LES MOTS durs de Daphné étaient sortis. « Je peux te parler ? » avait-elle demandé à Esteban pendant leur pause. Il avait haussé un sourcil et l'avait suivie dehors, la laissant s'allumer une cigarette pour se donner du courage.

« Tu m'as trompé ? Lâcha-t-il de but en blanc. »

Daphné le fixa, interdite. Comme si elle était ce genre de filles.

Certes, elle avait un peu flirté avec Heidi hier, mais c'était simplement pour s'amuser, rien de grave. Juste des mains un peu tactiles et deux-trois compliments faciles, mais il n'avait rien vu, et il n'y avait rien eu de concret.

« Non, non, c'est pas ça. »

Elle ne trouvait pas les mots, elle avait la langue sèche dans le creux de son palais.

« Je crois que...qu'on ferait mieux de se séparer.

— Je pense aussi, répondit simplement le garçon.

— Cool, je suis contente qu'on soit...sur la même longueur d'onde. Pour une fois. »

Il approuva d'un hochement de tête, les mains dans les poches.

« Dis, Daphné, tu me le dirais si tu me quittais à cause de quelqu'un d'autre ?

— C'est pas le cas, Esteban, vraiment. »

Elle repensa à Heidi la veille. Heidi à qui elle plaisait. Ce n'était pas l'idée de plaire à une fille qui la dérangeait. C'était l'idée de plaire qui était particulière. Elle plaisait à deux-trois personnes, comme ça, mais elle n'avait pas l'habitude d'être désirée.

« Je sais pas, t'as l'air assez distante récemment, c'est pour ça. Et puis, Charlotte m'a dit que tu passais pas mal de temps avec ton pote du théâtre en ce moment...

— Tu connais Charlotte, elle dit n'importe quoi.

— Non, justement, le genre de Charlotte c'est de toujours dire ce qu'elle pense. »

Daphné pinça les lèvres sur sa cigarette. Foutue Charlotte. Pourquoi appréciait-elle autant Esteban au point de lui raconter trop de choses sur Daphné ? Surtout quand ça donnait lieu à de mauvaises interprétations.

« Ecoute, il est en couple. Il ne se passera rien entre lui et moi parce que c'est pas mon style. Si je te quitte, c'est uniquement parce que notre relation est pas au top mais que ça a pas l'air de nous déranger plus que ça.

— Ouais, t'as probablement raison. C'est mieux qu'on se quitte en bons termes. Je t'aime bien, Daphné, ça me ferait chier de te perdre. »

La blond fourra une main dans la poche de son jean et laissa reposer l'autre contre sa cuisse, avec sa cigarette qui se terminait entre ses doigts.

« Moi aussi, je t'aime bien, Esteban. C'est ça le problème. On s'aime bien. »

Elle termina sa cigarette, serra le garçon dans ses bras et s'en alla.

Ca lui faisait tout drôle, mine de rien, d'être célibataire. Heureusement qu'Heidi et le théâtre commençaient à occuper une partie importante de son temps libre. Elle se sentait triste à l'idée de passer ses jeudis soirs seule, tous, sans exceptions. Finalement, peut-être qu'elle tenait à Esteban plus que prévu. Et puis, Charlotte commençait à devenir dingue à cause des révisions et Giselle consacrait tout son temps libre à la musique.

Elle le voyait un peu plus loin, discuter avec son ami. Il avait l'air plus déçu qu'il le montrait devant Daphné. Elle eut de la peine pour lui.

Le reste de la journée se déroula avec un goût d'amertume. Daphné savait qu'elle regrettait surtout de ne plus être en couple qu'autre chose. Elle aimait sortir avec quelqu'un, avoir des papillons dans le ventre, se laisser embrasser, avoir des petites attentions et en recevoir en retour.

Mais quand elle vit Heidi qui l'attendait, les mains dans les poches en écoutant sa musique, elle sentit son coeur s'emballer. Parce que la solitude n'avait plus raison d'être, parce qu'elle avait Heidi avec qui être. Et qu'elle n'avait jamais ressenti ça avec personne, cette facilité de parler à quelqu'un, ce sentiment de sérénité en la voyant.

