Partie Unique
Des bonbons ou un sort
Ecrit 2020, révisé et publié 2024
Nouvelle
1
Halloween, fête folklorique païenne traditionnelle célébrée le soir du 31 octobre, surnommée « veillée de la Toussaint », était l'une des festivités les plus appréciées dans ce petit village reculé d'Irlande.Alexandre Reddy, jeune étudiant en langue et musique, y passait ses vacances chez son grand-père. Il aimait quitter la ville pour retrouver les souvenirs merveilleux de son enfance, où il faisait du porte-à-porte pour des bonbons.
« Tu es encore dans la lune, Alex. »
Alexandre se retourna brusquement. Sa meilleure amie, Clarisse, une petite brunette à l'allure sage, se tenait devant lui, les bras croisés sous sa poitrine. Ils travaillaient sur un exposé pour la fac, mais le rouquin avait décroché en pensant à ce soir.
« Désolé », souffla-t-il en rougissant légèrement.Il fit une moue adorable à laquelle Clarisse ne put résister. Elle soupira en fermant son ordinateur.
« Allez, va. Je dois encore retourner chez moi pour aider à préparer le repas », annonça-t-elle.
Reddy se leva à sa suite, rangeant distraitement ses affaires avant de la raccompagner jusqu'à la porte. Clarisse et lui se connaissaient depuis toujours, ou presque. Ils s'étaient rencontrés à quatre ans, la brunette vivant dans ce village, tandis que le rouquin y passait ses vacances chez ses grands-parents. Depuis, ils se retrouvaient chaque année pour Halloween ou d'autres fêtes locales. Devenus étudiants, il n'était pas surprenant pour leurs parents de les voir fréquenter la même fac et partager un appartement.
Au début, leurs proches pensaient qu'ils finiraient ensemble. Pourtant, bien que Clarisse fût très jolie et équilibrée, Alex se sentait trop proche d'elle pour envisager une relation amoureuse. De plus, ces derniers temps, il s'intéressait davantage aux hommes qu'aux femmes, ce qui le détournait encore plus de quoi que ce soit avec elle.
« À bientôt, Monsieur Reddy ! » lança Clarisse.
Son grand-père leva les yeux de son journal, mi-agacé, mi-amusé.
« Je t'ai déjà dit de m'appeler Mike. »
La jeune femme lui sourit avant de sortir, écharpe autour du cou. Elle se tourna vers Alex.
« Quant à toi, termine ta partie de l'exposé et on se retrouve après-demain pour retourner en ville.
─ Oui, chef ! »
Clarisse lui fit un sourire théâtralement prétentieux et déposa un baiser sur sa joue avant de se diriger vers sa voiture. Ils se firent un signe de la main et elle partit.
En refermant la porte, Alex sentit le regard perçant de son grand-père dans son dos. Il prit une grande inspiration et se retourna en souriant.
« Oui ?
─ Qu'attends-tu pour l'inviter à sortir ? » lui demanda-t-il sévèrement.
Alex soupira. Cette conversation, ils l'avaient eue maintes fois. La première fois, il avait été surpris ; il avait à peine douze ans et ignorait ce que signifiait « sortir avec quelqu'un ». Depuis, chaque visite de Clarisse ravivait le sujet.
« Grand-père, on en a déjà parlé, elle et moi, ça ne marcherait pas.
─ Tu sais, ta grand-mère et moi, c'était... »
Merveilleux. Nous avons commencé comme vous, deux jeunes qui se tournaient autour, puis un baiser échangé sous un ciel étoilé. À l'époque, l'accord des parents suffisait. Et nous, on vivait ensemble seulement après être en couple, pas avant ! pensait silencieusement Alex, imitant l'intonation de son grand-père. Il connaissait cette histoire par cœur.
« Je vais finir l'exposé et préparer les bonbons pour ce soir. »
Mike acquiesça avant de reprendre sa lecture.
De retour dans sa chambre, Alex s'affala sur son lit. Lui et Clarisse ? Non, cela n'allait pas. Il croyait en l'amitié entre garçons et filles et ne s'était jamais senti amoureux d'elle. Bien sûr, il y avait eu une période où il l'avait regardée comme une fille en pleine croissance, mais il la considérait plus comme une sœur. Non, l'idée d'une relation entre eux était le fantasme de leurs parents, grands-parents, oncles et tantes, mais pas le leur.
2
Lorsque les premiers enfants frappèrent à la porte, Alex et son grand-père, déguisés en vampires, tenaient des bonbons en main.
« Des bonbons ou un sort ! » lança le garçon d'une petite voix.
Il était déguisé en Frankenstein, suivi de deux jumelles maléfiques déguisées en sorcières rousses. Tous tenaient un petit sac dans leur main, et Reddy ne pouvait s'empêcher de penser qu'ils seraient bientôt pleins. Mike prit une poignée de bonbons du chaudron de l'entrée et en versa quelques-uns dans chaque sac, tout en leur disant gentiment :
« Voilà pour vous, mes petits amis. »
« Merci ! » s'écrièrent-ils en chœur.
Les deux les regardèrent sauter les quelques marches de la maison avant de se diriger vers la suivante. Leurs parents, surveillant à distance, souriaient, heureux de transmettre cette belle tradition.
« Je ne peux m'empêcher de te revoir, il y a quelques années, dans l'un de leurs costumes.
─ C'était il y a bien plus que quelques années, » s'offusqua le rouquin.
Mike lui lança un regard pétillant de malice.
« Ah oui ? Je te rappelle que tu es allé chercher des bonbons il y a à peine deux ans, avec un adorable costume de diable. »
Alex se mordit la lèvre et répondit, de mauvaise foi :
« Mais c'était parce que Lucie était là. Elle n'allait pas y aller seule. »
Son grand-père explosa de rire. Certes, Lucie était la fille de son deuxième fils, donc la petite cousine d'Alex, qui avait tout juste six ans alors. Mais il devait avouer que c'était lui qui s'était proposé de l'accompagner immédiatement.
« Si tu veux, occupe-toi plutôt de ces petits, au lieu de te vanter, grand garçon. »
Il lui tapota gentiment l'épaule avant d'accueillir de nouveaux arrivants.
La distribution de bonbons se poursuivit tard dans la soirée. Les petits commençaient à rentrer chez eux et, après que son grand-père se soit retiré dans sa chambre, Alex se rendit à la lisière de la forêt pour le feu de camp. Comme chaque année, une « après-soirée » était organisée autour d'un feu, avec musique et alcool. La plupart du temps, il y retrouvait Clarisse, et ils restaient jusqu'au lever du jour, embrumés par quelques verres. Cependant, ce soir-là, Clarisse avait eu un empêchement et il savait qu'il ne resterait pas tard. Le rouquin préféra ne pas boire, saluant et discutant avec quelques connaissances avant de prendre le chemin du retour, une écharpe autour du cou.
C'était une très belle nuit d'Halloween. Pas un nuage dans le ciel, et la lune, parfaitement ronde, éclairait presque complètement les rues de campagne. En rentrant chez lui, prêt à dormir au chaud, trois coups retentirent à la porte.
Désabusé, Alex déposa sa veste sur la chaise et se dirigea vers l'entrée. Qui pouvait bien venir à cette heure ? Il entrebâilla la porte, gardant la chaîne de sécurité, au cas où ce serait un individu louche. Pourtant, un homme grand et mince, habillé d'un costume sombre de sorcier avec un chapeau pointu, se tenait là, un sac de bonbons à la main. Curieux, le rouquin ouvrit totalement la porte et se pencha un peu, essayant de voir le visage de l'homme caché par le couvre-chef.
« Je peux vous aider ? »
Un sourire se dessina sur les lèvres de l'homme et il releva la tête, plongeant son regard dans celui d'Alex.
« Des bonbons ou un sort ! »
3
Quand Alex ouvrit les yeux, il avait l'impression que la pièce tournait autour de lui. Le plafond blanc lui donnait la nausée, et bien que le lit soit confortable, il semblait tanguer sous lui. Était-il sur un bateau ? Heureusement, après quelques minutes, sa vision s'acclimata et il distingua les contours de la pièce avec plus de précision. Quelque chose clochait : les couleurs lui paraissaient étrangement plus pâles, et il avait l'impression de voir mieux sur les côtés.
Un homme se tenait debout, regardant par la fenêtre. Les souvenirs de la veille étaient flous, mais Alex se souvenait clairement de l'avoir vu. Perdu et confus, il tenta de se lever, mais ses bras ne purent soutenir son poids et il s'effondra dans les couvertures, éternuant.
« Tu es enfin réveillé ? »
Alex tourna la tête vers l'homme, complètement interloqué. L'homme lui sourit avant de faire un pas vers lui. Il était grand, avec une barbe de trois jours et des yeux sombres brûlants d'intensité. Alex frissonna en le voyant s'approcher, de plus en plus impressionnant. L'homme tendit une main et caressa sa joue.
« Comment te sens-tu, mon chat ? »
Quoi ? Alex sentit un mélange de crainte et de confusion. Il baissa les yeux et vit que ses mains étaient devenues des pattes, et que son corps était couvert d'une douce fourrure rousse rayée. Il commença à trembler, la peur montant en lui, et essaya de crier. Un miaulement désabusé sortit de ses lèvres, ou plutôt de ses babines.
« Je ne comprends pas ce que tu dis, je ne parle pas le chat, » se moqua l'homme.
Le rouquin, transformé en adorable félin, souffla. Pas un souffle d'exaspération, mais bien un souffle caractéristique des chats. L'inconnu éclata de rire, jetant sa tête en arrière.
« Une pure beauté, » dit-il en tapotant le haut de la tête d'Alex.
Alex, déterminé à comprendre cette situation absurde, essaya de se redresser. D'un mouvement maladroit, il roula sur le côté et tomba du lit. « Un chat retombe toujours sur ses pattes, » dit-on. Mais Alex n'était pas un vrai chat. Il atterrit maladroitement, le nez contre le sol.
« Si tu cherches à partir, je ne t'en empêche pas. »
Alex savait bien qu'il ne pouvait pas s'enfuir. Il était maintenant un félin, incapable de fonctionner comme tel. Gauchement, il se redressa et fixa l'homme accroupi en face de lui, tendant ses oreilles vers lui. « Qu'on en finisse ! » pensa-t-il, se rappelant une réplique de Peter Pan. Cette pensée, aussi absurde soit-elle, lui semblait plus logique que la situation actuelle.
« Je vois que tu comprends vite, » dit l'homme.
La nausée revint, et Alex ferma les yeux. Quand il les rouvrit, il avait retrouvé son apparence humaine, nu sous une couverture. Honteux et confus, il se redressa.
« Je suis le seul à pouvoir contrôler ton apparence, mon chat, » annonça l'homme.
Alex, rappelé à l'ordre par cette voix autoritaire, croisa son regard mystérieux.
« J'ai un marché à te proposer, » ajouta-t-il.
Reddy tiqua. Cette proposition de marché sonnait comme un chantage.
« J'ai de nombreuses prétendantes, et aucune ne me convient.
─ En quoi est-ce mon problème ? » grogna Alex.
Bien que sa voix soit rocailleuse, il ne se démonta pas, jusqu'à ce que le regard de l'inconnu lui glace le sang. Le brun s'avança, et Alex frissonna.
« Tu deviendras mon compagnon jusqu'à décembre, pour respecter la tradition. Il est très mal vu d'y aller seul. »
Alex acquiesça, perdu. Il s'était transformé en chat. Cela pouvait-il être réel ?
« Et ainsi, tu pourras redevenir humain et ta dette sera payée. Partant ?
─ Ma dette ? » répéta Alex, perplexe.
L'homme soupira et tendit la main.
« J'ai posé la question en premier. Acceptes-tu ? »
Tout reposait sur cette décision. Alex se souvenait de son saut à l'élastique il y a deux ans : cette peur mordante suivie d'une euphorie intense. Il prit la main tendue et affirma :
« J'accepte. »
Mais il n'y eut pas d'euphorie. Seulement des paillettes étranges et un fluide violet entourant leurs mains liées, avant de disparaître.
4
Après avoir été magiquement rhabillé (les flammes violettes qui avaient enveloppé son corps l'avaient terrifié jusqu'à ce qu'il réalise qu'elles ne brûlaient pas), Alexandre examina sa main. Elle n'avait rien de plus – il aurait paniqué si un sixième doigt avait surgi – et heureusement, rien de moins depuis qu'il avait fait ce pacte magique avec ce diable. Était-ce une illusion ? Tout comme le reste ? L'avait-on drogué ? Peut-être n'était-il jamais rentré de la fête et se trouvait-il dans une autre dimension à cause de stupéfiants ? Non, même si c'était plus plausible que de devenir un chat par la faute d'un soi-disant sorcier, il n'avait jamais rien pris de tel.
Il reprit ses esprits quand l'homme se présenta enfin :
« Je m'appelle Ilyan Salmon, fils de la nuit et de la magie. »
Alex le fixa. Il cherchait dans ce regard de braise un indice de moquerie, quelque chose qui le ramènerait à la réalité. Il attendait aussi que son grand-père ou Clarisse déboule dans la chambre pour le réveiller. Pourtant, Ilyan le regardait avec une sincérité fiévreuse. Alex soupira, décidé à ne pas faire de scène. S'il devait lui laisser le bénéfice du doute, autant clarifier les choses.
« Pourquoi m'as-tu transformé en chat ? Et c'est quoi cette histoire de dette ?
─ Tu connais la tradition d'Halloween, n'est-ce pas ? » Demanda malicieusement Ilyan.
Alex resta silencieux. Bien sûr qu'il connaissait les traditions de cette fête, il avait grandi avec et les appréciait. Mais la magie et la sorcellerie qui transformaient les humains en chats pour satisfaire des caprices personnels, ça, non, il n'en avait jamais entendu parler.
Voyant qu'Alex se perdait dans ses pensées, Ilyan poursuivit :
« Des bonbons ou un sort.
─ Tu te fous de moi ? C'est parce que je ne t'ai pas donné de bonbon ? » s'exclama Alex.
Éberlué, Alex réagit au quart de tour. Le sorcier hocha la tête avec un sourire amusé. Ilyan s'éloigna de la fenêtre et se dirigea vers son bureau, un meuble en bois sombre devant une grande bibliothèque. Alex, maintenant plus attentif, remarqua que la pièce était grande, décorée sobrement, semblant appartenir à un jeune adulte plutôt fortuné, rien à voir avec l'idée d'un repaire de sorcier.
« Je vais devoir rester comme ça combien de temps ?
─ Jusqu'à ce que je décide le contraire. » répondit Ilyan en haussant les épaules.
Ilyan s'assit derrière son bureau et commença à lire distraitement un papier. Irrité de voir que ce garçon était non seulement un kidnappeur maléfique mais aussi un véritable con, Alex s'approcha.
« Je ne risque pas de me transformer à tout-va ? » demanda-t-il.
Salmon leva un sourcil. « À tout-va » ? Qui utilisait encore cette expression moyenâgeuse ? Son sourire moqueur se transforma en quelque chose de plus intense et désirant.
« Non, je suis le seul maître de ton corps, chaton. »
Alex, tentant de rester stoïque malgré les joues rougissantes, fixa Ilyan.
« Rassure-toi, nous avons interdiction de modifier le génome des êtres.
─ Ce que je veux dire, c'est que je ne peux pas faire de toi un hybride à part entière, ce serait de la folie et contre la loi des sorciers.
─ Mais alors comment...
─ Un simple sort de métamorphose, c'est assez simple pour les petits animaux. » dit Ilyan avec légèreté.
Pour lui, c'était évident. Comme réciter l'alphabet. Pour Alex, c'était autre chose.
« Je vais te laisser tranquille quelques jours, puis je viendrai te chercher pour une soirée. » annonça Ilyan.
Alex fronça les sourcils. Il se leva, contourna le bureau pour faire face à Ilyan, leur regard se croisant. Ilyan tendit la main vers celle d'Alex, qui recula méfiant. Ilyan soupira, insistant, et finit par lui passer un fin bracelet noir autour du poignet, et glissa un papier dans sa poche.
« Garde ça sur toi, et voici mon numéro. À plus, beauté. »
D'un claquement de doigts, Alex perdit connaissance.
Il fut réveillé par la sonnerie de son portable. Groggy, il jura avant de décrocher. Au bout du fil, la voix de sa meilleure amie.
« Ce n'est que maintenant que tu réponds ? Ça fait plus d'une heure que j'essaie de te joindre ! »
Encore confus, Alex se massa les tempes.
« On devait se voir et rentrer, tu as oublié ?
─ Je dormais », murmura-t-il.
Clarisse rouspéta, mais Alex n'écoutait plus. Il avait l'impression de se réveiller d'un cauchemar. Un sorcier, hein ? Il sourit un peu. C'était un rêve terrifiant, fascinant. Peut-être aurait-il dû en profiter ? Ce n'était pas tous les jours qu'il rencontrait un homme aussi beau et mystérieux. Il s'étira, le portable à l'oreille, et posa sa tête sur son bras.
Mais en sentant un bracelet autour de son poignet, il ravala ses pensées.
« Oh bordel de...
─ Quoi ? cria Clarisse.
Reddy avala sa salive, cherchant une issue.
« Je suis là dans une heure.
─ Tu as intérêt. »
Il sauta de son lit, jetant le portable sur le coussin. Ce n'était pas un rêve, et Ilyan reviendrait.
Descendant avec ses affaires pour rentrer en ville, il ne put s'empêcher de penser que partir était peut-être la meilleure option. Peut-être que ce sorcier fou ne le retrouverait pas.
─ Où étais-tu hier ?
La voix de son grand-père le ramena à la réalité. Il se tourna prudemment vers lui.
« Je m'inquiétais, tu ne répondais pas au téléphone.
─ J'étais chez un ami », mentit Alex.
« Ennemi » aurait été plus juste, tout comme coller l'étiquette « sorcier, kidnappeur, bourreau, fils de Satan » à Ilyan Salmon, mais il doutait que Mike le croie.
« Je t'ai mis de côté des bonbons, je ne peux pas manger tout ce sucre. »
Sans relever, son grand-père lui tendit un paquet de bonbons et le serra dans ses bras.
« Envoie-moi un message en arrivant ?
─ T'es pire que maman, souffla Alex.
─ C'est moi qui l'ai élevée. »
Mike lui lança un regard effronté.
5
Clarisse attendait Alexandre avec impatience. Ses affaires étaient prêtes pour le retour en ville, la chambre de la maison de vacances de sa tante impeccablement nettoyée, et elle se trouvait déjà au point de rendez-vous : un café populaire du petit village. Seul manquait Alex. Il arriva finalement en fin de matinée, avec deux bonnes heures de retard. Leur plan d'éviter de rouler de nuit était définitivement compromis.
Le roux coupa le contact de sa voiture et se hâta vers la brunette qui l'attendait dehors, cigarette aux lèvres.
« Ce n'est pas trop tôt », marmonna-t-elle.
Elle expira un épais nuage de fumée avant de s'avancer pour lui claquer la bise sur la joue. Reddy retint son souffle, non pas à cause de la fumée, mais parce qu'il savait que sa punition allait tomber. Comme s'ils étaient sur la même longueur d'onde, Clarisse lui attrapa l'oreille droite avec sa main libre. Tandis qu'il grommelait quelques injures silencieuses face à la douleur piquante, elle lui murmura quelques mots emplis d'une colère sourde.
« J'ai eu le temps de faire du shopping, regarder un film et me faire draguer par trois mecs.
─ Désolé. »
Elle le lâcha. Alex porta instinctivement sa main à son oreille rougie pour la masser, puis suivit Clarisse à l'intérieur du café après qu'elle eut écrasé son mégot dans un cendrier. Ils s'installèrent à une table pour deux et commandèrent des boissons chaudes et quelques amuse-bouches salés. Clarisse sortit son PC portable de son sac, tandis qu'Alex en fit de même avec un carnet de notes.
« Tu as terminé ta partie ? »
La voix de sa meilleure amie était sans appel, car elle était certaine que le garçon avait fait son travail. Cependant, en remarquant que seul un silence lui répondait, elle fit les gros yeux.
« Mais tu as fait quoi en deux jours ? » demanda-t-elle, interloquée.
En réalité, Alex ne le savait pas vraiment non plus. En fait, si, mais il n'avait pas réalisé à quel point cette histoire délirante lui avait mangé son dernier jour de vacances. Après une journée à préparer la fête d'Halloween, suivie de son kidnapping par un sorcier sorti tout droit d'un conte, il n'avait pas pris le temps de terminer la présentation en collaboration avec Clarisse pour leurs cours de faculté.
« C'est compliqué. » répondit-il en se frottant maladroitement l'arrière du crâne.
Clarisse soupira. Elle aurait voulu lui en coller une pour lui faire comprendre qu'ils allaient se retrouver dans la merde, mais elle ne pouvait jamais en vouloir à son meilleur ami plus de cinq minutes. Après tout, cela lui était aussi arrivé d'être complètement à la ramasse. Finalement, alors qu'elle allait lui lancer une vanne, son regard se posa sur le fin bracelet noir au poignet d'Alex. Elle fronça les sourcils.
