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Chapitre 23

Il est tôt quand je me réveille, le corps d'Uhane toujours contre le mien.
Je caresse ses cheveux, la courbe de ses reins et essaie de m'éloigner d'elle pour me lever. En vain. Elle s'agrippe à moi sans même le savoir, perdue dans l'inconscience du sommeil.
Capitulant certainement trop vite, je reste à la regarder.
Il ne lui faut que quelques minutes pour s'éveiller à son tour.
Sa voix cassée quand elle me dit bonjour me donne envie d'elle. Elle le sait et en joue, me torturant jusqu'à enfin s'abandonner.
Nous faisons l'amour et je ne peux m'empêcher de penser que si nous étions ailleurs, je me contenterais d'une vie simple avec elle. Une vie d'amour et d'eau fraîche comme certains disaient dans le temps.
Sauf que nous en sommes loin.
Nous nous levons en silence et pendant que nous nous préparons, les gestes que nous avons l'un pour l'autre parlent pour nous. Ils disent tout ce que nous taisons encore. Ces mots que je rechigne à dire à une autre qu'Abby, même si je les pense. Ces mots qu'elle retient pour ne pas m'embarrasser.

Nous gagnons le salon, où nous y attendent déjà Marley et Snow. Ils sont assis autour de la petite table qui nous permet de manger sans quitter nos appartements.
Leurs traits sont un peu tirés mais ils ont l'air de bonne humeur. Ils nous accueillent avec un sourire et osent même nous demander comment s'est passée notre soirée.

— Mouvementée. Et la vôtre ?

En voir l'un perdre son masque et se décomposer et l'autre tant rougir que cela se voit sur sa peau d'ébène est un pur délice.
Je m'assois comme si de rien n'était et commence à manger. Uhane fait de même à mes côtés. Ils nous dévisagent et comme ni ma compagne ni moi-même ne les questionnons à nouveau, ils se sentent obligés de rompre le silence.
C'est à mourir de rire mais nous tenons bon.

— Nous avons réussi à ne pas tout ravager dans l'appartement. C'est plutôt bon signe, non ?
— Certainement...
— Vous avez l'air sceptiques.

Ni Uhane ni moi ne répondons. Ce n'est d'ailleurs pas une question, les laisser mariner et s'enfoncer est beaucoup plus drôle.
Les yeux émeraude du Prophète brillent de malice tandis que je suis obligé de me mordre les lèvres pour ne pas répliquer.
Enfin, ils comprennent.

— Ça vous plaît de vous payer notre tête ?

Oui.
C'est évident. Mais cela n'a aucune importance face à leur bonheur, au fait de les voir unis. De voir qu'enfin, ils se sont laissé aller. Qu'ils ont reconnu les sentiments qu'ils se portaient.
Uhane prend la main de Marley et la presse.

— Je suis contente pour vous. Vous le méritez. Vous le méritez vraiment.

C'est la meilleure de nous deux. J'aurais très certainement dit une ânerie si j'avais parlé en premier et il y a un moment où il faut savoir redevenir sérieux.
Comme je ne sais pas vraiment quoi dire, je matérialise la sphère et laisse Ada s'en charger. Il faut croire à leurs visages que c'était une réaction appropriée.
Le silence qui s'installe entre nous est complice. Empli de joie partagée, d'amitié, d'amour. C'est l'un de ces silences que l'on voudrait prolonger indéfiniment parce qu'il nous fait du bien. Ils volent malheureusement toujours en éclats.
Le nôtre s'est dispersé presque aussi vite qu'il était apparu.

— Et vous alors ?
— Mon père est ici.

L'incrédulité se lit sur les traits de nos amis. Nous relatons tour à tour notre soirée en détails, du moment où nous les avons quittés au moment où le père d'Uhane est arrivé. Bien souvent, ils nous coupent pour nous poser des questions. Toutes plus pertinentes les unes que les autres.
Enfin, celle qui me brûle les lèvres franchit celles de Snow.

