Chapitre 20
Des cris de rage me réveillent en sursaut. Ils sont suivis de déflagrations. Que se passe-t-il ?
Je me lève et me dirige vers la fenêtre. Comme si regarder la vue allait m'éclairer sur ce qui se passe. Bien sûr, je ne vois rien au dehors. Il n'y a pas âme qui vive en contrebas.
Le vacarme, qui continue encore et encore, me pousse à m'habiller et quitter ma chambre. La lumière dans le salon m'indique que je ne suis pas le seul à avoir été dérangé.
Snow est avachi sur l'un des canapés un livre à la main. Mon entrée dans la pièce lui fait lever les yeux.
— Tu l'as énervé.
Je m'assois à côté de lui, en haussant les épaules.
— Ça va durer longtemps ?
— Jusqu'à ce qu'il n'ait plus rien à détruire à portée de main. Enfin, ça, c'était quand la magie n'était pas de la partie.
Nous restons l'un à côté de l'autre sans rien dire. Attendant des signes d'accalmie ou de reddition. Ils ne viennent pas.
— Je crois que s'il pouvait te tuer le plus lentement possible, il le ferait sur le champ. C'est ce qu'il aurait fait avant...
— Je ne sais pas pourquoi ce n'est pas déjà fait.
— Je pense que le flux l'en empêche.
— Peut-être.
Il a probablement raison. Ada aussi me l'a interdit et elle est partie intégrante de la magie. Ce doit être, en toute logique, pareil pour lui.
Enfin, plus un bruit ne nous parvient. Il est certainement temps de retourner nous coucher mais nous ne bougeons ni l'un ni l'autre.
Le feu crépite dans la cheminée et la danse des flammes m'hypnotise. Le silence entre Snow et moi devient vite pesant. Ne le supportant bientôt plus, je le fais voler en éclats.
— Elle est venue te voir ?
— Je me demandais quand tu allais me poser la question.
— Et tu n'y réponds pas.
Il sourit. Et je souris avec lui.
— Alors ?
— Oui.
J'essaie de trouver dans son regard un indice sur la façon dont ça s'est passé. Mais comme bien souvent, il est impénétrable. Il a revêtu son masque.
— Et ça va ?
— Qui est Dean ?
— Répondre à ma question te pose problème ?
— Joran, il est quoi, deux ou trois heures du matin, tu pourrais peut-être éviter de la ramener...
— C'était son mari. Il est mort pendant la guerre d'une pneumonie.
— Elle n'a pas pu le soigner ?
— Ni elle ni moi. C'était trop grave. Nous n'avions plus de médicaments. Avec ce que je sais aujourd'hui, je pense qu'elle a tout essayé.
Mes mots flottent entre nous. Il faut du temps à Snow pour les assimiler. J'attends qu'il me dise quelque chose mais il n'en fait rien. Il se lève, s'apprête à sortir du salon. Il s'arrête sur le seuil et me lance un « merci » sans se retourner.
Je n'en saurai pas plus pour cette nuit.
Je ramasse le livre qu'il lisait pour le ranger et m'arrête sur sa couverture.
« Le livre d'Eli ».
Qu'y cherchait-il maintenant que tout a changé ?
Je vais le remettre dans la bibliothèque et retourne me coucher. J'hésite une seconde en passant devant la chambre d'Uhane avant de continuer mon chemin. Je dois me reposer.
J'émerge lentement. Je n'ai aucune idée de l'heure mais vu les rayons du soleil qui rentrent dans la pièce et caressent mon visage, je me dis que le jour doit être bien avancé.
Je prends néanmoins le temps de me préparer. Physiquement bien sûr. Mais aussi mentalement. Me retrouver nez à nez avec mon ennemi ne m'enchante guère.
Aucun bruit ne me parvient des chambres de mes compagnons ou du salon. Je décide donc de descendre. Je ne croise pas âme qui vive, ni dans les escaliers, ni dans le hall d'entrée du château. Cela m'arrange. Je visite les lieux et comme la faim me tiraille, me mets en quête des cuisines.
Après avoir tourné et retourné, je les trouve enfin.
La porte étant ouverte, j'y entre sans m'annoncer. J'observe l'agitation qui règne ici, contrastant avec le silence du reste du château.
