Chapitre 1
Le jeune homme se réveilla en sursaut, la respiration saccadée, la sueur trempant ses draps. Encore une fois, il venait de rêver d'elle. Ça n'en finissait pas, et ça n'en finirait peut-être jamais.
À travers les rideaux, il semblait faire encore nuit. Seul le bruit des rares voitures roulant sur le bitume se faisait entendre, tout comme le chant de quelques cigales timides peu propices à laisser les Séoulites faire une grasse matinée.
Il se retourna lentement pour observer l'heure sur son téléphone, et grogna de mécontentement en voyant qu'il était encore trop tôt. Comme toujours, il se réveillait presque trois-quarts d'heure avant son supposé réveil. Il replongea dans ses draps, dans l'espoir d'oublier son énième cauchemar. Il avait encore le temps avant de se préparer, après tout. Son visage s'enfonça dans le coussin adjacent, et il en inspira profondément chaque effluve : l'odeur fruitée et agréablement sucrée s'était estompée depuis bien trop longtemps, à son goût.
Lia...
Ses pleurs vinrent mouiller le tissu, alors qu'il resserrait l'oreiller tout contre lui. Il se maudissait tellement pour ses actes.
Lia, c'était sa compagne de vie. Mais au-delà d'une compagne, elle était celle qui illuminait ses journées chaque jour. Toujours souriante et drôle, pleine de ressource et de joie de vivre, il avait réussi à l'aimer, malgré les circonstances de leur rencontre. Ils filaient le parfait amour tous les deux, c'était rare de nos jours, mais c'était si magique lorsque ça arrivait.
Le jeune homme grogna une nouvelle fois et se leva de force ; pas question de rester une énième fois au lit à ressasser le passé, il avait quelque chose de réellement productif à faire, pour une fois. Il ouvrit les rideaux et essuya sommairement ses joues, puis se dirigea vers la salle de bain en ébouriffant sa touffe ébène.
Pourtant, toutes ses pensées étaient encore tournées vers elle malgré lui. Surtout vers le passé...
Il se souvenait encore de la joie immense quand il avait appris que Lia était enceinte. Il ne savait par quel miracle, ni comment cela pouvait être possible, mais c'était bien vrai. Et malgré l'extraordinaire nouvelle, il était prêt à fonder sa propre famille, à élever son propre enfant, à le voir grandir et s'épanouir, quitte à se mettre ses parents et ses proches à dos.
Allez, Changbin, arrête de penser à elle !
Changbin se déshabilla et passa sous l'eau bien chaude de la douche, fermant les yeux pour pouvoir profiter à fond.
Il n'y aura plus personne pour venir l'enlacer par surprise dans la salle de bain. Il n'y aura plus personne pour lui crier que le petit-déjeuner était prêt. Il n'y aura–
Changbin, stop.
Il prit le savon et frotta son corps, insistant davantage sur le code-barres tatoué sur son avant-bras. Cette partie de peau devint de plus en plus rouge, mais il continuait encore et encore, sans se douter que des larmes salées venaient se mêler à l'eau coulant inlassablement.
Il avait tout perdu. Tout ça parce que Lia était enceinte. À l'époque, il ne savait pas comment elle pouvait l'être alors qu'il était toujours à ses côtés... Était-ce parce qu'il l'embrassait trop souvent avec passion ? Ou bien parce qu'elle affectionnait tant les doux câlins où ils se berçaient l'un l'autre pendant de longues minutes ?
Non. La justice lui avait tout avoué le jour où elle fut arrêtée : elle avait croisé la route d'un Déviant. Un Déviant l'avait mis enceinte, elle, une femme normale de la société. Seuls les Géniteurs pouvaient procréer et faire fructifier la population, alors il était impensable qu'une simple citoyenne puisse enfanter.
Changbin avait été tellement choqué par la nouvelle, mais il ne savait en réalité pas comment un Déviant pouvait mettre quelqu'un enceinte juste en croisant sa route. Et la justice ne lui avait pas donné de détails. Mais ce n'était pas ce qui l'avait détruit, loin de là.
Ce qui l'avait détruit, c'était lorsqu'il avait vu Lia se débattre entre les bras des soldats malgré ses cinq mois de grossesse, lorsqu'il avait supplié les soldats de la relâcher, lorsqu'il avait vu sa bien-aimée passer les portiques du centre...
Et lorsqu'il avait entendu les quatre coups de feu de l'autre côté du mur. Lia et leur futur bébé n'étaient plus de ce monde.
