
10. Pieces
Pourquoi Emma et moi ne travaillons-nous jamais en même temps ?
J'ai l'impression de ne jamais la voir. Pourtant on essaie de se voir tous les soirs. C'est juste qu'entre le travail et ses cours on est tous les deux épuisés. Un vrai vieux petit couple qui va bientôt divorcer trop épuisé par la routine de la vie. Même si Emma et moi c'est pour la vie.
Je ne me suis pas rendu compte hier, mais Emma avait totalement raison. Les clients se font bien trop peu nombreux, même pour un jeudi en pleine matinée. Je le remarque et pourtant je ne suis serveur que depuis une semaine seulement. On s'ennuie beaucoup, tous assis à attendre des clients... La mort dans l'âme... Si les affaires continuent ainsi Emma pourra me crier au nez qu'elle aurait eu raison, parce que le café va couler. Ce matin avant d'ouvrir Hélios à bien tenter de nous rassurer à coup de « c'est le temps que les clients se lassent de la nouveauté et reviennent aux bons vieux classiques » Mais lui-même ne semblait pas extrêmement convaincu. Le café marchait si bien, il a peur de devoir mettre la clé sous la porte...
Je me suis installé avec Guillaume dans un coin au fond du café, là où j'ai une vue sur l'ensemble de la pièce et où personne ne vient normalement jamais m'emmerder. A mes côtés j'entends mon ami baragouiné quelque chose. Il me dit qu'il commence à apprendre dès à présent ses cours pour les partiels qui se dérouleront en février. Je ne sais pas si cette avance est du à son côté assidu et bon élève ou son stress et son manque total de confiance en lui. Mais à s'y prendre cinq mois à l'avance, il est sûr de ne pas les rater.
Je le laisse donc à ses révisions de je ne sais quoi, je n'ai toujours pas compris dans quel type d'étude il se situe, mais je finirai bien par le comprendre un jour. Pour l'instant je suis trop occupé à observer mes collègues qui s'ennuie tout autant que moi. Heureusement qu'Hélios nous paie en nombre d'heure et pas en nombre de commandes passer...
Le peu de clients qui vient encore chez nous préfère s'installer à l'étage alors Hélios nous autorise à nous reposer ici. Tant qu'il n'y a personne.
A l'exacte opposé de Guillaume et moi sont installé Axelle et sa nouvelle frange et une amie blonde à elle. Leur visage sont apaisés et détendus. Elles n'ont pas l'air de craindre le manque de client, à moins qu'elles cachent bien leur peur. Alors que mon regard est posé sur elles, elles se mettent à rire. Je ne peux m'empêcher de les trouver belles. J'aime les gens qui sourient. J'ai toujours aimé les sourires. De simples lèvres étirées peuvent changer un visage entier, une expression, une situation et faire sortir d'un conflit. Un sourire révèle la personne que vous êtes au fond de vous. Il dévoile jusqu'au moindres de vos secrets, pendant un court instant. Pendant un court instant, il vous dépeint avec candeur et innocence. Il permet au monde de saisir toute la grandeur de la personne que vous êtes. Un sourire permet, pendant un fragment d'éternelles secondes, d'être librement soi.
Juste à leur droite est assis un jeune homme, très jeune par rapport à la moyenne d'âge des employé, scotché à son téléphone. Il n'est pas nouveau, pourtant il ne semble pas avoir sociabilisé. Il ne doit certainement pas en ressentir le besoin, ou l'envie. A moins qu'il n'est pas les même horaires que ses amis.
Accoudés au bar, j'aperçois Octave et sa clique. Même eux semblent heureux. Quand ils ne harcèlent personne, ils ressemblent juste à des amis normaux heureux... Sauf Octave. D'ailleurs, je suis particulièrement étonné qu'il soit encore là. Ils travaillent tous les jours. Ne devrait-il pas faire des études à son âge ? Je dis ça, mais je ne fais pas d'étude non plus.
Son comportement m'intrigue. Il n'est pas debout au bar comme les autres mais assis sur la table juste à côté, les coudes posés dessus et sa tête entre ses mains. Il a abandonné sa position de force qu'il cherche tant à maintenir en se tenant toujours la tête haute et le dos droit. D'où je me tiens je peux apercevoir ses traits crispés.