Les rires fusent, c'est à celui qui parlera le plus fort pour se faire entendre mais tout le monde est concentré sur son travail. Tant et si bien que personne ne me remarque. Si je veux espérer avoir quelque chose à manger, je vais devoir signaler ma présence. Je me racle la gorge plusieurs fois. En vain.
— Excusez-moi.
Plusieurs têtes se tournent d'un coup vers moi et un cri de douleur retentit. La surprise se lit sur les visages fixés sur moi tandis que quelques personnes entourent celle qui a crié.
Comme un papillon attiré par une flamme, je me rapproche du blessé.
— Écartez-vous, s'il vous plaît. Je suis médecin.
Les cuisiniers se reculent me laissant découvrir mon patient. Ou plutôt ma patiente. C'est une toute jeune fille. Elle ne doit pas avoir plus que quatorze ou quinze ans. Elle tient sur sa main un torchon déjà imbibé de sang. Au fur et à mesure que la tâche grandit sur le tissu, elle pâlit. Je la fais asseoir sur la première chaise à ma portée et m'accroupis devant elle.
— Tu veux bien me laisser regarder ?
Elle acquiesce d'un signe de tête et retire le torchon de la plaie. Elle est profonde mais nette. Il faut que je la nettoie avant de faire quoi que ce soit d'autre. Je demande à l'une des personnes présentes de faire bouillir des linges propres. À une autre, je réclame de l'alcool.
Tout est fait rapidement et je peux faire mon travail. Comme je ne peux pas vérifier s'il y a une atteinte profonde au niveau des tissus, je décide de la soigner avec la magie.
J'invoque la sphère qui se matérialise sous les yeux médusés des employés de la cuisine.
Mentalement, je lui demande de m'aider. Je visualise le réseau sanguin de la main, les muscles et les tendons. Ada se fond dans les tissus et c'est comme si je me retrouvais à l'intérieur du corps de ma patiente. Méticuleusement, je répare chaque partie qui a été atteinte. L'énergie que cela me demande est importante mais je me sens bien. Soigner est ma vocation.
La blessure se referme peu à peu sous l'action de la magie pour ne laisser place qu'à une fine ligne blanchâtre.
La sphère disparaît aussitôt le traitement terminé.
Les couleurs ne sont pas encore revenues sur le visage de la jeune fille. Je l'allonge au sol, lui relève les jambes et attends.
Il ne faut que deux ou trois minutes pour qu'elle se sente mieux.
— Reste encore un moment comme ça puis grignote quelque chose avec une boisson bien sucrée, d'accord ?
— D'accord.
— Comment tu t'appelles ?
— Ethel.
— Tu as été très courageuse, Ethel.
— Merci Docteur.
Plusieurs personnes viennent me remercier. La femme qui est venue nous voir la veille s'adresse à moi.
— Que veniez-vous faire ici, Monsieur ?
— Grappiller quelque chose à manger. C'est possible ?
— Bien sûr. Vous auriez dû sonner. Je serais monter vous porter ce que vous désiriez. Voulez-vous retourner dans vos appartements ?
— Si ça ne vous embête pas, je préférerais rester ici. Ne faites pas attention à moi si vous devez reprendre votre travail. Ça me détend de voir des choses simples.
Elle semble trouver ma réponse étrange comme si personne ne venait jamais ici en dehors des gens déjà présents dans la pièce. Elle hésite avant de reprendre la parole.
— D'accord.
— Merci. Puis-je savoir votre nom ?
— Oui Monsieur. Je m'appelle Ruth.
Je mange les morceaux de pain et de fromage ainsi que les œufs brouillés que l'on pose devant moi avec appétit. En regardant la brigade de cuisine s'activer. Au début, ils sont un peu suspicieux, retiennent leurs gestes, paraissent stressés. Au bout de quelques minutes, ils se détendent enfin. Le naturel reprend le dessus.
Je reste bien après avoir terminé mon petit-déjeuner, bercé par le bruit des casseroles, par les volutes de vapeur qui s'en échappent. Par les conversations qui ont repris. Par les odeurs qui envahissent peu à peu la pièce. Par la vie. Je sais que je vais devoir sortir et retrouver la froideur du château. Retrouver mon statut d'invité pas si libre que ça. Devoir me confronter à cet homme que je hais. À ses soldats.
