.
Nous nous sommes promenés sur les bords (plusieurs kilomètres) tout le reste de la journée. Je ne s'inquiétais plus du téléphérique : je pensais qu'à cause du revirement du temps, ils l'avaient gardé ouvert. Lorsque le jour commença à décliner, nous fîmes tout de même demi-tour. La lune, jaune et ronde, brillait dans le ciel crépusculaire comme une pièce d'or sur un drap bleu. Il n'y avait pas la moindre trace de nuages.
— C'est vraiment dommage que le gîte soit fermé la nuit, observai-je. Ça doit être magique de passer la nuit ici, surtout par ce temps.
— En effet, murmura Lev.
Trente minutes plus tard, nous arrivâmes devant. En s'apercevant que la zone était déserte, je me figeai. Il faisait nettement plus froid.
— Lev... Où sont-ils tous ?
Lev, lui n'avait pas l'air inquiet.
— Ils sont rentrés, chérie. Tu sais, la brume. Tout le monde croyait que le temps se gâtait.
Nous continuâmes sur le chemin. Je marchais de plus en plus vite. Je craignais le pire.
— Lev ! Le téléphérique est fermé !
Lev jeta un œil désintéressé.
— Ah, oui.
— Mais qu'est-ce qu'on va faire ?
Il haussa les épaules, les mains dans les poches de son pantalon.
— Eh bien, je suppose qu'on ne peut pas rentrer à pied, observa Lev d'un ton nonchalant. Ce serait trop fatiguant, et trop dangereux. Je pense que la seule solution, c'est de passer la nuit là. Dans le gîte.
— Hein ? Tu crois qu'on peut rentrer ?
— Étant donné que le patron est toujours le dernier à redescendre, il ne doit pas vraiment fermer. Je parie que la porte est ouverte. Et puis, c'est la règle en montagne. Au cas où des gens seraient en difficulté, comme nous.
Je courus vers le gîte, pleine d'espoir.
— Il est ouvert ! exultai-je, la main sur la poignée de la porte. On est sauvés ! Et il y a tout dedans, même du bois !
Lev m'octroya un sourire conquérant.
— Nous n'étions pas en danger, Fassa. Dans le pire des cas, j'aurais appelé un hélico. Mais puisqu'on bénéficie d'une si charmante auberge... je vais faire du feu. Repose-toi, dit-il en étalant sa parka sur la banquette en bois.
Je m'assis sur la banquette, l'observant s'accroupir devant la cheminée. Bientôt, un feu chaleureux se déploya dans l'âtre de pierre, réchauffant immédiatement l'atmosphère. Lev avait fait ça aussi facilement qu'on allume la lumière. Je ne l'avais même pas vu se servir du briquet, ni pester parce que la flamme ne partait pas. Tout était facile avec lui, détendu. Aucun problème n'était insoluble. C'était sûrement dû au calme tranquille et assuré qu'il conservait dans toutes les situations.
Lorsqu'il vint me rejoindre sur la banquette, je me collai contre lui. Sa longue chevelure grise pendait comme une parure sur son pull norvégien : je ne pus résister à l'impulsion d'y mettre la main. Ils étaient doux et souples, et dégageaient un agréable parfum de shampooing.
Les yeux couleur de jade de Lev glissèrent sous ses paupières. Il me regarda, félin.
À quoi pense-t-il...
Je gloussai, troublée par ce regard. Et soudain, Lev me prit dans ses bras.
Je m'enfouis contre son épaule, rassurée par la dureté de son torse et le moelleux de la laine. Je m'enivrai de son odeur, ce mélange de menthe poivrée qui m'évoquait la taïga sibérienne. Il y avait également quelque chose de froid derrière, et de sombre. La vodka glacée, l'acier, la fumée et le cuir : voilà comment j'aurais décrit son odeur, si j'étais une poète comme mon colocataire.
Nous passâmes la soirée dans le chalet, juste tous les deux. Nous mangeâmes avec ce qu'il y avait déjà sur place, en utilisant la cuisine. Lev laissa un (gros) billet sous la caisse.
Après le repas, il me proposa de sortir admirer la lune. Nous nous sommes assis sur un rocher, une vue magnifique s'étalant à la fois sous, et au-dessus de nous. Il n'y avait personne à des lieux à la ronde. Nous étions seuls au monde.
Je laissais tomber ma tête sur l'épaule de Lev.
— On devrait attendre que le soleil se lève, proposa-t-il. C'est une belle manière de fêter le nouvel an. C'est comme ça qu'on fait, traditionnellement, au Japon. On appelle hi-machi : l'attente du jour.
Lev était tellement original, tellement cultivé et inattendu... cette expérience étrange qu'il avait du Japon renforçait son côté spirituel et mystérieux.
