##10 - Charlotte
Des voix résonnaient autour de Charlotte et se répercutaient douloureusement dans chaque recoin de son crâne. De mémoire, elle n'avait jamais eu autant de fièvre de sa vie. Où était-elle allongée ? Dans son lit ? Son dos baignait tant dans la sueur qu'elle se demandait si elle n'était pas plutôt sur la plage, attendant que la marée ne l'engloutisse. Peut-être que si je me noie, je n'aurai plus mal à la tête... Elle s'étouffa contre un coussin, toussant jusqu'à l'épuisement, et ouvrit à peine les yeux pour voir le résultat de sa crise. Non, pas de sang, pas encore.
Dire que quelques heures plus tôt, elle s'amusait dans un concert assourdissant ! Je vais mourir ici... Armand ne s'en remettra jamais ! Charlotte se sentait coupable de partir sans lui et d'avoir potentiellement contaminé tout le reste de l'équipage.
Quelqu'un frappa à la porte. Charlotte voulut parler mais ne réussit à émettre qu'un grognement étranglé. La voix de Kadi retentit dans la pièce, un peu plus effacée que d'habitude.
« Charlotte, est-ce que je peux venir ?
— Je vais... te transmettre ma maladie, articula-t-elle avec difficulté. Ne viens pas...
— J'ai un masque sur le nez. Je le faisais déjà chez moi, à Sierra Leone, et je n'ai jamais rien attrapé de mauvais. J'ouvre la porte, Charlotte, j'arrive ! »
La jeune femme ne trouva pas la force de protester plus que de raison. Il lui était horriblement difficile de former des phrases dans son esprit et de les prononcer, à présent. Dégoulinant de sueur, elle passa une main sur son front et se mit une gifle toute seule, incapable de soulever le bras assez longtemps pour s'essuyer le visage.
« Je vais m'en occuper, la rassura Kadi, un tissu enroulé autour de la bouche et du nez. Est-ce que tu veux boire ? »
Charlotte hocha la tête. Kadi lui tendit un pichet d'eau tiède et le tint fermement pour l'empêcher de l'avaler trop vite. Malgré ses précautions, Charlotte se remit à tousser en s'étranglant avec le breuvage. Kadi reprit le récipient et la plaça en position assise pour lui taper dans le dos.
« J'ai... le... tournis..., souffla Charlotte en sentant son menton toucher le haut de son torse, sans force dans le cou, amorphe. Recouche-moi... s'il te plaît. »
Lorsque l'arrière de son crâne entra en contact avec le coussin qu'elle inondait de sueur depuis des heures, un soulagement immense traversa son corps tout entier. Elle soupira d'aise, oubliant quelques instants que ses poumons brûlaient dans sa poitrine comme deux brasiers inextinguibles, que la fièvre lui faisait presque exploser la tête, qu'elle allait mourir. Qu'elle allait mourir... ou peut-être que non ?
« Il y a des gens, expliqua-t-elle à Kadi, essoufflée, il y a des gens qui vivent très longtemps... avec la tuberculose.
— Ce n'est peut-être pas la tuberculose, tu sais ? Tu ne craches pas de sang. Est-ce que tu as déjà eu un rhume ? Un très gros rhume ?
— C'est... c'est vraiment moins... moins pire. Le rhume... c'est facile, mais... »
Elle fut prise d'une quinte de toux. Kadi lui caressa le bras en attendant que la crise passe, voulant sans doute la réconforter, mais Charlotte ne sentait plus rien lorsqu'elle crachait ses tripes dans son coussin. La respiration sifflante, elle marmonna :
« Le pire... ce sont les courbatures... J'ai mal partout...
— Est-ce que tu veux que je te masse ? »
Charlotte secoua la tête, ne voulant surtout pas lui transmettre le moindre microbe.
« Ne m... me touche pas trop... »
Elle reprit très difficilement son souffle et décida de ne plus parler pendant quelque temps. Kadi resta à ses côtés en murmurant des prières dans sa langue natale, la berçant plus ou moins volontairement de sa voix douce et grave. Charlotte rêva qu'elle dérivait dans un océan de mélasse poisseuse, perchée sur un radeau qui n'avançait pas assez vite. Elle appelait Nälkäinen mais ne descendait jamais dans les profondeurs de la mer, enfermée à la surface, perdue pour toujours.
Elle se réveilla sans ouvrir les yeux, sentant toujours les doigts de Kadi caresser son bras. Son amie ne chantait plus, cependant. Je veux entendre sa voix, je veux avoir l'impression d'être en vie.