Changbin coupa l'eau presque instantanément et prit sa serviette pour s'enrouler dedans. Il passa devant le miroir sans jeter un seul regard à son reflet, et fonça dans sa chambre pour aller s'habiller. Cette même chambre où Lia et Changbin dormait toujours ensemble trois ans auparavant.
Il éteignit son alarme matinale et fit son lit à la va-vite, refermant la fenêtre après avoir bien aéré sa chambre. Il rangea bien la pièce, et tomba par hasard sur la photo de leur mariage.
C'était le plus beau jour de sa vie. Rares étaient les compagnons de vie qui se mariaient, et eux en avaient fait partie. Caressant de son pouce le si beau visage de Lia, il reporta son attention sur le père de celle-ci, unique parent de sa compagne, avant de poser les yeux sur ses parents.
Changbin ne se souvenait de rien de son enfance. Il aurait aimé que ses parents soient aussi ses Géniteurs, mais il savait que c'était impossible. Tout comme il aurait aimé que ses frères et ses sœurs soient de son sang, mais c'était quasiment improbable. Quoique, Jisung était le seul qui était de son sang, ayant eu la même Génitrice que lui, et c'était celui avec qui il était le plus proche.
Il se souvenait juste de ses dix-huit ans, lorsqu'il avait quitté ses parents pour aller vivre sa vie indépendante, et trouver sa compagne de vie. A contrecœur, il reposa le cadre dans un soupir.
Il prit son portable et sa veste et sortit de sa chambre en refermant la porte. Dans le salon, sa valise patientait déjà tranquillement près de l'entrée. Changbin se fit un café bien fort, en profitant pour balayer rapidement le reste de la maison, histoire de ne pas laisser de poussière.
Il était six heures. Il allait bientôt devoir partir. Attablé au bar, il fit le tri de ses papiers, s'assurant bien qu'il avait le billet d'avion pour l'île de Jeju, sa destination de vacances, et qu'il n'avait rien oublié de ses papiers administratifs.
C'était la première fois depuis la mort de Lia qu'il partait en vacances. Changbin avait perdu goût à la vie, il ne sortait plus du tout à part pour aller travailler et faire ses courses. Il avait arrêté de rendre visite à ses parents depuis qu'ils insistaient pour qu'il devienne Géniteur, tout simplement parce que trouver une nouvelle compagne de vie était quasiment impossible lorsqu'on était veuf ou divorcé, même s'il pouvait avoir encore quelque chance à son âge.
Mais toutes ces chances s'étaient évaporées au fil du temps, parce que Changbin ne prenait plus soin de son corps, il avait arrêté d'aller à la salle, se morfondait sur lui-même et broyait du noir constamment. De toute façon, pour qui ferait-il tous ces efforts ? La seule personne qui avait illuminé sa vie n'était plus de ce monde.
Lorsqu'il finit son café au goût amer, il fit une vaisselle bien rapide, et s'assura qu'aucune fenêtre n'était ouverte, avant d'enfiler son sac à dos, saisir le manche de sa valise et sortir de l'appartement en refermant bien derrière lui.
Écouteurs enfoncés dans les oreilles, Changbin fit le trajet jusqu'à l'aéroport à pied. Dans le métro, il ignorait sans mal le regard des autres passagers : voir un célibataire de ce si jeune âge avec une valise pour partir en vacances n'était pas très bien vu, dans la société. Quelques hommes seulement semblaient le regarder avec cette envie d'être à nouveau seul, alors que leurs compagnes se cramponnaient à leurs bras en leur faisant les yeux doux. Mais lui n'en avait rien à cirer du regard des autres, il voulait tenter de repartir du bon pied.
Sur le chemin, il ne croisa que des couples, sinon des couples entre amis ou des familles. Il était le seul sans compagne, évidemment.
Arrivé à l'aéroport, il passa la douane sans mal, et arriva bien vite à la salle d'embarquement, patientant de pouvoir embarquer. Et comme dans le métro, il était le seul célibataire, chaque siège autour de lui était occupé par des couples ou des parents avec leurs enfants.
Il suivit d'un œil blasé les informations qui passaient en boucle sur l'immense télévision :
« Le nombre de Déviants a considérablement augmenté depuis ses dernières années. De plus en plus de personnes témoignent, traumatisées par leur rencontre fortuite avec eux. Selon les autorités, plus de la moitié des Déviants seraient de anciens Géniteurs ayant abandonné leur fonction, et qui refuseraient la vaccination ErosX. Leur code-barres serait erroné, mais il devient de plus en plus difficile de les reconnaître et de les appréhender... »
Les Déviants... Changbin les haïssait pour avoir mené sa femme à sa perte, bien que ce fut grâce à l'un d'eux qu'elle était tombée enceinte. Mais s'il devait croiser l'un d'entre eux, il allait certainement prévenir les autorités. C'était la meilleure chose à faire pour ne pas s'attirer des ennuis.
