Chap. 8
Élémenta
Télékinésie
Télépathie
- Tinuviel – Saison 1, Mois 5 – J-119
« Taekwondo ».
Ce mot était dur à dire, même pour moi qui parlais quatre langues.
J'avais trouvé deux vidéos qui avaient survécu. Nous les regardions sur mon avant-bras. Nous avions les yeux si ouverts qu'un millimètre de plus et il n'en resterait bientôt que les orbites.
Avant l'entrainement, je réglai une alarme. M'eta m'avait invitée chez elle.
Je tournai le dos à mon frère. Mains jointes derrière moi.
- Elendil, aurais-tu la gentillesse ?
Il mit à peine trois secondes de plus que d'habitude pour fabriquer des liens faits de végétation. Je savais qu'il avait scruté l'horizon à la recherche de S.I.
L'anonymat était notre défense première dans ce monde, un rien hostile. Venait ensuite l'affrontement.
Et nous allions justement y travailler.
Mains attachées, nos jambes seront nos boucliers. Je sentis des lianes m'enserrer les poignets. Je réservai le même sort aux mains de mon frère.
Nous nous fîmes face. Nous reculâmes de deux pas. Nos regards étaient bloqués sur l'autre. Son corps était si droit, qu'il paraissait traversé par une ligne verticale.
Le schéma de ce rituel était inscrit à l'encre indélébile dans nos cerveaux. Le combat en duel.
Cet art martial Humain se pratiquait sans arme. D'après les visionnages que nous venions de faire d'une vidéo, il était question de techniques d'attaque où l'énergie est concentrée pour viser les points faibles de son adversaire.
Lors d'un combat, le secret réside quelque part entre la fureur et le calme total. Le point médian.
Le temps d'attente était écoulé.
Il plongea.
Un coup doit être senti avant d'être vu.
J'étais persuadée d'avoir anticipé l'impact selon l'angle que son corps avait pris lorsqu'il s'était élancé. Mais non.
De son pied sur mon dos, je sentais la morsure brûlante. Je me servis du mien pour atteindre son plexus solaire.
Nos jambes devaient aller très haut. Malgré nos mains attachées derrière, l'équilibre devait être maintenu. Le tout synchronisé, pour que les cabrioles se terminent en coups imparables.
Mais à quoi pensaient ces Humains ?
Une heure plus tard, nous étions au sol, tous les deux. Haletant. Avec tous nos membres endoloris.
Mon frère priait, tout ce qui pouvait l'être, de ne pas aggraver l'indignité de sa mort. Puis, soudain, il se releva.
- Je me douche en premier !
Et il partit en courant.
- Quoi ? Non Elendil !
Si les escaliers pouvaient hausser les sourcils, ils ne manqueraient pas de le faire en nous voyant débouler en furie, à chercher à tout prix à arriver avant l'autre.
J'étais pleine de savon. Et victorieuse.
Quand je fermai la porte pour partir rejoindre M'eta, mon frère ressassait encore. Je n'avais plus qu'à arriver chez elle. Facile. Ou presque. Elle m'avait donné des indications claires.
Les rêves comme les miens avaient tendance à empiéter sur mes heures de veille. Le Chef des Renégats s'insinuait encore plus facilement en moi. Une activité, loin de tous us et coutumes Élémentalistes était le meilleur moyen de me détacher du cauchemar. Marcher parmi les Évolués.
Je fus tentée de suivre les bus depuis le sol. Mais où serait le défi.
Il n'existait aujourd'hui que deux couleurs d'automobiles. Blanche et noire. Le choix n'était pas anodin. Pas uniquement fait pour coller au décor épuré, mais pour prévenir les piétons.
Retenir le code couleur était assez simple : les voitures blanches étaient auto-guidées, sans volant et sans besoin de conducteur. Les voitures noires (couleur de la mort ?) étaient conduites par des Évolués.
Les Élémentalistes ne laissent rien au hasard. Nous avions appris à les conduire pour se fondre dans la masse. Mais par manque de Crédits, nous n'avions jamais eu l'occasion d'en acquérir une depuis notre exil.
Je sentis mon poignet vibrer, et la tête de M'eta apparut sur mon bras. Un visage qui appelle l'amitié.
