II
II
les macarons
Quelques jours après l'épisode de la robe, Suzanne et Adélaïde lisaient paisiblement dans le séjour. Suzanne n'était pas totalement plongée dans son occupation ; elle songeait aux activités qu'elle ferait durant ces prochains jours.
SUZANNE. — Oh mais, Adélaïde ! C'est bientôt ton anniversaire !
ADÉLAÏDE, riant. — Effectivement, je l'avais pratiquement oublié.
SUZANNE, surexcitée. — Il faut que l'on commence dès maintenant les préparatifs de ta fête ! J'en toucherai deux mots à Marie.
ADÉLAÏDE. — Et notre tante, n'oublie pas la dernière fois ce qu'il s'est passé.
SUZANNE. — Oh, oui tu as raison. Je demanderai bien évidemment à tante Joséphine.
Un peu plus tard, Suzanne avait déjà prévenu tout le château de la future fête. Mme d'Auzac était bien entendu d'accord pour organiser ce fameux anniversaire, et avait fait demander aux domestiques tout ce qu'il fallait.
Une semaine se passa tranquillement sous les préparatifs, mais, toujours accompagnée de l'enthousiasme de Suzanne.
« Comme ce sera charmant, répétait-elle. »
Enfin arriva ce jour.
Le soleil montrait ses premiers rayons à travers la fenêtre des chambres des deux sœurs. Suzanne qui, d'habitude restait encore quelques minutes au lit par paresse s'est levée la première. Marie arriva une dizaines de minutes après le lever de Suzanne.
Après la toilette terminée, Suzanne descendit dans les cuisine afin d'observer les domestiques préparer les amuses-bouche, les confiseries, les gâteaux, les sorbets, les biscuits... Tout cela sous la pression de Mme d'Auzac.
Toutes ses gâteries lui donnait l'eau à la bouche. Elle voulut goûter une praline, mais n'osa pas à la vue de sa tante qui surveillait les environs.
SUZANNE. — Ma tante, me permettez-vous de goûter seulement un macaron ou une praline ?
MADAME D'AUZAC. — Non, Suzanne, cela te couperait l'appétit puisque nous allons déjeuner. Tu attendras le goûter comme tout le monde.
Hélas, Suzanne dût renoncer à ces desserts si tentants...
« Il faudra inviter tante Ismérie, proposait Adélaïde, elle viendra avec notre cousine Jeanne et nos cousins Henri et George. »
Mme Ismérie de Vichy, la sœur du père d'Adélaïde et de Suzanne vivait à une lieue et demie d'ici. Elle venait souvent prendre le thé lorsqu'elles étaient plus jeunes. Ainsi, elles jouaient avec leurs cousins au croquet, à la course, et à de multiples autres jeux. Maintenant elles avaient un peu grandi, même si elles gardaient encore une âme d'enfant. De plus, cela faisait quelques mois qu'elle ne leurs avait pas rendu visite ; c'était l'occasion rêvée !
Une heure plus tard après le déjeuner, le bruit des sabots claquait non loin d'ici ; la diligence de Mme de Vichy s'arrêta finalement devant le perron du château.
MADAME D'AUZAC, accueillant la famille de Vichy. — Bonjour, bienvenue mon amie. Cela fait une éternité que nous ne nous sommes pas rencontrées n'est-ce pas ?
MADAME DE VICHY. — Tout juste, ma chère. Je me vois enchantée de vous rentre visite en ce beau mois de juin, et, encore plus de fêter l'anniversaire de notre petite Adélaïde.
MADAME D'AUZAC. — Les enfants de nos jours grandissent si vite... Elle va déjà avoir treize ans.
Les dames restèrent bavarder tandis que les enfants accourèrent au jardin.
HENRI. — Est-il bien vrai, Adélaïde, que tu vas fêter tes treize ans ?
ADÉLAÏDE, souriant. — Précisément, Henri.
GEORGE. — Tu as le même âge que moi maintenant.