Son regard se posa sur les sièges d'en face, ceux réservés aux Géniteurs et Génitrices. Ces derniers avaient le droit à un surclassement lors de leurs vols, mais aussi partout en général. Ils avaient droit à tout, leur salaire était bien plus qu'élevé, et bénéficiaient d'un appartement à leur disposition, de la nourriture, de l'eau et de l'électricité fournies gratuitement, et certains édifices leur étaient même réservés. Considérés comme l'espoir de la population, eux n'avaient pas besoin du vaccin ErosX, pour une raison bien mystérieuse dont seuls eux et le gouvernement en connaissaient les raisons. N'importe qui pouvait devenir Géniteur, à la condition de faire de nombreux tests de fertilité, d'avoir un physique parfait quitte à accepter les différentes opérations chirurgicales pour être sélectionné, et d'accepter de rester enfermer avec une compagne pendant au moins vingt-huit mois, le temps de la procréation, avant de changer de compagne et de continuer ainsi jusqu'à ses soixante ans, ou jusqu'à se retirer de ses fonctions.
Procréation, fertilité... Ces mots étaient étrangers au vocabulaire de Changbin. Personne ne savait ce qu'était la procréation, ni comment faire un enfant, même Internet ne lui répondait pas. Les Géniteurs étaient au courant, mais une fois qu'ils décidaient d'abandonner leur fonction, ils oubliaient tout. La rumeur disait que le gouvernement leur effaçait la mémoire, ou pire, qu'ils étaient totalement contrôlés par des machines sans pouvoir avoir leur libre arbitre. Mais bon, il ne fallait pas croire tout ce qui se disait.
Changbin accrocha le regard de l'un d'eux. Un jeune Géniteur semblait marmonner quelque chose dans sa barbe, alors qu'il observait la télévision. Redressant ses cheveux châtains, il croisa les yeux blasés du citoyen lambda.
Et il y eut un échange de regard entre eux. C'était la première fois que Changbin voyait un Géniteur aussi jeune, pourtant, il devait certainement avoir son âge. Il se surprit à le trouver beau, avec sa bouille de petit chiot et ses grands yeux aux orbes chocolat. Il semblait un peu trop frêle pour être un Géniteur, mais le petit badge en forme de cœur attaché à sa veste témoignait bien de son statut.
Ce fut comme si une bulle les entourait soudain. Plus aucun son ne filtrait de ses oreilles, il n'y avait que lui, le Géniteur, et le vide. Il le trouvait fascinant, il était certain qu'il faisait plus jeune que son âge. Sa peau était brillante, ses yeux luisaient d'une étincelle de vie, ses cheveux châtains semblaient si soyeux et doux au toucher. Oui, Changbin avait rarement vu un homme aussi beau, aussi mignon...
« Que trouvez-vous de si intéressant chez ce Géniteur, monsieur ?
Changbin sursauta et coupa le contact visuel avec le châtain pour poser les yeux sur celui qui avait osé faire éclater sa bulle : un militaire de la justice. Déjà qu'il s'était levé du mauvais pied, qu'on le prenne encore une fois pour coupable pour on ne savait quel crime dès le matin le mit vite sur ses gonds.
— Vous sous-entendez que je suis un Déviant ? Siffla-t-il à voix basse, son regard perçant celui du militaire.
— Je ne sous-entends rien du tout, je constate simplement les choses, compte tenu de votre passif.
Le noiraud faillit se lever impulsivement.
Si la première raison pour laquelle il ne sortait plus était parce que Lia était morte, la seconde était tout simplement parce que peu importe où il allait, il était constamment surveillé, de près ou de loin. Toutes ses informations publiques relatives à sa vie en société étaient inscrites sur le code-barres tatoué sur son avant-bras, et étaient mises à jour à chacun de ses faits et gestes.
Et malheureusement, la justice voyait en lui un futur Déviant. Sa femme défunte en était une dès l'instant où elle n'était pas allée voir les autorités après avoir croisé la route d'un Déviant, et lui était en train de le devenir parce qu'il avait accepté de vouloir élever et faire grandir un bâtard, sans compter le fait qu'il ne voulait pas devenir Géniteur et qu'il ne cherchait pas activement de compagne, ce qui n'allait certainement pas dans son sens.
— À moins que devenir Géniteur vous fait envie ? Ajouta le militaire avec un haussement de sourcil. Avec votre physique, si vous vous remettez au sport, vous pourrez faire fureur.
— Sans façon, grogna-t-il.