Quelque chose ne va pas dans ta vie mon petit Octave. Et visiblement tes amis n'en ont absolument rien à faire. Peut-être que ça te pèse d'harceler les autres non ? Ou alors le karma t'es retombé sur le coin de la gueule ?
Mes pensées sont acerbes, peut-être un peu trop, mais pour lui je n'ai aucune compassion. Il ne peut que mériter ce qui lui arrive. Et je vais sûrement me prendre le retour du bâton pour ces pensées puisque la vie me déteste particulièrement...
Mes yeux furètent sur un petit peu tout le monde dans la salle. Tout le monde sauf une seule personne que je refuse catégoriquement de regarder. Rana. Je ne veux pas penser à elle. Je refuse. Elle m'a jeté comme si elle avait assez d'ami pour pouvoir se le permettre. Elle ne mérite même pas que je lui consacre un millième de penser. Et si ça se trouve c'est bien elle la méchante de son histoire. Je n'en sais rien, je n'en ai rien à faire.
Je baisse les yeux sur mes mains. Elle m'obsède. Elle m'obsède et je m'en veux pour ça. Je serre les poings et tout mon être se contracte de colère.
« Ça ne va pas ? » Me demande Guillaume.
Je relève la tête vers lui, me calmant instantanément.
« Ouais, ça va. »
Il fronce les sourcils, peu convaincu. En même temps il vient de me voir avoir un spasme de colère. Alors je tente de lui sourire. Il me le rend honnêtement. Alors naturellement, mes lèvres s'étirent plus pour lui offrir un réel sourire.
« Ok d'accord, je veux bien faire semblant de te croire. » Me répond-il ce qui me fait sourire de plus belle.
Guillaume est la personnification de la gentillesse. Toujours là à l'écoute des autres, toujours prêt à aider, toujours serviable. Il ne pense jamais à mal, jamais méchant. Il fait passer les autres avant lui. Un amour d'homme. Je ne comprends même pas que des abrutis l'emmerde lui. Il est bien l'un des rares qui ne mérite absolument pas ça.
La porte s'ouvre. Je prie pour voir entrer des clients. Bingo. Deux femmes plutôt jeunes s'engoufrent dans le café. Tous nos visages se tournent vers elles, les mettant particulièrement mal à l'aise. Les pauvres avancent lentement jusqu'à une table où elles semblent avoir l'impression d'être de trop.
Je me lève en premier, signifiant que c'est moi qui vais aller les servir. Je m'ennuie, je veux faire le boulot pour lequel je suis payer. Elles se sont bien installés à la table la plus loin de moi, quelqu'un pourrait très bien les rejoindre avant moi. Pourtant personne ne semble décidé.
Les deux amies sont installés l'une en face de l'autre. J'aperçois la chevelure doré de celle qui me tourne le dos et les ambre de celle qui regarde dans ma direction. Non. Elle me regarde. Elle me dévisage même.
Je ne peux m'empêcher de faire la même chose. Elle est vraiment belle. Sa peau noire est presque brillante et souligne son regard doré de félin. Ses bouclettes brunes se dressent sur sa tête en une coupe afro soigneusement entretenue. Avec sa silhouette et sa taille je suis persuadé qu'elle est aussi grande que moi.
Je pourrais oublier Rana en quelques secondes. Juste avec cette jeune femme. Son regard brûle de désir. Elle me veut autant que je pourrais la vouloir. Elle me veut... Je pose ma main sur mon bras et je serre ma peau, juste là où l'encre me rappelle que je ne devrais même pas y penser.
J'ai l'impression d'entrer dans un tourbillon d'horreur, partager entre l'envie de coucher avec elle et celui de m'enfuir loin de la tentation. Ma tête tourne et soudain je ne sais plus où je suis ce que je fais... Je suis perdu. Je me suis perdu. Pourquoi je ne devrais pas suivre mes envies. Pourquoi mes pensées me crient-elles que c'est mal. Pourquoi ai-je eu besoin de me faire tatouer le mot «Virginity» ? Je...
« Asher ça va ? » Me demande Axelle.
Je sors de ma torpeur. Je suis en plein milieu du café à fixer les deux clientes qui attendent qu'on viennent prendre leur commande. Tous les regards sont posés sur moi. Tous se demandent ce que je fabrique immobile, la main crispé sur mon bras...