« Raconte... raconte-moi ta vie..., lui demanda-t-elle avant de l'entendre sursauter. Désolée... je t'ai... surprise.
— Non, tout va bien, Charlotte, tout va bien, la rassura-t-elle en prenant sa main dans la sienne. Est-ce que tu veux savoir comment j'ai vécu à Curaçao ? Je peux commencer par l'esclavage et finir par mon enfance, ce sera plus positif. »
Charlotte acquiesça en silence. Après lui avoir imposé toutes les histoires d'Armand et de Tobias, elle se devait de la laisser parler de sa vie à son tour. Ce sera sans doute beaucoup plus intéressant que les jérémiades de ces deux idiots, franchement. Même si Armand lui manquait déjà, parti quelque part sur le pont, Charlotte ne pouvait s'empêcher d'avoir envie de le gifler. Cet empoté va passer le reste de son existence à tourner autour de Tobias en geignant qu'ils doivent rester amis, si je meurs. Une bonne raison de combattre la maladie.
« Curaçao..., réfléchit Kadi à voix haute. Je pense que Curaçao est la destination principale des esclaves de la région où je suis née. Je ne sais pas ce qui était le pire, la traversée ou la vie chez mon maître. »
Elle fit une pause, et Charlotte entendit des pirates tousser plus loin, sur le pont. Elle ne trouva pas la force de grimacer, mais la honte l'écrasa un peu plus contre ses draps.
« Ils ont fait le tour des maisons, raconta Kadi après un bref soupir de colère. Ils ont mis mes parents en joue avec leurs armes à feu, personne n'a pu me défendre... J'ai été la seule à être enlevée, ils ne se sont pas intéressés à ma sœur. En général, les esclavagistes attrapent des hommes au hasard sur la place en navigant sur la côte, ou bien ils collaborent avec certains chefs. Notre roi ne voulait pas du tout les aider donc ils nous attaquaient frontalement. Ensuite, le voyage en bateau, sur le négrier... Je n'aurais jamais survécu sans Tobias.
— ... To ? réussit-elle à prononcer.
— Tobias m'a aidée en m'apportant de la nourriture et de l'eau. Il faisait semblant de venir me réprimander et glissait des fruits dans ma chemise.
— Un peu... bizarre...
— Ça n'avait rien de sensuel ! répliqua Kadi, à la fois irritée et amusée. Je mangeais discrètement au milieu de la nuit, en partageant avec mes voisins. On n'est jamais la seule personne éveillée sur un négrier. Tu vois, la surface d'un corps allongé ? C'était toute la place qu'on avait. Des hommes et des femmes de Sierra Leone collés les uns aux autres, à perte de vue. »
Charlotte ne pouvait pas imaginer un entassement pareil. Qui pouvait être aussi cruel ? On ne jetait même pas du bétail sur un navire marchand avec un tel manque de respect.
« Les gens... est-ce qu'ils... ils mouraient ?
— Au moins une trentaine, sur le navire où j'étais, regretta Kadi. La faim, la soif, les maladies... Heureusement que Tobias était là, il a sauvé le plus de personnes possible ! Il n'a pas pu faire de miracles, mais il se privait de nourriture pour nous. C'est quelqu'un de bien, et même si Armand ne lui fait pas confiance, moi je l'aime beaucoup.
— Je comprends...
— Ne parle pas, ta voix me donne envie de tousser, la prévint-elle. En arrivant à Curaçao, on m'a envoyée à Chincho Grandi, un grand camp où on m'a achetée. Presque tous les esclaves enfermés ici ont été envoyés dans d'autres pays, puisqu'on ne peut presque rien cultiver à Curaçao, mais j'ai été gardée par quelqu'un qui avait besoin de domestiques. »
Kadi lui raconta que les hommes et quelques femmes cultivaient des haricots à l'extérieur pendant que le reste des esclaves servaient le maître, sa famille et ses amis. Kadi n'avait jamais dû cuisiner mais nettoyait souvent le parquet, le dos courbé, les mains douloureuses. Après quelques jours sans vagues, son maître lui avait demandé de servir de plante verte lors de ses repas. Debout dans un coin de la pièce, elle devait le regarder manger et commenter ce qu'elle voyait avec un accent très prononcé.
« Il voulait m'humilier, expliqua-t-elle. Enfin, c'est ce que je crois, je ne lui ai jamais posé la question. Et puis un jour, pendant un repas, j'ai répondu que je ne simulerais plus jamais de faux accent.
— Je... je sais..., souffla Charlotte, peu désireuse de l'entendre raconter à nouveau la mutilation atroce dont elle avait été victime.
— Je n'ai jamais autant souffert de ma vie, murmura Kadi, hypnotisée par sa propre histoire. Le bateau, c'était une douleur sur le long terme, lente, discrète, mais se faire amputer... »
Devant le silence de Kadi qui menaçait de s'éterniser, Charlotte entrouvrit les yeux. Des larmes brillaient sur les joues de son amie.
« Pas pleurer, lui dit-elle, faisant l'économie de quelques mots dans sa phrase pour ne pas perdre son souffle. Pas pleurer... tout va bien.
— C'est vrai, fit Kadi en reniflant et en examinant le crochet qui remplaçait sa main. J'aurais pu mourir, comme tant d'autres.
— Pas ça... que je voulais... dire.
— Ne t'inquiète pas, je sais que ce n'était qu'une formule de politesse. Je fais juste la conversation. »
Kadi rit doucement. Il vaudrait mieux que je me taise, plutôt que de dire la moitié de ce que je pense et de passer pour une malotrue.
« Ma famille vient de Fouta-Djalon, à l'origine, raconta Kadi en souriant, comme la plupart des Temnés. Nous sommes venus dans le sud du pays il y a trois-cents ans, à cause d'une invasion malienne. »
Charlotte fronça les sourcils, ce qui créa une douleur très désagréable à l'avant de sa tête. Elle s'y connaissait mal en géographie africaine et en avait honte. Le monde est vaste, et je ne connais rien de l'un de ses continents.
« Là où mes parents habitent, la culture principale est celle du riz, mais ils ont préféré le commerce de noix de kola. Est-ce que tu en as déjà mangé ? »
Charlotte secoua la tête, curieuse.
« C'est... quoi ?
— Je n'aime pas du tout le goût, mais on peut dire que ça donne de l'énergie ! À tous les niveaux, d'ailleurs, si tu vois ce que je veux dire. »
Le visage de Charlotte devint rouge brique. Heureusement que j'ai de la fièvre, Kadi ne verra pas la différence.
« Ça ne te dira sans doute pas grand-chose, mais ma famille vit dans le royaume de Koya. Notre roi n'a jamais apprécié l'esclavage, mais certains des habitants y participaient contre son accord. La plupart des clans temnés fonctionnent par strates sociales, et le bas de l'échelle... ce sont des esclaves, justement.
— C'est triste..., déplora Charlotte en fermant les yeux.
— J'ai eu beaucoup de chance de naître dans un royaume où ce n'était pas la norme, ma famille n'a jamais été très riche. J'aurais sans doute été esclave ailleurs dans le pays, mais au final... ça n'a pas changé grand-chose, pas vrai ? »
Charlotte était désolée pour elle, même si elle ne pouvait rien faire de plus que la protéger des esclavagistes sévissant dans l'océan Atlantique pour la revendre. Dans mon état, ça risque d'être très difficile. Armand et Tobias seront son seul espoir.
« Je m'amusais beaucoup, là-bas, surtout dans la cuisine. J'adorais préparer des sucreries avec ma sœur ! Finalement, c'est mon seul talent, et mon maître ne m'a jamais demandé de l'utiliser.
— Sûrement... autres talents, Kadi...
— Comme quoi, par exemple ? lui demanda-t-elle.
— Crocheter... parler... courageuse..., énuméra-t-elle en ouvrant les yeux avec difficulté pour la regarder bien en face.
— Merci, mon amie, je te crois mais ne te fatigue pas, d'accord ? »
Charlotte acquiesça et s'endormit presque immédiatement, comme si ces compliments avaient formé une conclusion parfaite à leur conversation. Elle ne reprit conscience que quelques heures plus tard, lorsque Jackson frappa à sa porte et annonça qu'il avait quelque chose de très important à lui dire. Kadi lui adressa un regard interrogateur.
« Tu peux... ouvrir. » souffla Charlotte.
Le visage du quartier-maître apparut dans l'interstice, comme s'il n'osait pas entrer. Est-ce qu'il a peur d'être contaminé, lui aussi ? J'espère qu'il n'a pas déjà attrapé la tuberculose sans le savoir... Mais Jackson n'était pas aussi froussard ou inconscient qu'elle le croyait : il fit coulisser la porte de gauche à droite et parut hésiter.
« Est-ce que je vous dérange, toutes les deux ? C'est urgent, mais ça ne vous regarde pas directement. Vous ne pourriez rien y faire.
— Je pense que vous en avez déjà trop dit, Monsieur, sourit Kadi. Il faut finir votre phrase !
— Ne m'appelle pas Monsieur ! s'exclama Jackson, presque pâle de stupeur. Ici, tout le monde est au même niveau. Tu es des nôtres, pour le meilleur et pour le pire.
