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Chapitre 10

Je sais ce qu'il me reste à faire et mon ventre se tord rien que d'y penser.
Je regarde l'échéance le plus possible. Je mange un morceau, mets de l'ordre dans la cabane. Je ne partirai pas en laissant tout en plan.
Je n'ai pas d'affaires à préparer. Mes seules possessions sont mes vêtements, le mot de Snow et mes souvenirs. Ce seront eux les plus lourds à porter. J'hésite un moment à prendre son journal et finis par le mettre sur mes maigres possessions. Si je dois le revoir un jour, il sera certainement content de le récupérer.
Un peu trop vite à mon goût, mon travail est terminé.
J'entends mes larmes ruisseler à l'extérieur. Ces torrents de pluie qui s'échappent du ciel. Qui se déversent sur le monde pour hurler ma peine.
Avant de sortir de la cabane, il me reste une chose à faire. Je prends le premier bout de papier qui tombe sous ma main et un stylo.
Je m'assois devant la petite table de la cuisine et écris.
J'écris pour la première fois depuis que je suis ici. Des mots lourds de sens. Des mots qui vont changer ma vie.

« Jour 0
Je sais d'où vient la voix.
Elle est belle. C'est une caresse qui a réussi à apaiser mon cœur. Qui l'a pansé. Jour après jour.
Elle a toujours été avec moi. Je me suis toujours senti bien auprès d'elle.
Je suis prêt.
Je vais mieux.
Je ne suis pas fou.
J'ai compris qu'elle était différente pour chacun de nous. Mais pour moi, pour moi, elle est l'eau. »

Chaque mot m'a déchiré, chaque mot m'a libéré. Une fois dans la clairière, je laisse l'orage m'envelopper. Je ne deviens qu'un avec lui pendant que je prends le chemin tracé par les érables.
J'arrive au bord du lac trempé jusqu'aux os, m'accroupis sur la rive. Je ne me baignerai pas aujourd'hui.
Mes doigts effleurent la surface martelée par la pluie. Et l'eau vient à ma rencontre. Elle s'élève et suit les mouvements de ma main.
Je la regarde prendre vie et se loger dans ma paume, sphère parfaite dans lequel mon sourire se reflète. C'est le premier depuis longtemps.
Autour de nous, la pluie cesse. Le soleil fend les nuages qui se délitent bientôt totalement. Le bleu du ciel est pur. Éblouissant après la grisaille dans laquelle j'ai vécu ces derniers mois.
J'avais oublié à quel point il était beau.
Chaque gouttelette encore accrochée aux herbes jaunies et aux branches nues des arbres brille. Elles illuminent le lac et ses berges d'une myriade de couleurs.

— Merci Joran.
— Non, merci à toi.
— Ce n'est que le début du chemin.
— Je sais.
— Tu es prêt ?
— Oui.
— Je resterai avec toi.
— Merci.

Je me relève doucement et me dirige vers la tombe de mes amours. Je n'ai pas besoin de la regarder pour savoir que la sphère me suit. Elle est là juste au dessus de mon épaule droite.
Je m'agenouille au pied des fleurs qui ne faneront jamais. J'envoie une prière à l'au-delà pour qu'il prenne soin de ma femme et de ma petite fille en attendant que je les rejoigne. Et je quitte le lac. Je retourne à la cabane. Abby et Ada m'attendent devant la porte. Leurs yeux sont brillants.

— Abby, tu veux bien danser avec moi ?

Je n'attends pas de réponse et lui tends simplement la main. Pourtant sa voix, cette voix qui me manque tant emplit l'air autour de nous.

— Oui.