- J'aimerais qu'on salue ma prédiction d'avenir. J'annonce. Tu as probablement réussi à te perdre sur une ligne droite. Dit-elle en riant. Bon, dis-moi ce que tu vois autour de toi, je vais te guider.
Après qu'elle m'a indiqué le chemin, je poursuivis ma route. Selon elle, je n'étais qu'à dix minutes.
Soyons optimistes.
Alors que j'entrais dans sa rue, mon bras vibra à nouveau. Ce qui équivalait à de la popularité à mon échelle.
Un message. J'ochim. Voir son nom me stoppa net. Je ne lui avais pas donné mes coordonnées, il n'aurait pas dû les avoir. Un contact dermique était obligatoire.
M'eta avait déjà expliqué son fonctionnement. Au mépris sous-jacent, il suffisait d'ajouter de suaves paroles, parsemées de compliments, pour que les femmes se sentent comprises par lui.
Que me voulait-il. Il pouvait avoir n'importe quelle fille.
- « Tu es libre cette après-midi ? Je suis d'accord pour t'aider en A.D ».
Si c'était un Anti, aller chez lui était la pire des idées. Mais aussi la meilleure pour savoir si ç'en était un.
- « Je suis chez M'eta, prépare bien ta leçon ».
M'eta m'ouvrit, un grand sourire aux lèvres. Je n'avais jamais rencontré de fille comme elle. Vous l'aimiez, avant qu'elle n'ait parlé.
A peine avais-je franchi la porte, qu'elle ordonna à voix haute : « Appartement, ferme la porte ». Celle-ci se ferma seule, comme par enchantement.
Ah oui, j'avais oublié les commandes vocales des habitations.
Dans cet appartement seuls nos deux cœurs battaient. Parmi les miens, nul besoin de s'annoncer puisque nous sentions et entendions nos congénères arriver. Encore moins si la personne possédait un grade moins élevé que le vôtre. Les peintures corporelles Élémentalistes le soulignaient, au cas où vous l'oublieriez.
Ici, les Évolués, appelaient ça politesse. Vous deviez saluer tout le monde.
- Suis-moi. Ma chambre est par là.
- Je vais dire bonjour à tes parents d'abord ?
Son sourire était impeccable mais ses yeux se ternirent.
J'avais été élevée pour être une machine à tuer. Nous passions de heures à peaufiner nos entrainements. Je relevais toujours les moindres détails. Mais j'étais passée à côté de ça.
Elle n'avait pas à répondre. Au mur. Une dizaine de photos d'elle et sa mère. Juste elles deux. Personne d'autre.
- Mon père est parti avant ma naissance. Je vis avec ma mère.
La borne 6 en télépathie permettait d'effacer les souvenirs. Je ne la connaissais que depuis peu, alors pourquoi je pensais à retirer cette lueur de chagrin dans son regard ?
- Je suis désolée M'eta.
- Desserre les dents. Tu ne pouvais pas savoir. Ma mère m'élève seule. Elle refuse que je l'aide financièrement. Elle est donc très prise par son travail. Le point positif, nous avons l'appartement pour nous toutes seules !
- Vous êtes bien plus fortes que la plupart des Évolués, quelles que soient vos Bornes.
- Tu veux mon secret ? Sourire. Être heureuse pour deux. La vie, c'est la merde pour tout le monde de toute façon alors autant s'amuser !
Je voulais en savoir plus.
- Que fait ta mère comme métier ?
- Tu ne serais pas en train de détourner la conversation par hasard ?
- Pas consciemment.
- Passons un marché. Une question chacune. Mais tu seras à court de questions avant moi.
- A court ?
- Quoique. Tout dépend si l'on compte les questions de vocabulaire. Je parie j'aurai plus de questions que toi tu n'en auras.
- Je serai exceptionnellement capable d'en faire, uniquement pour gagner.
- Je n'en suis pas si sûre ! Viens, ne restons pas dans le salon.
L'anthropologie était interdite. Sa mère était Curatrice et s'occupait donc des blessures graves, souvent dues aux Capacités. Tout comme sa fille, elle était passionnée par l'Évolution. Elles profitaient des connaissances empiriques et anatomiques acquises grâce au métier de Curatrice pour faire leurs recherches.