— Je suis tellement heureuse de t'avoir rencontré, Lev... murmurai-je. Je n'aurais jamais imaginé avoir une aventure avec un homme comme toi.
En fait, quand j'y pensais, je me disais que c'était trop beau pour être vrai. Que j'allais me réveiller, que le rêve allait prendre fin aussi brutalement qu'il avait commencé.
— Ce qui se passe entre nous, me répondit-il d'une voix profonde, ce n'est pas une aventure... Pas pour moi, en tout cas.
Ce qu'il me dit me fit plaisir, mais en même temps, cela me serra le cœur. Il avait raison. Dans une aventure, il y avait des contacts physiques. Nous, notre relation ressemblait à celle entre deux amis... un couple platonique avec l'homme qui offre des fleurs et invite la fille au resto, pendant qu'elle joue les coquettes. Le tout sans sexe.
Je passai ma main dans la nuque de Lev, puis caressai ses longs cheveux platine. Lev se déroba en les rejetant de l'autre côté. J'avais déjà remarqué qu'il n'aimait pas qu'on lui touche les cheveux. Et pourtant... cette chevelure... Elle me faisait rêver. Lorsque que je la voyais s'écouler sur le dos musclé de Lev, lorsqu'il sortait de la douche, je regrettais d'être une vierge effrayée par le sexe.
— Ce n'est pas ce que je voulais dire, tu le sais... Non, ce que je voulais exprimer, c'est le fait que je ne pensais pas vivre une histoire aussi belle... Je veux dire, lorsque tu es une gamine de quinze ans, un peu grosse et gothique, tu rêves à plein de trucs, mais tu sais au fond de toi que jamais ils ne réaliseront. Eh bien, pour moi, le rêve s'est réalisé... grâce à toi, Lev.
Il me serra contre lui.
— Tu étais en surpoids et gothique à quinze ans ? fit-il d'une voix amusée. J'ai du mal à le croire !
— À quinze ans, j'étais vraiment un vilain petit canard, lui avouai-je. Je n'avais pas confiance en moi, je me cachais sous des oripeaux pas possibles, j'étais pas du tout féminine... Mais au fond, j'étais très fleur bleue. Je rêvais au prince charmant. Seulement, je voyais autour de moi les filles de mon âge ou plus, jolies et naturelles, sortir avec des garçons alors que moi, je restais seule dans mon coin. Je pensais que j'étais laide, nulle, inintéressante... Je me suis retranchée dans mon monde de contes de fées, et dans le metal. J'avais un seul talent : ma voix, et la technique que j'avais accumulée dans la douleur grâce au conservatoire. Dans le milieu un peu marginal des métalleux, des goths et des rôlistes, j'étais louée pour cela, mon imagination, ma personnalité profonde. Ils se fichaient de mon apparence, ils me trouvaient un talent que me déniait ma propre famille. Je me suis lancée corps et âme dans la musique... Et contre toute attente, le groupe a marché. Je me suis mis à vivre de ça... Mais toujours, ma famille, à l'exception de mes parents, me considérait de haut. Je n'avais pas la vie rangée, avec petit fiancé, appartement et boulot de secrétaire en tailleur, que les gens normaux valorisent. Pas de mariage prévu, de bébé en route, rien... Je n'avais même pas de petit copain sérieux. Et puis je t'ai rencontré. Je n'aurais jamais imaginé qu'un type tel que toi puisse exister ailleurs que dans mes rêves, et je n'aurais jamais cru que, s'il existait réellement, il puisse s'intéresser à une fille aussi insignifiante que moi... Et pourtant, ça a été le cas. Maintenant, tout le monde m'envie : je passe pour la fille qui a réussi sa vie au-delà des espérances, et qui a trouvé le prince charmant. Je te remercie, Lev. Vraiment.
Je lui en avais trop dit. Me sentant un peu honteuse, je nichai ma tête dans son cou.
Mais Lev avait écouté attentivement mes confidences.
— C'est moi qui te remercie, Lyubimaya, me souffla-t-il. Avant de te rencontrer, j'étais seul. Je ne pense pas être véritablement un prince charmant, mais je fais tout pour l'être à tes yeux, car tu es vraiment une fille hors du commun. C'est le fait que tu sois différente qui te rend précieuse...Tous tes amis le savent, et tes parents également. Quant à ceux qui te critiquent, ils sont juste bêtes et ignorants. À mes yeux, tu es parfaite.
Je n'en croyais pas mes oreilles. Lev était-il en train de me faire une déclaration d'amour ?