SUZANNE, riant. — Et moi, j'aurai le même âge qu'elle l'année prochaine.
Les enfants décidèrent de rester au jardin. Mais Suzanne était distraite ; elle avait encore dans l'esprit les pâtisseries de ce matin. Elle voulait tant goûter à ces pignolats, ces tourtes à la crème, ces beignets... Ces images qui revenaient la poussa à exécuter l'hypothèse suivante :
Elle eut la brillante idée de jouer à cache-cache. Alors elle pourra donc aller prendre une ou deux confiseries dans la cuisine, lorsque ces amis compteront, se cacheront et ne songeront plus à elle.
« Mes chers camarades, commença Suzanne, je détient là une excellente distraction que nous pourrions essayer ; que diriez-vous de faire une partie de cache-cache ? »
Les mains applaudirent en se mêlant aux rires et à l'allégresse générale.
On désigna Henri, l'aîné, qui le sera. Ainsi, tout le monde partit dans les fins fonds du jardin.
Suzanne s'échappa discrètement sur le côté, en direction des cuisines. Elle attendit qu'il n'y ait plus personne, mais les domestiques arrivaient et resortaient. C'est alors que ces yeux pleins d'étoiles se posèrent sur trois assiettes de macarons colorés et variés qu'un cuisinier venait de déposer sur la table ; c'était ses pâtisseries préférées.
Elle s'approcha, voyant que toutes les personnes présentes étaient concentrées dans leur ouvrage.
De peur de se faire prendre, elle attrapa vivement une assiette et s'enfuit.
« De toute manière, pensait-elle, ils ne se rendront pas compte. Ils ont tellement à préparer. »
JEANNE. — Suzanne ! Où te caches-tu ?
HENRI. — Cela fait une éternité que nous te cherchons, allez ! Sort de ta cachette ou nous ne jouons plus.
Suzanne s'était éclipsée derrière un arbre enfoui au fond d'une forêt, bien à l'abri.
« Quel parfum choisir à présent ? réfléchissait-elle. Ils m'ont tous l'air excellent. »
Elle goûta d'abord le parfum framboise, son préféré. Mais elle aimait aussi énormément la vanille et la fleur d'oranger.
Elle avala donc avidement ces parfums suivi de l'abricot, la praline, le citron, la nougatine, l'angélique...
Une fois rassasiée, elle se rendit compte qu'elle n'avait rien laissé. Elle avait réellement englouti une dizaine de macarons en quelques minutes.
Suzanne sentait son estomac alourdi et sa tête souffrante. Mais elle se releva, tant bien que mal, et revint jouer avec ses compères.
GEORGE, soulagé. — Ah ! Te voilà enfin ! Où étais-tu ?
SUZANNE, engourdie. — J'étais cachée non loin de là, simplement... dans la petite forêt voisine.
HENRI, arquant un sourcil. — Quelle idée de te cacher aussi loin.
ADÉLAÏDE. — C'est vrai, Suzanne, notre tante nous défend de sortir en dehors des terres de Bouville sans sa permission, l'as-tu oublié ?
SUZANNE, ennuyée. — Oui oui, je vous demande pardon mes amis. Je voulais simplement gagner la partie.
HENRI, croisant ses bras. — Et c'est le cas. Mais tu as triché !
ADÉLAÏDE, inquiète. — Suzanne ? Que t'arrive-t-il, tu es toute pâle ?
SUZANNE, rougissant. — Je vais très bien mademoiselle. Et je ne suis pas pâle.
ADÉLAÏDE. — Je crains bien que si, je vais prévenir tante Joséphine.
SUZANNE, apeurée. — Non ! Je... je lui dirait moi-même.
Adélaïde acquiesca, soupçonnant quelque chose.
Le temps passa puis l'on fit appeler tout le monde pour le goûter d'anniversaire.
MADAME D'AUZAC, aux enfants. — Tenez, goûtez donc ces délicieuses profiteroles.