— Pourquoi est-il venu ?
— Pour me chercher. Je dois comparaître devant le Conseil des Prophètes afin d'être jugée.
— Jugée pour quoi ?
— Trahison. Je n'aurais pas dû vous rendre la mémoire ni vous parler de quoi que ce soit en dehors du message que je devais vous transmettre. Pour négligence aussi. Pour ne pas avoir deviné que Joran allait choisir une autre voie que l'une des principales. Et enfin, pour avoir contrôlé ma magie. Il est interdit de le faire. Nous devons être à son service et pas en symbiose.
— Pourquoi l'ont-ils envoyé, lui ?
— Ils veulent mettre dans la balance mes sentiments pour lui. Ils savent à quel point j'admire mes parents. À quel point je veux qu'ils soient fiers de moi.
— Et qu'est-ce que tu vas faire ?

Telle est la question.
Une voix masculine y répond.

— Elle n'ira pas. C'est absolument hors de question.

Nous nous tournons tous vers la voix. Étonnés par ses mots, nous le dévisageons. Uhane est évidemment la première à se ressaisir et présente son père à Marley et Snow.

— C'est un honneur pour moi de rencontrer la Mère et la Main Armée. Je suis fier que ma fille soit à vos côtés. Et avant que nous continuions, veuillez me pardonner mon intrusion, il fallait que je vous voie tous ensemble.
Snow amène une chaise de plus et nous prenons place à nouveau.

— Voulez-vous quelque chose ?
— Non merci. J'ai déjà pris mon petit-déjeuner.

En disant ces mots, il effectue des gestes étranges.

— J'ai déjà sécurisée la pièce, papa.
— Tu as quoi ?
— Je n'ai aucune confiance en Aaron. Notre magie nous permet de rendre les pièces parfaitement sûres. Quiconque tentera de nous voir ou de nous écouter, ne verra et n'entendra rien d'autre que des conversations banales et sans intérêt.
— Pratique. Mais pourquoi tu ne nous l'as pas dit ?
— Je ne sais pas. Je fais ça partout, tout le temps. C'est une habitude.

Elle hausse les épaules, s'excuse silencieusement et se tourne vers son père.

— Tu disais donc ?
— Tu n'iras pas à la convocation.
— Mais pourquoi ?
— Ils vont te couper de ton pouvoir. Tu ne seras plus qu'une coquille vide. L'ombre de toi-même. Je ne les laisserai pas faire. J'ai toujours soutenu le Conseil mais je ne suis pas d'accord avec certaines de leurs décisions. Celle-ci en est une. Tout comme celles sur les voies non validées.
Il faut que tu saches que ta mère et moi en avons eu sur toi. Depuis que Joran a choisi de ne pas t'oublier, elles se sont toutes réalisées. C'est ce que tu m'as raconté hier soir qui me l'a confirmé.
Ton rôle est plus important que tu ne le croies, ma fille.
Il va falloir que tu luttes contre moi quand le prophète va venir te transmettre son message. Souviens-toi bien que je ne serai pas ton père à cet instant. Ses mots ne seront pas le miens.

Uhane acquiesce gravement. Satisfait, Kaleo se tourne vers nous.

— Votre réclusion ici sera bientôt terminée.
— Comment le savez-vous ?
— J'ai prévenu vos amis avant de venir. Bien sûr le château est introuvable pour tout sorcier. Mais si vous arrivez à sortir, si vous trouvez un moyen, vous arriverez à vous retrouver.

L'espoir qui nous avait quitté, germe à nouveau dans nos cœurs, dans nos pensées. Snow se tient plus droit. Marley sourit. Et la pluie qui martèle les carreaux est moins forte tout à coup.
Aset se met à pleurer et immédiatement, Marley se lève. D'un geste, Kaleo l'arrête et lui demande s'il peut aller la chercher. La Mère lui donne sa permission d'un signe de tête.
Il revient bientôt avec l'élue, la berçant tout contre lui, lui murmurant qu'il est ravi de la connaître, que le monde l'a attendue longtemps et qu'il a foi en elle. Il lui dit aussi qu'il espère un jour tenir ses petits-enfants dans ses bras. Et je sais que ses paroles ne sont pas que pour le bébé qu'il tient tout contre lui. Il ne m'a pas quitté des yeux pendant qu'il parlait à Aset.
Mal à l'aise, je détourne le regard.
Avec douceur, il donne la petite fille à mon amie. Avant de reprendre sa place, il se penche à mon oreille.

— Tu ne peux l'imaginer maintenant. Mais un jour, tout sera différent.

