Chap. 3
Élémenta
Télékinésie
Télépathie
- Tinuviel – Saison 1, Mois 4 – J-150
M'eta en connaissait un rayon sur l'Évolution. Elle mettait une gaité touchante pour parler de cellules. Elle me désigna les autres jumeaux qu'avait mentionné la professeure. Ils nous regardaient aussi. Même assis, ils surplombaient les autres élèves, ils devaient être de la même taille qu'Elendil.
A défaut d'avoir leur vrai prénom, j'allais leur en trouver. Le premier, que j'appellerais Noirceur, avait les cheveux de cette couleur en bataille. Pour un mois aussi froid que celui-ci, étrange choix que de porter un t-shirt. Je vous laisse deviner la couleur de ce dernier. Il avait un piercing sur la lèvre inférieure et un tatouage sombre recouvrait tout son bras droit.
Tout opposait le second à son frère. Chignon avait des cheveux bruns attachés aussi peu efficacement que ceux d'Elendil. Ses vêtements étaient assez neutres. Ses yeux étaient à première vue son seul point commun avec son jumeau. Ses deux bras à lui étaient entièrement tatoués et un piercing brillait à son arcade sourcilière.
Adel'heid s'excusa de son nouveau retard auprès de la professeure, et vint nous rejoindre. Sans son ami masculin peu endurant si j'en crois l'heure sur mon Bracelet. Je n'avais pas besoin de lever les yeux sur son regard salace pour avoir confirmation de ce que m'indiquait mon nez.
- Celui à la barbe n'est autre que l'ex d'Adel. Celui en noir c'est . Leur style ? Se comporter à la limite du mépris envers le sexe féminin. Surtout Jo. Ensuite, il n'a plus qu'à choisir celle qui exultera d'être la seule à trouver grâce.
- Et toi Adel'heid, tu as donc fini par la trouver ? La grâce.
Ma question n'eut pas l'effet escompté. Il était curieux de voir à quel point une phrase pouvait prendre une signification opposée à celle souhaitée, selon le ton ou les mots employés. Ça m'apprendra à vouloir m'intégrer.
Adel'heid, dilatation de ses pupilles, insistance de son contact visuel dans ma direction et ses battements de cils. Tout concordait, elle était en colère.
M'eta, en revanche, attira l'attention des autres élèves avec son éclat de rire qui était aussi insultant à mes oreilles qu'une défaite cuisante en langue. Après avoir repris une respiration satisfaisante, elle dit :
- Je sens, chère F.S, qu'entre ton manque de filtre, et ton bilinguisme incomplet, nous allons bien rire !
Sa main était sur mon épaule. Elle apparaissait à mon corps instinctivement comme une menace. Alors pourquoi son sourire lumineux me hérissait les poils ?
La professeure énonça avec un sourire qui s'adresse à tout le monde, ou plutôt à personne :
- Bien, commençons. Le nouvel exercice que je vous propose aujourd'hui consiste à déplacer un liquide, d'un récipient à un autre, sans renverser une seule goutte. Pour les télépathes, il s'agira de faire transparaître une émotion en ne communiquant que par esprit.
Les « telek » - comme disait M'eta - et les télépathes étaient séparés pour chaque exercice. Adel'heid et M'eta allèrent rejoindre leur groupe.
L'École 5 dispensaient trois cours de Capacités par semaine. Les Colliers constituaient une bonne défense, mais maîtriser ses dons était primordial pour ne pas être un danger pour soi et pour autrui.
L'eau était un des Éléments de prédilection de mon frère. Une simple pensée, et ses bras se recouvriraient de glace, des armes tranchantes et létales. Mais une seule goutte suffisait aussi à créer des formes féériques.
S'il nous venait à l'idée de faire une démonstration, là maintenant. Tous les Évolués de cette pièce seraient en extase, ou en pleine folie meurtrière.
Ce n'était pas nous, lors de nos deux séjours précédents en Territoires Évolués, qui avions transmis aux miens la technologie des Bracelets. Cela remonte à des décennies avant notre naissance. Les Élémentalistes avaient réussi à déjouer tous leurs circuits et à fausser les informations figurant sur les Bracelets.
Les élèves avaient le front plissé sous l'effort. L'entraide qui naissait entre eux donnait un réel intérêt et dynamisme à l'exercice. Nous devions nous caler sur leur niveau en observant leurs échecs et les sourires de fierté après un semblant de réussite.