Giselle et Charlotte étant toutes les deux en S, Daphné n'avait aucun camarade de classe à présenter à la brunette. Elle allait lui faire une bise maladroite mais Heidi posa une main rassurante sur son épaule en lui coulant un regard plein d'inquiétude.

« Ca s'est bien passé ?

— Oui, on s'est quittés en bon terme, il était d'accord avec moi.

— Et du coup, tu vas bien ? »

Daphné sourit. Généralement, c'était à Heidi que ces questions se posaient.

« Ca va pas top, mais bon.

— Tu veux qu'on annule et que je te laisse seule ?

— Non, j'aimerais bien ne pas être seule... »

Daphné n'était pas venue à vélo ce matin, pour une fois. Elle était venue à pieds, marchant pour réfléchir ; l'air frais du matin lui faisait du bien.

« On rentre en bus ? proposa Heidi. Il y a un arrêt juste en face de chez moi. »

En attendant le bus, la brunette contempla le paysage en face d'elle, se murant dans le silence. Daphné ne comprit pas ce qu'il y avait de si intéressant dans un parc. Mais les feuilles qui bruissaient sous le souffle du vent avaient quelque chose d'apaisant.

Une fois à l'intérieur, Heidi se dirigea machinalement vers une place à deux. Elle laissa à Daphné la place près de la fenêtre et lui tendit un écouteur.

« J'ai une playlist pour toutes les occasions. Tu veux écouter ma playlist de rupture?

— C'est vrai que tu t'y connais. Je me demande ce que t'as pu foutre dedans. »

Heidi lui sourit. Elle avait l'air vraiment mignonne, avec ses longs cheveux qui se perdaient sur le jean de sa veste et sa robe à carreaux. Le genre de mignonne que Daphné ne serait jamais.

« Youth ? T'es sérieuse ?

— Elle est super cette chanson, je vois pas ce que tu lui reproches.

— Pas grand chose, reconnut Daphné. »

Elle se tut pour écouter la suite, en fermant les yeux. La blonde s'appuya à l'épaule d'Heidi, laissant les paroles la submerger.

Et pourtant, même avec ça, la solitude ne lui faisait plus peur ; parce qu'elle n'avait pas l'impression d'être seule.

« Vous partagiez des chansons, avec ton ex ?

— Euh, pas vraiment...On avait pas tellement les mêmes goûts musicaux.

— C'est quoi tes goûts ?

— Lana del Rey. J'aime bien Vendredi sur Mer, aussi. Lady Gaga. Enfin, voilà. »

Heidi lui décocha un sourire complice en lui montrant sa playlist de titres favoris.

« Eh bien, toi et moi on aura pas ce problème, fit la blonde avec un clin d'oeil. »

Heidi, au lieu de rougir comme Daphné l'aurait pensé, répondit d'une petite voix légère.

« Faut croire que non. »

Là, c'était la brune qui avait coupé le bec à Daphné et elles se contèrent d'écouter la musique d'Heidi en regardant le paysage.

La brune avait fait visiter sa maison à Daphné. C'était grand. Surtout qu'elles n'étaient que deux, parce que ni le frère d'Heidi, ni son père n'étaient là. Elles étaient seules toutes les deux.

« J'ai tout l'étage pour moi, dit simplement Heidi. Depuis que mon frère est parti faire ses études, la maison est un peu vide.

— Il est parti cette année ?

— Oh, non, il est parti il y'a deux ans. Ca m'a fait très bizarre au début, mais bon, on s'habitude.

— Il fait quoi ?

— Une fac de lettres. Les mecs là-bas sont super mignons, apparemment. Ca change de notre bled paumé.

— Dit celle qui fantasme sur Augustin. »

Heidi ne rougit même pas.

« C'est passé, dit-elle simplement. Ca dure pas longtemps, les crushs, avec moi.

— Donc tu fantasmais bien sur lui ? S'amusa la blonde.