Elle saisit ma main et se colle contre moi. Cette musique sur laquelle je l'ai fait danser le jour de notre mariage résonne dans ma tête. Je sais qu'elle l'entend elle aussi. Nous refaisons les mêmes gestes que ce jour si particulier pour nous.
Elle me fait tourner et je ris. Je ris parce que je suis bien plus grand qu'elle et que nous sommes ridicules. Elle rit avec moi. Son rire cristallin résonne dans la clairière. Accompagné de celui d'Ada qui vient nous rejoindre et tire sur nos vêtements pour que nous la prenions avec nous.
Je m'arrête un instant pour qu'elle grimpe dans mes bras. Sa petite tête vient se poser contre mon cou.
Et nous dansons. Nous dansons là, tous les trois. Pour la dernière fois.
Je leur murmure mon amour pour elles. Je leur dis que je ne les oublierai jamais. Qu'elles seront toujours avec moi. Et qu'un jour, un jour, je viendrai les retrouver.
Soudain Abby s'arrête.
Mon cœur se brise parce qu'il comprend ce que cela signifie. Mais je ne leur montre pas. Ada se serre contre moi puis se laisse glisser au sol.

— Je t'aime papa.

Elle prend la main d'Abby qui m'embrasse et je sens ses larmes sur mes lèvres.

— Je t'aime Joran.

Petit à petit, elles reculent. Sans jamais me quitter des yeux. Jusqu'à disparaître sous le couvert des arbres.
Je résiste à la tentation de les suivre et avant de changer d'avis, vais récupérer mes affaires dans.a cabane et reprends la direction du lac. C'est le seul chemin que je connaisse pour quitter cet endroit.
Je ne me retourne pas.
Je ne suis pas triste.
J'ai accepté.
Elles vivent en moi. Elles seront toujours avec moi, je le sais.

Je ne sais pas où aller mais j'espère que mes pas me guideront au bon endroit. Petit à petit, la civilisation reprend ses droits sur la nature et la sphère au-dessus de mon épaule disparaît. Elle se fond en moi, devenant invisible aux yeux des autres. « Je resterai avec toi. ».
Les immeubles en ruines envahissent soudain mon champ de vision. La poussière me fait tousser.
Je me fige un instant pour regarder autour de moi. Il n'y a personne dans les rues. Personne ne rase les murs comme au temps de la guerre, personne ne rit comme au temps d'avant. On dirait une ville morte. Lugubre.
Je passe devant mon ancien chez-moi. Mon cœur se serre. Mes souvenirs remontent les uns après les autres. Les histoires que je lisais à Ada avant qu'elle s'endorme, nos rires, ses pleurs. Abby. Ma femme à qui je faisais l'amour en silence, pour ne pas réveiller notre fille ou les voisins. Ma femme qui dessinait et réinventait le monde pour Ada. Notre mensonge. Celui que nous avons perpétué jour après jour pour que la guerre ne touche pas cet être que nous aimions plus que tout au monde.
Des larmes poignent à mes paupières. Je les essuie d'un revers de main. Je ne dois pas penser à tout cela.
J'erre à travers les rues désertes de la ville et me retrouve devant l'hôpital. Peut-être Marley est-elle là ?
J'hésite à entrer puis renonce.
Nous avions toujours les mêmes horaires et d'après l'énorme horloge qui orne le fronton de l'établissement, elle devrait bientôt finir de travailler. Je décide de l'attendre, caché dans un coin de mur. J'attends. Dans la nuit froide, je scrute chaque visage qui entre ou qui sort.
Mais le sien n'apparaît jamais.
Désemparé, je quitte les lieux. Je marche sans but. Quand mes jambes ne me portent plus, je m'arrête et m'assois à même le sol. Contre un mur aux pierres glaciales, j'attends. Je manque de m'assurer quand une voix que je ne connais que trop bien me hèle.

— Tu ne devrais pas rester là.
— Pourquoi faut-il que ce soit vous ?

Il sourit à ma remarque et ne répond pas. Je prends la main qu'il me tend pour m'aider à me lever. J'avais oublié à quel point ses yeux étaient perçants. Même là, dans le noir, j'ai l'impression qu'ils brillent.

— Je m'appelle Eolas.
— Au moins, nous sommes un peu plus à égalité.
— Je vois que tu n'as pas perdu ta langue acérée.
— Elle vous a manqué peut-être ?
— Bien plus que tu ne peux l'imaginer. Mais trêves de bavardages. Viens, tu es attendu.