— Tu vois, c'est pour ça que tu es extraordinaire, Lev ! Tu comprends tout ce que je veux te dire, ce que je ressens, mes rêves, mes espoirs, tout... Et pourtant, tu as une vie tellement différente de la mienne ! Avec toi, j'ai l'impression d'être une reine, la personne la plus importante du monde.
Il me serra plus étroitement contre lui.
— Tu l'es à mes yeux, en tout cas.
Un ange passa.
— Tu as été sincère avec moi, Fassa, finit-il par me dire. Moi aussi, j'ai quelque chose à te confier.
Mon cœur se mit à battre plus fort. J'avais toujours soupçonné Lev de me cacher quelque chose.
Peut-être qu'il va me parler du tableau... ou me proposer quelque chose.
— Contrairement à ce que les gens s'imaginent, commença-t-il sans me regarder, je n'ai pas une vie amoureuse très folichonne. En fait, ça fait un bout de temps que je suis célibataire... J'ai des aventures, de temps en temps. Enfin, pour être plus correct, j'en avais.
— À quand remonte la dernière ? lui demandai-je, la gorge un peu sèche.
— Il y a cinq ans à peu près.
J'eus du mal à cacher ma surprise. Cinq ans ? Est-ce qu'un homme pouvait se retenir si longtemps ?
— Je te rassure, me coupa-t-il, ça ne m'empêche pas d'avoir une vie sexuelle... solitaire, quand le besoin s'en fait sentir. Et pour être tout à fait franc avec toi, ça n'arrive pas très souvent. Je n'aime pas trop qu'on me touche. Je n'ai pas le temps de rencontrer des gens, et socialiser dans le cadre du travail me demande déjà beaucoup d'énergie. En fait, avant de te rencontrer, je n'avais jamais éprouvé l'envie de fréquenter quelqu'un en dehors du cercle professionnel. Vouloir faire des restos, aller au ciné, en vacances avec quelqu'un, ça ne m'était pas arrivé depuis l'adolescence.
Une question me brûlait les lèvres. Mais je n'osais pas lui poser, et il embraya tout de suite.
— Le problème, c'est que je suis un personnage public. Et dans le milieu des grands patrons, les gens commencent à jaser. On m'invite à des soirées de célibataires, on tente de me coller la sœur de l'un, la collègue de l'autre dans les pattes... c'est fatiguant. Et il y a les rumeurs.
— Les rumeurs ? Quelles rumeurs ? demandai-je très vite.
— Sur ma sexualité.
— Ta sexualité ? répétai-je, de plus en plus tendue.
Lev braqua son regard polaire sur moi.
— Mon homosexualité, asséna-t-il sans me lâcher des yeux.
J'eus l'impression qu'on venait de me glisser un glaçon dans le col.
Non. Non.
Je déglutis. Il fallait que je le lui demande. Il le fallait.
Courage, Fassa.
— Sont-elles vraies ?
— Non.
Lev n'avait pas baissé les yeux. En fait, son visage n'avait pas bougé d'un iota. Une vraie face de poker.
Ce qu'il peut être froid, parfois...
Et si chaleureux le reste du temps.
Je pris un moment pour réfléchir. Lev était peut-être asexuel. J'avais entendu parler de gens comme lui. Et il avait le profil. Très cérébral, très rationnel, tout le temps dans les chiffres...
Tout cela ne veut pas dire qu'il ne m'aimera jamais, pensai-je.
J'avais très mal au ventre.
— Mais je t'apprécie beaucoup, lâcha-t-il. Je te le dis, je n'avais pas ressenti ça depuis... une éternité, vraiment.
— Ressenti quoi ? tentai-je avec une lueur d'espoir dans mes yeux embués.
— L'envie de voir cette personne. De faire des choses avec elle. D'être avec elle, tout simplement. Avec toi, Fassa.
Mais tu ne me désires pas.
— C'est pour toutes ces raisons que je voudrais te faire une proposition, ajouta-t-il.
Je me tournai vers lui. Qu'allait-il me dire ?
Il sortit un petit sac de chez Tiffany's.
— Marions-nous. Tu pourras rester abstinente tant que tu veux, tout en bénéficiant de la protection financière et du soutien d'un homme indépendant et facile à vivre, et moi, j'aurais enfin une fille à amener avec moi aux fêtes de mes collègues, et avec qui regarder mes séries sur le canapé lors des longues soirées d'hiver. Il n'y a pas que ça : je suis très attaché à toi, et je trouve qu'on fait un beau couple. Ces Américaines l'ont dit tout à l'heure, à l'hôtel... Qu'en dis-tu ?
Un beau couple. Fassa et Lev, comme Adam et Eve. Ces touristes américaines avaient voulu nous prendre en photo, disant qu'on ressemblait à un duo d'elfes de cinéma. Deux grands scandinaves blonds comme les blés, aux yeux bleus et aux cheveux longs. Presque des jumeaux.