Oui. Je dois y aller. Je quitte mon poste d'observation improvisé. Je vais vérifier la blessure d'Ethel, je salue la brigade et remercie Ruth pour le repas et de m'avoir permis de rester parmi eux. Elle rougit à mes mots. Quand lui a-t-on dit merci pour la dernière fois ?
Je rebrousse chemin et croise Snow en bas de l'escalier qui mène à nos appartements.
— Tu étais passé où ?
— J'ai fait un tour dans le coin et me suis arrêté aux cuisines, pourquoi ?
— Je te cherchais. Il veut nous voir.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas.
Je suis mon ami sans rien laisser paraître. Je respire le plus lentement possible. Dans le hall, Tahar nous attend. Quand Snow l'aperçoit, il se redresse. Son allure devient majestueuse, autoritaire. Sûre d'elle. Le soldat évite son regard et tourne les talons quand nous arrivons à sa hauteur. Nous marchons dans ses pas sans dire un mot.
Il passe plusieurs portes et couloirs et s'arrête enfin devant l'une d'elle.
Ce qui nous attend derrière me surprend.
Une salle d'entraînement immense et toute en longueur se déroule sous mes yeux. Des tatamis côtoient des stands de tir, des appareils de musculation datant d'une époque révolue ou encore des sortes de cage en verre où des sorciers s'entraînent à jeter des sorts.
Il y a finalement peu de bruit par rapport aux nombres de personnes qui sont réunies ici.
Aaron est en train de se battre contre l'un de ses hommes à mains nues. Il est vêtu de la même combinaison rouge qu'il avait quand nous sommes arrivés ici. La matière dont elle est faite épouse ses membres tout en le laissant parfaitement libre de ses mouvements.
Mouvements qui sont nets, précis, calculés. Son adversaire n'a aucune chance. Il finit vite au tapis. Le général relève son soldat et le félicite de ses progrès.
Nous apercevant, il descend du tatami et nous rejoint.
— Bonjour. J'espère que votre nuit a été bonne.
Nous nous abstenons de dire la vérité.
— J'ai pensé qu'un peu d'exercice vous ferez du bien. Si cela vous dit, évidemment, je ne voudrais vous forcer en rien.
Je regarde Snow pour essayer de deviner ce qu'il en pense. Ne sachant pas combien de temps le général va nous séquestrer ici, ni ce qu'il compte faire de nous, je me dis que nous ferions tout aussi bien d'accepter sa proposition. Ne pas perdre notre condition physique ne peut être que bénéfique.
Apparemment mon ami est d'accord avec moi.
— C'est gentil à vous.
— Vous trouverez des combinaisons dans les vestiaires.
Focalisé sur Aaron, je n'avais pas remarqué que les autres personnes portaient la même combinaison que lui, en noir.
— Que quelqu'un leur montre où ils se situent. Une fois que vous serez changés, je vous montrerai les lieux plus en détails.
Je me déshabille et revêt la combinaison sans hâte. Le faire patienter un peu m'amuse et me laisse le temps de repérer les lieux. Le tissu est fait d'une manière que je ne connais pas. Il est fin et semble pourtant incroyablement résistant. Il moule mon corps sans me gêner, n'entrave aucun de mes gestes.
Même Snow a l'air surpris. Et ce n'est pas souvent que cela arrive.
Nous retournons dans la salle d'entraînement. Comme promis, Aaron nous fait faire le tour du propriétaire, répondant à chacune de nos questions.
— Il est essentiel pour moi que mes hommes progressent chaque jour. Qu'ils soient simples humains ou mages. Ils doivent maîtriser leurs aptitudes, forces et faiblesses au mieux et ne doivent jamais se reposer sur leurs acquis.
Je dois avouer que je suis d'accord avec lui. J'en vomirais presque. Ce que je vois aussi, c'est que, sûr de son ascendant sur nous, il nous révèle et montre des choses que nous ne devrions certainement pas voir, des détails qu'il devrait garder pour lui.
À moins qu'il ne le fasse délibérément. À bien y réfléchir, j'opterais plutôt pour la deuxième solution.
Il a l'air beaucoup trop retors...
Quelques soient ses motivations, je passerai outre et profiterai des avantages que nous offre cette salle.
Après nous être échauffés, Snow et moi prenons place sur un tatami.
Nous nous tournons autour un moment avant d'être interrompus par le maître des lieux.
— Et si vous vous battiez contre nous, plutôt... On ne progresse pas en retenant ses coups et c'est que vous allez inévitablement faire. Ce serait beaucoup plus amusant.