« Tu ne vas pas prendre leur commande ? Continue-t-elle.
- Non. »
Sans attendre je me tourne vers la porte qui mène aux cuisines. Je les traverse et je sors à l'arrière du café, dans la rue où sont laissées les poubelles. La rue où l'ont peut prendre notre pause.
Je tremble. De rage, d'envie, d'incompréhension, de peur.
Je ferme les poings pour tenter de me contrôler et même si physiquement on ne les voit plus, je ressens toujours ces secousses intérieures.
Je suis tellement perdu. Tout se bouscule et se contredit dans ma tête. Je ne sais plus quelle petite voix croire.
Je ne me suis pas senti aussi mal, déboussolé depuis longtemps. Depuis...
Il me faut une clope. Je tape les poches de mon uniforme. Je n'ai ni cigarette ni briquet.
Merde !
Je donne un coup de pied dans le sac poubelle juste à côté de moi. Ce dernier s'envole pour réatterrir lourdement quelques mètres plus loin.
Je n'ai aucune envie de repasser par le café. Je ne veux pas que l'attention de porte sur moi. Je ne veux pas qu'on me voit dans cet état, aussi vulnérable... Il faut que je me calme d'abord. Il faut que je fume.
Je me pose mon dos contre un mur et le laisse glisser jusqu'au sol. Ma chute est lente, et longue. Je suis grand, j'ai plus de distance à parcourir. Une fois mon but atteint, les jambes repliés et les coudes posés dessus, je me prends la tête avec les mains et je tente de me calmer. Mes doigts se sont faufilé dans mes cheveux et n'ont pu s'empêcher de se crisper dedans. Je ferme les yeux et tente de me calmer, en vain.
Soudainement, j'entends la porte de métal grincer à côté de moi. Je me relève vivement, espérant que la personne sortant fume. Je n'aurai pas cru que celui qui sortirai serait Octave.
Je soupire intérieurement dès qu'il ouvre la bouche pour parler.
« Alors la tap...
- Est-ce que tu as une clope ? » Je lui demande sans le laisser finir.
Ça le déconcerte et il ne finit même pas sa phrase. Il sort une cloque qu'il met entre ses lèvres et me sort de son air hautain et condescendant :
« T'as cru que j'allais t'en passer u...
- Files-en une. »
Mon addiction à la cigarette est plus forte que son air de tête à claque. Je le déstabilise et il ne peut s'empêcher de me donner une cigarette. Il sort son briquet, allume son cancer en tube puis me donne le feu pour allumer le mien.
Je prends une grande respiration dessus. Et j'ai l'impression de me détendre instantanément. Je me doute que ça doit être complètement psychologique. Mais peu importe, les résultats sont là.
Mes épaules se baissent et je me laisse tomber dos contre le mur. Je ferme les yeux et je profite. Quand je fume je m'évade, je me sens bien. Certes j'aurai peut-être du choisir la lecture comme échappatoire. Mes poumons m'auraient remercier. Mais tout le monde commence à fumer pour une raison, et j'ai la mienne.
« Alors, euh, ça va pas ? »
Je rouvre les yeux, agacé que quelqu'un ait perturber ma bulle de tranquillité. Octave se tient juste devant moi, ses petits yeux marrons fixés droit sur moi. Son visage est si paisible. Il pourrait tellement paraître gentil. Peut-être l'est-il au fond de lui ?
Je plisse les sourcils. Il m'intrigue. Mais je n'arrive pas à le penser réellement gentil. Un seul mot raisonne dans mon esprit : hypocrisie. J'ai surtout l'impression qu'il a peur de moi, et que c'est pour ça qu'il essaie de faire «copain-copain»
« On est pas ami, tu insultes les miens, tu m'adresses pas la parole. »
Il trésaille mais ne réplique pas. Je lève les yeux aux ciel fatigué par ce garçon. Je jette mon mégot et l'écrase avant de rentrer. Dans les cuisines ne me rend compte que j'ai oublié de le ramasser pour le mettre à la poubelle. Mais je n'ai pas envie d'y retourner juste pour ça... Quelqu'un le fera à ma place.
J'ai du prendre une pause de dix minutes ; j'espérais que pendant ce lapse de temps les clients auraient décider d'apparaître comme par magie. Non, personne de plus. Ce n'est pas possible, que personne ne vienne au café ! Je sais que je ne suis pas un fin connaisseur de ce milieu mais quand même...