Ce n'était ni dédain, ni condescendance, mais tous ces Évolués n'avaient jamais été contraints à être forts. Et en cela, ils étaient faibles même s'ils ne le savaient pas encore. Le jour où la guerre qui nous guette éclatera, ils devront se battre pour leur vie. Eux qui se croyaient intouchables depuis la victoire sur les Humains, devront faire bien plus qu'être heureux ou tristes par pensée.
Un élève aux cheveux courts et violets en particulier sortait du lot. Et n'avait essuyé aucun raté. Des ondes puissantes émanaient de lui. Sa Borne devait avoisiner 5. Tout comme son estime de soi. Il réussit à transvaser une boule d'eau, de la taille d'une pastèque, d'un saladier à l'autre du premier coup. Il arborait un sourire si large que sa dentition parfaite allait pouvoir rivaliser avec le soleil.
Quelque chose n'allait pas avec les deux autres jumeaux. Grâce à M'eta j'avais appris que leur nom de famille était . J'étais impressionnée par leur impassibilité qu'ils ne semblaient même pas feindre. Là où ça n'allait pas, c'était leur aura. Ils se mêlaient aux autres, mais semblaient ailleurs. Au-dessus. Ils n'étaient ni Élémentalistes, ni Renégats, nous l'aurions senti. Leur marginalité m'inquiétait. Être dans la classe de potentiels Antis allait limiter nos mouvements.
La journée arriva vite à son terme.
En renonçant au Trône des Terres Élémentalistes, six années Évoluées plus tôt, nous avions renoncé à l'héritage qui allait avec.
Les siècles s'étaient écoulés, et l'argent persistait, dématérialisé aujourd'hui. Mais dans cette société d'Évoluée, la richesse ne conférait plus réellement de distinction. Les Capacités, si.
Officiellement, nous rentrions en bus. La géolocalisation ne faisait pas partie des fonctions que nous avions achetées sur nos Bracelets.
Officieusement, un coin sombre, type « allée qui faisait rebrousser chemin la nuit » serait parfait pour se téléporter sur le toit de notre Structure.
La station de bus, se trouvant sur la même place centrale que l'École, était immense. Vu sa taille, elle devait desservir une bonne partie du Territoire. La plupart des abris en-dessous desquels attendaient des élèves, étaient recouverts d'une verdure capricieuse se souciant peu des Structures Évoluées. Il était toujours amusant de voir comment la nature avait reconquis son territoire petit à petit. A des endroits improbables. Et tout aussi risible de voir les Structuristes actuels composer avec. Juste devant, était en train de décoller une navette blanche. Je sentis en moi l'appel de l'air. Comme une étincelle qui ne demande qu'à illuminer les ombres.
Avant même que le vent ne puisse chatouiller le bout de mes doigts, deux autres personnes s'adressèrent à nous :
- Vous allez où les nouveaux ?
Les deux jumeaux avançaient vers nous. Vu le sourire imprimé sur son visage, je supposai que c'était J'ochim qui avait parlé. Il dégageait l'assurance de celui qui n'a jamais eu de difficultés avec la gent féminine :
- Moi c'est J'ochim, mais appelez-moi Jo. Et lui c'est mon frère E'gon... Appelez-le E'gon. Dit-il en tendant un pouce vers son frère, qui leva les yeux au ciel. Autres jumeaux du groupe !
- Alors vous êtes en E.E.E ? Intervint E'gon.
- Tout droit venus de F.E et sur votre dos jusqu'au mois 4 ! Elendil avait pris la parole en riant.
Depuis la mort de nos parents, sourire me paraissait déloyal. Mais c'était pire si on ne le faisait pas. Les jumeaux échangèrent un regard. Peut-être avait-il décelé le caractère faux du rire de mon frère.
Je les voyais de plus près à présent. Contrairement à Elendil et moi, ils étaient de vrais jumeaux. E'gon avait des sourcils épais, tout aussi noirs que ses cheveux. Son visage était plutôt mince, son nez long et fin.
J'ochim lui, malgré des traits similaires à ceux de son frère, paraissait plus masculin. Sûrement la barbe et la moustache. Il sentait que je le regardais, mais ne bougeait pas. Je dirais même qu'il en était ravi. Je décelais une lueur grivoise dans ses yeux et un infime sourire naître sur ses lèvres. Cette joie victorieuse était-elle due à une fierté masculine ou à une affaire de stratégie ?