— Amusant pour qui ?
Ma remarque tombe à plat.
— J'aimerais bien me battre contre vous, Docteur Meyer.
C'est une très mauvaise idée. Très très mauvaise. Parce que je n'attends que ça. Le moment où je pourrais assouvir ma vengeance. Lui faire payer pour ce qu'il m'a fait. Pour ce qu'il a fait à mes amours. Sauf que je ne lui arrive pas à la cheville et qu'en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, il va me démolir.
— C'est d'accord. À une condition.
— Laquelle ?
— Tous les coups sont permis.
Snow me tire par le bras, un peu à l'écart.
— Tu es complètement taré ?
— Non. J'en ai marre, Snow. Le voir là devant moi, qui se pavane. Nous laissant dans le flou total sur notre sort. À chaque seconde, j'ai envie de le massacrer. Et il m'en donne l'occasion. Pourquoi je ne sauterais pas dessus ?
— Il va te tuer.
— Il ne peut pas. Et tu le sais aussi bien que moi.
— Mais il est beaucoup trop fort.
— Je sais. C'est pour ça que j'ai demandé que tous les coups soient permis. Ada m'aidera.
— N'empêche que c'est suicidaire...
— Peut-être que c'est toujours ce que je souhaite. Mourir.
— Et Uhane dans tout ça ? Si tu ne le fais pas pour Marley et moi, renonce au moins pour elle.
— Non.
Je retourne auprès de mon pire ennemi.
— Alors, ça vous va ?
— Oui. J'ai moi aussi une condition. Snow devra se battre contre Tahar. Je veux voir si le rapport de force a changé.
— Je ne compterai pas dessus si j'étais vous.
— On verra bien.
D'un geste, il m'indique le tatami.
— Après vous.
Je monte. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. C'est n'importe quoi. Je pourrais encore refuser de me battre, descendre de la zone de combat. Reconnaître ma défaite avant même que le premier coup ait été porté. Je sais que je devrais le faire. Tant pis si je suis ridicule. Peut-être que je tiens à ma vie finalement. Je commence à rebrousser chemin quand Aaron monte à son tour sur le tatami. Il est trop tard. Je cherche Snow des yeux. J'ai besoin de son soutien et peur qu'il m'ait laissé. Mais en dépit de ce qu'il m'a dit, il est là. Juste là. À mes côtés. La détermination dans son attitude me crie que j'ai peut-être une chance. Une infime chance.
Nous nous mettons en position de combat.
Sans que je l'appelle, la sphère se matérialise au-dessus de mon épaule.
Nous nous tournons autour et j'ai l'impression d'être une brebis devant un loup. Tout dans la posture du général est agressif. Mauvais.
Il fond sur moi et je ne peux parer son premier coup que je reçois dans le ventre tant il est rapide. Je me plie en deux sous la force de l'impact. J'ai du mal à reprendre ma respiration et le voilà déjà qui revient à la charge. Mais cette fois, je suis préparé et j'esquive sa frappe.
Je parviens à lui décocher un crochet dans la mâchoire. Il bronche à peine. Un sourire suffisant apparaît sur son visage. Et j'ai envie de lui faire ravaler. Je cogne sans stratégie et presque aucun de mes coups n'atteint sa cible. Il se déplace à une rapidité qui me semble non humaine. Il me laisse m'épuiser, ne me frappant qu'à des rares occasions.
Au contraire des miens, ses coups ne ratent jamais leur cible. Mon arcade sourcilière est ouverte et du sang obscurcit ma vision. Mes côtes sont douloureuses, je respire mal.
Je suis en nage. Plus le temps passe et plus mes gestes et déplacements me pénalisent alors qu'il ne souffre pas. Il se tient droit comme un i, pas le moins du monde essoufflé. C'était évident que cela se passerait de la sorte.
J'entends les rires de ses hommes autour du tatami, les piques qu'ils lancent à Snow. Des horreurs. Pour me ridiculiser un peu plus. Pour le déstabiliser aussi.
Leurs mensonges me sortent de mon état second, ils me donnent un coup de fouet sans le savoir.
Dans un coin du tatami, je me force à réfléchir. Je respire. Fais le vide en moi autant que je le peux. Et observe mon adversaire. Mon ennemi.