- Et vos parents à vous ?
Aucun métier Évolué ne se rapprochait d'un Roi. Les Édiles à la rigueur. Mais ils étaient sept. Pas facile de se faire passer pour leurs enfants.
Mes parents avaient fait le choix d'être des souverains, avant d'être des parents. Et à leur tour ils devaient transformer leurs enfants en souverains. J'avais grandi, en trouvant normal que leur cœur ne soit pas rempli de notre amour, et réciproquement.
- Ils font partie de la Milice de F.E.
- Ils doivent être sacrément puissants alors ! Ils vous soutiennent dans votre E.E.E ? Ils n'ont pas peur que vous désertiez ?
- Non, ils sont assez confiants à ce sujet.
Une relation où quelqu'un se soucie tant de votre bonheur, et si peu de ce que vous faites de votre vie ? Cela existait vraiment entre parents et enfants ?
- Et tu en connais toi ? Des déserteurs de Territoires ? Ou des Anti ?
La question sonnait faux. Mais j'étais aussi venue pour ça.
Elle ne me laissa pas cogiter longtemps. Elle se mit à rire. Nous étions assises sur son lit en tailleur, l'une face à l'autre. Le sommier prit une teinte flashy. Elle était donc enthousiaste. Les lits faisaient partie des meubles modifiés. Tout dans un appartement était un objet technologique dorénavant et relié à votre Bracelet. Selon votre humeur, ou rythme cardiaque, les couleurs changeaient. Des musiques apaisantes ou énergisantes pouvaient même émanaient des murs sans que vous ayez eu à lever le petit doigt.
- Non. Tu penses à quelqu'un en particulier ?
Elle appuya sur un bouton. Un écrin sortit du mur. Cette boîte à ouvrages était remplie de séries d'Injections : du parfum longue durée pour la peau, maquillage effet tatouage, teintes pour cheveux, changement de couleur d'iris. Les autres, je ne les reconnaissais même pas.
- Non, l'École 5 me semble assez banale et calme.
- Je suis bien d'accord avec toi ! Mais ça va peut-être changer, qui sait !
Elle passait ses doigts au-dessus des piqûres, convaincue que j'allais y passer. Injecter c'est mentir, et j'avais déjà mon lot de mensonges.
Avant toute objection de ma part M'eta annonça :
- Ok, pourquoi ça te rebute à ce point ?
Tout comme l'alcool n'avait pas le même effet sur nous, j'étais pratiquement sûre que les Injections ne prendraient pas avec nous. Notre organisme les rejetterait automatiquement.
- J'aime mon corps comme il est.
Elle frappa des mains :
- Je pense que c'est la meilleure réponse possible. Et je dois dire que cette réponse m'arrange. Plus de temps pour discuter !
Tête en l'air elle ordonna :
- Appartement, énumère les trois points du jour.
L'appartement lui-même répondit d'une voix scandée :
- Est-ce bien la liste numéro soixante-dix-huit ?
- Tout à fait.
- M'eta, tu fais souvent des listes pareilles ?
- Si tu savais ! Je fais des listes de listes !
L'appartement avait vraisemblablement attendu la fin de notre échange pour ne pas nous couper :
- L'adonis, l'insatiable et la naïve.
- Je ne connais pas les deux premiers mots.
- Tant mieux, c'est le dernier qui te concerne.
J'allais répliquer, mais mon poignet vibra. Avant que je ne puisse lire quoi que ce soit, elle saisit mon bras. Ce contact m'étonnait toujours autant, mais venant d'elle, je crois qu'il ne me dérangeait moins.
- F.S et cachotière ? Mais que vais-je donc faire de toi E'milie V87A87 ?
Je pus lire le message de J'ochim quand mon bras me fut rendu :
- « Ok, je vois où elle habite, dis-moi quand tu sors, je viendrai te chercher. »
J'appréhendais l'entrevue, autant que la réaction de M'eta. C'était peut-être ça être adulte, cesser de se sentir en sécurité, mais faire avec.
Elle avait les yeux rivés sur moi.
- On va se voir tout à l'heure.