Et voilà qu'il recommence avec ses phrases énigmatiques. Je pourrais refuser mais je sens que je dois le suivre. Que c'est avec lui qu'est ma place. Ma nouvelle place.
Nous faisons le chemin en silence. Il n'hésite pas une seule fois dans les rues plongées dans le noir total. J'ai envie de lui demander pourquoi les lumières sont éteintes mais je ne le fais pas. Je profite du silence. Je ne suis pas sûr qu'il dur bien longtemps. J'appréhende de voir d'autres personnes. J'ai été seul si longtemps. Qui peut bien m'attendre ?
Je perds la notion du temps. Il me semble que nous marchons depuis longtemps mais est-ce vraiment le cas ou est-ce seulement une impression ?
Les immeubles sont plus épars. Nous en dépassons quelques-uns sans qu'il ne marque le moindre temps d'arrêt.
Et soudain il se fige. De pâles lumières transpercent la nuit. Elles m'éblouissent presque après tout ce chemin dans la nuit noire.

— Tu viens ?

Perdu dans ma contemplation des alentours, je n'avais même pas remarqué qu'il me tenait la porte d'entrée.
Je passe devant lui et attends qu'il ferme derrière lui. Ses gestes sont étranges mais je ne relève pas.
Si je dois avoir des explications un jour, il me les fournira. Je suis plus intéressé par la découverte des lieux pour m'appesantir sur ce qui me semble être un détail.
Nous nous trouvons dans une sorte de vieil entrepôt. La pièce dans laquelle nous nous trouvons est immense et vide. Ses murs sont nus. Froids. Le sol est recouvert d'une épaisse couche de poussière que nos pas ne dérangent même pas alors qu'elle devrait voler autour de nous.
Je le suis à travers la salle, l'observe ouvrir une porte que je n'avais pas vu l'instant d'avant. Encore une fois, il me laisse passer devant lui, referme le panneau de bois et réitère les gestes qu'il a fait quelques minutes auparavant.
Un escalier apparaît devant nous. Une quinzaine de pas nous mène à l'étage. La lumière m'éblouit. Les voix qui emplissent l'air me vrille les tympans.
Je ne suis plus habitué à tout cela. Je me sens mal. Un instant, la tête me tourne.
Tout à coup, le silence se fait.
La dizaine de personnes dont je ne distingue pas les visages, encore trop ébloui, me dévisage. Je sais qu'ils ne fixent pas Eolas. Je le sens.
Des murmures s'élèvent.

— Qui est avec Eolas ?
— Est-ce lui ? Est-ce le protecteur ?
— Le protecteur ? Cet homme ? Impossible...

Une voix surpasse soudain les autres. Elle surgit à peine que je la reconnais déjà.

— Joran ? Joran, c'est bien toi ?

Marley. Marley. Marley...
Je vois sa silhouette s'approcher, incapable d'esquisser le moindre geste, incapable de prononcer le moindre mot.
Elle s'avance et je dois m'appuyer au mur à côté de moi pour me soutenir. C'est trop dur.
Ses doigts effleurent ma joue. La caresse. Spontanément, je m'appuie contre sa paume. Sa chaleur irradie à travers mon épiderme.
Si elle savait comme je lui en ai voulu. Si elle savait comme j'ai souhaité qu'elle me cherche. Si elle savait...

— Je sais.

Sa voix n'est qu'un murmure.

— Je suis désolée.

Je devrais lui répondre, lui dire toutes ces choses immondes qui traversent mon esprit. Je n'y arrive pas. Je peux simplement la prendre dans mes bras et sentir ses sanglots.

— Je suis désolée. Je voulais venir. Je voulais t'aider. Mais je n'avais pas le droit. Si je l'avais fait, tu serais mort. Et après... Après tout ça, je ne pouvais pas accepter que toi aussi, tu t'en ailles.

Ses mots me touchent. Ils s'insinuent dans chacune de mes cellules. Elle voulait venir. Ma rancœur s'envole. Je joins mes larmes aux siennes.

— Si tu savais comme elles me manquent...
— Je le sais.

Elle ne ment pas. Je le sens. Mais comment peut-elle savoir ? Il y a tant de choses que j'ignore. Elle sèche ses larmes d'un revers de la main et quitte mes bras.
Son regard défie les autres de parler de moi à nouveau. Je la reconnais bien là. Ils baissent les yeux.
Mon observation est interrompue par Eolas.

— Mes chers amis, je vous présente Joran. Je vous demanderai afin de ne pas vous attirer la colère de Marley de le laisser se reposer tranquillement. Ces derniers mois n'ont été faciles pour personne mais encore moins pour lui.

Je voudrais demander ce qui s'est passé pendant que j'étais au bord du lac mais les regards noirs de certains m'en empêchent. Je n'ai pas que des amis ici.
L'un d'entre eux se lève en faisant crisser les pieds de sa chaise sur le sol.

— Tu parles d'un protecteur, il n'était même pas là, trop occupé ailleurs.

Les mots de l'homme ne passent pas inaperçus. Tous les yeux se tournent vers Eolas et Marley. Ils passent de l'un à l'autre pour savoir lequel des deux va s'énerver en premier. Marley est sur le point de le faire mais Eolas l'arrête d'un geste. Un infime geste. Qui prouve aux autres qu'il avait raison sur mon amie. Je pensais inévitable qu'il s'attaque verbalement à mon détracteur mais au lieu de cala, il se contente de le toiser qui pourtant est bien plus grand que lui. Soudain, ses yeux changent. Une étrange lueur que je leur ai déjà vue les habite. Et l'autre se tasse sur lui-même. Il ploie sous la force qui irradie à travers la pièce et tombe à genoux, comme terrassé par une douleur invisible.
Cela crève les yeux qu'il a mal et personne ne réagit.
Aucun n'intervient comme si ce qui se passait sous leurs yeux était normal. Alors que ça ne l'est pas. Personne ne devrait souffrir. Même pas cet homme hostile envers moi.
Je ne le supporte pas. D'une voix faible, j'implore le vieil homme.

— Ça suffit. Ça suffit...

Mais Eolas ne m'entend pas. Ou fait comme s'il ne m'entendait pas.

— Arrêtez. Je ne veux que personne souffre à cause de moi. C'est trop dur. Beaucoup trop.

Les yeux de mon détracteur me scrutent, trahissant son incompréhension. Ils me questionnent aussi.

— Eolas. Arrêtez.

Rien ne change. Je ne veux plus de tout ça. Je ne veux plus. La colère enfle en moi. Je la dirige vers cet homme qui tente d'en dominer un autre. Il pâlit un instant mais se reprend aussitôt. Il ne lâche pas prise. Et l'homme à nos pieds a mal. De plus en plus mal. C'en est trop. Chacune de mes cellules se révoltent contre l'injustice. Je tonne.

— Ça suffit.

Le temps s'arrête un instant. Figeant sur les visages présents dans la pièce une expression ahurie.
Je ne m'y attarde pas. Pas plus que je ne m'attarde sur Eolas.
Seule compte la respiration de mon détracteur qui a repris. Elle est erratique mais se normalise à chaque seconde qui passe. Ses yeux me fixent avec gratitude et étonnement pendant que je m'agenouille à ses côtés et que je prends son pouls.
Me concentrer sur ces gestes médicaux simples me détend. Je me sens prêt à affronter de nouveau le regard perçant d'Eolas.
Son visage affiche un sourire satisfait. D'une voix docte, il déclare.

— Joran est le protecteur. Que ce soit bien clair pour vous tous.

Je ne comprends pas ses mots. Comme les autres ont l'air de saisir, je ne demande rien.
Une silhouette jusqu'à présent restée dans l'ombre se décolle du mur pour s'approcher du vieil homme qui s'apprête à quitter la pièce. D'un geste, il l'arrête.

— Vous n'auriez pas dû faire cela.
— Si, il le fallait. Ils devaient le voir par leurs yeux.
— C'était cruel.
— Oui. Mais tout l'est aujourd'hui.
— Ce n'est pas une raison. Un autre jour aurait convenu.
— Non, il le fallait. Maintenant. Ce soir. Après, il aurait été trop tard.

Eolas quitte les lieux et l'homme s'avance vers moi. Cet homme dont j'ai reconnu la silhouette, dont j'ai reconnu la voix.