Je ne juge pas utile de répondre.

Nous passons du temps tous ensemble. Il nous donne des nouvelles de l'extérieur. Savoir que nos amis, que les enfants de Marley vont bien nous ôte un poids qui pesait bien trop lourd sur nos poitrines.
À notre tour, nous lui exposons la vie, ici. Bientôt, il nous dit qu'il doit aussi s'entretenir avec le Père. Que le prophète a un message à lui transmettre. Pour conserver sa neutralité et l'égalité entre les deux parties.

— Cela veut dire que de nouvelles prophéties ont été validées ?
— Oui.
— Pourquoi n'ai-je pas été mise au courant ?

Uhane se rend compte aussitôt de l'absurdité de sa question. Son père la rassure et lui glisse quelques mots qui ne sont que pour elle. Il s'excuse ensuite de devoir nous laisser et nous souhaite une bonne matinée. Une fois parti, nous restons interdits un moment, ne sachant plus quoi dire. Aset nous reconnecte à la réalité. Son biberon fini, nous la laissons se promener à travers la pièce. Depuis quelques jours, elle fait du quatre pattes. Elle prend de l'assurance et même moi, je dois avouer que c'est adorable.
Nous vaquons à nos occupations sans avoir de nouvelles du père d'Uhane de la journée. Le soir venu, il vient nous rendre une courte visite, demande une nouvelle fois à s'entretenir seul à seule avec sa fille.

Je remarque en allant me coucher que Marley et Snow entrent dans la même chambre. Avant d'y pénétrer, mon amie tourne la tête vers moi. Lorsque nos yeux se croisent, j'y mets tout le bonheur que je ressens pour eux. Elle rougit encore, ressemblant à une jeune fille lors de ces premiers émois. Elle est belle.
J'attends le retour d'Uhane en méditant, puis en lisant. Elle ne revient une nouvelle fois que bien longtemps après que nous nous soyons entrés dans nos chambres.
Elle ne me dit d'abord rien, se contentant de se couler contre moi. Comme si elle cherchait à se réchauffer. Puis petit à petit, les mots sortent. Elle me parle de sa famille. De ce qu'ils ont fait depuis qu'elle ne les a pas vus. De sa mère qui est malade et que rien ne soigne. Sa voix se brise sur ces derniers mots. Je tente par tous les moyens de la rassurer mais rien n'y fait. Rien. Alors je lui promets quelque chose d'un peu fou. Que si nous sortons de là, j'irai la soigner.

— Ne promets pas quelque chose que tu ne pourras pas tenir.

Malgré l'apparente froideur de ses mots, je sens le soulagement dans sa voix. Nous imaginons ce que la vie pourrait être, une fois sortis d'ici. C'est un beau rêve. Un de ceux qui ne se réalisera pas mais qui laisse une impression de bien-être au creux du ventre. Un peu de chaleur.

Nous sommes réveillés par les premiers rayons du soleil qui viennent caresser notre peau. Nous traînons un peu. Profitons du calme avant la tempête. Nous sentons qu'elle n'est pas loin. Une fois prêts, nous nous rendons à la salle d'entraînement.
La tension qui a pris possession de nos corps nous pousse à nous dépenser. Nous nous battons l'un contre l'autre jusqu'à épuisement. Il y a longtemps que nous ne retenons plus nos coups.
J'efface rapidement les bleus et autres contusions et nous regagnons nos quartiers, fatigués mais sereins. Libérés du stress qui nous tenaillait.
Il se rappelle à nous dès que nous pénétrons dans le salon et que nous y apercevons Aaron. Que vient-il faire ici ?
Il est dos à nous et en nous entendant, se tourne pour nous saluer.
Je me fige. Aset est dans ses bras. J'ai envie de lui arracher des bras, de lui dire qu'il n'a rien à faire ici mais la main d'Uhane sur mon bras m'en empêche. C'est sa fille alors que je n'ai aucun droit sur elle. Pour ne pas envenimer les choses, je quitte la pièce et pars prendre une douche.
L'eau qui glisse sur ma peau n'arrive que partiellement à enlever la haine et la douleur que je ressens. C'est idiot. Je ne voulais pas entendre parler de cette enfant. J'ai eu un mal fou à l'approcher. Et maintenant, je voudrais la garder pour moi. Qu'il disparaisse pour qu'elle puisse grandir sans peur. Je créerais un monde où je la ferais rire. Je lui raconterais les plus belles histoires. Celles qu'Abby écrivait et dont je me souviens encore par cœur. Je lui montrerais le monde. Sa petite main dans la mienne. Nous serions avec Snow et Marley. Avec Uhane. Elles danseraient. Et nous serions heureux.
Des larmes se mêlent à l'eau qui coule. Ma respiration se fait courte. J'ai mal. Je cogne le carrelage qui entoure la baignoire dans l'espoir que la douleur physique remplace la psychologique. En vain.
Une fois mes larmes taries, une fois la rage et le dégoût dissous dans l'eau qui disparaît par l'évacuation, je sors de la baignoire.
Je revêts mes éternels habits noirs pour bien contraster avec le blanc de ceux du général.
Par chance, il n'est plus là quand je retourne dans le salon.