- Oui. J'avais compris cette partie-là toute seule figure-toi. Dit-elle avec ses yeux orangés encore plus brillants que d'habitude. Il saute sur tout ce qui bouge. Et même ce qui ne bouge pas. Mais tu sais ce que je crois. Il cherche autre chose. Il fait le fort, mais il a ses faiblesses, comme tout le monde. Il accepte enfin qu'il a besoin de tendresse.
Elle semblait bien plus à même que moi de faire preuve d'empathie.
- Rassure-moi, dans l'analyse de mon camarade, dans le rôle de la tendresse, ce n'est quand même pas moi ?
- Voyons E'milie, tu ne peux pas ne rien avoir vu ?
- Mais il n'y avait rien à voir. Et d'ailleurs, dans les points du jour, je ne connais toujours pas la signification des deux premiers points.
- L'adonis c'est ton frère qui a une beauté qui dépasse l'entendement. Je crois que je vais entrer dans la course, ne serait-ce que pour mettre des bâtons dans les roues d'Adel'heid.
- Quelles roues ?
- Aucune. Je vais essayer de contrer ma meilleure amie qui joue sur deux plans. Autant pour toi, que pour moi, alors écoute moi-bien.
Elle s'installa confortablement. L'inspiration qu'elle prit laissait présager une longue explication.
- A'del a donc été en couple avec Jo l'année dernière, trois semaines, à tout casser. Enfin, peut-on dire qu'ils ont été en couple, si ça n'a été que du sexe ? Le débat est ouvert mais très vite refermé. Elle a poursuivi ainsi avec d'autres depuis. Preuve que la rupture l'a franchement marquée. Je la connais depuis que j'ai six ans et je la considère comme ma meilleure amie. Personne n'est parfait, pas vrai ? Sans la connaître, on pourrait croire que son tour de poitrine est supérieurement plus grand que son intelligence. Mais c'est tout l'inverse. Quand elle veut quelque chose, elle ne recule devant rien.
Je n'avais aucun mal à imaginer Adel'heid en un curieux mélange entre un soleil chaud et une tornade impitoyable.
Le vent grondait dehors. Je l'entendais contre les fenêtres. Et je le voyais faire danser les arbres vrais et holographiques. Ouvrir la vitre et me laisser porter serait si simple et si rapide.
J'enviais fortement les nuages au-dessus de nos têtes qui n'avaient que faire de ces histoires sentimentales.
Elle vit mon regard et l'interpréta mal, entrebâilla la fenêtre. Une curieuse odeur arriva à mes narines. Sans remarquer quoi que ce soit, elle poursuivit :
- An'selm est un ami d'enfance qui est sûrement amoureux d'elle depuis longtemps. Ils sont très différents. Sans pour autant la remettre sur le droit chemin, il redresse un peu le tout. Ton arrivée a fait ressurgir sa nature profonde.
Avant de poursuivre elle se lança dans une imitation assez ressemblante :
- Vas-y que je « donne du cheveu » devant Jo, vas-y que j'en donne aussi devant le nouvel arrivant F.S !
M'eta avait en elle un mélange d'espièglerie et de charme qui empêchait ses propos d'être blessants.
Mais les odeurs et le langage corporel ne mentaient pas.
- M'eta tu l'aimes n'est-ce pas, Adelh'eid ? C'est pour ça que tu veux entrer dans la course ?
Plus le malheur est grand, plus il est grand de vivre. Son regard mélancolique confirma pour elle.
- Tu es si lunaire et imprévisible que tu devrais faire attention que je ne tombe pas amoureuse de toi.
- Ne t'y mets pas toi aussi s'il te plaît.
- Tu auras donc remarqué quelque chose !
Elle m'avait eue.
- Passons un dernier marché. J'admets ma bissexualité, et tu reconnais qu'il se passe quelque chose.
- Si je me tais, mon silence parlera pour moi.
- Parfaitement.
- Négocier avec toi est assez rageant, tu le sais ça ?
- Je sais surtout que tu vas être en retard à ton rendez-vous suivant. Tu perds du temps, ou bien tu essaies d'en gagner.
- Ma réponse est oui M'eta.
- Je vais répondre oui aussi, même si nous connaissions déjà toutes les deux la réponse.
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