« Clarisse ?
─ Qui t'a donné ça ? » demanda-t-elle.
Alex suivit son regard et rougit. Il passa ses doigts sur le fil, à la fois embarrassé, désespéré et pensif sur cette situation encore plus loufoque que la fois où ils avaient découvert quatre pingouins échappés d'un zoo dans un parc (tout le monde avait crié « Madagascar » ce jour-là).
« Un garçon à la fête. »
Il ne voulait pas lui mentir, mais il ressentait le besoin d'en savoir plus avant d'y mêler sa meilleure amie. Qui sait, peut-être qu'elle serait en danger comme dans les films, et même s'il ferait tout pour elle, il n'avait pas vraiment l'étoffe du héros. Il était plus du genre à se cacher au fond d'un trou.
« Dis donc, tu ...
─ Bon, on s'y met ? Plus vite on aura terminé, plus vite on rentrera », s'empourpra le roux.
─ Et c'est toi avec tes deux heures de retard qui dis ça ? » s'offusqua-t-elle.
Clarisse chercha à capter le regard de son ami, mais celui-ci fit tout pour l'éviter en se mettant au travail.
Ils arrivèrent à l'appartement tard dans la nuit après un long trajet en voiture. Ils avaient conduit à tour de rôle et pouvaient enfin se reposer chez eux. Reddy poussa un soupir de bonheur en lâchant son sac et sa veste, puis alla se poster devant la fenêtre donnant sur l'immeuble d'en face. Ses yeux s'attardèrent sur l'un des appartements encore éclairés, et il fut surpris de voir un ami à lui, Théo Wilmart, vêtu simplement d'un bas de jogging. Théo était un garçon de sa faculté, assez grand et plutôt mignon, qui venait d'emménager (Alex le supposa en voyant les cartons pas encore déballés).
« J'ai entendu dire qu'il avait une petite amie. » avoua Clarisse.
Les muscles de la nuque de Reddy se tendirent en entendant ces mots. Il se retourna pour faire face à Clarisse qui le regardait tristement.
« Ce n'est pas comme si ça me faisait quelque chose, c'est un mec.
─ Alex, va bien falloir en parler un jour ou l'autre. » rétorqua-t-elle d'une voix douce.
Le jeune homme tourna la tête. S'il devait parler de lui, c'était peine perdue. Ce n'était pas comme s'il ressentait quoi que ce soit pour Théo : ce garçon n'avait même pas été ce qu'on pourrait appeler un crush. Cependant, c'était à cause de Théo qu'un doute s'était développé en lui sur sa sexualité après une soirée où ils avaient joué à la bouteille et s'étaient embrassés. Depuis ce baiser, plus rien du côté féminin ne semblait lui faire le même effet.
« Est-ce que tu préfères les garçons ? »
Alex se passa une main dans les cheveux avant de se laisser mollement tomber sur le canapé. Peut-être oui, mais qu'est-ce que ça changeait au fond ? Il n'avait jamais eu de problème avec l'homosexualité, l'amie de sa tante était mariée à une femme et cela ne lui avait jamais posé problème (sauf la fois où il avait surpris le couple dans la salle de bain, mais même s'il s'agissait d'un homme et d'une femme, il aurait toujours été traumatisé à l'âge de 11 ans). Alors oui, il aurait dû répondre avec conviction à sa meilleure amie, le crier sur tous les toits et le dire à ses parents. Toutefois, sortir du placard, même sombre et dégoûtant, n'était pas chose aisée pour tout le monde. Il soupira :
« Tu aurais été un mec, je ne serais quand même pas sorti avec toi. »
Clarisse sauta à côté de lui, un sourire adorable étirant le coin de ses lèvres.
« Tu l'admets alors ?
─ Je ne sais pas. »
Ses pensées et ses principes semblaient se mêler contre son cœur. Peut-être avait-il seulement besoin d'en parler un peu plus.
« J'ai jamais tenté avec un mec, tu sais, c'est juste... »
Clarisse soupira à son tour et vint poser sa tête sur son épaule.
« Ils ont un truc en plus, hein ? »
Oui, il y avait quelque chose en eux qui les faisait vibrer plus que les filles, mais il n'aurait su l'expliquer. Il s'apprêtait à acquiescer quand il perçut le double sens de la phrase de sa colocataire qui s'était mise à rire de bon cœur.
« Clarisse ! »
Son rire ne fit que s'amplifier et celui d'Alex finit par le rejoindre. Après quelques instants, la demoiselle se redressa. Elle prit délicatement le visage de son meilleur ami entre ses mains (lui pinçant un peu les joues au passage) et baisa son front avant de le serrer dans ses bras.
« Quoi qu'il en soit, Alexandre Reddy, je serai toujours là pour toi. »
6
Après une longue journée de cours et quelques heures en salle d'étude, Alex et Clarisse franchirent le grand portail de la faculté avec une seule idée en tête : rentrer et se détendre. La présentation de leur projet et un examen avaient fait de cette journée une épreuve. Pourtant, avant qu'ils ne puissent savourer la fin de la journée, une voix appela Alex.
« Alexandre Reddy. »
À l'entente de son nom, Alex se tendit. Clarisse, intriguée par la réaction de son ami, scruta le nouveau venu de la tête aux pieds sans vergogne avant de demander :
« Qui c'est ? »
Alex n'eut pas besoin de se retourner pour reconnaître la voix. Il déglutit, fermant les yeux une seconde pour se donner contenance.
« Clarisse, voici Ilyan, le garçon de la fête dont je t'ai parlé. »
Un éclat de malice traversa les yeux d'Ilyan, qui lança un enjoué « enchanté » à Clarisse, laquelle le regardait avec une méfiance justifiée.
« Qu'est-ce qu'il fait ici ? » demanda-t-elle.
Alex haussa les épaules. La véritable question qui lui trottait dans la tête était : « comment il m'a trouvé ? ». Si Ilyan, en plus d'être un sorcier, était un stalker, les choses allaient devenir encore plus compliquées.
« Qu'est-ce que tu lui veux ? » lança Clarisse.
« Je l'invite simplement à prendre un verre. » répondit-il innocemment.
Alex déglutit encore, sentant le regard brûlant d'Ilyan sur lui. Il savait que ce n'était pas pour « un verre ». Ilyan l'avait prévenu qu'il reviendrait pour une soirée où Alex devrait jouer le rôle de son « petit ami ».
« Je connais les gens comme toi, ils ne s'arrêtent pas à un verre. »
« Clarisse, ça va. » la coupa Alex.
Il n'avait pas envie que la situation dégénère. Un sourire sincère se dessina sur ses lèvres et il embrassa la joue de Clarisse.
« Fais attention à toi. »
Puis il se tourna vers Ilyan, qui avait déjà passé un bras autour de ses épaules.
« Quant à toi, Ilyan, tu me le ramènes en un seul morceau. »
Ilyan souffla un « bien sûr » avant de pivoter avec Alex dans le sens opposé à Clarisse.
Ils marchèrent quelques minutes dans les rues de la ville avant qu'Alex ne se dégage de l'étreinte d'Ilyan et demande, la mâchoire serrée :
« On ne va pas boire un verre, n'est-ce pas ? »
Ilyan soupira, se léchant les lèvres. Il savait qu'Alex n'était pas le plus docile des humains, mais ce défi l'excitait. Pourtant, il ne jouait pas réellement. Il avait besoin d'Alex pour une mission importante.
« Je t'en offrirai si tu y tiens, mais pas ce soir. »
Pour Alex, le clin d'œil fut de trop. Il roula des yeux alors qu'Ilyan le tirait dans une petite ruelle sombre. Moins serein, Alex fut plaqué contre un mur.
« Ça risque d'être assez... déroutant. »
La sensation désagréable lui retournait l'estomac, mais lorsqu'il ouvrit les yeux sur un paysage tout à fait inédit, il ne put retenir un mot :
« Énorme. »
Surpris de voir autant d'émerveillement, Ilyan rit. D'un geste, il les vêtit de tenues sombres.
« Suis-moi, nous sommes attendus. »
Comme un enfant découvrant un nouveau jeu, Alex trottina derrière Ilyan. Ils étaient sur une immense place où des personnes apparaissaient et disparaissaient dans des fluides de couleurs étranges. Les bâtiments autour n'étaient pas des habitations, mais semblaient être un repaire. Alex se croyait dans un film.
Avant d'entrer dans une immense citadelle, Ilyan le stoppa, une expression sérieuse sur le visage.
« Alex, ce qu'il va se passer ce soir est très important. Ce n'est pas que pour moi, c'est pour l'équilibre entre nos deux mondes et j'ai besoin que tu... »
« Ilyan ! Tu es enfin là, dépêche-toi. »
La silhouette derrière Ilyan était celle d'une femme âgée, visiblement agacée. Elle les poussa à l'intérieur où ils débouchèrent en pleine cérémonie. Le silence tomba, et tous les regards se braquèrent sur eux. Alex se sentait mal à l'aise, mais paradoxalement heureux de sentir les doigts d'Ilyan entremêler les siens alors qu'ils se dirigeaient vers une estrade face à six hommes en robes rouges.
Le souffle coupé, ils firent face à leur destin.
« Bien, nous sommes ici ce soir, 7 lunes après Halloween, nuit des sorciers, pour célébrer le passage du prince de l'ombre, Ilyan Salmon. »
L'homme qui parlait se tourna vers Ilyan.
« Ilyan, c'est un grand honneur.
— De même, votre Éminence.
— En cette soirée calme d'automne, Ilyan Salmon, ici présent, jure par les lois sacrées des sorciers, de protéger notre communauté et d'intégrer le conseil des sept pour faire régner la paix entre le monde humain et le monde obscur. »
Alex resta silencieux, incertain de la tournure des événements. Cet idiot était un prince et l'avait fait venir à un rite de passage ? Il ravala sa salive, essayant de se faire tout petit.
« Je le jure.
— Acceptez-vous, Ilyan Salmon, de confier votre vie ?
— Oui. »
Le premier sage se tourna vers Alex, qui se tendit encore plus et laissa échapper un petit cri aigu.
« Bien, maintenant, je me tourne vers vous, Alexandre Reddy. Jurez-vous de garder le silence sur notre communauté et d'aider à maintenir la paix entre nos deux mondes ?
— Oui, je le jure. » répondit Alex.
Il ne se voyait pas dire non. Que lui arriverait-il sinon ? On l'enfermerait ou lui effacerait la mémoire ?
« Acceptez-vous, Alexandre Reddy, de protéger au péril de votre vie celle d'Ilyan ici présent ?
— O-Oui, je l'accepte. »
La surprise d'Alex ne s'arrêta pas là.
« Alors, par les pouvoirs que Satan m'a confiés, je déclare que le rituel peut commencer. »
La peur saisit Alex quand on le mit face à Ilyan. On saisit leur main, coupa leur paume, puis les lia dans une poigne ferme. Les yeux d'Alex se perdirent dans ceux d'Ilyan. Néanmoins, quand le sage prononça des mots dans une langue inconnue, les flammes vibrèrent de chaleur, et il n'y eut plus de marche arrière possible. Le sceau était fermé.
7
Alexandre ouvrit doucement les yeux. La lumière du jour filtrait à travers les rideaux, baignant la pièce d'une chaleur douce. Ce décor familier n'était pourtant pas le sien. Avec lassitude, il se frotta le visage et grogna contre un mal de tête lancinant. Les événements de la veille lui revenaient en fragments : la cérémonie, puis plus rien.
Il regarda sa main fermée, l'ouvrant avec une appréhension sourde. Un symbole étrange était tracé dans le creux de sa paume. En le frôlant du bout des doigts, il ressentit un frisson parcourir son corps, avant d'entendre un léger son plaintif à sa gauche.
Alex tourna la tête et découvrit Ilyan endormi à ses côtés. Le jeune homme, autrefois impressionnant, semblait maintenant étrangement vulnérable et attendrissant. Incapable de résister, Alex s'approcha, prêt à toucher sa joue, mais le sorcier ouvrit brusquement les yeux, le faisant reculer précipitamment.
Ilyan s'étira avec une grâce naturelle, ses muscles fins roulant sous sa peau, sous le regard brûlant d'Alex. Le rouquin préférait ne pas demander pourquoi ils étaient ensemble dans le même lit, à demi nus, de peur de rougir encore plus.
« Je crois mériter des explications, » grogna-t-il.
Ilyan secoua la tête, un sourire exaspéré aux lèvres. « Bon matin à toi aussi, mon chat. »
Alors qu'il s'apprêtait à ajouter quelque chose, son air insolent tomba soudainement. « Alex, tu... » Il tendit la main vers les cheveux d'Alex. Pensant qu'il y avait une bête sur sa tête, Alex ne bougea pas, attendant qu'Ilyan s'en débarrasse. Mais la sensation qui suivit était étrangement agréable.
« C'est beaucoup trop mignon ! »
Médusé, Alex porta ses mains à son crâne et laissa échapper un cri de surprise : il avait des oreilles de chat ! Et une queue féline se mouvait contre sa jambe. Il bondit du lit, paniqué, tandis qu'Ilyan riait de bon cœur.
« Fais-les disparaître, putain ! » s'écria Alex.
Ilyan riait tellement qu'il ne prêtait plus attention à ses protestations. Essayez de comprendre la situation : vous vous réveillez avec une personne qui a toujours eu un regard froid et méfiant, et voilà qu'il est maintenant transformé en « Neko ». C'est comme imaginer Terminator en tutu.
Le rire d'Ilyan s'arrêta net lorsqu'il se retrouva plaqué contre le lit par une Alex en panique. Les deux hommes se figèrent, le contact de leur peau éveillant des sensations troublantes. Gênés, ils s'écartèrent maladroitement.
« Très bien, très bien, » dit Ilyan en se concentrant. Il fit un mouvement de main accompagné d'un fluide violet, puis un autre. Mais rien ne changea. « Je ne comprends pas. »
Alex, frustré et inquiet, demandait des explications. « Alors ? »
Ilyan secoua la tête, perplexe. « Je ne peux pas te changer. »
Ne le croyant pas, Alex s'apprêtait à protester, mais Ilyan le coupa en se levant et en invoquant des vêtements sur eux. « On va devoir aller voir Steph, un vieil ami de mon père. » Il créa un bonnet de laine qu'il tendit à Alex. « Mets ça. Je n'aime pas cette situation. »
Alex, sentant l'urgence, s'exécuta. Si Ilyan, d'habitude si sûr de lui, était inquiet, cela n'augurait rien de bon. Puis ils disparurent dans un nuage violet.
Ils réapparurent dans un salon, provoquant la chute d'une tasse de café. Un homme d'âge mûr s'approcha, stupéfait.
« Ilyan ? Que fais-tu ici et pourquoi cet humain... »
Salmon retira le bonnet, révélant les oreilles de chat d'Alex, qui bougèrent de manière adorable. Steph, à peine impressionné, fronça les sourcils.
« Ce n'est pas de la métamorphose, » ajouta Ilyan.
Steph s'approcha, l'air curieux. « Tu permets ? » Sans attendre de réponse, il apparut une seringue et préleva du sang d'Alex.
« Aïe ! » protesta Alex.
Steph laissa les gouttes de sang flotter dans l'air, les examinant attentivement. « Je n'ai jamais vu ça. Ton ADN a fusionné avec la magie d'Ilyan et visiblement, celle d'un chat aussi. »
Alex était au bord de l'évanouissement. « C'est incroyable. »
« Je n'aurais pas utilisé ces mots, » grogna-t-il.
Steph les entraîna dans une pièce remplie de livres et de reliques. « Il s'agit de la même malédiction que celle des loups-garous. » Il ouvrit un vieux livre à une page précise. « Regardez. Les lycanthropes purs descendent d'une lignée de loups, choisis par la lune. Mais il existe un rituel de magie très compliqué permettant de devenir un loup-garou à part entière. »
Alex et Ilyan buvaient ses paroles, inquiets. « Ce qui me surprend, c'est que ce sortilège a été oublié, sauf peut-être dans les livres Prohibés. »
Steph se tourna vers Alex, sérieux. « En d'autres mots, tu ne devrais pas être hybride. »
« Alors comment ? » demanda Ilyan.
Steph, pensif, formula une théorie. « Le sortilège de conversion d'Ilyan a formé un sceau dans le corps d'Alex lors de la cérémonie, où il y a eu échange de sang. »
« Le sort ne s'est pas dissipé et ma magie a bouclé la boucle ? » réalisa Ilyan.
Steph hocha la tête. « Ilyan, le monde des sorciers n'accepte pas que l'on joue avec les lois de la nature. Alex ne doit pas être découvert. »
Sentant la panique d'Alex, Ilyan proposa, « Et si nous rompions le lien, redeviendrait-il humain ? »
Steph les regarda gravement. « Qui sait, personne n'a jamais essayé. »
8
Complètement désorienté, Alexandre choisit de s'asseoir un moment sur le canapé, se faisant une petite place parmi le chaos de livres et de vêtements. Il laissa Ilyan discuter seul avec Steph. D'une main distraite, il caressait ses oreilles félines. Malgré son esprit rationnel, il peinait à accepter la réalité de sa transformation. La magie, pour lui, comme pour la plupart des humains, était totalement impossible et inconcevable. Cependant, une part de lui, un peu rêveuse, trouvait cela extraordinaire. Mais un problème majeur subsistait : "Comment allait-il se débarrasser de cette queue et de ces fichues oreilles ?". Ilyan avait intérêt à trouver un remède à cette situation, sinon il le ferait regretter amèrement de l'avoir choisi pour cette stupide cérémonie.
« Alex ? » appela Ilyan.
Le roux releva brusquement les yeux. Steph le regardait avec une inquiétude inhabituelle.
« On rentre. »
Alex hocha la tête et se leva pour faire face au sorcier, qui lui tendait la main. Alors qu'il s'apprêtait à la prendre, il s'arrêta.
« Attends. » Il se tourna vers Steph, qui venait d'allumer une cigarette. « Comment je fais avec ça ? Je ne peux pas me promener dans la rue avec des oreilles de chat. »
Le vieux sorcier étouffa une toux avant de répondre, embarrassé de ne pas avoir abordé le sujet plus tôt.
« Si ma théorie est correcte, tu es un hybride, un thérianthrope. Comme tes nouveaux cousins les loups-garous, tu peux apprendre à changer d'apparence. »
Alex, les sourcils froncés, resta silencieux, absorbant l'information. À ses côtés, Ilyan était tendu, ressentant les émotions chaotiques du garçon, dont il se sentait responsable. Le brun avait tenté de bien faire en choisissant Alex à la dernière minute, mais ils étaient maintenant dans une situation à la fois pittoresque et dangereuse. La voix d'Alex le ramena à la réalité.
« Donc, je peux me transformer en chat ? »
« Ou en humain, ou garder ton apparence actuelle, mi-humain, mi-chat. »
Alex soupira. « J'imagine qu'il n'y a pas de bouton marche/arrêt. »
Les deux sorciers échangèrent un regard gêné.
« La transformation est basée sur une relation profonde avec ton instinct animal et tes émotions. »
Alex ferma les yeux, se concentrant. Il perçut une nouvelle sensation, sauvage et étrangère. Avant même de s'en rendre compte, le sifflement admiratif de Steph le fit sursauter. Il toucha son crâne pour vérifier : ses oreilles humaines étaient de retour.
« Je crois que j'ai compris le truc, » murmura-t-il, réellement heureux.
Les deux sorciers échangèrent un regard complice. Après quelques salutations, Ilyan les téléporta. À leur arrivée, Alex grimace, encore désorienté par le voyage. Ilyan, lui, s'affala sur un canapé noir, visiblement épuisé.
« Tu as déménagé ? » demanda Alex en reconnaissant la vue d'une ville familière.
« La formation du lien crée une réserve de magie sécurisée, mais cela engendre un certain manque. »
Alex fronça les sourcils, perplexe. Comprenant son malaise, Ilyan se leva et s'approcha. Une tension palpable les attirait l'un vers l'autre. Un frisson parcourut Alex lorsque la main d'Ilyan, entourée d'un fluide violacé, frôla la sienne. Mais le sorcier se détacha rapidement, se dirigeant vers la cuisine.
« Je vais chercher une bière, ça ne sera pas de trop. »
Le rouquin passa une main dans ses cheveux, vérifiant que ses oreilles n'étaient pas revenues. Ilyan revint avec les boissons et s'assit à ses côtés. Après une gorgée, il commença à expliquer :
« Faisant partie d'une lignée puissante, je devais accepter mon rôle de prince de l'ombre et rejoindre le conseil. »
Alex retint son souffle. Le mot « prince » le mit mal à l'aise. Il sentait que la situation était bien plus compliquée qu'il ne l'avait imaginé.
« Pour cela, il faut faire le serment qui unit un humain et un sorcier. »
« Et tu m'as choisi, » comprit Alex.
Ilyan acquiesça.
« C'est un rituel où un sorcier donne son âme à un humain, créant un lien de protection mutuelle. Le lien se forme sept lunes après Halloween et ne peut être rompu que la nuit de la nouvelle année. »
Ilyan se tut, laissant le temps à Alex de digérer l'information.