Je passe au crible sa façon de bouger alors qu'il revient vers moi, ses gestes pendant que nous nous tournons autour une fois de plus.
C'est là que je les vois. L'enchaînement de ses mouvements, ses appuis. La chorégraphie précise et impitoyable qu'il utilise. L'évidence me saute aux yeux. Je l'ai déjà vue. En plus efficace. Snow a perfectionné au fil du temps ce qu'on lui a appris. L'élève a surpassé le maître.
Je jette un coup d'œil à Snow pour lui faire comprendre que j'ai compris. Malheureusement, je ne prends pas garde au poing d'Aaron qui heurte ma tempe. Je titube... Je perds pied. Je perds.
— Tu parles d'un Protecteur !
— Reconnais ta défaite...
— Il n'y a même pas eu de combat.
Chaque mot m'ensevelit un peu plus.
Un coup de pied dans les jambes me fait tomber. Allongé sur le sol, je vois le général s'avancer. Il sait qu'il a gagné. Il en est certain.
Pourtant, je ne m'avoue pas encore vaincu. Je ne le ferai jamais devant lui. Jamais. Je me relève péniblement et me remets en position de combat.
Cette fois, c'est moi qui attaque le premier. Je puise dans mes dernières réserves. Tant pis, si je m'écroule. Tant pis. Je repasse chacun de mes entraînements avec Snow, chaque fois que je l'ai vu enchaîner les coups dans un ballet macabre. Je ne laisse pas l'opportunité au meurtrier de ma femme et de ma fille de riposter.
Surpris, il recule. D'un pas. Puis deux. Il parvient seulement à se protéger. La plupart de mes attaques portent enfin. Sa respiration devient plus erratique. Je me sers de mes connaissances médicales pour frapper aux endroits vulnérables. Du sang coule de son oreille droite jusqu'à son cou et se perd dans le rouge de sa combinaison.
Le vent tourne et je vois à son visage qu'il déteste ça. Il se redresse du mieux qu'il peut et me lance un sort. Je l'évite de justesse.
Tous les coups sont maintenant permis. Parce qu'il ne veut pas perdre. Et que moi non plus. Je le dévisage en mettant toute la haine que je ressens pour lui dans mon regard en façonnant la sphère entre mes mains. Je crée un bouclier pour me protéger de ses attaques magiques et lui assène les formules magiques que je connais. Il riposte facilement. J'aurais dû mieux écouter Eolas. Mon bouclier se fissure à chaque verbe qu'il prononce.
— Tu me fais confiance ?
La voix d'Ada dans ma tête me surprend.
— Oui.
De toute manière, je n'ai pas le choix. Je ne tiendrai plus très longtemps et quand mon bouclier va céder, parce que c'est inévitable, je me retrouverai sans défense ou presque. Je suis exténué. Pas lui. Il respire mieux depuis que nous ne nous battons plus avec nos poings. Il est aguerri à ce genre d'exercices alors que je ne suis qu'un novice.
— Lâche le bouclier.
J'obéis à la voix dans ma tête. Je romps mon emprise sur l'écran qui me protégeait. Une flaque d'eau se retrouve à mes pieds. Telle une créature vivante, elle remonte le long de mes jambes, créant une armure autour de chaque partie de mon corps. Elle arrive sur mon cou et arrête enfin sa course. Elle se fond dans la combinaison et je sens quelque chose changer en moi. Comme si mon pouvoir et ma rage étaient amplifiés. Les yeux d'Aaron s'écarquillent. Il s'apprête à dire quelque chose mais je l'en empêche et prononce cette formule que je ne pensais pas dire un jour. Ada ne me retient pas.
— Hel moera.
Aaron se fige. Et s'écroule. Il suffoque pendant que ses poumons se gorgent d'eau. Pendant que petit à petit, il se noie.
Ses hommes se précipitent vers lui. Ils essaient de faire quelque chose mais je suis le seul à pouvoir intervenir. Je tiens sa vie entre mes mains.
Plusieurs de ses soldats se jettent sur moi, ils me rouent de coup mais je n'en ressens aucun.
Soudain, une tornade les éloigne tous. Dans l'œil du cyclone, Snow m'apostrophe.
— Ça suffit Joran.
— Non. Il a tué Abby et Ada. C'est un assassin. Il mérite ce qui lui arrive.
— Oui mais le moment n'est pas venu. Tu le sais.