Lui et E'lendil et bavardaient. Je n'écoutais pas et reportais mon attention sur les yeux d'E'gon. Un marron chaud et doré par endroits.
Les yeux des Élémentalistes n'avaient pas de variations en temps normal. S'ils étaient bleus, ils étaient bleus, point. Lors de l'utilisation d'Éléments, c'était une autre histoire.
Tout comme son frère avant lui, E'gon remarqua mon attention. Il détourna la tête de la conversation. Je ne sentais aucune Injection, mais ses cils étaient si noirs, qu'on aurait pu s'y méprendre. E'gon, attendait que je détourne le regard la première. Les Élémentalistes accordaient beaucoup d'importance à l'honneur. Je n'allais pas baisser les yeux.
Mon frère serra mon bras. J'en faisais trop. J'ochim s'approcha :
- Vous venez avec nous ? Le meilleur café de la Capitale, ça vous tente ?
Si je laissais mon frère parler, je connaissais sa réponse. Ses yeux verts brillaient chaque fois que la première gorgée de caféine touchait son âme.
Ils avaient été doués ces Humains.
Pour ça, je leur tirais mon chapeau.
- Non merci.
Je n'avais rien trouvé pour de mieux pour éluder.
Ils s'éloignèrent sans insister. J'ochim colla même son poignet à son oreille, signe d'une conversation privée. Nul doute qu'il ne finirait pas seul dans ce café.
Elendil me regardait comme un parent surpris de la nouvelle bêtise de sa fille.
Personne ne pouvait nous voir, nous retirâmes enfin nos Colliers. Le soupir poussé en sentant notre lien mental retrouvé, fut tout sauf discret.
- Quand tu parlais d'éviter tout contact, je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi radical.
- Je ne t'ai pas entendu suggérer autre chose à J'ochim, Elendil.
- Ça s'appelle la survie, Tinuviel. Je sais quand me taire.
Après avoir roulé des yeux, une bonne dizaine de fois, il finit par reprendre :
- Pour ton manque de répartie, tu seras la passagère.
Se faire téléporter quelque part, et ce, quelle que soit la distance, était très désagréable.
Imaginez qu'une rafale de vent vous happe encore et encore, vous faisant perdre tout repère de temps et d'espace. Ressentir la certitude que la nausée fait désormais partie intégrante de votre organisme. Sans parler des risques et de la confiance nécessaire en la personne qui transportait.
Nos parents avaient veillé à ce que cette Capacité soit maitrisée à la perfection, et ce très jeune. Continuer à travailler sur le contrôle de la trajectoire et de bien-être du partenaire, faisait partie de nos entrainements quotidiens.
Il ne répondit pas à ma main tendue et sourit avec son air mutin habituel. J'entendis pareil à un murmure à mes oreilles : « 2-1, à ton tour ».
Il se ramollissait s'il considérait qu'un point avait été gagné. Ce n'est qu'après avoir voulu me téléporter, que je compris. Normalement, il suffit d'imaginer la destination. Or, malgré que je me sois représentée notre toit -l'intérieur des appartements étant ignifugé- j'étais revenue à la case départ.
J'allais brûler ses membres un par un !
Je le retrouvai, deux minutes plus tard, non sans avoir remis mes circuits neuronaux en place, dans la cuisine :
- Cette grimace de colère qui déforme ton visage, c'est le retour à la case départ ? Ou bien ton relâchement manifeste ?
- C'est une grimace de réflexion. Mais peut-être peux-tu m'aider ? C'est pour un ami. Qu'est-ce qui serait le plus douloureux ? De commencer par immoler le haut du corps ou le bas ?
- Et avec quel feu comptes-tu essayer ça ?
Je n'arrivais plus à cacher le rire qui était monté peu à peu.
- Allez, bois ton deuxième verre d'eau de la journée, je vais mettre à jour nos ExD.
Les Humains devaient sûrement avoir un équivalent. Les Expériences & Diplômes regroupaient notre parcours scolaire et professionnel. Ce document était systématiquement demandé lors d'entretiens et trouvable sur nos Bracelets. Si nous voulions jouer les gauchers, nous devions le porter à notre bras droit et donc taper de la main gauche. Les Bracelets étaient modernisés et alimentés grâce aux Crédits. Dont nous manquions cruellement.
J'étais assise au sol, en face de moi se trouvait un mur entièrement nu. Nous n'avions jamais accordé d'importance à nos appartements Évolués. Ils représentaient de simples étapes.