« Je comprendrais que tu refuses de garder le lien jusqu'à décembre. »
Alex leva les yeux, intrigué. « Il y a un moyen de s'en défaire ? »
« C'est douloureux, mais oui. »
Le sorcier était tendu. Il ne voulait pas recourir aux Sœurs des Abysses, dont les services étaient coûteux et dangereux. Alex, de son côté, pesait le pour et le contre. Malgré tout, une partie de lui était fascinée par cette nouvelle réalité.
« J'attendrai après décembre, » décida-t-il.
Ilyan, surpris, fronça les sourcils.
« C'est une histoire folle, mais... je suis curieux. Et ces choses pourraient revenir à tout moment, » rit nerveusement Alex en pointant son crâne.
Ils échangèrent un sourire, se sentant étrangement à l'aise l'un avec l'autre.
« Ce qu'il se passera entre nous sera... »
« Nouveau pour moi aussi, » termina Ilyan. « J'aurais besoin que tu sois en sécurité, car ta mort entraînerait la mienne. Et toi, tu auras besoin de ma présence. »
Le brun tendit sa main.
« Ce sceau représente notre lien, nous aurons besoin l'un de l'autre. »
Alex éclata de rire, nerveux, puis but une grande gorgée de bière avant de dire, presque désespéré :
« C'est de la folie. T'es canon, mais aussi le pire des abrutis. »
Ilyan ignora la remarque, marquant un point.
« Je te laisserai partir au changement d'année, tu ne me reverras plus. »
« Qu'ai-je fait pour mériter ça ? »
« Tu ne m'as pas donné de bonbons. »
9
« Par précaution, évite les sauts d'humeurs excessifs et garde un bonnet sur toi, on n'est jamais trop prudent. » Alex se répétait sans cesse cette phrase avec le ton désagréable d'Ilyan, avant de le laisser repartir. Il avait été téléporté à quelques pâtés de maisons de chez lui.
Son appartement était vide, pas de Clarisse en vue, ce qui était peut-être pour le mieux. Il n'était pas d'humeur à répondre à un déluge de questions dès le matin. Il déposa rapidement ses affaires dans sa petite chambre et se dirigea vers la salle de bain, verrouillant la porte derrière lui. Pensif, il posa ses mains sur le bord de l'évier et se regarda dans le miroir, se concentrant. C'était étrange de voir apparaître progressivement des oreilles félines, tout comme de voir ses yeux virer au doré.
« C'est un truc de malade. »
Une idée folle lui traversa l'esprit. Il se déshabilla, se demandant si Steph avait raison et s'il pouvait vraiment se transformer complètement en chat. Bien que cela l'effrayait un peu, l'envie de tester était irrésistible. En quelques minutes, il se retrouva à quatre pattes, vêtu d'une douce fourrure et arborant de coquettes moustaches sur le nez.
À sa grande surprise, les sensations étaient différentes de la première fois où cette semence de Satan l'avait métamorphosé en chat. La dernière fois, il ne maîtrisait pas ce corps d'emprunt, mais cette fois, il savait parfaitement le faire. C'était comme si un instinct primaire et sauvage guidait ses mouvements.
« Alex ? » La voix de Clarisse le fit frémir.
« T'es dans la salle de bain ? » Sous le stress, il eut du mal à se retransformer mais y parvint miraculeusement. Il enfila rapidement une serviette et répondit.
« J'allais prendre une douche. »
« Okay, on doit parler quand tu sors. »
Alex ravala sa salive, peu enthousiaste à l'idée de mentir. Lorsqu'il sortit, tout propre, Clarisse l'attendait à table avec un café. Elle ne lui laissa même pas le temps d'enfiler correctement son haut avant d'entamer la discussion.
« Pourquoi es-tu rentré si tard ? »
« Nous avons traîné, alors je suis resté chez lui. »
« Il ne t'a pas fait mal ? » demanda-t-elle sèchement.
Alex fronça les sourcils. Techniquement, ce n'était pas Ilyan qui lui avait fait mal en lui coupant la main. D'ailleurs, la blessure avait totalement disparu.
« Tu es resté longtemps dans la salle de bain, je m'inquiétais. »
Il se passa une main maladroite dans les cheveux. « J'étais fatigué, Ilyan n'a rien à voir. Nous n'avons pas couché ensemble. »
Gêné, il se mit à triturer ses doigts, ce qui attira l'attention de Clarisse.
« C'est quoi ça ? » demanda-t-elle en lui ouvrant la paume de la main.
Comme s'ils s'étaient mutuellement brûlés, Clarisse se leva et Alex retira sa main.
« Vous avez fait un pacte ? »
La voix de Clarisse n'avait été qu'un murmure, mais Alex l'entendit très bien. Il pâlit, réalisant qu'elle connaissait l'existence de ce monde. Un sourire naquit sur ses lèvres, heureux de ne pas avoir à lui mentir, jusqu'à ce qu'elle se détourne vers la porte, prenne son sac et s'en aille. Son regard troublé n'avait pas échappé au demi-chat. Il s'élança à sa suite.
« Clarisse ! »
Elle ne répondit pas et dévala l'escalier. Essoufflé et perdu, Alex tenta de la suivre, mais la perdit au tournant de la rue. Ses mains se mirent à trembler.
« Alex ? Tu vas bien ? » C'était la voix de Théo. Le rouquin peina à se redresser, et Théo, qui était seulement parti faire une course, s'approcha pour le maintenir debout. « Tu es brûlant, tu veux que je te mène voir un médecin ?
- Ce n'est pas la peine, je vais m'occuper de lui. »
L'humain se tourna, découvrant la présence d'Ilyan. Peu confiant, il raffermit sa prise sur Alex.
« Heu... »
Ilyan savait qu'il ne fallait pas traîner, alors il fit un léger mouvement de main entouré de fluide violet, lançant un sort à Théo pour qu'il retourne à ses occupations. Sans émettre plus de résistance, Théo laissa Alex au sorcier qui le hissa contre son torse, comme une princesse.
« Ilyan. »
« Je suis là, tiens encore un peu, on est presque chez toi. »
« J'ai la tête qui tourne. » souffla Alex avant de la poser sur l'épaule d'Ilyan.
Ce dernier apercevait déjà la transformation qui s'opérait et pressa le pas pour regagner l'appartement. « Bordel » siffla-t-il en voyant les marches.
Il ne pouvait pas se téléporter au risque d'être vu. Déjà que la situation était étrange, s'il disparaissait d'un coup, ce serait difficile à expliquer. Le loquet sauta grâce à un sort et Ilyan déposa Alex sur le canapé.
« Respire. »
Alex le regarda, perdu. Il avait l'impression de manquer d'air, proche de la crise d'angoisse. En réalité, son corps, soumis à une émotion trop forte, se transformait, et il n'était pas encore en mesure de la maîtriser.
« Voilà, c'est bien. » sourit Ilyan.
Alex continua un moment à prendre de grandes respirations avant de retrouver sa paix intérieure.
« Tu vas mieux ? » demanda Ilyan.
« Hum. »
Le sorcier se laissa tomber sur la table en bois en face de lui, rassuré.
« Qu'est-ce qui t'a mis dans un état pareil ?
- Tu l'as senti ?
- Ma magie vit en toi, alors je ressens la plupart de tes émotions. »
Alex rougit, évitant le regard brûlant d'Ilyan. Si le sorcier ressentait ses émotions, il devait aussi percevoir le désir qu'il éprouvait pour lui.
« C'est Clarisse.
- Tu t'en es rendu compte ? » fit Ilyan.
Le roux lui jeta un regard surpris et confus.
« Tu savais qu'elle était de votre monde ?
- Pas exactement, c'est plus compliqué. J'ai été entraîné pour reconnaitre ces personnes. La première fois que je l'ai vue, j'ai remarqué ses boucles d'oreilles en argent, son collier en croix et ses bagues anti-démons. »
Alex ouvrit de grands yeux. Ilyan savait que ce qu'il s'apprêtait à dire serait comme une bombe, mais il ne pouvait pas le lui cacher plus longtemps.
« Ta copine est une chasseuse qui tue les monstres comme moi. »
10
Voilà neuf jours que l'incident avec Clarisse s'était produit. Alex avait essayé de l'appeler un nombre incalculable de fois sans succès : elle n'était pas allée en cours, n'était pas rentrée à l'appartement, et n'avait donné aucun signe de vie. Pendant ce temps, sa nouvelle nature de « chat » semblait bien se porter. Ilyan l'avait un peu surveillé pour s'assurer que tout allait bien, ce qu'Alex trouvait à la fois adorable et protecteur. Le sorcier montrait un côté attentionné, bien différent du connard qu'il avait rencontré à Halloween. Ce n'était plus "un rejeton de la semence de Satan", mais un sorcier civilisé. Même si Salmon insistait sur le fait que leur relation s'améliorait grâce au lien qu'ils avaient établi, Alex n'était pas tout à fait d'accord. Peut-être que le brun ne le ressentait pas de cette manière, mais le rouquin ne pouvait nier l'attirance certaine qu'il avait pour lui. Si Théo remettait en question son orientation sexuelle, Ilyan était clairement son crush.
Aujourd'hui, Alex se trouvait chez ses parents pour un simple dîner. Ils habitaient à quelques kilomètres de chez Salmon, dans un appartement situé sur la place du marché.
« C'était très bon, Maman », dit-il en aidant sa mère à ranger.
« Merci, mon chéri. Au moins toi, tu reconnais mes efforts. N'est-ce pas, Bob ? »
Bobby, le père d'Alex, étouffa un léger embarras et s'apprêtait à faire des éloges à sa femme quand celle-ci préféra s'intéresser à leur fils.
« Comment va Clarisse ? Tu n'es toujours pas décidé à sortir avec elle ? »
Alex se gratta la nuque. Il avait voulu éviter le sujet « meilleure amie », mais il fallait se rendre à l'évidence : ses parents aimaient beaucoup trop Clarisse pour qu'ils passent à côté d'une potentielle merveilleuse belle-fille.
« Ta mère a raison, vous vous tournez autour depuis trop longtemps », renchérit son père.
Le cœur d'Alex se mit à battre fortement dans sa poitrine. Il avait l'idée folle, l'envie, et le désir de goûter à la liberté en dévoilant ses secrets. Il voulait sortir du placard, ne plus mentir à ses merveilleux parents qui méritaient de savoir la vérité.
« J'ai quelque chose à vous dire. »
Maura et Bobby regardèrent leur fils. On pouvait y voir toute la fierté, le bonheur et l'attention dans leurs yeux. Alex se sentit mis à nu, effrayé.
