Toute la semaine durant et celle qui suivit, Émilie, Lilly, Alex, et leurs quelques techniciens s'affairèrent.
Il fallait que le maximum soit prêt avant l'arrivée de l'artiste et de son équipe : loge, scène, câblages... Tout devait être le plus opérationnel possible pour que les répétitions démarrent rapidement et qu'il ne reste plus qu'à faire des réglages d'appoint.

À mesure que les jours s'écoulaient, Émilie sentait son cœur palpiter un peu plus. Elle mourrait d'envie de revoir Frédéric. Elle l'avait tant aimé ! Et pourtant, elle l'avait aussi bien ignoré ces dernières années. Elle se demandait comment il pourrait bien réagir en la revoyant. Probablement pas très bien. Elle se posait énormément de questions sur lui. Comment avait-il bien pu évoluer après toutes ces années ? Il lui aurait suffi de taper son nom dans une barre de recherche pour avoir des réponses, mais elle n'en avait pas vraiment envie. Elle voulait se faire sa propre opinion. En supposant évidemment qu'elle ose aller le voir. Et puis bien sûr, Émilie avait fini par se convaincre qu'il y avait quand même une chance que ce ne soit pas lui mais un autre artiste, bien que les preuves soient évidentes.

Enfin, le jour J arriva. Tôt dans la matinée du samedi, un grand car débarqua sur le parking du théâtre.
Émilie avait réussi à s'arranger pour ne pas avoir à accueillir la troupe. Tandis que Lilly et Alex se chargeaient de présenter les lieux à l'artiste et son équipe, Émilie faisait quelques achats "de dernières minutes mais nécessaires", comme elle l'avait expliqué la veille à ses amis.

Lorsqu'enfin elle arriva à la salle les bras chargés de paquets, Lilly bondit sur elle.

"Donne-moi tout ça, toi ! Il faut que tu ailles te présenter à l'équipe.

—Je le ferais mais laisse, je vais aller ranger ça moi-même."

Et elle s'éclipsa à nouveau. Alors qu'elle traversait l'espace dédié aux loges, une voix masculine et traînante l'interpella.

"Excusez-moi. Je suis Frédéric Yada. Est-ce que vous pouvez m'indiquer comment accéder à la scène ? "

Le cœur d'Émilie s'emballa. Elle remonta ses paquets devant son visage et, tout en restant le dos tourné vers son interlocuteur, elle répondit précipitamment.

"Derrière vous, au bout du couloir, première porte sur la droite. Puis à gauche et c'est tout droit."

Et elle s'en alla d'un pas pressé.
Ce ne fut qu'une fois arrivée dans la régie, loin de l'agitation du plateau principal et des loges, qu'elle s'arrêta enfin et déposa son chargement au sol. Elle s'affala sur un fauteuil et poussa un profond soupir.

"Mais qu'est-ce qui m'a pris ? se demanda-t-elle à haute voix. Et quelle honte !"

De là où elle était, elle avait une vue parfaite sur la scène. Elle nettoya machinalement ses lunettes et regarda attentivement ce qu'il s'y passait.

Lilly s'affolait en tous sens, faisant de grands mouvements avec ses bras. Visiblement, elle la cherchait et passait ses nerfs sur les techniciens qui passaient un peu trop près d'elle. Émilie ne put s'empêcher de rire en la voyant ainsi. Et elle s'excusa mentalement auprès de son amie de ne pas descendre l'aider.
Un peu plus loin sur le côté, Alex discutait avec l'équipe de l'artiste, avec un calme qui contrastait parfaitement avec l'énergie de Lilly.

C'est à cet instant qu'il fit son entrée sur scène, une trompette étincelante à la main. Le fameux Fryada. Un calme quasi religieux s'installa alors tout autour. Le cœur battant de nouveau, Émilie attendait de voir le visage qu'elle venait de si soigneusement éviter.
Le jeune homme s'avança un peu plus sur la scène et Émilie put le détailler : des cheveux verts, un peu longs et en bataille, des yeux verts également, aux paupières légèrement tombantes, une expression tranquille sur le visage. Malgré sa grande taille, sa chemise mauve, dont les manches étaient retroussées, paraissait bien trop large pour lui.
Émilie pouvait-elle encore douter ? Non, c'était dorénavant impossible. C'était lui, et elle en était presque enfin convaincue lorsqu'un des techniciens lui offrit son ultime preuve.

"Par quoi tu veux commencer Frédéric ?

— Je vais faire quelques gammes pour m'échauffer et m'habituer à l'acoustique de la salle si ça ne vous dérange pas, répondit l'artiste en jetant un coup d'œil interrogateur à Lilly.

— Oh non ! Faites, faites ! s'exclama celle-ci."

Il porta l'instrument à ses lèvres et commença à jouer. Ce n'était pourtant que de simples gammes, mais elles étaient d'une beauté incroyable et Émilie se sentait envahie par la douceur des notes.

Frissonnantà chaque nouvel arpège, elle se laissa bercer, ferma les yeux et se remémorades souvenirs de son enfance au côté de Frédéric.
Elle revit l'immense gentillesse du jeune homme à son égard, son visage calmeau sourire presque imperceptible, le regard protecteur qu'il posait souvent surelle. Elle revit aussi ses côtés impulsifs, ses rares moments de colère qui eneffrayaient certains mais qui cachaient la grande sensibilité du jeune homme.Elle revit leur enfance, leur complicité sans égale...