Être en E.E.E nous permettait d'avoir un appartement un peu moins cher. Celui-ci comportait deux chambres et un salon. En temps normal, cela aurait coûté 50 crédits. Notre statut étudiant nous permettait de l'avoir pour 30.
Notre multilinguisme ne se révélait même pas être un avantage lors de notre recherche d'emplois. Les Évolués n'avaient pas le droit de rester vivre sur un autre Territoire que celui de sa naissance. Hormis pour des Édiles, ou les commerçants, peu d'intérêts existaient à parler plusieurs langues.
Ce qui ralentissait considérablement la recherche était de mon fait. Nous le savions tous les deux mais n'en parlions pas. Je ne pouvais me séparer de mon frère. Un emploi à deux postes vacants, ou rien.
Soudain plus du tout alanguie, je me levai pour partir. La lumière avait déjà légèrement décliné.
Dehors, le sol mouillé reflétait la lumière des gratte-ciels vitrés si bien que la grisaille semblait blanchie. Il y avait un Centre de Rationnement qui cherchait des vendeurs, l'annonce était en ligne. Mais en nous présentant, le gérant nous apprit qu'une des deux places avait déjà été prise.
J'avais entendu M'eta et Adel'heid parler d'un bar. Je revoyais encore les yeux de velours de M'eta en décrivant « ce lieu extraordinaire ». Son visage était si expressif. Elle n'était pas très habile pour dissimuler ses émotions. Elle n'essayait même pas.
Le hasard était beaucoup trop gros pour que nous n'entrions pas dedans. Quand je cherchais un endroit, je mettais un temps fou à le trouver, et là, sans le vouloir j'étais devant ?
Nous entrons donc, aux aguets dans notre seconde plus grande erreur. Mais ça, bien sûr, nous ne le savions pas.
La porte se referma seule. Je ne voyais que deux sorties. Celle-ci, et celle de service. Le bar était de plain-pied et pouvait probablement accueillir soixante personnes. Seules deux doubles fenêtres faisaient entrer la lumière de l'extérieur. Le soleil ne semblait pas tant nécessaire. Une étrange chaleur naturelle se dégageait de cet endroit.
Nous avancions dans cette salle voûtée d'ogives.
Je souris en voyant toutes les bouteilles d'alcool, sur une étagère derrière le comptoir. Les corps Évolués étaient plus solides qu'au temps des Humains. Les chimistes avaient dû revoir plusieurs formules pour que les Évolués ressentent autre chose qu'un étourdissement.
Nous pouvions aussi en boire. Il suffisait d'un gosier. Mais la pureté de notre organisme nous rendait saoules immédiatement.
Plus au fond se trouvaient des instruments. Une guitare, une basse et une batterie. Et devant elles, un micro.
Je ne sais pas ce qui était utilisé auparavant. Information perdue avec le temps, ou cachée pour éviter de reproduire les mêmes erreurs ? Aujourd'hui, tout était électrique ou métallique.
- Vous avez de la chance les petits jeunes, on vient d'ouvrir !
S'il savait que nous étions sûrement plus âgés que lui... Je souris en guise de réponse, il faisait plutôt sombre, mais suffisamment pour y voir clair. J'aperçus l'homme qui venait de parler : pas très grand, chauve, un crâne recouvert de tatouages, la cinquantaine environ. Il avait un visage ouvert et franc. Utile pour un patron.
- Qu'est-ce que vous regardez comme ça le nez en l'air, à tourner la tête dans tous les sens ? Rit-il.
Elendil qui était plus proche que moi de l'homme, lui répondit :
- Une fille de notre classe semble être une habituée, on est entré pour voir.
Il eut un sourire attendri :
- Des étudiants qui parlent si bien A.D ! Je suis étonné ! Vous n'avez pas choisi la langue la plus facile, ni la plus belle !
Je vis passer dans les yeux de mon frère une lueur d'espoir. Il pointa un doigt :
- Vous aussi vous trouvez cette langue moche ?
Je ne pus m'empêcher de lever les yeux au ciel.
Le patron répondit :
- En voilà une qui n'est pas de cet avis. Laissez-moi vous offrir à boire.
- Et que nous vaut cet honneur ?
Mon cynisme et moi étions de nature méfiante.
Il nous invita à nous asseoir et revint avec nos boissons, au même moment que d'autre personnes entraient dans le bar. Un couple probablement. Leurs mains étaient entrelacées, leurs ongles à chacun, pleins de couleurs différentes.
- Pour répondre à ta question, je suis quelqu'un qui se fie aux premières impressions. Vous m'avez l'air de personnes bien. Et vous êtes plutôt amusants aussi. Des jumeaux qui apprennent notre langue malgré ses ... particularités ne peuvent être que fous ou très ouverts d'esprit. J'ai opté pour une des deux options. Quel que soit mon choix, c'était dans mon intérêt de vous servir.
Mon frère semblait serein. Je me rangerais donc de son côté. Elendil expliqua :
- On est F.S, on est en E.E.E dans l'École 5 de la Capitale. On était justement en train de se chercher un travail.
Il sembla réfléchir puis reprit :
- Vous m'avez l'air un peu sages, mais on ne sait jamais. Ne bougez pas, j'envoie un message à mon fils (il tapotait d'ores et déjà sur son avant-bras, tout en parlant), on vit juste au-dessus. Il est dans l'École 5 aussi. Peut-être que vous le connaissez ? Je vous laisse, je vais m'occuper des nouveaux clients.
Dans la mesure où il me considérait « jeune », je ne me sentais pas offusquée par le « sage ».
- Je m'appelle , au fait ! Clama-t-il en partant.
Nous avions déjà bu aujourd'hui. Terminer le contenu de mon verre me semblait insurmontable.
Par chance, son fils pointa rapidement le bout de son nez. C'était un garçon élancé, du nom d'Em'merich, aux cheveux bruns assez longs et des yeux bleu-gris magnifiques.
- Mon père m'a dit que des petits jeunes seraient intéressés par les postes ?
Ravie de l'apprendre.
Il avait l'air surpris. J'avais l'air surprise. Mon frère était surpris. Tout le monde respirait la surprise.
- Il n'a pas été très précis dans ses explications. Du tout. Intervins-je.
- On recherche quelqu'un pour l'alcool et quelqu'un pour le service en salle. Vous avez déjà fait ça ?
- Six mois en F.E. Répondis-je en lui envoyant rapidement nos ExD sur son Bracelet.
- C'est de là que vient votre accent ? Je n'étais pas sûr ! Et... Attendez. Dit-il, le regard bloqué sur le haut de nos ExD. Vous portez le même nom. Vous êtes frère et sœur ?
- Jumeaux même. Répondit mon frère.
- Je pensais que vous étiez ensemble.
Même les Évolués s'y mettaient.
Une façon de se tenir, la manière de relever le menton, un mouvement d'épaules, peuvent indiquer clairement que vous ne laissez pas la personne en face de vous indifférente. Bonne nouvelle. Le garçon en face de moi était franc et cela n'avait rien à voir avec moi.
- Crois-moi bien que je ne supporterais pas sa noirceur si ce n'était pas ma sœur.
- Dis plutôt que tu as été béni en naissant en même temps que moi.
Il sourit, visiblement amusé par nos piques :
- Bon, Sombre et Enthousiaste, que je vous explique. Le bar est particulier. Même si aujourd'hui, peu de choses sont encore considérées comme originales. Deux jours par semaine on fait une soirée « Le public choisit ». Le nom est nul mais on n'a jamais réussi à trouver mieux. Quand les clients entrent, ils tapent un mot sur la tablette là-bas. Et le groupe interprète une chanson en fonction d'un mot sélectionné au hasard. Ça peut être des noms communs, des verbes, des adjectifs, enfin n'importe quoi. Et vous voyez la petite scène là-bas ?
De sa main droite, il se massait la nuque. Et de sa main directrice, il montrait une estrade à l'opposé.
Plus personne ne savait se servir d'un outil scripteur à encre. Les mains des Évolués étaient sans cals, et peu de bosses. Mais celles d'Emmerich restaient rugueuses. Je le voyais sur son index tendu. C'était un musicien.
- C'est là que je fais de la basse. Il y a un mois encore on était un groupe, comme qui dirait, mais deux membres sont partis. Histoire d'amour, tout ça. Le cocktail explosif. Un frère et une sœur, c'est bien pratique ! Pas de problème à ce niveau-là.
Mon frère ne put réprimer son sourire et moi, mon coup de genou.
- Il reste à la guitare et moi. Du coup, il nous manque une batterie et une voix. On cherche des gens multitâches grosso modo.
Mon frère me regardait.