— Surtout le pire, n'est-ce pas ? » soupira-t-elle, terriblement franche.
Jackson baissa les yeux, silencieux quelques secondes, avant de prendre une longue inspiration et de trouver le courage de parler.
« J'ai d'abord une question, pour savoir si Armand et Tobias n'ont pas complètement perdu la raison. Est-ce qu'il existe un dieu pirate qui vit sous la mer ?
— Nälkäinen ? Oui, confirma Kadi, Charlotte et moi lui avons parlé. Mais comment–
— Je les ai vus sortir des eaux à bord d'une barque, expliqua-t-il, semblant à peine croire à ce qu'il disait. Je pense que tout ça mérite une bonne discussion... s'ils acceptent de venir dans ta chambre, Charlotte. »
Cette dernière toussa violemment dans son coussin, se demandant si c'était une bonne idée. Est-ce que ces deux idiots sont allés voir Nälkäinen pour conclure un marché avec lui ? Pour me sauver ? Elle craignait infiniment ce que le dieu pirate pouvait inventer comme dilemmes, comme tâches impossibles à réaliser, pour le plaisir de les voir lutter contre le temps et la fatalité. Menacer McHale ne semblait pas avoir le moindre intérêt au regard de l'Histoire. Son frère risquait d'accepter n'importe quoi pour l'aider à combattre sa maladie, faisant fi de la logique et de la prudence.
Quelques minutes plus tard, Jackson fut rejoint par Armand et Tobias, penauds.
« Tobias ! s'exclama Kadi, émerveillée. C'est ta vraie peau ? Tu es vivant ?
— Nälkäinen a levé sa malédiction, confirma-t-il. Charlotte, est-ce que ça va ? »
Elle le trouvait presque beau, sans son air cadavérique. Pas exactement comme l'adolescent qu'il avait été, mais quasiment son style. Armand ne va pas moins fantasmer sur lui, clairement.
« Ça... va, souffla-t-elle sans grande conviction.
— Non, ça ne va pas du tout ! s'écria Armand en poussant beaucoup trop violemment Tobias sur le côté. Ne pars pas maintenant, Charlotte, j'ai passé un pacte avec le dieu pirate ! Il te sauvera même si tu meurs, mais j'ai encore besoin de tes conseils !
— Raconte tout... depuis le début. »
Elle se redressa péniblement pour être plus attentive, mais sa tête se remit à tourner.
« Non, reste allongée, s'inquiéta Jackson en la saisissant doucement par les épaules. Voilà, sur les couvertures... »
Charlotte ne pouvait pas dire qu'elle était étonnée par la tendresse du quartier-maître, car elle l'avait déjà vu s'occuper de pirates blessés et de marins perdus après un abordage, qu'il parle leur langue ou non. Elle avait été témoin de sa gentillesse auprès des aubergistes lorsque le HMS Jolly faisait des escales, toujours poli, toujours bien élevé, jamais odieux comme la plupart des pirates de l'Atlantique.
Jackson posa avec une infinie précaution un drap humide sur le front de Charlotte et le bougea lentement, empêchant les gouttes de devenir brûlantes et de la déranger. Elle leva les yeux en pensant croiser son regard, tout de même surprise par sa dévotion soudaine, mais s'aperçut qu'il fixait Kadi avec intensité. Qu'est-ce qu'il lui veut ?
« Tu... la connais ? chuchota-t-elle, incapable de parler plus fort.
— Elle me rappelle quelqu'un, mais j'en parlerai plus tard avec elle. »
Kadi haussa les sourcils, sceptique, mais ne renchérit pas. On verra ça plus tard...
« Bon, on s'en fiche, laissez-moi lui expliquer la situation ! s'énerva Armand, plus remonté que jamais. Nälkäinen m'a proposé de rencontrer la pirate chinoise Ching Shih en échange de la santé de tout l'équipage. Ceux qui mourront seront ressuscités, j'ai essayé d'anticiper la malchance.
— Qui... Ching Shih... ? souffla-t-elle avec curiosité. En Chine ?
— En 1809. » précisa-t-il, comme si ce détail pouvait l'aider d'une façon ou d'une autre.
Armand lui raconta une sombre histoire d'accords commerciaux entre Ching Shih et un dénommé Helmut Duffin vivant à Belfast. Je ne vois pas par quelle sorte de miracle cette mission serait possible à accomplir.
« Beaucoup trop... de problèmes... Armand...
— Je vais faire tout mon possible pour réussir, affirma-t-il. Je le ferai pour toi, pour l'équipage, pour le HMS Jolly tout entier s'il le faut.
— Attends, Capitaine, l'interrompit Jackson en levant les mains pour le faire taire. Je veux bien accepter qu'un dieu pirate au nom incompréhensible vive sous l'océan. Je veux bien croire que tu puisses voyager dans le futur pour le modifier à ton aise. Je veux même bien imaginer que cette divinité soit capable de soigner tout le monde... Mais personne ici ne comprend le chinois ni ne sait à quoi ressemble cette Ching Shih, et il n'y a aucune raison qu'elle soit enthousiaste à l'idée de collaborer avec un Irlandais dont elle n'a jamais entendu parler !
— Je sais très bien que ce sera difficile, c'est même presque impossible ! répliqua Armand, rouge de colère. Mais c'est la seule solution, est-ce que tu en vois une autre ?
— Accepter notre destin et prendre soin de Charlotte... et des autres pirates qui crachent leurs poumons sur le pont depuis des heures. »
Charlotte vit du coin de l'œil Kadi froncer les sourcils.
« Tout le monde s'est mis à tousser au même moment que Charlotte ?
— À peu de choses près, c'est ça, confirma Jackson. C'est vrai que c'est étrange, à bien y réfléchir.
— Peut-être que Nälkäinen l'a fait exprès pour nous forcer à retourner le voir ! comprit Armand, les yeux écarquillés. Il a dû... il a dû m'entendre penser.
— Quoi ? fit Charlotte.
— Je me disais... je me disais que ce n'était pas grave si Tobias restait dans cet état, j'étais heureux d'avoir vécu une aventure avec vous tous. Il a sans doute pensé que je n'allais jamais revenir et que j'oublierais son existence. »
Ça me semble... assez clair, en effet. Non, attends, ça ne va pas. Heureusement pour Charlotte, Kadi se souvenait également de ce qu'il s'était passé après le concert et lui économisa un peu de souffle.
« Charlotte toussait déjà en 1987, c'était bien plus tôt que ce que vous croyez !
— Alors ce n'était qu'une très mauvaise coïncidence, intervint Tobias, pas une malédiction ? Je pense que c'est l'explication la plus plausible.
— Oui, mais ce n'est pas le plus important, on verra ça plus tard, s'irrita Armand.
— Calme-toi, il n'arrivera rien de bon si tu t'énerves, décréta Jackson. On va se détendre, tous, et trouver une solution. D'abord, comment pouvez-vous aller en 1809 ? »
Armand resta muet, les yeux fixés sur sa sœur. Ne me regarde pas comme ça, je n'irai pas mieux uniquement parce que tu me mets mal à l'aise ! Mais elle n'osa pas perdre ses forces à protester : son frère était malheureux comme les pierres. Il ne méritait pas de recevoir un balbutiement réprobateur en pleine figure, assorti de quelques microbes. Tobias prit le relais du capitaine, s'affirmant de plus en plus comme un membre à part entière de l'équipage.
« Il suffit de vouloir y aller. Ce n'est pas très compliqué, mais ça ne fonctionne pas sans mission de Nälkäinen à mener à bien. Dans le cas contraire, la mer s'ouvre en deux et on se retrouve à l'entrée de sa caverne. Ne rêvez pas tout de suite d'aller en 1809, nous ne sommes pas prêts !
— Il faut qu'on apprenne le chinois ? demanda Kadi, volontaire, le menton relevé. Je veux bien essayer, si quelqu'un peut m'aider.
— Personne n'en connaît le moindre mot à bord, se désola Jackson. L'idéal serait de voyager jusque dans les mers de Chine, de saborder un navire pour recueillir quelques marins et de s'entraîner.
— Tout l'équipage du HMS Jolly sera mort avant d'atteindre ces contrées lointaines, soupira Armand. Entre les centaines d'occasions de se faire attraper par la British Royal Navy et la tuberculose, nous sommes fichus. Il faut trouver autre chose.
— Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'on pourrait faire, admit Tobias. En fait si, je vois une solution, mais elle est dangereuse et un peu folle. »
Tous le regardaient en silence.
« On pourrait apprendre le chinois sur place, en 1809. Faire la même chose que ce que tu proposes, mais dans le passé.
— Personne ne nous prendra au sérieux dans une barque ! répliqua Armand. Tu veux aborder des navires comment, à deux ?
— Trois, corrigea Kadi, vexée d'être mise à l'écart.
— C'est là que ça devient un peu fou, reprit Tobias. Il faut y aller avec le HMS Jolly tout entier, l'équipage au complet. »
Charlotte éclata de rire, s'étrangla et perdit conscience.
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