« On t'écoute. »
Il respira un grand coup. Il allait leur dire. Il allait le faire et ne voulait en aucun cas les décevoir. Il se lança.
« Je... »
Mais alors qu'il allait embrasser pleinement sa sexualité, son souffle se coupa. Par instinct, une de ses mains empoigna son haut, essayant de ralentir le rythme effréné de son cœur.
« Alexandre ? Tu vas bien, mon chéri ? »
La douleur passa, et il mit sa confusion de côté pour réengager ce sujet difficile.
« Je ne suis... »
Cette fois, la douleur se fit plus brute et sourde. Si au début elle comprimait son cœur, maintenant tout son être se sentait vidé, épuisé, froid. Il jeta un regard discret à sa marque de lien et fut surpris de la voir rouge.
« Je dois passer un appel », souffla-t-il.
Bien qu'ils fussent inquiets face au comportement de leur fils, ils ne purent qu'hocher la tête. Alex ne perdit pas de temps et prit son téléphone.
« Réponds. »
Mais le bip ne cessa pas.
« Putain Ilyan, décroche », paniqua-t-il.
Toujours rien, si ce n'était cette douleur, ce manque, qui semblait se mouvoir en lui, tantôt comprimant son cœur, tantôt lui coupant la respiration. Il fourra son mobile dans sa poche, embrassa ses parents qui le regardaient avec stupéfaction, avant de prendre ses clés de voiture.
« Je dois partir, je vous appelle dès que je peux. »
Il roula vite, peut-être un peu trop, mais la peur de ne pas savoir ce qu'il se passait l'empêchait de penser raisonnablement. Le roux n'avait pas dépassé avec excès les limitations, mais sa conduite énergique se faisait sentir. Même lorsqu'il arriva à la propriété du sorcier, les pneus glissèrent sur le goudron.
Alex bondit hors de sa voiture et fonça jusqu'à la porte puis frappa.
« Ilyan ? »
Il frappa encore, jusqu'à se rendre compte que la porte n'était pas fermée à clé. Il entra avec méfiance, découvrant un salon sens dessus dessous. Alarmé, il ne put retenir un cri de frayeur.
« Alexandre ? »
Le sorcier se tenait dans la cuisine, quelques égratignures sur le visage en s'essuyant les mains.
« Ilyan ! »
Le rouquin s'approcha à grands pas, inquiet.
« Tu vas bien ? Je...
- Oui, calme-toi », le coupa-t-il avec un mince sourire.
Il montra le reste de son corps, où aucune blessure (mis à part une au genou et une autre au bras) n'était apparente. Salmon réarrangea d'un coup de main le salon désastreux, mais ne s'attarda pas sur les objets cassés. Il invita Alex à s'asseoir sur le canapé.
« Tu l'as senti, n'est-ce pas ? »
Alex hocha la tête.
« J'avais l'impression qu'on me retirait quelque chose, mon cœur était comprimé et la marque brûlait. » Le roux ne dit pas plus, ne voulant pas détailler davantage cette douleur sourde. Il demanda : « C'était des chasseurs ? »
Mal à l'aise, le sorcier passa une main dans ses cheveux.
« Plutôt un démon qui n'a pas apprécié que je refuse son offre. »
Le hoquet qui sortit de la gorge de l'humain se trouvait entre l'étranglement et le soulagement.
Ilyan, qui avait bien remarqué le désarroi du garçon, posa une main sur sa joue.
« Écoute, Alex, ce genre de chose arrivera encore et encore. Tu n'as pas à t'en faire car même si je suis blessé, le fait que tu gardes ma magie me protège, je suis pratiquement immortel grâce à toi. » Il marqua une pause, prenant un ton plus solennel. « Mais dans le sens inverse... »
Leurs yeux ne se quittaient plus, troublés par la paix que cet échange imposait.
« Alexandre, je veux que tu me promettes de ne jamais prendre de risque comme tu viens de le faire. Qui sait ce qui serait arrivé si le démon était encore là quand tu es entré ? »
S'il fallait affirmer qu'Alex avait écouté attentivement la demande d'Ilyan, ce serait mentir. La seule chose à laquelle il pouvait penser en le sachant si proche était qu'il voulait ses lèvres sur les siennes.
Et il s'en empara.
Entre-chat-pitre
Leur baiser s'intensifia. Sous l'ivresse croissante, Ilyan et Alex se rapprochèrent davantage, leurs mains se joignant dans un élan de désir, explorant avidement les contours de l'autre, effleurant les tissus avec une ardeur passionnée. Le rouquin ne savait pas exactement ce qui le poussait en cet instant. Dès leur première rencontre, bien que quelque peu désagréable, il avait trouvé cet homme sexy et attirant. Cette attraction s'était intensifiée lors de la cérémonie de lien et ne semblait pas s'atténuer à présent qu'ils passaient du temps ensemble. Il n'était pas amoureux, du moins il ne croyait pas aux coups de foudre, et avait toujours pensé que l'amour était un sentiment beau mais complexe, qui se construisait avec le temps.
Ilyan, de son côté, brûlait de désir pour ce rouquin. Lui aussi avait été séduit dès qu'il avait croisé ses beaux yeux, lui aussi avait succombé lors de la cérémonie et continuait de sombrer en sa présence. Mais il était conscient que certaines de ses émotions étaient peut-être illusoires. Il savait que même s'il finissait par éprouver des sentiments profonds pour cet homme, il ne pourrait jamais conquérir son cœur. Salmon savait que Reddy le désirait en partie à cause du lien magique qui les unissait.
Pourtant, les deux hommes étaient trop absorbés par le plaisir de l'instant pour se poser davantage de questions. Ils commencèrent à basculer en arrière sur le canapé avant qu'Ilyan, d'un geste expert, ne les entraîne sur le lit. Déboussolé, Alex se laissa emporter par son instinct. Ses oreilles et sa queue de chat réapparurent sous le regard convoiteux du brun.
Ils se contemplèrent un instant. Ilyan tremblait. Alex frémissait. Puis le sorcier posa son front contre l'épaule de l'hybride.
« Je suis désolé », murmura-t-il.
Il s'excusait pour avoir bouleversé sa vision du monde, pour l'avoir entraîné dans cette vie, pour l'avoir transformé en une créature mi-humaine mi-chat. Il le faisait avec une sincérité poignante et le rouquin, submergé par tant d'émotions, ne put retenir quelques larmes. Avec une douceur extrême, il releva la tête de Salmon et vint sceller leurs lèvres dans un baiser tendre. Il ne voulait plus penser ni réfléchir à toute cette histoire compliquée ; il voulait simplement partager un moment de bonheur avec lui.
Après cet échange profond et délicat, le sang afflua de nouveau avec vivacité dans leurs veines. Chaque souffle qui effleurait la peau de l'autre les faisait frissonner de désir, mais rien n'était comparable au moment où Ilyan roula ses hanches contre Alex. D'un commun accord, un soupir s'échappa d'eux. La chaleur monta encore d'un cran et, l'un contre l'autre, ils se mouvèrent pour assouvir cette tension grisante.
« Ilyan », souffla l'hybride.
Le cœur du sorcier manqua un battement. Il aurait eu du mal à expliquer pourquoi, mais entendre son nom prononcé avec autant de désir par le rouquin le fit chavirer, le poussant à l'embrasser avec encore plus de passion. Soumis à un instinct qu'il ne comprenait pas encore complètement, Reddy enroula sa queue féline autour de la cuisse d'Ilyan et apprécia de griffer doucement la peau de son amant.
À présent, il ne restait plus que les fins tissus de leurs sous-vêtements (que le sorcier avait fait disparaître en une fraction de seconde), et le brun pouvait facilement accéder à leur nudité. Un gémissement s'échappa dans la chambre, et bien qu'en temps normal Alex aurait été gêné, cette fois-ci, il ne se formalisa pas, sentant au contraire que Salmon l'appréciait encore plus.
Animés par ce désir animal et cette tendresse mutuelle, ils se laissèrent guider. L'atmosphère était chargée d'une lourde sensualité, et bien que ni l'un ni l'autre ne s'en rende compte, leur lien vibrait de cette chaleur ardente. Faire l'amour était un acte magnifique, mais aucun des deux ne pouvait dire que ce sentiment pur était la seule motivation de leur échange. Néanmoins, ils savaient qu'ils allaient chérir ce moment intense.
Après un moment, le brun se détacha de la poitrine sensible de son amant et captura à nouveau ses lèvres, comme s'il voulait protéger ce moment fragile. Il ne savait pas trop comment aborder la question délicate de savoir s'ils devaient aller plus loin. Il ne voulait en aucun cas précipiter les choses, mais l'envie de fusionner pleinement avec Alex était indéniable.
« Alexandre », murmura-t-il doucement.
Le rouquin leva vers lui des yeux emplis de désir. Cette vision acheva de troubler le sorcier.
Même si le sorcier aurait pu utiliser des sorts pour accélérer les choses, il préféra rester naturel, humain. Il prit son temps, cajolant Alex avec délicatesse, attention et appréhension. Après de longues minutes d'anticipation, Ilyan put enfin savourer la sensation de fusion avec l'hybride. Les deux hommes haletèrent. Le rouquin était incapable de mettre des mots sur ce qu'il ressentait. Il tremblait, frissonnait, gémissait, emporté par des sensations passionnées et non violentes, mais profondément intenses.
Alex bascula la tête en arrière, inspirant profondément alors qu'une vague d'euphorie l'envahissait. Sa poitrine se souleva et le brun en profita pour le redresser et l'attirer contre lui. Dans cette bulle de bonheur, ils se découvrirent pleinement, explorant chaque parcelle de leur intimité.
11
Après leur moment intime, Ilyan et Alexandre n'avaient pas trouvé les mots pour discuter de ce qui s'était passé entre eux. Ils avaient été submergés par un mélange de joie et de peur. En rentrant chez lui, Reddy se déchaussa et posa sa veste ainsi que ses clés de voiture sur la table. Alors qu'il s'apprêtait à s'affaler sur le canapé, il remarqua qu'il n'était pas seul.
« Clarisse ? »
La jeune femme était assise sur le canapé, les cheveux attachés en un chignon négligé, vêtue de manière très simple, bien loin de son style habituel. Son visage, démaquillé et marqué par des yeux rougis, affichait un sourire mince qui ressemblait plus à une grimace.
Elle se leva, les bras ballants le long de son corps.
« Je suis désolée », souffla-t-elle.
Alex ne savait pas comment réagir. Il voyait sa meilleure amie dans un état déplorable, semblable à celui où elle avait été larguée par son petit ami par le passé, et qu'il avait consolée avec un film et un pot de glace. Mais cette fois, il se sentait démuni, incapable de trouver les mots pour la réconforter.
