Mes années meurtrières
Deux ans déjà que je ne t'ai pas vu. Nous avons échangé quelques mots l'année dernière mais ça n'a débouché sur rien. Nous ne sommes pas revus. Deux longues années vides et cruelles où la vie avait perdu tout sens. Je t'ai écrit un message pour ton anniversaire. Mais au moment de signer, ça a été le blanc total. Que pouvais-je apposer comme signature? Je ne sais plus ce que je représente dans ton cœur. Maman? Ça fait une dizaine d'années que je n'ai plus entendu ce mot de ta bouche. Ta mère? Ça fait dur et étranger. La grand-mère de tes enfants? Je n'ai jamais tenu ce rôle. Tu me l'as refusé. Je n'ai même pas été prévenue de la naissance du deuxième qui va fêter ses deux ans cette année. Comment et surtout vas-tu réagir à cette carte d'anniversaire non signée? J'aurai la réponse ce soir ou jamais...
<<Les feuilles mortes se ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi.
Tu vois, je n'ai pas oublié.
Je voudrais tant que tu te souviennes...>> de tout ce temps que j'ai passé à te consoler et à sécher tes larmes quand la tristesse te submergeait.
Toi, mon petit, mon enfant dont les pleurs déchiraient mon cœur, je ne supportais pas de te voir en sanglots. J'aimais ton regard quand la joie et le bonheur illuminaient tes yeux d'un bleu profond.
Tout ce temps que je t'ai consacré en faisant fi de mes rêves et de mes propres aspirations. Je n'ai vécu que pour toi, pour faire de toi un adulte épanoui.
Tu as grandi, je t'ai laissé mener la vie que tu désirais avec l'élue de ton cœur. Tu n'étais pas encore majeur. Je n'avais jamais pensé que je te perdrais un jour.
Tout ce temps, toutes ces années pendant lesquelles tu ne t'es pas intéressé à ma vie.
Tout ce temps que j'ai passé à pleurer sans personne pour éponger les larmes qui inondaient mon visage.
Tout ce temps où j'ai souffert de ton absence mais surtout de ton indifférence.
Tout ce temps à craindre le jour de la fête des mères parce que même ce jour-là, tu ne me faisais pas cadeau, le plus beau des cadeaux, du mot aimant et si cher à mon cœur, cinq lettres toutes simples : maman. Tu arrivais avec ton bouquet de fleurs très jolies certes mais t'entendre dire seulement <<bonne fête >>, tu ne peux pas imaginer quelle douleur j'endurais. Après ton départ, je regardais le bouquet que tu avais si bien ordonné dans le vase et je fondais en larmes en me demandant pour quelle occasion tu venais de m'offrir ces fleurs. Sache que je ne leur trouvais plus alors aucun charme et qu'elles me rendaient bien amère.
Non, ce n'est pas fini.
Vint alors tout ce temps où tu as commencé à m'ignorer, à me mentir et à me manquer de respect.
Te rends-tu compte aujourd'hui que pendant tout ce temps, ces quinze dernières années, j'ai traversé le désert?
Non, tu ne peux pas et tu ne veux pas en entendre parler d'ailleurs. Te remettre en question n'appartient pas à ta philosophie de vie.
As-tu oublié toutes les valeurs si importantes à mes yeux que je t'avais inculquées: sincérité, honnêteté et respect d'autrui?
Que n'ai-je pas fait pour toi pour perdre ainsi ton amour et ton affection? Quelle faute grave ai-je commise?
Tout ce temps, particulièrement ces deux dernières années, le cheminement dans ce désert m'a semblé atroce et chaotique. J'ai à plusieurs reprises voulu quitter cette vie d'errance et de souffrances car tout désir et tout plaisir m'avaient abandonnée.
Je suis toujours là cependant et je crois bien que je t'attends.
N'oublie pas de me dire que tu m'aimes avant que je ne parte définitivement.
Tu vois, je n'ai pas oublié, je ne peux oublier.
Deux longues années se sont encore écoulées...