— Snow, ça te dirait d'aller faire un tour ?

Il grogne un peu.

— Ecoute, si Aaron n'est plus là, c'est qu'il a été appelé ailleurs. Et il y a de fortes chances que Tahar soit avec lui. On pourrait explorer un peu plus les environs sans les avoir sur le dos.
— Bonne idée.

Nous quittons la relative sécurité de nos quartiers et nous rendons dans la salle d'entraînement. C'est toujours là que se trouvent les troupes. Snow apostrophe l'un des soldats qu'il connaissait et celui-ci est ravi de passer les menottes au déserteur.
Ils ont beau avoir quotidiennement un éventail des capacités et de la force de mon ami, ils ont beau le craindre, ils ne peuvent s'empêcher de jubiler quand ils peuvent le mettre en position d'infériorité. C'est en général dans ces moments-là qu'ils se permettent les insultes les plus basses qui puissent être. Elles n'affectent plus Snow. S'il en était touché au début, il en rirait presque maintenant.
Sous bonne escorte nous quittons le château. Nous marchons à travers la lande. Plus loin que nous ne sommes jamais allés. Observant les alentours à la recherche de nos amis. Peut-être sont-ils tous proches ? Des bois de pins apparaissent un peu plus loin devant nous. Je prétexte avoir besoin de trouver des herbes médicinales pour m'en approcher.
Sous le couvert des arbres, je charge Snow et l'un de nos geôliers de recueillir de la sève de pin dans les bocaux que j'ai amenés. Ils râlent un peu puis s'exécutent quand je leur explique à quoi elle sert. Avec l'autre soldat, je ramasse de jeunes pousses pour en faire de la tisane, à l'affût du moindre bruit sortant de l'ordinaire.
En vain.
Quand les bocaux sont pleins et ma cueillette suffisamment importante, nous rentrons au château. Je traîne un peu les pieds. Même si je suis coupé de mon pouvoir, j'aime respirer le grand air. Sentir les embruns charriés par le vent. Ne plus voir ces murs qui nous emprisonnent.
L'un des deux soldats me pousse vers le château sans ménagement.
La récréation est finie.
De retour dans la cour noire et froide de la demeure du général, j'aperçois Marley, Uhane et son père qui l'accompagnent. Les affaires du prophète sont à ses pieds.
L'ambiance a l'air tendue, leurs corps sont trop droits, trop guindés. Je comprends pourquoi en arrivant à leur hauteur. Les Prophètes se font face. Leur magie fait crépiter l'air autour d'eux. Autour de nous. La voix désincarnée de Kaleo résonne contre les murs de la cour.

— Joran et Snow, nous vous attendions. Que toute autre personne en dehors du Père, de la Mère, de la Main Armée, du Protecteur et enfin de ma consœur quitte les lieux. Ne cherchez pas à désobéir.

Les soldats présents ne l'entendent pas de cette oreille. Ils ne bougent pas. Les yeux du prophète se tournent vers Aaron. Celui-ci ploie sous leur pouvoir. D'un geste, il ordonne à ses hommes de rentrer au château. Ce n'est que quand le dernier a refermé la porte derrière lui que le prophète reprend la parole.

— Il est temps.

Cela doit être une formule consacrée. J'ai l'impression de l'avoir entendue il y a des années alors que cela ne fait que quelques semaines.

