Nous nous trouvions dans la cafétéria avec Cédrine. Un silence pesant régnait entre nous sans trop de raison valable si ce n'était à cause de mon humeur quelque peu maussade.
    Je passais ma fourchette sur le contenu de mon assiette sans trop d'appétit. Cédrine, qui me connaissant très bien, me demanda seulement maintenant :
    - Bon. Est-ce que tu vas me dire ce qui t'arrive Marianne, parce que j'aimerais bien savoir ce qui se passe dans ta petite tête !
    En effet je savais très bien qu'elle avait remarqué que j'étais tracassée au moment même où elle était entrée dans mon véhicule. Je savais aussi qu'elle avait pris sur elle pour ne pas m'interroger jusque-là puisqu'elle connaissait très bien mon sale caractère. Elle savait qu'il me fallait un petit temps de réflexion lorsque mon esprit était tracassé ou bien quand j'étais de mauvaise humeur, ce qui arrivait très souvent mais ce qui, heureusement, ne la faisait pas fuir, et pour cela je lui en étais extrêmement reconnaissante.
    On pouvait dire que la relation que j'avais avec Cédrine était très fusionnelle. Elle savait décrypter mes émotions juste en me regardant et quelques fois cela avait le don de me frustrer mais d'autres fois, cela me soulageait puisque de cette manière, je n'avais pas besoin de lui expliquer ce qui pouvait être douloureux à dire tout haut. Je devais bien avouer qu'au début, j'essayais de cacher les fois où je n'étais pas dans mon assiette, afin de ne pas l'inquiéter mais j'avais depuis longtemps laissé tomber puisque j'avais découvert que Cédrine était ce qu'on pouvait appeler une personne obstinée et entêtée.
    Je soupirais bruyamment en voyant son air sérieux et son regard insistant et me décidais enfin à répondre :
    -     Eh bien ... il y a ce rêve que je fais souvent ...
    -      Souvent ? Me demande-t-elle, intriguée.
    Je soupirai de nouveau avant de déclarer :
    - Chaque nuit en fait ...
    Elle continua son interrogatoire :
     - Est-ce un cauchemar ?
     Je passai une main dans mes cheveux, prise d'un sentiment de frustration :
     - Je ne sais pas trop ... c'est vraiment bizarre ...
    Elle se frotta le menton comme si elle avait à faire à un problème de mathématiques. Je ne pus m'empêcher de froncer les sourcils en me rendant compte qu'enfaite c'était moi le problème de mathématiques. Elle me questionna pour la énième fois, vraiment décidée à en savoir plus :
     -  Ce dessin que tu faisais en cours, est-ce que ça a un rapport ? Explique-moi ton rêve. Je pourrais peut-être y trouver une signification.
Oui, Cédrine était bien une personne têtue. Elle croyait aussi au fait que les rêves avaient une signification et reflétaient les sentiments refoulés.                Moi je n'y croyais que très peu ou même pas du tout mais je cédai tout de même :
     -     Oui. J'ai dessiné ce dont je me rappelais le plus. Je courais vers une petite colline. On aurait dit qu'autour de moi, c'était la fin du monde. Il y avait des météorites, et trois tornades qui se dirigeaient droit vers moi mais le plus étrange dans ce rêve c'est la suite. Ce moment est de plus en plus net ...
    Elle me pressa :
    -    Accouche !
Je soupirai une nouvelle fois.
    -    J'ai levé les mains vers le ciel et je fermais les yeux mais lorsque je les ai rouvers ... il y avait des corbeaux ...

     Elle me coupa :
      -    Des corbeaux ?!
      Je râlais :
      -    Laisse-moi finir ! Il y avait beaucoup de corbeaux qui tournaient autour de moi, une centaine je dirais. C'était incroyable. C'était comme si je les contrôlais. Ils ont tourné si vite qu'ils ont formé une tornade encore plus puissante que les trois autres.
     Elle ouvrit grand les yeux puis me pressa de nouveau :
     -    Et après ?!
     -    La grande tornade formée par les corbeaux autour de moi absorba les trois autres.
      Elle eut un rire nerveux :
       -    Rien que ça ?!
      Pour toute réponse, je hochai simplement la tête en me prenant la tête entre les mains :
       -   Il doit vraiment y avoir un gros problème chez moi pour que je fasse ce genre de rêve chaque nuit. Alors docteur , votre diagnostic ?
      -   Hum ... j'en sais trop rien. Ça dure depuis combien de temps ?
      -   Trois mois et vingt-neuf jours, annonçais-je.
    Elle réfléchit quelques secondes puis une ampoule parut s’allumer dans sa tête.
    -   Depuis ton anniversaire, depuis tes 18 ans Marianne !
    Je rejetais la tête en arrière avant de fermer les yeux et de me torturer l'esprit pour deviner ce qui m'arrivait en ce moment.