La seule différence c'est que plus personne n'est assis au table, deux clientes ayant tout de même pris place. Je cherche Guillaume du regard, il est posé dos au mur juste à côté de la caisse et il est toujours en train de réviser. Je me force à le rejoindre, je prends sur moi pour ne pas penser à Rana.
« T'as de la chance que je t'ai dis que j'allais faire semblant de croire que tu vas bien. » Me lâche-t-il de but en blanc.
Il n'a même pas relevé la tête de ses cours, comment a-t-il su que c'était moi ? En tout cas avec sa gentillesse il n'arrive pas à s'immiscer dans ma vie privée pour savoir ce qui cloche chez moi, mais avec cette simple phrase il me signifie qu'il s'inquiète pour moi. Un ange.
Du coin de l'oeil, je vois Rana arriver près de la caisse. Trop près de moi...
« Asher ? »
Merde...
« Ça va ? Demande-t-elle d'une toute petite voix d'enfant.
- Ah parce que ça t'intéresse ? Je ne peux m'empêcher de répondre acerbe.
- Je... »
Je ne l'ai pas regardée. Mais je l'ai entendue soupirer, presque de souffrance. Et d'un coup je me sens mal. Je ne sais pas ce que je veux. Je soupire à mon tour, exaspérer par mon propre comportement. Est-ce que Rana mérite réellement ma colère ?
Je tourne la tête vers elle. Elle est toujours aussi belle mais vide de toute joie. Sa peau semble si pâle par rapport à sa couleur originale qu'elle fait ressortir le noir de ses longs cheveux. Ses iris paraissent également plus foncé encore que d'habitude. Les yeux sont le reflet de son âme qui s'assombrit alors que son enveloppe charnelle tire à s'effacer. Son être entier est brisé et témoigne de sa douleur... Sauf que cette fois j'ai l'impression d'être l'investigateur de son malheur.
A ce moment précis de ma réflexion j'ai envie de mourir. Je me déteste. Je suis juste et totalement con. Je suis arrivé dans l'idée de l'aider j'en arrive à un point où je la fais souffrir.
« Rana ?
- Excuse-moi ! S'écrie-t-elle. Je ne voulais pas te rejeter comme ça mais je ne pouvais plus te parler, j'ai eu peur, tu allais te faire renvoyer, y'avait cette rumeur et...
- C'est pas grave, je la coupe. C'est rien. Si tu as entendu dire que j'étais un harceleur, je comprends que tu aies eu peur.
- Je... Ouais, je n'aurai pas du y croire j'ai été naïve... »
Je penche légèrement la tête sur le côté et je l'observe reprendre, un peu, vie. Elle remarque que je la fixe sans parler et se met soudainement à rougir. Elle baisse la tête, gênée, ce que je trouve adorable. Mais quelque chose m'a paru étrange dans son discours. Tout paraît laisser entendre qu'elle pensait que j'étais un harceuleur sexuel sauf «je ne pouvais plus te parler». Elle ne pouvait plus me parler... Comment ça elle ne pouvait plus me parler ?
Je ne sais pas. J'ai envie de lui demander une explication, mais je ne ferais que l'enfoncer dans son problème.
Elle relève la tête vers moi, un faible sourire sur les lèvres. Lui parler m'a fait un bien fou. Je me sens d'un coup plus léger, libre d'un de mes nombreux poids.
Je m'apprête à engager quand les deux clientes viennent régler leur consommation. Rana les encaisse et une fois qu'elles ont quitté le café, une question me traverse l'esprit :
« Est-ce que Hélios s'inquiète du manque de client ? »
Je la vois instantanément devenir blanche.
Intérieurement c'est la guerre. Je ne sais pas pourquoi elle vient de virer de couleur. Je ne comprends pas. Qu'est-ce qui la terrifie, Hélios ? Le manque de client ? Une pensée qui lui a traverser l'esprit ? J'ai l'impression d'avoir fait une connerie, d'avoir mis une pièce pour enclencher son mécanisme. Et d'un coup j'ai peur moi aussi. On vient à peine de se réadresser la parole, je ne veux pas avoir tout foutu en l'air. Parce que cette fois je suis bien décidé et je me fais une promesse intérieure : je vais réussir à aider Rana.
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