— Dans ce cas, faites très attention à où vous poser votre regard. Ça peut laisser place à plusieurs interprétations.
— Parce que maintenant, je n'ai plus le droit de regarder qui que ce soit sans arrière-pensée ? Dites-moi franchement ce que vous attendez de moi, plutôt que de balancer de fausses et vagues accusations ! »
Changbin sentit des têtes se tourner vers eux, mais n'en fit pas abstraction. Si ce militaire ne voulait n'en faire qu'à sa tête, que grand bien lui fasse, mais le noiraud n'allait certainement pas se laisser marcher sur les pieds.
Le vigile n'eut pas le temps de répliquer qu'une annonce générale pour l'ouverture de l'embarquement se fit entendre dans tout l'aéroport. Victorieux, Changbin se leva en prenant son sac, sa valise et son passeport, et salua faussement le militaire. Son regard fut discrètement reporté sur le jeune Géniteur qui s'était levé à son tour : un militaire semblait l'avoir abordé également, mais la discussion semblait bien plus calme et moins houleuse que la sienne avec l'autre vigile.
Le noiraud passa devant les nombreux couples et familles, et se posta devant la troisième file, la plus petite, celle réservée aux célibataires. Il balaya vaguement les deux premières files : on pouvait bien voir la différence entre celle des Géniteurs et celles des citoyens normaux.
Puis il y avait sa file, quasiment vide. Il n'y avait qu'un autre jeune homme devant lui, qui lui souriait doucement. Changbin ne lui rendit qu'un air blasé, et se contenta de faire la queue, faisant tournoyer son alliance autour de son annulaire.
« Vous avez une alliance, mais pas de compagne ?
Il se tourna à nouveau vers l'autre célibataire, qui semblait vraiment vouloir lui faire la conversation, visiblement. Et comme les responsables d'embarquement étaient trop occupés avec le groupe de Géniteurs, il se dit que ça ne lui ferait pas de mal de sympathiser un peu.
— Partie au ciel, se contenta-t-il de répondre en haussant les épaules d'un air plus détaché qu'il ne l'aurait voulu.
— Oh, je suis désolé pour vous. J'espère que l'air de la mer vous fera du bien, tout de même.
— Ouais, j'en ai vraiment besoin, pour le coup. Et vous ?
D'un petit coup d'œil, il vit que les Géniteurs avaient enfin embarqué, c'était maintenant au tour des citoyens.
— J'ai eu une compagne avant, mais ça s'est compliqué entre nous, donc on a décidé de s'arrêter là, expliqua l'homme en agitant ses bouclettes brunes. Maintenant, ça fait deux ans que je suis sans personne, mais c'est bien aussi d'être seul, ça fait du bien.
Changbin fronça les sourcils, ne s'attendant pas à un tel point de vue. Pour lui, avoir une compagne était essentiel, sinon comment avoir tous les avantages de la vie en général ?
Il s'apprêtait à réfuter son point de vue, mais un responsable d'embarquement vint à leur rencontre pour contrôler leur billet, leur passeport et leur code-barres.
— Eh bien, à bientôt, si on se revoit sur l'île ! », salua le brun en lui lançant un clin d'œil.
Puis ils se séparèrent là, laissant Changbin seul à nouveau, sous le regard jugeur des couples et familles.
Le vol ne fut pas très long. Il était assis à côté d'un couple neuneu et niais à souhait. En plus, des enfants étaient assis juste derrière lui, et ne cessaient de parler et de frapper son siège inlassablement. Quel ennui pour lui.
Ce fut lorsqu'il foula le pied sur l'île de Jeju qu'il se rendit compte qu'absolument toute la matinée qu'il avait vécu n'était rien comparé à la semaine de vacances et de bonheur qu'il s'offrait au bord de la mer.
À Jeju, Changbin et Lia avaient acheter une maison située en bord de mer, dans laquelle ils comptaient emménager pour devenir parents. Mais ça, c'était avant sa mort.
Il l'avait laissé en location depuis, mais depuis quelques mois, il n'avait pas trouvé de locataire, se contentant de laisser Jisung se charger de s'occuper de la maison.
Devant l'aéroport, observa sur son téléphone la disponibilité d'un taxi qui pouvait le ramener directement chez lui. Comme toujours, priorité aux couples et aux familles. Franchement, il irait plus vite en bus.
Et c'est en montant dans l'un d'eux qu'il remit ses écouteurs. Il observait le paysage d'un air las, bien que son cœur s'apaisât doucement en voyant au loin la plage. Lia aurait été tellement heureuse d'être là.
