○ Première nuit d'hiver ○
La jeune femme est de dos, assise sur le banc.
Sa longue tignasse, noire comme l'encre, épaisse comme la laine et raide comme la paille, vole autour d'elle.
Ses mains tremblent. Ses mains pâles comme la neige, fines comme les branches, elles tremblent. Elles tremblent si fort que tout son corps est entraîné, elles tremblent si fort que même le banc doit bouger.
Et pourtant son visage est impassible. Son visage est vide de toute émotions, son visage est vide de tout sentiment. Ses yeux, noir comme la nuit qui l'entoure, fixent un point invisible devant elle. Ses lèvres, fines comme les rails de train, à quelques pas d'elle, se tordent dans un rictus presque inexistant. Et sur sa peau, tout doucement, se déposent des petits flocons de neige.
Mais, d'ailleurs, son pantalon en est presque recouvert, il est devenu blanc. Des petits monticules prennent place sur ses jambes, tel de minuscules montagnes, et grossissent au fur et à mesure que les heures nocturnes passent.
La jeune femme est de dos, elle attend. Devant elle, un train s'arrête sur le quai. Elle se crispe, son corps se tend et sa tête se tourne vers la porte de la créature de fer. Son visage n'est plus sans expression. Car, là, sous la faible lumière des lampadaires, ses lèvres se pincent, ses points se ferment et, dans ses yeux noirs, passent des émotions.
Des émotions fortes, inquiétantes.
Des émotions dangereuses, foudroyantes.
L'impatience.
L'espoir.
Mais surtout, la peur.
Une peur profonde, une peur puissante.
La jeune femme est de dos, face au train. Ses long cheveux, noirs comme la nuit qui l'entour, ne bougent plus. Ses petites mains, aux long doigts fins, ne tremblent plus. Et la jeune femme s'est levé, pour la première fois depuis plusieurs nuits. Les petits monticules de neige tombent de son pantalon noir. Elle ne bouge pas, elle est figée, pétrifiée, telle une statue.
La jeune femme est de dos, debout sur le quai. Autour d'elle, les gens descendent du train. Autour d'elle, les familles se retrouvent, des couples s'embrassent, des pères enlacent leurs filles, des mères embrassent leurs fils. Autour d'elle, tout le monde ris, pleure. Autour d'elle, tout le monde parle, vit. Autour d'elle, le monde bouge, s'éveille.
La jeune femme est de dos, son regard suis un homme. Ses grands yeux vides ne peuvent se détacher de la personne en uniforme. Il porte un bébé dans ses bras, entouré d'une couette qui le protège de la nuit hivernal, tout en embrassant une femme qui pleure de joie. Sur sa veste verte, prennent fièrement place plusieurs écussons, preuves de son métier et de sa dévotion pour son pays.
La jeune femme est de dos, assise sur le banc. Sa longue tignasse, noire comme le charbon, vole autour d'elle. L'homme à la veste verte et aux beaux écussons est parti. Les familles sont réunies, les pères se sont partis avec leurs filles, les mères avec leurs fils.
Le jeune femme est de dos, elle attend. Elle l'attend. Elle l'attendra jusqu'à ce qu'il arrive. Même si le monde disparaissait, même si des monstres apparaissaient, même si la gare brûlait. Elle l'attendrai. Elle attendrai son monde, sa vie, son âme. Elle attendrai son frère, jusqu'à ce qu'il rentre du front.
Après tout, il lui avait promis qu'il arriverait avant la dernière nuit d'hiver, avant que le dernier flocon tombe du ciel.
Le jeune femme est de dos, elle a la tête baissé. Elle observe sa petite main blanche aux longs doigts fins. Il y a un flocon sur sa paume, le dix-millième flocon de la journée, exactement. La jeune femme se lève, l'horloge de la gare sonne.
La première nuit d'hiver est terminée.
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