— Peut-être que si. Le flux ne m'a pas muselé. On pourrait en finir. Maintenant.
— Joran. S'il te plaît. Tu n'es pas un meurtrier. Si tu fais ça, tu deviendras comme lui. Je ne te laisserai pas faire. Tu vaux mieux que ça, beaucoup mieux. Ce que tu ressens, c'est humain. Je voudrais tous les tuer les uns après les autres, le plus lentement possible. Pour qu'ils paient. Mais si on fait ça, si tu te laisses aller à cet homme abject que tu n'es pas, nous condamnons Uhane, Marley et Elma. Pense à Uhane, Joran. Tu veux que son regard sur toi change ? Tu veux qu'elle te regarde comme tu le regardes lui ?
— Il mérite de mourir...
— S'il te plaît, Joran.
— Il mérite...
Les mots meurent dans ma gorge pendant que je relâche l'emprise que j'avais sur Aaron. Il prend de grandes goulées d'air. Je m'écroule à ses côtés. Chaque muscle qui compose mon corps me fait mal.
La tornade créée par Snow nous protège encore.
Les minutes passent et Aaron retrouve enfin une respiration correcte. Il s'assoit puis lentement, se relève. Une fois debout, il me tend la main pour m'aider à me redresser à mon tour.
Je répugne à toucher sa peau alors j'attrape son poignet, recouvert par la combinaison.
Snow relâche son pouvoir et les hommes nous regardent. Tahar se rapproche de son chef qui refuse son aide pour quitter le tatami.
Aaron prend la parole.
— Merci Joran pour ce combat. Il vous manque un peu de technique mais vous êtes un adversaire à ne pas sous-estimer.
— Parce que c'est ce que vous faisiez ?
Ce qui pourrait ressembler à un rire s'échappe de ses lèvres.
— Je dois vous avouer que oui.
— Vous n'auriez pas dû.
Mon ton est ironique mais il ne m'en tient pas rigueur. Il a délaissé une seconde son côté chef de guerre au profit du gentleman. Juste une seconde.
— Il nous reste un combat pour aujourd'hui. Snow contre Tahar.
Nous tenons à peine debout et il veut regarder un autre combat ?
Snow monte sur le tatami sans aucune expression. À chaque pas, il devient la Main Armée. Il se place au centre du tapis et attend son adversaire.
Chaque soldat présent dans la pièce le regarde. Ses anciens coéquipiers murmurent des phrases pour la plupart inaudibles. Celles qui ressortent me font froid dans le dos.
Tahar prend son temps pour le rejoindre. Il est trop sûr de lui. Il ne devrait pas.
Ils se font maintenant face.
La voix du général brise le silence qui s'est installé.
— Pas de recours à la magie. Le premier au tapis perd.
Les deux anciens amis s'inclinent l'un en face de l'autre. Leur salut est crispé. Plein de haine.
Ils reculent de trois pas et se mettent en position de combat.
Ce qui s'enchaîne sous mes yeux ne ressemble à rien de ce que j'ai pu voir. On dirait qu'ils dansent. Un ballet sombre et mortel.
Leurs gestes sont précis. Millimétrés. Exacts miroir de ceux de l'autre. Chacun est incapable de prendre l'avantage. Du moins au début.
Tout à coup, Snow arrête de jouer au chat et à la souris. Toutes ses années d'entraînement seul, tout ce qu'il a appris après avoir déserté explose, ne laissant aucune chance à Tahar. Bien sûr, ce dernier se défend. Bien sûr, ce dernier assène des coups. Mais presque aucun ne porte. Comme avant, il perd. Il prend peu à peu conscience de sa défaite. La jalousie le ronge. La rage le guide. Mais rien n'y fait. Snow est le meilleur.
Snow est juste. Il arrête le combat avant de mettre son adversaire au tapis. Commence à descendre du tatami quand Tahar, aveuglé par la rancoeur, le frappe par derrière. Mais son coup n'atteint pas sa cible. Snow s'est tourné si vite pour bloquer le bras de son ancien camarade que cela me semble impossible. D'un geste, il l'envoie à terre. Tahar ne se relèvera pas.
Mon ami n'attend pas que Aaron le désigne vainqueur et sort de la salle. Je le suis en me traînant tant bien que mal. Nous n'avons plus rien à faire ici pour aujourd'hui.
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