Il descendit en remerciant le chauffeur, et marcha dans un sentier au milieu des arbres, bien loin des habitations. Il retira ses écouteurs et monta la petite pente, s'arrêtant un instant pour regarder le paysage magnifique qui s'étendait à lui.
Sa maison se situait dans un coin vraiment reculé de l'île. Et point important, elle bénéficiait d'une plage privée. Il revit le bâtiment, pas si grand que ça, mais pourtant semblait receler beaucoup d'espace. C'était sa fierté personnelle.
Après avoir traversé le petit portail, Changbin allait ouvrir la porte de sa demeure lorsqu'une personne déboula en trombe sur le terrain. Il se retourna et sans regarder la personne, il héla :
« Eh, c'est une propriété privée ici !
L'homme en face de lui se redressa presque immédiatement, plongeant son regard dans le sien pendant une demi-seconde, avant que le noiraud ne se souvienne de sa tête. Le célibataire de l'aéroport !
— Vous ?! Qu'est-ce qu–
Il n'eut le temps de dire un mot de plus que le brun aux bouclettes rentra instantanément dans la maison, sans même y avoir été invité. Changbin déglutit, et rentra à son tour en claquant la porte, laissant ses affaires dans l'entrée pour aller voir l'inconnu de l'aéroport. Ce dernier semblait guetter discrètement derrière un rideau, perché sur un des fauteuils.
— Non mais ça va pas de débarquer chez les gens comme ça ?!
Le brun se tourna vers lui, et referma le pan de rideau avant de se lever et de s'approcher de lui en s'inclinant.
— Je suis sincèrement désolé que ça se passe comme ça, mais je vous en supplie, laissez-moi rester ici, ne serait-ce que trois jours ! Et je me débrouillerais ensuite ! »
Changbin faillit laisser sa voix éclater sous la colère, mais la porte qui fut frappée l'empêcha d'en dire plus. En un clin d'œil, l'inconnu avait déjà décampé pour trouver une cachette.
En soupirant, il décala sa valise et son sac, et entrouvrit à peine la porte d'entrée.
Face à lui, trois agents de police bien baraqués se trouvaient là. Là, ça puait les problèmes.
« Bonjour ? Fit-il le plus poliment possible en plissant les yeux.
— Excusez-nous de vous déranger, Monsieur, commença le premier en sortant un petit écran. Nous recherchons cet homme, il est passé par-là il y a environ dix minutes. Savez-vous où il se trouve ?
Sur l'écran s'afficha la photo bien nette de l'inconnu caché chez lui. Changbin avala sa salive, réfléchissant à toute vitesse sur comment se sortir de là.
— Je viens juste d'arriver, déclara-t-il sur un ton un peu bourru. Je ne peux pas vous dire si oui ou non j'aurais vu quelqu'un passer il y a dix minutes puisque je n'étais même pas là. Et normalement, personne ne vient ici, c'est une propriété privée.
— Nous le savons bien, fit un deuxième en croisant les bras. Vous êtes sûr de n'avoir rien entendu ?
Le troisième sembla se pencher pour regarder derrière le propriétaire de la demeure, avant de se pencher vers son premier collègue pour lui murmurer quelque chose.
— Si j'avais entendu ou vu quoi que ce soit, je vous l'aurais dit. Surtout si la personne que vous recherchez est un délinquant ou pire, un Déviant...
— C'est un Déviant, affirma le policier tenant la tablette. C'est pour ça qu'on doit l'attraper au plus vite, il risquerait de faire des dégâts sur l'île.
Dès l'instant où Changbin avait entendu le mot Déviant, il avait compris qu'il était foutu. Heureusement qu'il ne savait plus qu'afficher la colère ou l'ennui, sinon il se serait trahi trop facilement. Pourtant, son cœur battait à tout rompre, et il ne put rien ajouter de plus qu'un :
— Oh... je ne savais–
— Hey, Binnie !!
Les trois policiers se retournèrent pour savoir qui les avait interrompus, tandis que Changbin bénit le ciel de voir son sauveur : un jeune homme aux cheveux bien marrons lui souriait, faisant remonter ses joues en une moue adorable.
— Oh, bonjour ! S'exclama-t-il en s'inclinant devant les trois policiers.
— Bonjour, vous êtes ?
— Han Jisung, petit frère de Changbin ! Il y a un problème ?
Celui tenant la tablette se tourna vers lui pour lui faire part de leur recherche, et presque aussitôt, il les rassura en passant un bras sur les épaules de son frère :
— Vous en faites pas pour ça ! Je le connais, Binnie ne fricoterait jamais avec des Déviants ! Il est trop prude pour ça !
