Chap. 1er
Élémenta
Télékinésie
Télépathie
- Elendil – Saison 1, Mois 4, J-150
Après nous être renseignés à l'accueil, nous nous dirigeâmes vers le bureau du Directeur.
Personne ne le savait, mais les Elémentalistes, au sol, se révélaient très mauvais en repères spatiaux. Vous n'imaginez pas à quel point prendre de la hauteur aide à s'orienter. Peut-être est-il donc difficile à concevoir que dans ces couloirs, un tour sur moi-même et j'étais perdu.
Plutôt une immolation que de l'avouer à ma sœur. En fin de compte, notre destination fut atteinte. Non sans une kyrielle d'allers-retours.
Ce rendez-vous allait être déterminant. Le Directeur avait du retard mais nous lui passerons car sans son autorisation d'étudier dans son École, nous ne pourrions rester sur ce Territoire.
Assis sur un banc à côté de Tinuviel, l'attente silencieuse aura le mérite de nous permettre de bien visualiser l'endroit et d'en retenir les moindres détails.
Les autochtones ne se gênaient pas non plus pour nous observer. Mais leurs regards me gênaient bien moins que ces vêtements recyclés qui étaient tout, sauf agréables.
Comme distraction, je m'amusais à imaginer tous ces Évolués comme autant d'oreilles géantes sur pattes sur le point d'être nourries par nos mensonges.
- A quoi penses-tu ?
Devoir retranscrire le fruit de mon imagination dans cette langue disgracieuse gâchait tout le plaisir de voir des tympans qui marchaient.
- Tu sais, si je deviens muet durant ces six mois, tu seras fautif.
- Fautive. Dit-elle en m'ébouriffant les cheveux.
Ils m'arrivaient presque aux épaules, c'était amplement suffisant. Contrairement à mes semblables, je les attachais souvent. Beaucoup plus pratique, et moins reconnaissable ici.
Le Directeur, finit par ouvrir la porte devant laquelle nous attendions.
Il avait un côté pète-sec : propre sur lui, cheveux impeccables et un costume parfaitement ajusté à sa morphologie. Il nous invita à entrer d'une poignée de mains. Le fantôme d'un contact. Bien qu'il arborât un sourire protocolaire, sa voix parut affreusement inexpressive.
En F.E j'avais convaincu le Directeur, en A.G ma sœur s'en était chargée. Le tour me revenait aujourd'hui. En A.D. Quel chanceux j'étais. Elle, déployait son plus beau sourire.
Aînée. Mon. Œil.
Je fus surpris quand, en passant à côté du quarantenaire. Du haut de mon mètre quatre-vingt-quinze, je croisais rarement des hommes me dépassant et, quand cela arrivait, une envie de défi jaillissait.
- Asseyez-vous, je vous en prie. Dit-il poliment.
Il prit lui-même place derrière son bureau, sur lequel rien ne trainait :
- Intégrer une année scolaire, en cours de route, n'est pas évident. Je n'oublie pas que vous êtes dans ce Territoire dans le cadre d'un E.E.E. Mais cela n'en reste pas moins délicat.
Je sentais se fermenter le peu de bonne humeur qui entrait dans la nature de ma sœur.
Attends d'entendre notre version, et nous réfléchirons ensemble après sur ce qui est délicat ou non. Il continua à parler en fond sonore de détails triviaux, mais je n'écoutais plus.
Imaginez que vous aviez sous la main, des êtres capables de créer à souhait de l'eau qui manquait tant de ce monde par exemple ? Si un jour les Évolués capturaient un des nôtres nul doute qu'il ferait l'objet de longues études. La mort était de loin plus enviable.
Sur chaque Territoire, il fallait être participer à un Échange Entre Étudiants (E.E.E). Sauf que, dans notre cas, il n'y avait pas d'échange, juste nous.
Laborieux était un mot trop faible pour décrire notre recherche de Directeur. La raison ? Les Colliers. Il était impossible de lire les pensées d'un Évolué en portant un. Il fallait attendre qu'il l'enlève, ce qui pouvait s'avérer très très long.
Les Anti- Élémentalistes ne pouvaient être durablement dissous parce qu'il n'était pas un groupe. Ils étaient partout. Et surtout où on ne les attendait pas.
C'est la crainte qui alimente une superstition et l'angoisse naît de l'incertitude.
Alors que j'avais épuisé mon stock d'approbations machinales, je repris le fil de la conversation :
- [...] votre dossier indique que vous avez déjà bénéficié de deux E.E.E auparavant. Nous privilégions les élèves n'ayant pas encore eu cette chance. D'autant plus que votre niveau en A.D semble déjà plus que correct.
J'allais me montrer pragmatique et mettre fin à ce plaidoyer inutile :
- Pardonnez mon intervention, mais il est important pour ma sœur, et moi, d'être inscrits dans une École. Question de cohérence. Comprenez-moi bien, nous n'avons pas choisi votre établissement au hasard.
- Ni vous, d'ailleurs. Ajouta ma sœur.
Un silence méditatif salua sa remarque. La curiosité de l'Évolué maintenant éveillée, place à la démonstration.
Comme pour les autres Directeurs nous étant favorables, son bureau n'était pas ignifugé aux Capacités. Un message silencieux : ils attendaient notre venue.
Nous enlevâmes nos Colliers, sous l'œil attentif de l'homme en face de nous.
Tinuviel savait que j'allais agir. Nous nous mîmes debout.
- Deux escaliers mènent à cet étage. Deux professeurs font classe. Cinq Évolués aux toilettes, trois dans les couloirs.
- Pardon ?
Évidemment, pour l'instant, il ne comprenait pas où elle voulait en venir. Juste pour le plaisir, j'allais ajouter un peu à sa confusion :
- Les vitrages sont granités. Je sais que l'extérieur ne moi dérangera pas, mais nous devons aussi assurer nos arrières et surveiller l'intérieur.
- Ne me dérangera pas.
Elle osait me reprendre en plein démonstration gratuite de puissance. On aura tout vu.
Je quittai le sol et ne m'arrêtai qu'à un mètre du sol.
Première partie, Capacité Évoluée.
- Grande-sœur, pourrais-tu t'agenouiller ?
Je dus me mordre la joue pour ne pas sourire face à sa mine surprise et un Directeur vraisemblablement dépassé.
Chaque Élémentaliste possédait ses préférences. Eau et foudre pour moi, feu et vent pour ma sœur.
Dans le creux de ma paume toujours ouverte, je fis naître une flamme ondoyante. La délimitation entre ma main et l'embrasement était infime. Comme si nous ne faisions qu'un, une fois réunis.
D'une simple impulsion, l'incandescence fut transmise à ma sœur. Pareille à une missive, ce petit brasier alla jusqu'à elle. Son corps réagit et reconnut cette calcination. Il s'enflamma intégralement. Ça lui allait si bien. Comme si le feu était la moitié de sa vie.
Deuxième partie : les Éléments.
Les frères et sœurs d'une même fratrie Élémentaliste ne pouvaient se blesser réciproquement. La nature était bien faite.
Je sentis du mouvement. Mais le cœur le plus proche était à vingt-deux mètres. J'avais encore quelques secondes. D'autant plus que rien ne me disait que cet Évolué entrerait ici.
Tinuviel leva la tête dans ma direction. Elle leva un sourcil, interrogatrice. Le bruit me confirma ce qu'elle avait vu venir avant moi.
L'élève venait de taper à la porte. Évidemment ! Elle attendit mon signe de tête avant d'œuvrer.
Un Élémentaliste, sans avoir de pouvoir sur le temps, pouvait tout de même bloquer les Évolués. Leur esprit et leur corps étaient mis en pause. C'était énergivore pour nous et temporaire. Le cerveau de la victime devait être alimenté en oxygène aussi bien que Tinuviel s'affaiblirait avec cette manœuvre.
Le plan de base consistait à une immolation, puis à une extinction venant de ma sœur. La pauvre était occupée à immobiliser discrètement l'indésirable. Le destin, que voulez-vous.
J'aimais particulièrement le moment où l'éclair brillait dans ses yeux émeraude. Le moment où elle comprenait.
Comme si ma bêtise l'étonnait encore. Mais il était déjà trop tard.
Une sensation de vie éternelle m'envahit. J'étais comme une source d'eau inépuisable. Capable de creuser des trous dans le granit le plus dur.
Une vague servant un dessein moins spirituel se déversa sur elle. Le liquide la heurta de plein fouet. Son expression si dépitée était la plus belle récompense.
Le temps que mes pieds touchent le sol, de la fumée s'échapper de son corps. Ses vêtements avaient brûlé, aussi, sa combinaison ignifugée portée en-dessous commençait à transparaître sous les lambeaux recyclés.
Elle était en position de combat. J'étais prêt à parer une attaque frontale. La connaissant, sûrement de vent.
Mon dos trempé me prouva le contraire.
Je n'ose imaginer le niveau de crédibilité qui devait être le nôtre dans l'esprit du Directeur.
Pendant que madame imprévisible se chargeait des murs, je débutai mon entreprise avec le sol. Mes mains sur le parquet, je pouvais créer une onde de chaleur suffisamment faible pour ne rien enflammer, mais assez forte pour tout sécher.
Ma sœur se tourna vers l'Évolué qui n'avait rien raté, mais sans oser nous interrompre :
- Vous portez votre Collier.
Il eut un mouvement vif, comme s'il venait de se réveiller, et porta la main à son cou. Il parut soulagé de sentir le contact familier du métal.
- Vous savez donc que nous n'avons pas pu vous influencer. Néanmoins, si vous voulez confirmation, libre à vous de le retirer. Je serais ravie de jouer au jeu du « pensez à un chiffre entre un et dix millions et je le devine ». Mais je doute que vous souhaitiez que nous ayons libre accès à votre esprit.
Posséder la maîtrise des Éléments, et les Capacités des Évolués révélait qui nous étions : les jumeaux les plus recherchés de la planète. Rien que ça.
Sans ajouter verbalement quoi que ce soit, il s'inclina, les jambes et le dos bien droits, main à l'horizontale et pulpes des doigts sur le front. Il n'était pas un Élémentaliste, pour connaître cette marque de respect, il ne pouvait qu'être un fanatique.
L'adoration aveugle n'apporte que du vide. Il n'était pas des nôtres, nous n'étions pas dans nos Terres. Cette révérence n'avait pas lieu d'être.
- Vous êtes le Roi et la Reine.
Avant de poursuivre, il fit durer cette phrase, comme pour la savourer le plus possible.
- La rumeur dit vraie. Vous avez réellement renoncé au Trône.
Il lui semblait doux de prononcer ces syllabes. Comme si évoquer ces titres prestigieux pouvait prodiguer une ombre tutélaire.
Je validais d'un hochement de tête. C'est ce moment que ma sœur choisit pour enfin libérer son jeune prisonnier. Le coup résonna dans le bureau.
- Plus tard ! Cria-t-il avec une énergie qui le surprit lui-même. Je suis désolé pour la mort de vos parents.
- Le meurtre. Le reprit ma sœur.
- Oui, bien sûr. Ils ont été les meilleurs souverains que votre peuple ait connu depuis longtemps.
Les meilleurs ? Il faisait, sans surprise, partie de ces gens amoureux d'une image qu'ils avaient eux-mêmes créée et cristallisée.
Je me tournai vers Tinuviel.
Aradan avait instillé la terreur dans le cœur des Êtres vivants de ce monde. Je savais que ma sœur ressentait cette peur inéluctable en ce moment-même.
Et elle s'en voulait pour ça.
Je me dépêchai de changer de sujet :
- L'Édile ne permet pas un séjour de six mois sur un Territoire. Intégrer une École est primordial si nous voulons rester.
- Seuls trois E.E.E sont permis pour chaque étudiant. Vous êtes conscients que celui-ci sera votre dernier ?
- Trois E.E.E valent mieux que rien du tout pour secourir les vôtres, nous ne pensez pas ? Trancha ma sœur.
En aidant les autres. Sincèrement. Vous vous aidiez vous-mêmes. Maintenant, le tout était de savoir si nous le faisions sans arrières pensées. Il sourit :
- Je comprends et c'est tout à votre honneur. Que proposez-vous comme adaptations pour consolider votre couverture ?
Il faisait tellement de son mieux, je ne devais pas lui en vouloir.
- Après l'élémenta, le F.S est la langue avec laquelle nous sommes le plus à l'aise. Notre accent s'entend peu. Jouer des jumeaux F.S semble plausible. Nous porterons les Colliers comme vous tous. Quant aux Capacités nous choisirons d'utiliser uniquement la télékinésie. Bien sûr, nous ne ferons jamais utilisation des Éléments. Et lors des cours de Capacités, nous ne dépasserons pas la Borne 4,3. Enfin, pour la latéralité, nous avons appris à tout faire comme vous, les gauchers.
Il bougeait à présent uniquement pour approuver ce que l'on disait. Ma sœur et moi avions dû répéter ce petit récital tellement de fois, que ma diction en était détachée.
- Puis-je vous poser une question ? Si la Milice contrôlait vos Bracelets, ils valideraient cette version ?
- Tout à fait. Répondis-je en anticipant très bien ce qui allait suivre.
- Comment est-ce possible ? Ils sont infalsifiables.
- Ça fait deux questions monsieur.
Il prit la bonne décision en n'ajoutant rien.
Il sortit une tablette d'un tiroir de sa main gauche.
La pensée. L'Évolution avait fait de tous les Évolués, des gauchers. L'hémisphère droit du cerveau, bien plus propice à la pensée imagée et simultanée, avait permis entre autres, l'émergence des Capacités. Nous n'étions pas là lors du Grand Changement. Et pour cette raison, tous les Élémentalistes étaient droitiers. Heureusement pour notre « couverture », l'écriture manuscrite n'existait plus.
Abattre la moindre végétation était interdit. D'où la présence incohérente de plantes dans les rues.
Il releva la tête vers nous :
- Quelques clics, et vous serez officiellement étudiants en E.E.E pour les six prochains mois.
Si l'on respectait les petites règles, il était aisé de briser les grandes.
Manifestement, dans la tête de ma sœur c'était le calme plat. Alors que dans la mienne, résonnaient les roulements de tambours symbolisant notre nouvelle aventure.
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