— Je suis content de te revoir.

Snow.

— C'est tout ?
— Mes discours à rallonge te manquent ?

Un sourire en coin naît sur ses lèvres. Sur les miennes aussi. Oui, je suis heureux qu'il soit là. Et oui, son flot de paroles m'a manqué. Mais je ne l'avouerai jamais. Je ne le connais pour ainsi dire pas mais je suis sûr qu'il en jouerait. C'est hors de question. Comme je ne réponds pas, il reprend.

— Tu as faim ? Besoin de quelque chose ? Parce que bon, ils te regardent tous comme une bête curieuse mais pas un ne pense que tu viens de vivre dehors et seul depuis cinq mois.
— Je n'étais pas « dehors », tu le sais très bien.
— Mais eux non.

Il me fait un rapide clin d'œil avant de ses tourner vers les autres. Vers Marley qui me dévisage comme si j'avais un troisième œil au milieu du front.

— Il reste quelque chose à manger ?

La voix de Snow la ramène sur terre.

— Évidemment, c'est toi qui a cuisiné...

Je ris. Ils continuent leur joute verbale en m'entraînant à leur suite vers la cuisine. Je pourrais tout aussi bien être ailleurs, ils ne font plus du tout attention à moi. Marley s'affaire dans la pièce sous les remarques moqueuses de Snow. Quelques minutes plus tard, elle pose une assiette fumante sur la table sans même me jeter un coup d'œil.

— Si je vous dérange, dites-le-moi.

Ils se figent, réalisant enfin qu'ils m'ignorent depuis un bon moment maintenant. Ils se regardent bêtement. Je ris à nouveau.
Marley est la première à s'excuser. Enfin, essayer.

— Désolée. Mais il est toujours là à chercher la petite bête.
— N'en rajoute pas. Tu l'as cherché aussi.
— Faut pas lui en vouloir, Joran. Elle fait ce qu'elle peut pour résister à mon charme.
— N'importe quoi.
— Vous n'êtes que de grands gamins. Et si vous pouviez vous taire juste un peu, ça serait sympa. Vous me filez mal au crâne.

Je ne sais pas lequel des deux réalisent en premier que j'ai passé de longs mois seul. Marley me fait signe de m'asseoir et s'installe à côté de moi. Snow s'appuie contre le mur, un genou fléchi et le pied reposant contre la peinture décrépie.
Ils me regardent manger sans oser dire un mot. C'est moi qui brise le silence, après avoir repoussé mon assiette à moitié vide. Je n'ai déjà plus faim.

— C'est quoi cet endroit ?
— Le Refuge.

Je les dévisage sans comprendre. Marley reprend.

— C'est notre dernier poste avancé en ville. Nous en avions deux autres mais ils ont été attaqués il y a deux mois et personne n'a survécu.

Sa voix se brise sur ses derniers mots. Ses yeux se voilent. Snow s'est légèrement décollé du mur et fait un pas vers elle. Elle l'arrête d'un sourire.
J'aime la prévenance de mon ami pour cette femme qui m'est si chère.
Comme elle ne dit plus rien, je tente une approche.

— Le dernier poste de quoi ?
— De la résistance. Notre quartier général est à quelques heures d'ici.
— Tu n'arrêtes pas de dire « nous » ? Mais vous êtes qui ?
— Ce n'est pas à moi de répondre à cette question.
— À qui alors ?
— Tu le sais.
— Eolas, c'est ça ?
— Oui.
— Mais pourquoi ? Qui est-il ?
— C'est notre chef.

Je manque de m'étrangler.
Les mots de Marley induisent de nombreuses questions. Et une pointe de rancœur. Elle aurait dû me dire qu'elle connaissait ce vieil homme dont je me plaignait régulièrement. Elle aurait dû me dire qu'elle était... Mais qu'est-elle ? Que sommes-nous ?
Je sens que malheureusement mes interrogations resteront sans réponses. Tout du moins jusqu'à ce qu'Eolas daigne y répondre.
Mes compagnons restent silencieux, attendant certainement que je leur demande autre chose, que j'engage à nouveau la conversation. Mais je suis épuisé. Cette journée a été éprouvante. Je n'aspire qu'à dormir.
Les quelques mots qui sortent de ma bouche pour leur signifier sont emprunts de lassitude si bien qu'aucun des deux ne les discutent. Marley me souhaite une bonne nuit tandis que Snow m'escorte jusqu'au dortoir des hommes, tout en me parlant à voix basse.