— Jisung, c'est bon ! Râla le noiraud en le frappant.
— Nous allons vous laisser dans ce cas, conclut le troisième policier, qui n'avait pas dit un mot depuis. Merci de nous avoir écouté.
— Et si jamais vous le croisez, n'hésitez pas à nous contacter », ajouta l'autre en lui tendant une carte.
Changbin s'inclina une dernière fois puis referma la porte, l'oreille collée contre la porte pour s'assurer qu'ils étaient bien partis, avant d'enfin pouvoir souffler.
Enfin, il n'en eut pas le temps que Jisung lui sauta au cou pour l'enlacer, trop heureux de pouvoir enfin le voir.
« Ça fait super longtemps ! Je suis trop content de te voir !
— Oui oui, moi aussi, maintenant lâche-moi !
Il se détacha avec une moue, et se contenta de lui sourire grandement. Il avait beau être plus jeune, il était bien plus grand que son frère. L'égo de Changbin en prenait un coup, alors pour se venger, il prit sa valise en lui balançant :
— Face d'écureuil.
— Eh !
Changbin rentra dans le salon et déposa sa valise au beau milieu, commençant par déballer son sac.
— Alors, raconte comment s'est passé le voyage !
Le petit noiraud soupira et le fixa en lui tendant un paquet de gâteaux qu'il avait acheté pour lui. La minute suivante, le paquet était déjà ouvert et un gâteau avait été enfourné dans sa bouche.
— Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Des gens m'ont regardé bizarrement, j'ai failli me battre avec un militaire parce que je regardais quelqu'un, et y a un inconnu qui m'a abordé. C'est tout.
— Wow, toi, tu regardes et tu parles à des inconnus ? Si je savais que voyager te ferait sortir de ta zone de confort, je t'aurais payé ton voyage depuis longtemps !
— C'est ça, oui. Et avec ta compagne, comment ça se passe ?
— Ah oui, je t'avais pas dit, mais avec mon ancienne compagne, c'était un peu... compliqué.
— Tant que ça ?
Jisung ouvrit le réfrigérateur pour en sortir deux bouteilles de bière qu'il décapsula, et en tendit une à son frère en s'asseyant sur le sofa.
— Au début, ça allait, mais après un an et demi ensemble, elle a commencé à être toujours sur mon dos, elle me fliquait dès que je parlais à quelqu'un par message, et avait même refusé que j'aille à l'enterrement de Lia.
Changbin sirota sa boisson en piquant dans le paquet de gâteaux, un peu surpris.
— Tu ne m'avais pas dit ça.
— Binnie, ça fait trois ans que tu refuses de voir qui que ce soit. Et parler de mon ex-compagne pendant les funérailles n'était pas vraiment très approprié.
— ... Je suis désolé.
Jisung se leva à nouveau pour prendre un paquet de chips qu'il ouvrit en grand et un bol de cacahuètes pour accompagner le tout.
— T'inquiète, je ne t'en veux pas.
— Et ta nouvelle compagne du coup, comment elle est ?
— Compagnon. C'est un mec.
Changbin avala de travers et fit les gros yeux à son petit frère. Jisung, son frère, avec un homme pour compagnon ? Il n'était quand même pas devenu un Déviant, lui aussi ?
— Calme-toi, Binnie ! Rassura-t-il en riant de sa réaction. Oui, c'est un mec, et non, je ne suis pas un Déviant !
— Attends, je croyais que...
— En Corée, avoir un compagnon de même genre que soi est considéré comme étant Déviant, mais pas en Australie. Je t'assure, Changbin, je suis parfaitement normal !
Bon sang, cette journée était vraiment riche en émotions. Changbin se pinça l'arête du nez en soupirant, le temps de se remettre de ses surprises, et releva le regard vers lui.
— Bon... il s'appelle comment ?
— Felix ! Il est super mignon, c'est le meilleur compagnon que j'ai jamais eu ! En plus, il adore les câlins, c'est trop bien quand on doit se coucher !
— Mais du coup, vous euh... vous vous embrassez ? Sur la bouche ?
Rien que d'y penser, le noiraud eut une image peu ragoûtante de Jisung embrassant un mec barbu bien musclé.
— Des fois, mais pas souvent. On préfère les câlins. Justement, je crois que c'est mon âme-sœur.
— Ton... Toi et lui, un mec ? C'est ton âme-sœur ?
— Ouais, on en a discuté avec un médecin, et il a dit que– Aaaaaaahh, c'est qui, lui ?! »
En voyant l'air affolé de Jisung, Changbin se retourna rapidement. Le brun aux bouclettes était là, dans l'entrebâillement de la porte du salon.