JEANNE. — Merci ma tante.
MADAME D'AUZAC, étonnée. — Tu ne manges pas Suzanne ? Toi qui étais si impatiente d'organiser ces festivités. Et puis, te voilà bien pâle. Es-tu souffrante ?
SUZANNE. — Non ma tante, je n'ai guère faim. Rassurez-vous, je vais fort bien.
MADAME D'AUZAC. — C'est singulier, toi qui a toujours tant faim quand il s'agit de sucreries. Tu serais capable d'avaler une assiette de macarons même si tu avais déjà le ventre plein.
L'assemblée ria, tandis que Suzanne froncait les sourcils, le visage rougi de honte.
On fit ajouter les deux assiettes restantes de macarons au goûter par un des cuisiniers.
MADAME D'AUZAC, consternée. — Excusez mon impudence, monsieur, mais j'aimerai vous demander pourquoi reste-t-il uniquement que deux assiettes de macarons alors que j'en avais fait demander trois ? Car je sais très bien que Suzanne et Adélaïde les adorent.
LE CUISINER, confus. — Oui c'est vrai, j'avais pourtant posé trois assiettes sur la table après les avoir cuisinés.
Mme d'Auzac, douteuse, questionna tous les domestiques qui travaillaient dans les fourneaux, chacun avoua qu'il n'avait touché à ces macarons.
La scène de ce matin avec Suzanne lui revint peu à peu ; elle voulut la questionner.
MADAME D'AUZAC. — Suzanne ? Approchez, j'ai à vous parler.
SUZANNE. — Oui, ma tante ?
MADAME D'AUZAC. — Savez vous ce qu'est devenu cette assiette de macarons ?
Suzanne baissa la tête et se tut. Elle se repentait déjà d'avoir volé et mangé ces macarons qui n'étaient pas réservés qu'à elle.
MADAME D'AUZAC. — Et bien, avez-vous perdu votre langue ?
SUZANNE, tremblant. — Non. Non je ne sais ce qu'est devenu cette assiette, ma tante.
MADAME D'AUZAC. — Dans ce cas, je devrais donc renvoyer le cuisinier ? C'est lui-même qui est le seul suspect en ce moment.
SUZANNE, les larmes aux yeux. — Oh non ma tante ! Ne le renvoyez pas ! Ma tante, pardonnez-moi je vous en supplie. C'est moi qui ai pris cette assiette et mangé le contenu par pur gourmandise, et je n'ai pas mesuré les conséquences de mes actes. En plus de cela, je vous ai menti ouvertement.
MADAME D'AUZAC. — Et bien, vous qui étiez si contente pour l'anniversaire de votre sœur et qui voulait que tout soit parfait, vous venez tout juste de gâcher son anniversaire ! Vous avez englouti une assiette de macarons, mais vous ne pouviez pas attendre ? Vous en auriez eu autant que vous voulez, mais à l'heure du goûter, comme tout le monde.
SUZANNE, suppliant. — Oh pardonnez-moi ma tante, je m'en veux énormément et c'est une bêtise très sotte que j'ai commis. Je vous promets que je ne recommencerai plus.
MADAME D'AUZAC. — Je vois que vous vous repentez sincèrement ; je vous permets donc de rester avec vos amis jusqu'à la fin de la fête. Mais vous dînerez seule dans votre chambre.
SUZANNE, soulagée. — Oh merci, merci ma tante ! Je vous promets de ne plus être gourmande à l'avenir. Et aussi d'apprendre à attendre l'heure des repas.
Madame d'Auzac fut contente de voir que sa nièce voyait le positif (le fait qu'elle allait pouvoir rester avec ses amis) avant le négatif (le fait qu'elle allait dîner seule dans sa chambre).
La soirée s'acheva sur des éclats de rires, ainsi que quelques moqueries pas bien vilaines à propos de l'aventure des macarons. Après cela, Suzanne ne tenta plus jamais de manger en cachette.
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