— J'ai peut-être été un peu déçue en apprenant qu'il avait une copine. D'ailleurs, elle ressemble à quoi ? Parce que j'en entend souvent parler mais je l'ai jamais vue, moi. »

Daphné sortit son téléphone et lui montra la page Instagram de Déotile. Elle réussit à trouver une photo plutôt sympa de la brune qui riait, une paille dans la bouche. Ses yeux se perdaient dans le vague, elle portait un joli pull en velours bleu et des boucles d'oreilles à perles pendaient à ses lobes.

« Eh mais elle est super mignonne ! s'étonna Heidi en prenant le téléphone.

— Tu peux à présent fantasmer sur des plans à trois avec eux, releva Daphné, sarcastique.

— Ah ben là carrément. »

Daphné ne sut pas si c'était un coming-out ou si elle répondait simplement à sa blague. Elle n'osa pas vraiment lui demander.

« Et Gene, reprit Heidi. Tu sais si elle a une copine ?

— C'est pas vrai, elle va vouloir se faire l'intégralité de l'entourage d'Augustin.

— Oh, arrête avec lui, franchement. »

Quant à Gene, c'était un peu compliqué. Elle ne parlait quasiment jamais de ses relations amoureuses depuis sa rupture avec sa meilleure amie, une fille insupportable qui ne l'assumait pas en public et se sentait au dessus de tout le monde.

« Je sais pas vraiment. Je pense que oui.

— Moi aussi. »

Heidi regarda Daphné dans les yeux et confessa.

« J'aime bien Gene. Même si elle est assez maladroite, elle est pas méchante.

— Non, c'est son ex qui était méchante. Une vraie salope, celle-là.

— Raconte ? »

Heidi s'appuya contre le mur, laissant Daphné commérer toute à son aide.

« En gros, elle sortait avec Gene et un autre mec en même temps, elle assumait pas Gene en public, elle la présentait comme sa meilleure amie, elles se disputaient énormément et à chaque fois elle disait que c'était la faute de Gene, enfin bref. Une connasse. »

La brune fronça les sourcils.

« Et elle a supporté ça ?

— Faut croire. L'amour ça fait faire des drôles de chose.

— Non mais là...qu'elle ait pas assumé sortir avec une fille, c'est un fait. Qu'elle sorte avec un autre mec en même temps ? Faut pas avoir beaucoup d'amour propre pour laisser passer ça... »

Elle semblait s'y connaître pas mal dans le domaine. Décidément, la théorie de Gene se validaient de plus en plus.

« Je veux dire, mon frère est gay, il a pas vraiment assumé au début et son copain lui en a pas voulu. Mais c'est pas pour autant que mon frère s'est fait une autre fille pour faire la couverture. Ca me dépasse.

— Ton frère est gay ?

— Oui. »

Elle n'en avait pas honte. Elle ne le marmonnait pas, elle l'énonçait très clairement. C'était bien. Daphné était gênée de constater que si elle avait eu un grand frère gay, elle n'en aurait peut-être pas parlé aussi facilement.

« Et toi ? fit finalement Daphné, parvenant enfin à lui poser la question qui lui brûlait les lèvres. »

Heidi sembla un peu surprise. Mais elle regarda la blonde en haussant les épaules.

« Je sais pas vraiment. Je pense que je suis bi. Mais je me pose pas vraiment d'étiquettes, pour l'instant. Et toi ? »

Jusqu'alors, Daphné aurait affirmé qu'elle était hétéro. Mais une fois qu'Heidi lui avait retourné la question, elle n'en était plus si sûre.

« Je ne sais pas non plus, capitula-t-elle. »

Heidi lui posa une main sur l'épaule en souriant et guida Daphné jusqu'à sa chambre. Il y avait un petit coin bibliothèque, avec un gros fauteuil, des livres et des revues en papier glacé, quelques cartes postales d'oeuvres connues, comme les tournesols de Vincent van Gogh. Et puis son lit. Une guirlande, une table de nuit, quelques dessins pas vraiment bons mais pas trop laids, des vêtements en boule dans un coin. Une chambre d'adolescente normale.