Elle est allongée sur son lit. Elle gît les joues creuses et les yeux cernés. Son visage est amaigri. Elle est livide et faible. Elle respire lentement, un souffle si discret qu'on voit à peine sa poitrine se soulever. La chambre d'hôpital est petite mais lumineuse et les murs sont clairs. La décoration est inexistante. Le mobilier réduit donne un ton monacal à l'ensemble. Elle semble ne pas exister dans cet espace confiné. A t-elle conscience d'ailleurs de ce qui l'entoure ? Elle paraît plongée dans un coma léger. Elle est ici et maintenant dans une totale indifférence de son environnement.
Il est là, il la regarde depuis plusieurs heures. Il ne la reconnaît plus. Il n'ose la toucher, lui prendre la main, cette main si gracile. Il a peur de lui briser le bras tellement elle paraît fragile. Il n'a pas prononcé un mot depuis son arrivée ce matin. Elle ouvre enfin les yeux dans un difficile effort. Elle prend conscience de sa présence. Elle voit distinctement les traits de son visage. Il n'a pas changé. Elle ne lui sourit pas. Elle se souvient. Elle a ancré en mémoire toutes ses années d'absence qu'elle a vécues, seule comme un chien abandonné. Elle a à fleur de peau la souffrance au quotidien, ses idées noires envahissantes, ses envies multiples de quitter ce monde bien avant son heure, ses hospitalisations à répétition en maison de santé destinées à la protéger mais avec peu d'apaisement à la clé. Elle se remémore tous les instants heureux qu'ils ont partagés pendant son enfance et son adolescence, tous leurs moments de complicité et elle ne comprend pas comment et surtout pourquoi il a pu en arriver à l'évacuer de sa vie, à faire d'elle une étrangère qu'on traite avec politesse mais sans chaleur. Qu'a t-elle raté dans son éducation ? Son amour maternel n'a jamais failli un seul instant. Alors pourquoi ? Elle se répète depuis tant d'années les mêmes questions. Elle a perdu son enfant depuis bien trop longtemps. Les années sans amour filial ont compté triple et ont eu raison de sa santé mentale et physique. Elle n'est plus que l'ombre d'elle même, un fantôme dénué de vie. Cela fait bien longtemps que vivre a perdu tout sens pour elle. Pendant tout ce temps, elle n'a fait que survivre en enfer.
<<Maman>>prononce t-il doucement comme pour ne pas la réveiller.
Elle articule lentement et avec difficulté et chaque mot qui sort lui arrache une grimace de douleur:
<<ça fait presque quinze ans que tu ne m'as pas appelée ainsi. C'est seulement aujourd'hui que ce mot réapparaît dans ton vocabulaire? Tu connais le sens de ce mot et ce qu'il implique? Tu m'as refusé un droit fondamental: être la grand-mère de tes enfants. C'est seulement maintenant que tu te souviens de mon existence? Tu étais passé où pendant toutes ces années >>.
Il a les yeux larmoyants. Elle, les siens sont secs d'avoir pleuré pendant tant d'années son absence. Il ne faut pas qu'il s'attende à ce qu'elle <<fête>> son retour par des larmes. Il est bien trop tard. Elle n'a plus envie de se battre. Elle a combattu si longtemps pour qui, pour quoi, pour quel résultat? Elle sent que sa fin est proche et qu'elle va bientôt être délivrée de cette douleur qui lui tenaille la poitrine et la déchire. Elle pousse un léger soupir de soulagement. Elle se sent si lasse.
<<Maman, reste s'il te plaît>> la supplie t-il en pleurant.
Non, elle n'a pas envie de lui plaire. Elle a juste envie qu'il la laisse tranquille et qu'il continue à l'oublier. Ça, il a toujours su. Il est des déserts qui ne se traversent que dans un sens. Elle ne dépensera pas d'énergie pour faire marche arrière. Elle est comme un sac vidé de toute substance de toute façon.
Dans un dernier souffle, elle murmure:
<<Sexion d'Assaut, avant qu'elle parte, tu connaissais?>>.
Elle n'écoute pas sa réponse, elle n'est plus là pour entendre sa réponse.
Deux années de trop...et des questions dont les réponses sont devenues sans importance désormais...
Texte de Calicef
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