CHAPITRE 2
Elle rouvre les yeux et observe en silence. Elle se sent engourdie. Elle voit une infirmière en blouse blanche qui lui tourne le dos. Des lits de fers blancs l'encerclent. Sur les lits voisins, elle voit des courbes indiquant l'évolution du rythme cardiaque du patient. Elle se sent calme. Reposée. Elle entend des chariots qui roulent, des conversations. Elle voit les gens qui circulent autour d'elle, ne lui accordant aucun regard. Ses yeux s'arrêtent sur une personne. Une petite fille qui la fixe. Elle est en train de pleurer. On sent que tout est peur chez elle. La petite fille a des yeux verts. Une robe rouge. Elle a sans doute quelqu'un de sa famille dans un de ces lits.
Plus loin, elle repère une femme âgée. La vieille est penchée au-dessus d'un lit. Comme si elle murmurait des choses au corps inerte du lit. Plus loin encore, elle distingue une mère de famille parlant avec un médecin chef. Elle a l'air inquiète mais ne pleurera pas devant ses enfants. Elle a l'impression qu'il y avait les mêmes personnes le jour où elle était allée la voir et qu'elle ne l'avait pas vue. Du moins, elle retrouvait les mêmes attitudes. C'est alors qu'elle comprend. Tout ces gens qui ont peur, tout ces gens qui pleurent, tous ces gens qui se meurent... Elle est dans le terminal de l'hôpital, là où vont les gens morts mais encore vivants. Et elle, personne n'est venue la voir.
Elle est envahie par une onde de bonheur, de joie. Elle pense pouvoir voler. Elle se dit qu'enfin on lui dirait la vérité, qu'on lui ferait confiance, au moins une dernière fois. Elle verrait enfin ce fichue dossier qui était jusqu'alors sa seule raison de vivre et qui maintenant lui importe si peu... Pourquoi ! Mais pourquoi ! Sa conscience hurle. Non, non, ils ne lui montreront pas le dossier, ils ne viendront pas à elle, elle mourra seule, emmurée dans son silence, dans ce qu'elle sait et, surtout, dans ce qu'elle ne sait pas. et ne pourra jamais savoir si elle part.Partir... L'idée ne lui semble plus si séduisante à présent... Il faut qu'elle se décide... Elle réouvre les yeux, et voit ce qui la fait changer d'avis définitivement : les yeux de la petite fille. Elle se rend compte que quand on meurt, il y a tout le temps quelqu'un qui pleure pour vous. Forcément. Mais pas si évident. Si elle meurt, ce sera une tombe qui pleurera pour elle.
Rester, il faut qu'elle reste. Pour la tombe. Pour les pleurs. Pour la petite fille. Surtout pour le dossier. Elle soulève doucement son bras, pour appeler une aide. L'infirmière se matérialise immédiatement devant elle.
"Vous êtes enfin réveillée ! Ça fait deux jours que le service ne parle plus que de vous. Vous savez, on aurait jamais dût vous mettre ici. C'est le médecin-chef qui nous a dit de faire ça, on a pas trop compris pourquoi mais bon, vous savez, il sait ce qu'il fait le médecin-chef! En plus, il a l'air d'un savoir un paquet sur vous!"
Tout en parlant, l'infirmière l'avait faite rouler dans une chambre. La 108.
"Il faut que je vous laisse. Je reviens pour le repas à 18 heures 30."
Elle se retourne et commence à s'en aller vers la porte. D'un coup, elle se retourne.
"Au fait, j'allais oublier, le médecin-chef va passer vous voir dans l'après-midi. A tout à l'heure!"
Et elle s'en va.
Non. Non, faites qu'il ne vienne pas. Elle enfouit la tête sous l'oreiller et le mord. Elle hurle en silence. C'est à peine si elle peut contenir la douleur qui lui vrille le cœur.
Elle entend des pas dans le couloir. Sa réaction est immédiate. Elle met rapidement la tête sur l'oreiller et fait semblant de dormir paisiblement. Au dernier moment, elle rabat la couverture sur ses yeux.
"Bonjour, mademoiselle! Je suis content de vous voir enfin réveillée! J'espère que vous êtes plus disposée à dialoguer maintenant... Histoire d'éviter que ça retourne en phase terminale... Vous voyez ce que je veux dire... Mmmmh...?"
La voix du médecin-chef entre dans ses oreilles comme dans une ruine, elle traite l'information, et ça ressort. Elle reconnaît cette voix. C'était celle de l'homme qui voulait l'opérer. Celui qui l'a plaqué au sol et qui l'a endormi. Non, décidément, il ne veut pas la laisser tranquille. Il trouve peut-être qu'elle n'est pas assez mal? Qu'elle ne se sent pas assez coupable? Elle fait semblant de dormir.
L'homme s'impatiente.
"Bon, vous pouvez arrêter de faire semblant de dormir, je sais très bien que vous êtes réveillée, le rythme cardiaque ne correspond pas à une personne endormie, redressez-donc la tête!"
Les fourbes. C'est la première chose qui lui vient en tête quand elle l'entend. Elle est donc si surveillée, même de l'intérieur de son corps! Manquerait plus qu'un bracelet émetteur et elle se retrouverait en prison!
Elle s'oblige à faire taire ses pensées pour oublier son premier pas vers la liberté. Sa liberté. Elle vient quand même de faire de l'ironie!
Elle attend. L'homme à côté d'elle ne bouge pas. Il attend une réponse. Elle se prépare. Elle cherche une phrase, une bien, qui lui permettra de dire en quelques mots toute la haine qu'elle à l'égard de cet hôpital. Elle ne doit pas se laisser attendrir. Elle doit surprendre.
Sa tête jaillit d'un coup de l'oreiller et, dans un semblant de fureur aveugle, elle parle d'une voix rapide et sèche, forte et déterminée.
"C'est vous qui m'avez forcé à retourner là-bas, vous pensiez que je la verrais mais vous vous trompez. je ne suis pas aussi faible que vous ne le pensez. Je ne regrette rien! Et vous avez beau penser que je me suis écroulée, aujourd'hui, je suis encore plus forte!"
"Tssss.... C'est vrai que vous m'impressionné, vous avez une capacité inouïe pour vous enfermer dans une tour et ne rien entendre d'autre. Méthode brutale, non? C'est vrai que je n'y vais pas avec le dos de la cuillère... Vous ne m'en voudrez pas, mais je suis persuadé que parfois, on arrive au résultat voulu en disant franchement les choses qui font mal."
Les choses qui font mal, les choses qui font mal, en disant les choses qui font mal, les choses qui font mal...
ll la fixe. Elle est comme pétrifiée. Elle pense. Elle est prise d'une douleur sourde, du vide. Hurler, elle veut hurler mais elle ne le peut pas.
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