Bon sang, il l'avait complètement oublié, lui !
« Attends, Changbin, c'est le Déviant ?! S'exclama soudainement son frère en se levant et en le pointant du doigt. Celui dont parlaient les policiers !!
Le noiraud l'ignora et se leva à son tour pour venir se planter devant le brun en croisant les bras.
— Tu ne m'avais pas dit que t'étais un Déviant.
Le ton de reproche n'était pas réellement voulu, mais là, ses nerfs étaient à bout. Il ne voulait aucunement avoir affaire avec des Déviants. C'était hors de question.
— Hum... Bang Christopher Chan, enchanté ! Se présenta-t-il avec un petit sourire gêné. Et théoriquement, les Déviants sont des personnes normales. Et Jisung, c'est ça ? Sache que tu as fait un très bon choix de compagnon, parole d'australien.
Les deux frères clignèrent des yeux, trop surpris par cette présentation surprise. Le dénommé Chan leur lança un sourire contrit, faisant apparaître deux petites fossettes au coin de ses lèvres.
— Tu es un Déviant, confirma Jisung après une gorgée de bière.
— Un Déviant est une personne normale, réfuta Chan avec calme. Regarde, jusqu'à preuve du contraire, en Australie, tu es une personne normale, alors que tu serais considéré comme Déviant ici.
— ... Non mais je veux bien, mais si t'es recherché par la police, c'est pas pour rien ?
— En effet, on m'accuse d'avoir une libido.
— Une quoi ?
Chan soupira d'ennui, alors qu'il vint s'installer sur le sofa à son tour. Changbin se rassit en le toisant durement, bien qu'il fût allé lui chercher une bière. Heureusement que Jisung semblait plus ouvert d'esprit que lui, il avait au moins quelqu'un pour lui faire la conversation.
— Une libido, c'est une envie sexuelle.
— Sex– quoi ? C'est quoi, ça ?
— Oh bon sang... le lavage de cerveau a fonctionné à merveille sur vous...
En entendant ces mots étrangers, Changbin sut alors que seul Chan lui donnerait la réponse à ses questions. Il semblait en savoir plus que n'importe qui sur le sujet, et peut-être était-ce pour ça qu'il était considéré comme Déviant.
Le téléphone de Jisung sonna, et il se leva précipitamment en s'excusant :
— Merde, je dois y aller ! Je repasse dimanche, Binnie !
— Pitié, ne dis rien aux autorités, supplia son grand frère. J'ai déjà eu assez de problèmes comme ça !
— Ça ne risque pas ! Je serai muet comme une tombe ! Et Chan, euh... bon, tu peux rester là, mais ne fais pas le bazar ! »
Jisung les salua une dernière fois avant de se sauver à la va-vite, laissant Changbin seul avec Chan.
Le noiraud prit sa valise et indiqua à son nouveau colocataire de le suivre à l'étage. Heureusement qu'il avait songé à arranger deux pièces en chambre d'amis.
« Voilà ta chambre, fit-il simplement d'un signe de tête. Je serais dans celle du fond.
— Ça fera l'affaire. Encore merci, Changbin. »
Chan posa son unique sacoche sur le lit en détaillant la chambre. Changbin le délaissa bien rapidement pour venir dans la sienne, observant la pièce que lui et Lia avaient aménagé pour eux à l'époque.
Rien n'avait changé, Jisung s'occupait toujours aussi bien de la maison. Pas une seule poussière ne traînait, l'eau et l'électricité fonctionnaient à merveille, et il était presque certain que la maison était accueillante envers quiconque posait le pied dedans. Lia aurait été comblée.
La soirée passa bien rapidement. Changbin évitait Chan le plus possible, et de toute façon, il ne voulait aucunement traîner avec un Déviant. Pourtant, il dût quand même le remercier pour le dîner qui fut un succès pour ses papilles, lui qui ne se nourrissait que de fast-food et de plats tout faits depuis trois ans.
Chacun monta vaquer à ses occupations. Le brun avait pris la douche en premier, Changbin avait quand même des manières, Déviant ou pas. Alors lorsqu'il avait fini, le noiraud avait foncé immédiatement dans la douche et s'était enfermé dedans.
C'était le seul moment où il pouvait souffler un peu. Sous l'eau, il réfléchissait à beaucoup de choses diverses.
Mais surtout, avait-il bien fait d'accepter un Déviant sous son toit ?
Il ne pouvait s'empêcher de vouloir revenir sur sa décision, depenser qu'il commettait une erreur monumentale et qu'il allait salement le regretter dans un futur proche.
Pour le coup, il détestait Lia de l'avoir rendu trop gentil avec les inconnus, d'avoir rendu son cœur plus guimauve que le cœur de n'importe quel homme sur Terre.
Pendant un instant, il se souvint de la scène à l'aéroport, lorsqu'il avait croisé le regard de ce Géniteur. Les frissons qu'il avait ressentis alors que ce jeune homme avait sondé son regard lui fit perdre la tête.
Changbin coupa l'eau et sortit de la cabine de douche en agitant la tête, essuyant son corps et ses cheveux devenus bouclés. Il s'habilla d'un simple short et d'un haut, et releva la tête vers le miroir.
Malgré les cernes qui entouraient ses yeux, il vit comme un nouveau changement sur son visage, mais il ne sut quoi. Peut-être était-il heureux d'avoir revu Jisung après tant d'années ? Ou peut-être était-ce parce qu'il avait accueilli un inconnu chez lui malgré ses a priori ?
Ou bien, était-ce parce que c'était la première fois en trois ans de solitude qu'il n'avait pas pensé obsessivement à Lia pendant près de cinq heures consécutives ?
Et c'est sur cette interrogation qu'il sortit de la salle de bain.
Naturellement, il passa devant les deux chambres d'amis. Mais il se stoppa bien vite en entendant un son étrange dans l'une d'elles.
Changbin tendit l'oreille, et tourna lentement la tête vers la chambre du Déviant. La porte était entrouverte, et il semblerait qu'il faisait du bruit. Techniquement, il était chez lui, il pouvait faire ce que bon lui semblait. Fronçant les sourcils, il se rapprocha à pas de loup, pour mieux entendre. Mais son cerveau n'interpréta aucun de ses fameux sons, qui sortaient manifestement de la bouche de Chan.
Il glissa un œil vers la petite ouverture, et vit une scène pour le moins étrange : Chan était allongé sur son lit, genoux relevés, cuisses écartées, caleçon enlevé jusqu'aux mollets, et sa main frottait inlassablement son pénis, d'où gouttait un liquide translucide. Et son visage était rouge, sa bouche entrouverte, ses yeux fermés, son front transpirant.
Mais qu'est-ce qu'il fait ?
Chan pivota sur le côté sans jamais cesser ses coups de main, ouvrant légèrement les paupières. Changbin sursauta en voyant qu'il croisait son regard, mais ne bougea pas pour autant.
La curiosité est un vilain défaut, comme on dit.
« V–viens.
Dans le cerveau de Changbin, c'était la pagaille. Il regarda à gauche puis à droite, comme s'il s'adressait à quelqu'un d'autre. Pourtant, il n'y avait que lui dans ce couloir. Il déglutit et rentra dans la chambre du brun, continuant d'analyser toutes ses mimiques, tous ses sons qu'il produisait. Est-ce que le seul mouvement de sa main sur son pénis le rendait ainsi ?
— Mou–mouchoir... s'il te plait... Parvint-il à articuler.
D'un coup d'œil, il repéra la boîte en question, et la saisit, sans jamais briser le contact visuel avec Chan. D'ailleurs, celui-ci avait accéléré ses mouvements de main, se mordant la lèvre inférieure en grognant et gémissant sans cesse.
Bon sang, Changbin était complètement hypnotisé par cette vision qui s'offrait à lui. Il ne comprenait pas ce qu'il faisait, mais son cerveau curieux le forçait presque à rester planté là, enregistrant chacun des sons et gestes que réalisait le Déviant.
D'un geste habile, le brun arracha quelques mouchoirs qu'il vint poser juste en-dessous du filet de liquide, et après deux derniers mouvements secs, la quantité de liquide doubla en de petits jets qui tomba pile au milieu des mouchoirs. Au même instant, il lâcha un cri peu viril, mais ô combien mélodieux.
Il semblait que Chan tentait de reprendre sa respiration, au vu de son état. Et il avait retiré sa main de son entrejambe, s'affairant mollement à essuyer son ventre.
Il pivota la tête vers l'hôte de la maison, et avec un sourire taquin, il lui souffla :
— Alors, comment as-tu trouvé ma petite prestation ? »
Soudain, Changbin eut un déclic dans son cerveau. Ce fut comme s'il venait de se réveiller d'un rêve.
Mais dans ce rêve, qu'est-ce qu'il était bête.
Évidemment, Chan était un Déviant, et personne ne pourra le changer. Et lui, il avait observé un Déviant à l'œuvre. Lui, un citoyen normal.
Changbin recula de quelques pas, complètement effrayé, et s'enfuit immédiatement en claquant la porte, s'enfonçant dans son lit, sous le choc, le sang battant furieusement dans sa tempe.
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