Les Élémentalistes étaient formés pour être des Maîtres en l'art du Combat, Maîtres stratèges, ou autre compétence qui rendrait notre clan fier, mais certainement pas des artistes. Mais mon frère et moi avions toujours eu des goûts différents. La déviance avait du bon parfois.
- On l'est. Dis-je en croisant les bras devant moi.
- La scène vous attend. Dit-il en nous invitant à nous y rendre.
Beaucoup de coïncidences se succédaient. Tout ça était bien trop suspect.
Nous étions prêts. Mon frère derrière sa batterie, et moi derrière le micro.
- Il devrait y avoir une tablette sur le côté, prenez-là, choisissez un morceau, celui que vous voulez.
L'engin jouerait les instruments absents et afficherait paroles en A.D et la partition.
Jouer et chanter pour soi est une chose. Le faire pour quelqu'un d'autre faisait naître l'excitation. C'est dans ces moments que les performances se surpassaient. Comme si nos cœurs et esprits se superposaient.
La musique était un moyen de véhiculer quelque chose. Il faut être disposé à donner tout ce que l'on est. Quelle vie simple ce serait que d'avoir une existence qui se résumerait à ces minutes de prestation.
Sur cette tablette ne figuraient que des chansons actuelles, pas mes préférées, mais nous ferions avec. Un clic, et une sonorité riche emplit non seulement la scène, mais aussi le bar.
Mon cœur scandait fort. J'espérais que les quatre spectateurs apprécieraient.
Cette chanson moderne et ce micro ancien. Je regardais cet objet ayant appartenu à un âge tout à fait différent. Mon cœur était toujours plein d'agitation. Ce n'était pas plus mal. Le chaos a du bon. Et il ressemblait fortement à cette mélodie. Énormément d'instruments se mélangeaient. Beaucoup de sons électroniques résonnaient.
Les sons de la batterie d'Elendil sautillaient. Comment ses poignets pouvaient-ils être souples et fermes à la fois ?
Ça y est, la mélodie dansait, au rythme que je souhaitais.
Évidemment, Elendil en avait décidé autrement.
Son allure était différente. Mais je ne lui concédais rien. Qui était soutien ? Qui était accompagnateur ? Plus rien n'était clair. Malgré le grand sourire que je sentais sur mon visage, je ne devais pas m'arrêter de chanter.
Nous n'étions plus en rythme avec la tablette, mais cette dernière était relayée au second plan. Je l'entendais à peine. Mes oreilles ne percevaient plus que les battements de batterie de mon frère qui se fondaient étrangement avec ceux de mon cœur.
Cette chanson, typique de la période actuelle, était banale si je l'écoutais seule. La jouer avec mon frère la rendait, aussi insolite, que ce moment.
Ma voix tenait bon, malgré le tempo plus rapide et l'atmosphère cinglante. Nous étions nés pour entendre et regarder ce monde. Sur scène, je chantais à travers ce que j'avais vécu.
Chaque rencontre entre la baguette de mon frère et sa batterie, donnait l'impression d'être teinté d'une couleur singulière.
Malgré notre rivalité fraternelle, lors du dernier refrain, la synchronisation fut si parfaite, que la chanson semblait faite pour nous.
Le fou rire éclata lorsque plus aucune mélodie ne sortit de la tablette.
Em'merich applaudissait :
- Où cachais-tu une voix pareille ?
Mon frère feignit la jalousie :
- Surtout, si mes mains et moi on vous dérange, on peut aller ailleurs ?
- Ta sœur, tes mains et toi, vous restez ici. Et pas que pour aujourd'hui.
- Tu ne cherches pas à savoir si on assure pour le reste ? Demanda Elendil.
- Non, je suis assez serein. Mon père ne vous a pas parlé des premières impressions ? Mais puisque tu insistes. Quelle bouteille tu choisirais pour un cocktail 46 ?
Je n'étais pas sûre qu'un nouveau coup d'œil soit nécessaire.
- Première étagère, bouteille bleue, troisième en partant de la gauche. Et celle qui n'est pas rangée, à côté de la machine à café.
Em'merich sourit dans un rictus enfantin. Visiblement, mon frère n'était pas tombé dans le piège. Il se tourna vers moi :
- S'il te plait, ne va pas demander toi aussi à faire tes preuves, aie confiance sans être maso.
Étrange. Mais à défaut de mieux, nous prendrons cela pour l'instant.
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