— Les hommes et les femmes dorment dans des quartiers séparés. Ne me demande pas pourquoi, je n'en ai aucune idée.

Cela ne me fait ni chaud ni froid. Mais lui a l'air de trouver ça anormal. Je souris faiblement. Il s'arrête soudain devant une porte.

— Tu sais, si ça ne tenait qu'à moi, je te dirais tout ce que je sais. Je trouve ça débile qu'il fasse tous des secrets et qu'ils prennent Eolas pour la huitième merveille du monde... Mais si je fais ça, Marley va me tuer... Elle sait être convaincante.

Je souris à la remarque de Snow. Il a parfaitement raison à propos de Marley. J'acquiesce d'un signe de tête et le suis dans le dortoir. Il me montre le lit qui m'a été assigné. Mes affaires sont déjà posées à côté. Certains des autres occupants du dortoir dorment déjà, d'autres lisent. Quand ai-je vu un livre pour la dernière fois ? Ils me font tous un signe de la main et nous murmurent un « bonne nuit ».
Snow m'indique la salle de bains et me donne des vêtements propres. La douche que je prends enlève un peu de la lassitude qui m'habite. Elle me rassérène. Je sais maintenant pourquoi. Je ne m'y attarde pas pour le moment. Je devine qu'une partie de mon temps va y être consacrée.
Pour la première fois depuis des mois, je me vois dans un miroir. J'ai changé. Maigri. Les traits de mon visage se sont acérés. Mes yeux entourés de fines rides ne rient plus. J'ai perdu mon innocence. Elle était toujours là même si c'était la guerre. Abby et Ada étaient avec moi. Elles en étaient les garantes.
Mes cheveux ont considérablement poussés. Ils étaient comme ça il y a longtemps, quand je ne connaissais pas encore Abby. C'est étrange de les revoir à cette longueur mais je sais que je ne les couperai pas. Je ne veux plus être comme il était bien d'être quand on était médecin. Comme il le fallait pour éviter les poux et autres parasites pendant la guerre. Je prends le temps de tailler correctement ma barbe.
Mon corps n'est plus le même. Mes épaules sont plus carrées, mes muscles plus marqués. Les longues heures que j'ai passées à nager ont sculpté mon corps. Même si pour le moment, il est amaigri. Je ne serais pas contre reprendre quelques kilos. La cuisine de Marley devrait faire l'affaire.
Mes ablutions terminées et les vêtements que Snow m'a donnés enfilés, je regagne le dortoir. Je sens les yeux des autres sur moi. Je ne m'y attarde pas. En silence, je m'allonge sur mon lit. Petit à petit, les lumières s'éteignent une à une. Mes nouveaux compagnons s'endorment. Leurs respirations se font plus régulières.
Et moi, je ne dors pas. Je cherche le sommeil en me tournant dans tous les sens. Il y a trop de bruits, trop d'odeurs, celles des lumières encore chaudes, celles du corps de mes voisins, celles des draps et des vêtements propres. La mienne qui a changé.
Je ne dors pas. Mes pensées prennent beaucoup trop de place. Il y a l'inconnu. La joie de revoir Snow et Marley. L'incompréhension vis à vis de ce que s'est passé un peu plus tôt. L'absence du lac. Cette immense étendue d'eau qui m'a protégé. Le déchirement face à l'absence de mes amours. Le manque. Le manque et la douleur qui, même si j'ai accepté, sont toujours là. Ils ne partiront jamais. La fatigue. Cette insoutenable fatigue qui m'empêche de m'assoupir tant elle est présente. Et qui finalement, me permet d'avoir ce que je veux. Mon corps lâche le premier. Il succombe. Et enfin, mes pensées me laissent en paix.

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