— Uhane, notre sœur, entends notre message.

L'attitude de la principale intéressée change. Alors qu'il n'y avait aucun rapport de force à mon arrivée et seulement deux « collègues » face à face, maintenant, Kaleo prend le dessus. J'ai l'impression qu'à sa voix s'ajoute celles de tous les prophètes du Conseil. Uhane a l'air d'une petite fille prise en faute. Son père continue son discours.

— Entends le message de tes frères et sœurs. Celui de ta famille.

Uhane ploie sous ces mots lancés dans le vent. Ils ont atteints leur cible. Maître en la matière, il savait exactement ceux à utiliser.

— Le Conseil te réclame, ô sœur bien-aimée. Devant témoins, comme la tradition l'oblige, nous te demandons de venir à lui afin que nous puissions te parler. Le feras-tu ?

Le dilemme qui anime Uhane se lit sur son visage. Elle se souvient de ce que lui a dit son père, elle essaie de résister mais la voix multiple et sans âme qui s'adresse à elle implacable.

— Si tel est mon devoir...

Elle bute sur chacun des mots. Le combat qui fait rage en elle, qui fait rage entre eux doit être colossal alors qu'en apparence, il ne se passe rien. Nous assistons seulement à une convocation. Une convocation à laquelle l'appelée a dû mal à se soumettre.
Uhane tente de lutter, mais sa volonté s'amenuise face à la puissance qui émane du prophète. Je n'en ai jamais vu autant émaner de quelqu'un.
Mes compagnons non plus. Eux aussi sont ébahis. Eux aussi se ratatinent sous la voix. J'ai l'impression d'être le seul sur lequel elle n'agit pas et je me rends compte que si je ne fais rien, Uhane se résignera. Il ne faut pas. Je le sens jusqu'au plus profond de mon être comme ce jour où j'ai décidé de ne pas l'oublier.
Je dois l'aider parce qu'elle n'y parviendra pas seule mais surtout parce que depuis que je l'ai compris, je me sens en harmonie avec la Nature.
Je dois l'aider et pour cela, je vais devoir révéler à mon ennemi ma véritable relation avec elle. Tant pis. Qu'Aaron voie mon geste, qu'il s'en serve contre moi s'il le veut. Cela n'a aucune importance en face d'elle.
Je me poste aux côtés de cette femme qui a mis un peu de lumière dans ma vie et mêle mes doigts aux siens. Je lui murmure que je suis là, qu'elle ne doit pas lâcher. Mais cela ne suffit pas.
Elle s'apprête à donner sa réponse, ses lèvres s'entrouvrent déjà...
Alors je viens derrière elle et la serre contre mon torse dans un geste protecteur et dans l'espoir de lui transmettre un peu de ma force.
À nouveau, je lui parle. Je lui dis à quel point elle a changé ma vie. À quel point j'ai besoin d'elle.
Elle se redresse enfin mais cela n'est pas encore assez.
Je laisse échapper ces mots que je redoutais de dire.

— Je t'aime, Uhane. Je t'aime. Et tu dois lui tenir tête. Je ne supporterai pas de te perdre. Je ne pourrais pas vivre si je te sais perdue.

Tout son corps semble soupirer de soulagement. Elle se laisse aller une seconde à mon étreinte. Une seconde avant d'affronter le prophète en face d'elle. Après avoir pris une grande inspiration, elle se redresse et le regarde droit dans les yeux.

— Je ne vous obéirai pas.

L'incrédulité prend possession des traits de son père.