« Je n'aurais pas dû partir comme ça », murmura-t-elle, les larmes aux yeux.
Le rouquin ne put résister à l'envie de la prendre dans ses bras. Instinctivement, elle enfouit sa tête contre lui. Ils restèrent ainsi un moment, et Reddy ne put s'empêcher de se poser des questions. Savait-elle qu'il n'était plus tout à fait humain ? Qui était-elle vraiment ?
Après de longues minutes, Clarisse se détacha de lui.
« Alors, tu sais ? » souffla-t-elle.
« Ça m'est un peu tombé dessus », admit-il.
Elle le regarda, perplexe.
« C'est à cause d'Ilyan, n'est-ce pas ? »
Alex resta silencieux. Il savait qu'elle avait déjà deviné la réponse. Clarisse était au courant de tous les aspects de sa vie, et l'arrivée soudaine d'un garçon, suivie de la découverte d'un monde extraordinaire, n'était pas une simple coïncidence. Elle s'affaissa sur le canapé.
« Tu as passé un pacte avec une créature, Alex », dit-elle d'un ton grave.
Le regard du rouquin s'assombrit.
« Il n'est pas une créature. »
« Je connais ce monde depuis plus longtemps que toi. Ils sont dangereux », prévint-elle.
« Et toi, tu ne l'es pas ? » répliqua-t-il.
Elle garda le silence, tandis qu'Alex passait une main dans ses cheveux.
« Est-ce que ça veut dire que nous sommes ennemis maintenant ? »
Excédée, elle se leva pour lui faire face.
« Je ne te verrai jamais autrement que comme mon meilleur ami, Alexandre Reddy. Mets-toi ça dans la tête », déclara-t-elle avec son franc-parler habituel teinté d'une pointe de moquerie.
« Mais je suis désolé », murmura-t-il.
« Quoi ? »
« J'espère que tu me pardonneras. »
Alors que ses paroles résonnaient en lui, il sombra dans l'obscurité.
Lorsqu'il rouvrit les yeux, il se trouva dans une pièce sombre et nauséabonde. Une douleur lancinante lui martelait la tête, mais il parvint à distinguer la silhouette d'un homme. Imposant, même assis sur une chaise en fer, il dégageait une aura intimidante. Une cicatrice à trois traits barrait sa joue gauche, et il tapotait régulièrement son pantalon noir avec ses deux doigts manquants.
« Qui êtes-vous ? » demanda Alex.
L'homme lui sourit.
« Appelle-moi Alberto. Et toi, qui es-tu ? »
Il s'approcha, et Alex, tentant de reculer, réalisa qu'il était enchaîné à une sorte de boucle de métal directement scellée dans le sol. Sa main blessée se porta à son visage, qu'il releva pour le fixer dans les yeux. L'œil droit de l'homme, blanc et vitreux, était terrifiant.
« Ou plutôt, qu'est-ce que tu es ? » continua Alex.
Il se dégagea, dédaigneux.
« Qu'est-ce que vous me voulez ? »
Alberto éclata de rire.
« Tu ne vas pas essayer de me faire croire que tu es humain, hein ? » Il lui saisit le crâne, agrippant ses oreilles félines. « Qu'est-ce que c'est que ça, hein ? Un foutu monstre lié à un sorcier. »
Puis il frappa, avec une violence et un mépris qui troublèrent Alex au-delà de la douleur, éveillant en lui un instinct animal.
La voix d'Alberto résonna alors qu'Alex sombrait à nouveau dans l'inconscience, étendu sur le sol froid.
« Attachez-le, il va se transformer. »
12
Dès qu'Alex sombra dans les ténèbres, Ilyan ressentit une vague de malaise le submerger. Il se téléporta immédiatement chez lui, dans un état de panique, mais il arriva trop tard : l'appartement était désert et Reddy avait disparu. Ilyan essaya ensuite d'utiliser leur lien pour le localiser, mais quelque chose l'en empêchait, comme si une force mystérieuse déviait sa magie ou bloquait son accès. Il se retrouva même par inadvertance dans une rue où deux personnes s'embrassaient et dut effacer rapidement leur mémoire. Cette situation aurait pu prêter à sourire, mais la seule pensée qui hantait le sorcier était de retrouver son lié.
« Ilyan, calme-toi », dit Steph.
Ilyan tourna la tête vers l'ami de son père. Steph était adossé au mur, tenant un café d'une main et une cigarette de l'autre. Il était aussi anxieux que lui à l'idée de ce qui pourrait arriver à Alex, mais contrairement à Ilyan, il gardait son sang-froid et ne s'agitait pas en semant le chaos dans l'appartement.
« Que je me calme ? Regarde ce qu'ils lui font ! » s'exclama Ilyan, désignant les nombreux hématomes et blessures qui apparaissaient sur son corps : preuve qu'il se faisait attaquer. Alex avait dû s'allonger, non pas tant à cause de la douleur physique (bien que sévère), mais à cause de la panique qui battait dans son cœur.
« Ils sont prêts à le tuer, grogna-t-il.
- Tu ne peux pas aller là-bas, tu te ferais tuer en un rien de temps », répliqua Steph.
Ils avaient compris que les chasseurs avaient emmené l'humain dans l'un de leurs repaires. Ilyan pouvait précisément localiser son lié, mais malgré cela, la téléportation semblait impossible. Apparemment, les chasseurs devaient disposer d'une multitude d'objets "sacrés", comme ils les appelaient, pour repousser les menaces de leur monde.
« Ce n'est pas mon problème ! Si je dois mourir pour le sauver, alors Alex sera en sécurité, il ne sera plus un hybride et n'aura plus rien à voir avec nous.
- Il a déjà vu trop de choses pour qu'ils le laissent simplement partir », rétorqua Steph.
La panique l'emporta sur la raison du sorcier. Il ouvrit la main où brillait son tatouage de lien et agita l'autre, se concentrant. Alarmé, Steph comprit qu'Ilyan était prêt à se faire du mal. Il bondit sur lui et lui saisit le poignet brusquement pour l'arrêter.
« Ilyan, ne fais pas ça », implora-t-il.
Ils se fixèrent du regard, comme deux prédateurs sur le point de se sauter à la gorge. Finalement, Steph céda et s'agenouilla.
« Tu ne sais pas ce que ça fait , murmura-t-il.
- Je suis aussi lié, et ce que tu ressens, je le ressens pour Fiona », dit-il doucement en se mettant à la hauteur d'Ilyan.
- Ce n'est pas pareil. Nous sommes liés par devoir, pas par amour, et c'est de ma faute s'il...
- Ce jeune homme est peut-être ton écrin, celui qui garde tes pouvoirs et ta vie, mais écoute-moi bien. Même si aux yeux de la nuit, c'est une alliance diplomatique, tu as le droit de tomber amoureux », l'interrompit Steph.
Un espoir lointain réchauffa le cœur d'Ilyan. Le rituel du "mariage" dans leur monde n'était pas équivalent à l'amour humain banal ; il s'agissait d'un lien d'âme à l'Église et par extension au souverain de la nuit. Mais il n'obligeait personne à s'aimer.
Ilyan secoua la tête pour chasser le tumulte de ses pensées.
« Il va mourir si je ne fais rien, et moi aussi , dit-il, déterminé.
- En effet », répondit une voix derrière lui.
Un frisson parcourut l'échine du sorcier. Il se retourna lentement, découvrant sa mère, la femme qu'il aimait et connaissait si bien.
« Maman », murmura-t-il.
Elle claqua des talons et se tint face à lui.
« Ilyan Salmon, tu es mon fils et tu m'as toujours comblée de bonheur et de fierté, sache-le. Mais désormais, tu es aussi fils de la nuit et membre du conseil. Tes problèmes sont les nôtres », déclara-t-elle en posant une main sur sa joue.
Il la remercia mille fois du regard et aurait voulu passer plus de temps avec elle, mais il avait un garçon à sauver. Il se téléporta.
Réapparaissant dans le bâtiment attenant à l'Église, réservé aux membres du conseil, Ilyan salua les deux gardes avant d'entrer dans la bibliothèque où le premier sage était absorbé par un vieux livre. L'homme leva les yeux vers lui, son visage ridé ne laissant transparaître aucune émotion.
« Ilyan Salmon, vous avez manqué la réunion de ce matin », constata-t-il.
Le sorcier avala difficilement sa salive.
« Je suis désolé, votre Éminence », s'excusa-t-il.
Les excuses étaient plates et le sage le remarqua bien. En silence, il ferma son livre et fit signe à Ilyan de le suivre. Ils se rendirent dans une salle de réunion, où les autres membres du conseil, prévenus par magie, commencèrent à arriver.
Debout, Ilyan se tint face à eux, déterminé.
« Je suis ici pour vous demander de l'aide, annonça-t-il.
- Nous t'écoutons », acquiesça l'Éminence.
- Alexandre Reddy, mon lié, a été capturé par des chasseurs », déclara-t-il.
Quelques chuchotements s'élevèrent dans la pièce, jusqu'à ce qu'un des membres demande :
« Pourquoi s'en prendraient-ils à un humain ? »
Malgré sa nature assurée, Ilyan ne put empêcher une légère rougeur de colorer ses joues devant ces hommes.
« Lors de la cérémonie, quelque chose s'est produit », commença-t-il.
Leurs regards s'emplit de curiosité.
« Quelques jours après Halloween, j'ai transformé Alex en chat, c'était une farce stupide. Mais lorsque nous nous sommes liés, le sort n'a pas complètement disparu », continua-t-il, reprenant son souffle. Il savait que ce qu'il allait dire menaçait beaucoup de choses, mais pour la sécurité d'Alex, il devait avouer la vérité. « Il est devenu un hybride », conclut-il.
Des exclamations de surprise remplirent la pièce. L'Éminence fit signe de silence.
« Pourquoi ne pas nous l'avoir dit ? demanda-t-il.
- Il ne connaît rien de notre monde. Je voulais le protéger », répondit Ilyan.
Les membres du conseil se turent, comprenant parfaitement la réticence d'Ilyan. Ce rituel n'était pas une simple cérémonie ; lier un humain changeait radicalement la relation, la transformant en quelque chose de similaire à un "parabatai" dans les livres Shadowhunters, ouvrant parfois la voie à bien plus.
« Très bien », décida l'Éminence.
Il fit un geste de la main, invoquant un amas doré de magie qui fit voler des papiers dans les airs. Sous le regard attentif d'Ilyan, ils se transformèrent en sortes d'oiseaux de plasma avant de traverser les murs.
« Nos meilleurs combattants seront à vos côtés, mais en échange, Alexandre devra passer quelques tests », annonça-t-il.
Le visage d'Ilyan se ferma. Alex avait déjà été trop malmené. Après avoir découvert leur monde, subi le lien qui l'avait transformé en hybride, vu sa meilleure amie devenir chasseuse, il était maintenant kidnappé et on lui demandait de passer des tests ? Non, cela ne pouvait pas continuer ainsi. Le grand sage se leva et posa une main sur son épaule.
« Vous n'avez pas à vous inquiéter, aucun mal ne lui sera fait. »
13
Alex voyait trouble. Son corps était lourd, répondant à peine à sa volonté, et une douleur aiguë lui tordait les tripes. Qu'est-ce qu'on lui avait fait ? Le bruit résonnait autour de lui, et il se rappelait parfaitement la situation désespérée dans laquelle il se trouvait, marqué par le visage hideux d'Alberto et les multiples blessures qui couvraient son corps. Alors qu'il luttait pour ouvrir les yeux, il remarqua que son bourreau avait disparu et que des cris résonnaient dans la pièce.
« Tous dehors ! Ces monstres nous ont retrouvés ! » hurla Alberto.
Les hommes de main d'Alberto se crispèrent.
« Qu'est-ce qu'on fait de lui, patron ? »
Alberto le fixa un moment. Ils pourraient peut-être lui tirer des informations s'ils l'emmenaient avec eux, mais cela les exposerait également à un danger mortel.
« Laissez-le, tuez-le, je m'en fiche. On doit se barrer. »
Deux des hommes partirent en courant, laissant un seul sbire derrière eux. Il s'avança vers le rouquin, dégainant un couteau. Même dans son état désorienté, Alex savait ce qui allait se passer, mais le coup ne vint jamais.
Il leva les yeux pour voir ce qui se passait et fut intrigué par une silhouette féminine. Elle venait de plaquer le sbire au sol et s'approchait de lui.
« Clarisse ? »
La jeune femme tomba à genoux, tremblante.
« Je suis tellement désolée. »
Elle n'osa pas le prendre dans ses bras, trop honteuse de sa trahison, et défit ses chaînes.
« Ils m'avaient promis de ne pas te toucher. »
Elle savait pourtant comment fonctionnait son clan, mais elle avait désespérément espéré, poussée par les siens, qu'il ne lui arrive rien. La brune l'aida maladroitement à se relever.
« On va sortir d'ici. »
Encore sous l'effet des sédatifs, Reddy suivit péniblement la jeune femme. Ils faillirent tomber plusieurs fois, s'appuyant constamment sur les murs pour avancer.
« Ilyan... »
« Je vais te ramener vers lui », murmura-t-elle.
Alexandre ne savait plus comment se comporter en présence de Clarisse. Elle avait toujours été là pour lui, même maintenant, malgré le fait qu'elle l'ait vendu. Il sentait ses larmes contre lui, percevait sa peur face à cette situation, tout en l'entendant répéter en sanglots qu'elle était désolée. Pour certains, le pardon était hors de question, les excuses vides, mais Alex pensait différemment. Il faisait partie de ceux qui, peut-être trop naïvement ou stupidement, ne pouvaient pas haïr Clarisse. Quoi qu'elle ait fait, qu'elle l'insulte, le blesse, une part de lui lui appartenait toujours.
Soudain, il sentit qu'il tombait. Le soutien de la jeune femme s'effaça brusquement et il tituba sur quelques mètres avant de s'effondrer sur le sol froid.
« Sale p***, je vais te tuer ! »
Entendant cette voix, Alex se raidit et rassembla ses dernières forces pour se lever. Le sorcier était là, les yeux emplis d'une colère sans égale, maintenant la jeune femme en l'air par magie.
« Ilyan ! Laisse-la ! »
Avec le peu de forces qui lui restaient, il rejoignit Salmon, posant faiblement une main sur son bras.
« Je t'en prie... »
« Elle ne mérite pas ton pardon », gronda le sorcier.
« C'est ma meilleure amie », souffla le garçon.
Se sentant incapable de continuer, Alex s'écroula, laissant Ilyan choisir entre lui et la mort de Clarisse. Pendant qu'Alex tombait dans ses bras, la jeune femme s'affaissa au sol, prise de quintes de toux. Ils restèrent silencieux tous les trois un moment, jusqu'à ce que le rouquin s'adresse à la brune qui reprenait des couleurs.
« Viens avec nous, Clarisse. Tu serais surprise de voir que nous ne sommes pas aussi méchants que tu le penses. »
Les larmes ne purent être retenues par la brunette. Elle se leva maladroitement et s'approcha des deux garçons pour poser sa main sur la joue d'Alex. Si ce contact était d'une douceur extrême, l'émotion qui en émanait ne l'était pas.
« Tu as toujours été une grande âme, Alexandre Reddy, et je t'ai toujours admiré et aimé pour ça. Pendant toutes ces années, tu as été celui qui m'a comprise mieux que quiconque, celui qui m'a fait me sentir chez moi. Mais je ne peux pas... Ce n'est pas mon monde, ma famille est là-bas et j'ai été élevée pour vous détester. J'ai chéri nos moments ensemble plus que tout, tu es et resteras mon meilleur ami, mais nos chemins se sépareront ici. »
Sa voix se brisa dans l'émotion et elle recula. Alex manqua d'air. Ce sentiment désagréable lui tordait les entrailles jusqu'à griffer son cœur de douleur aiguë. Sa relation avec Clarisse avait toujours été fusionnelle, et réaliser que les choses ne seraient plus jamais les mêmes le brisa. Même dans les films et les livres où deux proches se séparaient, il ressentait de la tristesse, mais cela ne pouvait se comparer à ce qu'il vivait maintenant. Il avait connu des moments tristes, des périodes de peine et même de deuil qui l'avaient profondément marqué, mais même dans ces instants-là, il avait toujours cru en un avenir meilleur et en une éventuelle réunion. Maintenant, il savait qu'il ne reverrait jamais Clarisse. Et pire encore, la décision ne lui appartenait pas.
« Promets-moi que tu prendras soin de lui. Les chasseurs sont peut-être dangereux, mais votre monde l'est encore plus », dit-elle en regardant Ilyan.
« Non ! » s'écria le roux alors que le sorcier le soulevait.
Ilyan le plaqua contre lui en un éclair et se dirigea vers la sortie, laissant la brune seule dans le couloir sombre.
« Ilyan, il faut la sauver ! »
Les larmes ne le quittaient pas, et malgré la haine qu'il ressentait pour Clarisse, Ilyan se sentit mal. Il ne supportait pas de voir son lié si démuni face à la perte de cette amitié, mais il ne pouvait rien faire de plus que le mettre en sécurité et le chérir à sa manière. Alex se débattait avec le peu de forces qui lui restaient.
« Bordel, Salmon ! »
« Dors », ordonna-t-il.
Malgré lui, Reddy sombra dans l'inconscience.
Quand il se réveilla, l'hybride fut désorienté par une lumière étrange. Il cligna des yeux à plusieurs reprises, pensant être mort, avant de réaliser que la lumière venait simplement d'une lampe.
« Bienvenue parmi nous, Alexandre Reddy », murmura une voix inconnue.
Il commença à paniquer avant qu'une jeune femme ne s'approche de lui, posant une main bienveillante sur son épaule.
« Ne t'inquiète pas, on a juste prélevé un peu de ton sang pour vérifier que ton corps acceptait le changement. »
Après ces mots (Alex avait bien compris qu'ils se rapportaient à sa condition de mi-homme mi-chat), elle s'éloigna pour laisser place à l'homme qu'il connaissait trop bien.
« Salut », dit-il.
Les lèvres d'Alex bougèrent mais aucun son ne sortit.
« Tu te sens mieux ? » demanda le brun.
Avec sa voix enrouée par les circonstances, le citadin se contenta d'hocher la tête et de recouvrir de sa main celle que le sorcier avait posée sur sa cuisse. Il l'aida à se redresser et effleura sa peau avant de laisser son front toucher le sien.
« On va rentrer, ça va encore te secouer un peu. »
« Ça ira », répondit-il
Ils se téléportèrent dans un tourbillon de fluide violet et se matérialisèrent dans le salon. Voyant qu'Alexandre n'avait pas encore récupéré ses forces, Ilyan l'aida à s'installer sur le canapé. S'il remarquait l'épuisement évident dans les yeux du jeune homme, il ne pouvait pas laisser leurs discussions en suspens. Ils devaient clarifier les choses.
« Alexandre ? » commença-t-il.
Le garçon tourna la tête vers lui, sentant une tension grandissante.
« Je sais que ce qui s'est passé est un vrai fiasco », admit Ilyan, prenant une pause pour reprendre son souffle, le cœur lourd. « Je ne veux surtout pas que tu te sentes obligé de rester avec nous. Il reste deux semaines avant décembre et je comprendrais si tu veux tout laisser derrière toi. Tu seras libre, je me lierai à une autre personne et tu ne me verras plus. »
La réaction d'Alexandre ne fut pas celle que le sorcier espérait. Il ne lisait pas du soulagement dans ses yeux marron, mais plutôt de la colère et de la tristesse.
« Pourquoi tout le monde décide pour moi ? » murmura-t-il d'une voix rauque, les larmes montant dans ses yeux alors qu'il ravala sa salive pour retrouver un peu de maîtrise. « Entre Clarisse qui me laisse seul et toi qui veux partir maintenant... Vous ne pensez qu'à vous et pas à ce que vous laissez derrière. Je ne veux pas redevenir humain. Je ne suis plus le garçon de fac que j'étais il y a un mois à peine. Je ne veux pas quitter ce monde, aussi merveilleux que dangereux. »
Les yeux du garçon étaient humides, mais ceux d'Ilyan s'écarquillèrent de surprise en entendant cette dernière déclaration, emplis d'un sentiment passionné.
« Je ne veux pas te quitter, Ilyan », poursuivit Alexandre.
Sans hésiter une seconde de plus, il vint se blottir contre lui, scellant ses lèvres aux siennes. Alexandre s'ouvrait à lui, et il ferait de même.
« Après décembre, tu es conscient qu'il n'y aura pas de retour en arrière ? » questionna Ilyan, le regardant avec amour, mais aussi avec une pointe d'incertitude.
Alexandre l'incita à reculer légèrement, puis s'installa sur ses genoux, laissant ses oreilles de chat et sa queue touffue se dévoiler à la lumière du jour.
« Est-ce que tu veux de moi ? » murmura-t-il, le cœur battant fort dans sa poitrine.
Sous l'emprise de l'émotion, Ilyan frôla ses lèvres charnues du bout des siennes.
« Plus que tout au monde », répondit-il d'une voix assurée.
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