« Ce que j'adore, c'est ouvrir la fenêtre et m'asseoir sur mon toit. C'est super apaisant. »

Comme pour appuyer ses propos, elle ouvrit la fenêtre et grimpa sur le rebord. Daphné la suivit, un peu perplexe et, voyant qu'elle s'allongeait sur les tuiles, l'imita.

« Je vais là quand ça va pas. Et qu'il fait pas trop froid. Ca me fait du bien.

— Du coup tu m'emmènes là parce que j'ai rompu.

— Oui. »

Daphné sourit. C'était une attention assez douce.

La blonde s'alluma une cigarette pendant qu'Heidi sortit ses écouteurs. Et elles restèrent à se bronzer sur les tuiles en écoutant Ride, dans un silence apaisant que Daphné n'osa pas briser au début.

Puis, finalement, elle dit :

« Ca, c'est un contexte parfait pour se fumer un joint.

— T'as déjà essayé ? Demanda Heidi, se couvrant les yeux du soleil.

— Non. Mais j'imagine juste.

— J'suis sûre que Gene elle en fume, confessa Heidi. »

Cette obsession pour Gene commençait un peu à l'agacer. Gene par-ci, Gene par-là. Pourquoi ne pas avoir sympathisé avec Gene en premier lieu ?

« Ouais, ça lui arrive. »

Daphné prit une bouffée de sa cigarette, essayant de se détendre. Mais la colère commençait à monter.

« Augustin ça doit bien être son genre aussi.

— Tu penses ? S'étonna la brunette.

— On le voit trop comme un mec super studieux et tout, je suis sûre qu'il cache bien son jeu.

— On verra bien demain, fit Heidi en riant. »

Elle laissa planer le silence avant de reprendre.

« Ouais, t'as pas tort, plus j'y réfléchis plus c'est son genre en fait.

— Eh, c'est un L avant tout.

— Ne critique pas les L ! Riposta Heidi. On est beaucoup plus ouverts d'esprit que vous, les ES. Sans déconner, vous êtes clairement la filière que je déteste le plus.

— Oh, les S sont pas mal dans le genre « je suis en S je vaux mieux que vous », hein.

— Ouais, mais les ES ils sont méprisants au possible. Ils sont persuadés de mieux valoir parce que c'est la filière la plus équilibrée, ça m'énerve. »

Daphné haussa les épaules. Pour certains cas de sa classe, ce n'était pas foncièrement faux. Pour d'autres, ça l'était totalement. Il y avait des personnes insupportables partout.

« Je pense que Dan aussi, il fume. Ou alors qu'il se fait des rails de coke, je sais pas trop. Il doit pas être si clean qu'il aime nous le dire.

— J'ai jamais réussi à cerner Dan.

— Je pense qu'il doit être genre, pan, balance, sniffe de la coke, s'inspire du drame de Shakespeare pour écrire et en fait un truc beaucoup plus simple, crois aux maisons hantées et adorerai vivre avec les fantômes.

— Oh, pas mal. »

Daphné sourit en écrasant sa cigarette, avant de remettre le mégot dans son paquet. Elle allait jeter le mégot dans une poubelle, plus tard.

« Et toi, tu le vois comment, Dan ?

— Il vit avec sa mère mourante pour s'occuper d'elle, il est végétarien, se nourrit exclusivement de légumes qui vient de son potager, ne s'intéresse pas à l'amour et est persuadé qu'on est espionné par les extraterrestres.

— 50 nuances de Dan, s'amusa Daphné. »

Elle se laissa aller sur la tuile. Le soleil lui brûlait gentiment la peau, elle avait Heidi avec elle et le bonheur lui enflait les veines.

Daphné se sentait bien, pour de vrai, pour la première fois depuis longtemps. 

en fait ce bouquin c'est juste l'histoire de comment daphné gene heidi gus et déo sont  devenus copains 
aussi littéralement pire auteur régulier mais bon on s'adapte lol j'ai écris ce chapitre y'a littéralement un an : yolo