— Je ne vous obéirai pas. Le système sur lequel était fondé le Conseil est mort à la seconde où le Protecteur a choisi la meilleure voie possible. Ce n'était pas la vôtre bien sûr. Ce n'était peut-être pas la plus lisse, pas la plus exempte de dangers. Mais il sait ce qui est bien. Il le ressent et si vous en preniez la peine, vous le sentiriez aussi. Depuis bien trop longtemps, seuls comptent vos intérêts. Pas ceux des hommes. Pas ceux des sorciers. Les vôtres. Peut-être que les voies choisies jusqu'à présent étaient les bonnes. Peut-être étaient-elles mauvaises. Nous ne le saurons jamais. Mais il est maintenant hors de question que vous continuiez à guider le monde pour votre bénéfice.
Je vous le dis aujourd'hui, mes frères, mes sœurs, votre règne est fini.
Et je vous ordonne de me laisser en paix. De laisser ma famille et mes amis en paix. Si j'apprends que vous vous en prenez à eux, que vous fomentez des plans pour parvenir à vos fins, je vous poursuivrai les uns après les autres...
— Tu n'as pas le droit de nous parler sur son ton !
— Bien sûr que si. Vous avez toujours prôné la liberté de parole entre nous. Vous nous avez enseigné à être ce que nous sommes en étant les objets de transmission des prophéties. Mais vous aviez tort. Nous ne sommes pas obligés d'être soumis à notre magie. Je ne le suis plus. Je ne fais qu'une avec elle. Et cela induit que je ne suis plus à votre botte. Je suis une dissidente. Je suis la Dissidente.

Une rage indicible mêlée à la peur déforme les traits du prophète. Il n'a plus rien d'humain. Plus rien qui pourrait faire penser qu'Uhane est seulement en face de son père.
Comme il ne la contrôle plus, comme il sait qu'il n'arrivera plus à le faire, il se détourne d'elle et plante ses yeux plus noirs que la nuit elle-même dans les miens.
Il m'apostrophe, m'invective, m'insulte. Puis tente d'asseoir sa domination sur moi. Il est si difficile de lui résister.
Pour l'empêcher de me nuire, Ada se matérialise au-dessus de mon épaule. Elle murmure à mon oreille pour me détourner de la voix du prophète. Elle m'appelle, me demande de la suivre.
Je prends la main qu'elle me tend tout en restant conscient de ma présence dans la cour et de ce qui s'y joue. Je reconnais immédiatement l'endroit où elle me mène. J'y suis déjà venu tant de fois. Je m'étonne un instant quand elle ne s'arrête pas sur la rive du flux. Et pourtant je ne devrais pas. Elle est magie. Elle fait partie intégrante de cette rivière multicolore et m'y entraîne avec elle.
Me retrouver au milieu du courant ne ressemble en rien à ce que j'ai connu. Rien. Mon corps immergé semble se fondre dans les eaux tumultueuses. Il vit avec elles. Il ressent tout de manière démesurée.
Il y a le frottement de mes vêtements contre ma peau, le moindre petit souffle d'air sur ma peau, le parfum d'Uhane. Ses cheveux qui chatouillent mon cou. Ses mains crispées sur les miennes. Sa respiration qui trahit son irritation. Et à côté de nous, juste là, un peu plus loin, Snow qui veut intervenir et qui en est empêché par Marley. Snow dont les traits sont aussi durs qu'une paroi abrupte et recouverte de glace et Marley, qui, même si elle est inquiète, voit au-delà.
Là, dans le flux, alors qu'elle ne lève jamais les yeux, elle se tourne vers moi.

— Je te fais confiance, Joran. Je t'ai toujours fait confiance. Tu es plus fort que lui ou qu'Aaron. Tu es plus fort qu'eux parce que tu nous as nous et qu'ils sont seuls. Parce que tu crois en la Vie. Même si tu penses que non, même si tu l'oublies parfois. Tu es le Protecteur. Pas le mien, pas celui d'Aset, pas celui de Snow, ni celui d'Uhane. Tu es celui de la Vie. Et même si tu penses le contraire, elle gagne toujours.

Elle se tait. Tout en continuant de regarder Ada qui danse autour de moi.

— Elle a raison, Joran.

C'est à ce moment-là que je le ressens vraiment pour la première fois. Le pouvoir déferle en moi. Au lieu d'être une vaguelette venant s'écraser sur le rivage, il ressemble aux tsunamis qui ravagent tout sur leur passage.
Aucune formule magique ni aucun geste n'est nécessaire pour rompre l'emprise du prophète. Kaleo reprend le contrôle de son corps et sourit à sa fille.

— Je suis fier de toi, mon fantôme. Et de toi aussi, Joran. Je dois maintenant partir. Pour la première fois, je n'effacerai aucune mémoire et j'avoue que cela me réjouit.

Uhane quitte mes bras pour se jeter dans ceux de son père.
Leurs adieux ne durent pas. Kaleo nous tourne le dos et repart comme il est venu. Nous le regardons tous disparaître à l'horizon.

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