Bien sûr, j'étais déçue. Ce n'était pas ce que je m'imaginais du mariage. Lev me proposait un arrangement, un accord tacite, quasiment commercial... rien à voir avec le grand amour, la passion romantique qui balaie tout sur son passage telle que j'en rêvais secrètement. Mais d'un autre côté, il me proposait tout de même de l'épouser, de vivre avec lui. Lui, Lev Haakonen, l'homme le plus riche de Finlande, beau comme un archange... et l'image exacte que je me faisais du prince charmant.
— Ce n'est pas un mauvais deal, argumenta-t-il. Je suis immensément riche, et toi et moi, on s'entend très bien. On a les mêmes aspirations, la même façon de vivre, finalement. On aime le calme, la simplicité, on fuit tous les deux les conflits, les disputes et les embrouilles. Je pense qu'on cohabiterait facilement.
Il parlait d'un ton à la fois froid et suave, sûr de lui et de la situation, comme lorsqu'il avait calculé les tenants et les aboutissants du contrat que je lui proposais, ce jour-là au restaurant russe. Lev maîtrisait ce genre de conversation. Il était en terrain connu. Celui de la négociation, de la transaction. De la planification, du gros œuvre.
Mais il me fallait plus que des promesses de confort matériel et de tranquillité pour passer devant l'hôtel. Plus que la promesse d'avoir tous les jours sous les yeux un homme qui n'aimait pas qu'on le touche.
— Pourquoi moi ?
— Je trouve qu'il y a une alchimie entre nous, répondit-il avec une franchise désarmante. Un truc.
Je devais admettre que c'était vrai. Je l'avais ressenti depuis le début, en dépit de nos différences. Bien sûr, Lev était le portrait craché du prince de mes rêves... mais ça, c'était encore autre chose.
Cette alchimie dont il parlait n'était pas sexuelle. Ni même romantique.
Il n'y a pas que le sexe, dans la vie. Il y a plusieurs façons de faire couple, tout n'a pas à être comme dans un film hollywoodien, avec déclaration d'amour, gros patin, cris de jouissance et sexe pénétratif. Les choses peuvent se faire plus progressivement, de façon moins explosive. Et au moins, Lev est franc. Il te dit les choses telles qu'elles sont. Il n'essaie pas de te mentir.
— Alors ? Tu acceptes ?
Je relevai les yeux vers lui. Sûrement ceux d'une vaincue, car Lev me sourit, et lentement, il ouvrit la boîte Tiffany's. C'était un solitaire magnifique, un diamant gros un petit caillou, monté sur un anneau platine. De l'or blanc.
— Oh Lev, c'est...
Il planta son regard absinthe dans le mien.
— Fassa, veux-tu m'épouser ?
Là, on était revenu dans le domaine du rêve. Lev avait fait les choses dans les règles : décor romantique, feu de cheminée et bijou. Il me jetait quelques paillettes, et il faut avouer qu'elles étaient belles. Avec quel autre homme pourrais-je vivre ça ? Et il était si beau, si magnétique... c'était tout simplement impossible de lui résister. Le choix qu'il me donnait, c'était celui de toucher du doigt l'absolu sans jamais pouvoir y goûter vraiment, ou de retourner à une vie d'attente d'un grand amour hypothétique après avoir assisté à la descente d'un ange tout droit dépêché du paradis. La réponse était donnée d'avance, et il le savait.
Je bégayai un oui larmoyant. Des larmes de défaite et de joie, parce que je vivais un véritable conte de fées, du moins, tel qu'on le conçoit de l'extérieur. Personne ne serait au courant de ce marché entre nous : celui entre une fille complexée qui n'avait jamais osé s'ouvrir à un homme, et un homme qui n'avait pas envie de coucher avec elle, et n'éprouvait pour elle qu'une amitié très complice, et, peut-être, une forme de respect.
Lev passa la bague à mon auriculaire.
— Que notre alliance soit à l'image de ce diamant : pur comme le cristal, et solide comme l'éternité, dit-il gravement.
Pur. Solide. Le message était clair.
Le jour commençait à se lever. Je le voyais à la ligne claire derrière les crêtes de la chaine de montagnes d'en face. Nous avions passé la nuit à discuter... et nous étions là, à contempler le premier soleil de l'année se lever.
C'était si beau que je ne pus empêcher mes larmes de couler sur mes joues. Les larmes de mes rêves : ceux auxquels je renonçais et ceux auxquels je m'accrochais malgré tout. Lorsque Lev les pris sur ses doigts, avec le soleil de la nouvelle année qui reflétait dedans, on aurait dit de petits éclats de neige.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro