huit
Le concert se déroula à merveille. Le théâtre était plein à craquer d'un public conquis, qui vivait pleinement les émotions de l'artiste, au rythme de ses mélodies.
Et ce fut ainsi à chaque représentation. L'entrée en toute sobriété du musicien, les frissons du public, les larmes parfois, et l'avalanche d'applaudissements, assourdissante et vibrante, à la toute fin du spectacle.
Le troisième concert venait de s'achever et la salle s'était vidée de son public. Émilie était exténuée mais ravie. Tout se déroulait à la perfection et elle n'avait jamais vu les lieux aussi remplis autant de soirs d'affilés.
"C'est incroyable ! dit-elle les yeux brillants à Lilly et Alex alors qu'ils rangeaient du matériel. Nous avons encore joué à guichet fermé ! La recette que nous sommes en train de faire est excellente ! Et j'ai rarement vu nos techniciens aussi motivés ! Tout le monde se surpasse !
— Il faut dire que Fryada est vraiment un artiste de grande envergure, fit remarquer Lilly. Et sa réputation est à la hauteur de son talent.
— Oui, renchérit Alex. Dommage que l'aventure touche à son terme. Lundi, c'est le dernier concert et après ça, tout ce beau monde va devoir repartir..."
Un grand silence s'installa. Émilie resta figée. Emportée par l'adrénaline et occupée à gérer le spectacle dans ses moindres détails, elle n'avait pas pensé à la suite, c'est-à-dire à la fin.
Lilly lança un regard foudroyant à Alex qui ne semblait pas remarquer le problème.
"Alex, j'aurais à te toucher deux mots tout à l'heure, dit la grande blonde d'un ton sec. Mais en attendant, tu veux bien nous laisser, Émilie et moi ?"
Semblant réaliser qu'il avait fait une erreur sans vraiment comprendre laquelle, Alex s'éloigna.
Lilly attendit qu'il soit parti pour se radoucir et se tourner vers son amie.
"Emilie, tout va bien ?
— Oui, oui...
— Émilie... Je sais que... Tu es très attachée à Fryada. Enfin Frédéric.
— Oui, j'ai toujours énormément tenu à lui. Je n'ai pas envie que nous soyons séparés. Pas encore...
— Tu devrais lui parler. Lui dire ce que tu ressens."
Émilie eut un petit sourire triste. Elle ne rêvait que de ça : dire à Frédéric à quel point elle l'aimait. Elle aurait voulu que tout soit différent.
"Frédéric et moi, ça a toujours été... Compliqué, avoua-t-elle.
— Va le voir. Les choses sont peut-être plus simples que tu le penses.
— Peut-être..."
Émilie n'était sûre que d'une chose : elle ne voulait plus avoir de regrets. Elle prit son courage à deux mains et quitta Lilly pour rejoindre les loges.
*
Le cœur battant face à la porte close de la loge de Frédéric, Émilie s'apprêtait à frapper.
Elle fit trois petits coups timides et entendit une voix traînante dire :
"Entrez."
Ce qu'elle fit.
"Bonsoir Frédéric, dit-elle de sa douce voix. Félicitations pour ce soir, c'était magnifique, encore une fois."
Frédéric, qui était assis dans un fauteuil, regardait Émilie sans répondre, attendant simplement de connaître la suite. Émilie avait déjà commencé à rougir.
"Hum... Je voulais... Te remercier au nom de toute mon équipe. Nous adorons travailler avec toi."
Frédéric ne broncha pas, comme s'il savait qu'Émilie avait autre chose à lui dire.
Il y eut un long silence.
"Merci, dit-il alors simplement."
"Émilie, fais quelque chose ! songea la jeune femme qui s'impatientait elle-même. Tu ne peux pas partir comme ça !"
Elle osa croiser le regard du jeune homme. Il avait à la fois quelque chose d'intimidant et de rassurant.
"Qu'est-ce que tu fais ce soir ? demanda-t-elle avec maladresse.
— Rien, répondit l'autre en haussant un sourcil.
— J'aimerais... Te montrer quelque chose. Euh... On pourrait se retrouver vers 23h, devant le théâtre ?
— D'accord, dit Frédéric qui, cette fois-ci, semblait franchement intrigué.
— Super, euh... À ce soir alors ! "
Et Émilie quitta la loge, son cœur tambourinant si fort dans sa poitrine qu'elle crut qu'il allait exploser.
*
23h04, c'est l'heure que le cadran de sa montre affichait à présent.
Émilie se tenait face à la porte d'entrée de sa salle de spectacle. Un vent nocturne et glacial fouettait son visage. Le ciel était couvert, et aucune étoile ne venait l'égayer.
Émilie était nerveuse. Elle jetait des coups d'œil régulièrement autour d'elle et serrait l'étui de son violon contre sa poitrine à s'en briser les côtes, comme si cette étreinte pouvait permettre à son cœur d'arrêter de battre avec tant d'ardeur.
Frédéric allait-il venir ?
"Très joli étui, dit une voix tranquille derrière elle.
—Frédéric... fit Émilie dans un soupir de soulagement.
— Alors comme ça, tu voulais me montrer quelque chose ? demanda-t-il une fois arrivé face à la jeune femme."
Les yeux verts du jeune homme ancrés dans les siens, Émilie sentait tous ses mots disparaîtrent. Il lui fallut prendre une profonde inspiration avant de parvenir à articuler un "oui, suis-moi".
Elle pénétra dans le théâtre puis se rendit dans la salle principale où elle gagna la scène, suivie de Frédéric.
"Peux-tu aller chercher ta trompette ? demanda Émilie."
Frédéric acquiesça et s'éloigna vers les loges sans poser de questions.
Émilie sortit de la poche ventrale de son étui la partition pour trompette qu'elle avait écrite l'autre nuit. Elle la déposa sur un pupitre qu'elle plaça au centre de la scène.
Lorsque Frédéric revint, sa vieille trompette à la main, et qu'il vit la partition, Émilie dit :
"C'est pour toi."
Le trompettiste s'avança et se plaça face au pupitre, dos à Émilie. Il porta son instrument à ses lèvres et commença à jouer le morceau composé par la jeune femme.
Celle-ci, à mesure que les notes sortaient du cuivre, parfaitement comme elle les avait imaginées, se sentait envahie par l'émotion, comme cela lui arrivait si souvent ces derniers temps. De nouvelles larmes, de tristesse peut-être, de joie plus certainement, montaient à ses yeux. Elle tenta de les ravaler, s'en voulant de cette sensibilité que Frédéric semblait avoir réveillée.
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