quatre
"Émilie ? répéta Frédéric en faisant un pas vers la jeune femme."
Celle-ci, instinctivement, fit un pas en arrière. Elle se sentit alors paralysée. Elle n'était pas prête à tomber sur lui. Elle ne savait que faire, ni que dire.
Elle se mit à trembler et un flot d'émotions incontrôlable l'envahit. Frédéric s'approcha de nouveau d'elle et tendit une de ses mains vers le bras de la jeune femme.
"Excuse-moi, dit celle-ci précipitamment."
Elle se retourna vivement et s'éloigna à grands pas, plaquant une main devant sa bouche pour réprimer ses sanglots.
*
Émilie fut incapable de retourner travailler cet après-midi-là. Elle avait trop honte de sa réaction.
Elle s'était enfuie bêtement. Elle qui aurait dû être si heureuse de revoir Frédéric après tout ce temps, elle se retrouvait complètement déboussolée par ces retrouvailles inattendues.
Elle marcha tête basse dans les rues de Misora pendant plusieurs heures.
Alors que le soleil entamait sa descente dans le ciel, les pas d'Émilie la menèrent jusqu'au vieux pont de la ville. À cette heure-ci, elle savait qu'elle y serait seule et au calme. La fraîcheur du soir l'aiderait à remettre ses idées en place.
"J'étais sûr que tu finirais par venir ici, dit une voix tranquille devant elle."
Émilie sursauta et redressa la tête. Accoudé au rebord du pont, les yeux fixés vers l'horizon, Frédéric était là. Il tourna la tête vers Émilie qui rougit et baissa encore une fois les yeux.
La panique qui s'était immiscée en elle le matin même revint soudainement et elle pivota sur ses talons pour rebrousser chemin.
Mais elle n'eût pas le temps de faire un pas qu'une main puissante se referma sur son bras. Frédéric la tenait juste assez fermement pour ne pas lui faire mal.
Ils restèrent quelques instants figés ainsi. Elle lui tournant le dos, lui, lui tenant le bras.
"Je ne m'attendais pas à te revoir ce matin, dit enfin Frédéric. Ça m'a fait un choc. Mais un choc disons... Positif. Ça faisait si longtemps."
Il lâcha son bras et Émilie se retourna enfin face à lui. Elle osa un regard et remarqua que c'était lui qui à présent, avait la tête basse. Il semblait un peu triste et elle se demanda même pendant un instant s'il n'avait pas légèrement rougi.
"Ça m'a fait un choc à moi aussi. Tu as... Tellement changé.
— Tu trouves ? demanda le jeune homme en ancrant ses yeux verts dans les siens.
— Tu es... Plus grand, bredouilla Émilie le souffle court."
Frédéric esquissa un sourire.
" Toi aussi tu as un peu changé, lui dit-il alors. Mais pas tant que ça en même temps. J'espère que tu seras là demain. "
Puis il s'éloigna, laissant Émilie désemparée sur son pont.
*
Le lendemain, Émilie se rendit au travail à l'heure et sans essayer de se cacher.
En arrivant, elle alla directement dans la salle où les essais de son se poursuivaient. Lorsqu'elle entra, Frédéric, qui était déjà sur scène et s'était échauffé, lui lança un long regard. Mais le visage du jeune artiste ne laissait percevoir aucune émotion. Émilie, en rougissant légèrement, alla s'installer dans un fauteuil et commença son travail.
Après une bonne heure de réglages acoustiques, un des techniciens de Frédéric dit :
"Bon, Frédéric, maintenant on va passer aux réglages pour ton morceau avec l'autre trompette d'accord ?
— D'accord, acquiesça simplement Frédéric de sa voix tranquille."
Il déposa la trompette qu'il tenait sur un support prévu à cet effet et alla chercher un autre boîtier. Celui-ci semblait très vieux et usé. Il en sortit une trompette qui, à l'image de son étui, avait perdu son éclat doré et paraissait même éraflée par endroit.
Émilie regardait attentivement la vieille trompette qui, à ses yeux, avait un charme tout particulier. Elle n'en doutait pas, c'était la première trompette de Frédéric, celle qu'il utilisait lorsqu'ils étaient jeunes et qu'il répétait seul, au bord du petit ruisseau qui traversait la ville de Misora.
Frédéric se mit à jouer. Le son de la trompette était bien moins pur que celui de l'autre instrument et le morceau que Frédéric interprétait à présent était d'une grande simplicité. C'était une musique au tempo tranquille, aux notes simples et à la mélodie sans grande envergure. Néanmoins, il se dégageait de ce vieux son et de ce morceau presque banal une émotion bien particulière. Quelque chose de lointain et nostalgique, presque intime et profondément touchant.
Émilie sentit des larmes couler bien malgré elle sur ses joues. Ce morceau, elle le connaissait par cœur. Elle avait entendu Frédéric le jouer maintes et maintes fois. Et pouvoir l'entendre à nouveau, cela lui semblait presque irréel.
"Émilie, tout va bien ? murmura son ami Alex en s'approchant."
Pour toute réponse, elle se contenta de sourire en hochant la tête, ses yeux baignés de larmes incapables de se détacher du trompettiste.
Alex s'éloigna et Frédéric acheva son morceau.
Le regard du musicien se posa sur Émilie qui essuya vivement ses larmes.
"OK, dit un technicien d'une voix forte. C'est tout pour ce matin Fred'.
— Super, merci, répondit ce dernier en sautant de scène."
Il se dirigea vers Émilie et alla s'asseoir à ses côtés.
"C'était magnifique, murmura Émilie."
Frédéric la regarda un moment puis il se détourna, croisa nonchalamment ses bras derrière sa tête et ferma les yeux pour se reposer.
Émilie sourit face à son air toujours si tranquille et impassible, et se remit au travail.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro