DEAN

7 ans plus tard :

Assis sur le muret du toit, j'observe les préparatifs de la petite fête familiale qui va avoir lieu sur le toit d'en face. Elle est jolie, aujourd'hui, et semble heureuse. Elle s'active à tout préparer, sans doute pour lui. Une petite fille traîne dans ses jambes et l'empêche de progresser autour de la table. Elle intime à tout le monde de se taire, tandis que la porte menant sur le toit s'ouvre. Les gens réunis s'exclament en cœur et lui souhaitent un joyeux anniversaire. C'est là qu'il apparaît : Elijah.

Une présence se fait sentir à mes côtés.

— Dean, je me doutais que tu serais ici.

Je me tourne pour observer Micah. Voilà un an qu'il nous a rejoints sur terre. Je lui souris faiblement, puis son regard suit le mien qui est retourné à la scène.

— Pourquoi l'avoir sauvé ? demandé-je alors.

Cette question, je ne l'avais jamais posée. Je sais qu'au moment de précipiter Elijah dans le vide, Micah est intervenu. Il lui a sauvé la vie ce jour-là.

— Parce qu'ils le méritaient, tous les deux. Qui mérite plus de vivre que celui prêt à se sacrifier ? Il l'a fait pour elle et je sais qu'elle en aurait fait de même. Je n'étais pas de l'avis d'Ezekiel au sujet de Charleen. Il a pris les décisions sans mon consentement, mais je ne voulais pas que ça en arrive jusque-là. Par contre, mon frère ne serait pas ravi s'il apprenait ça, ajoute-t-il en pointant l'immeuble d'en face du doigt.

— Ils sont sur la liste ? osé-je.

— Non, ils vivront vieux, très vieux.

Le silence n'est rompu que par les festivités d'en face. Elijah prend Charleen dans ses bras. New York semble bien leur réussir, je suis satisfait de mon choix. Il dépose un baiser dans son cou et elle rit à gorge déployée.

À un moment, il y a quelques années, ils sont devenus mes amis. Ça a été court, mais je ne regrette pas de les avoir connus même si aucun des deux ne se souvient de cette vie-là. Ils ont entrepris un véritable nettoyage. Si bien que le lendemain, plus personne ne se souvenait d'Elijah ni de moi.

— Comment as-tu fait ? me questionne-t-il soudainement.

— Les messages subliminaux.

Pour Elijah, je n'ai rien eu à faire. Il a été envoyé à New York avec une nouvelle histoire, une nouvelle vie. Sans que je sache pourquoi, il a décidé d'ouvrir un magasin de vinyle ; j'ai compris ensuite, en me rapprochant de Charleen. Je me suis installé en face de chez elle et nos six mois de voisinage ont été ambiancés par les années quatre-vingt. De fil en aiguille, je lui ai soufflé, au travers de Miss Rose, une idée de voyage à New York.

L'idée était risquée parce que leurs caractères étaient diamétralement opposés. Mais ils se sont aimés un jour et le cœur se souvient toujours. Je suis bien placé pour le savoir, je n'oublierai jamais l'amour que j'éprouve pour mon fils bien que je ne me souvienne pas de lui. Lui non plus ne se souvient plus de moi, enfin du nouveau moi. Le nettoyage a été complet et, pendant les six mois qui ont suivi, j'ai veillé à ne pas le croiser, jamais.

Ce jour-là, à New York, je voulais assister à leurs retrouvailles. J'ai attendu pour la voir sortir. Elle était troublée et s'apprêtait à quitter la rue quand le tintement de la porte a attiré mon attention. J'ai vu Elijah sortir et se précipiter vers elle. Ils se sont parlé, elle a ri en séchant ce que je pense être des larmes, puis il l'a invitée à le rejoindre dans la boutique.

Elle a passé la journée avec lui, à discuter, écouter de la musique. Ils ne se sont plus quittés et elle n'est pas retournée à Seattle. Parfois, je repasse prendre de leurs nouvelles, à distance. Je les ai souvent vus se disputer ou se chamailler. Un jour, je suis arrivé au moment le plus intime. Je me suis posé sur leur balcon pensant les trouver endormis. Je n'ai pas fait le voyeur, je suis reparti direct. Promis. Mais une chose est sûre, chaque année, je les retrouverai plus amoureux encore l'un de l'autre. Et cette année ne fait pas exception.

— On devrait y aller, une âme égarée se balade sur Main Street, m'annonce Micah à mes côtés.

J'acquiesce et les regarde une dernière fois tandis qu'ils s'embrassent.

— Je t'aime, l'entends-je dire.

— Ne l'oublie jamais, lui murmure-t-il joueur.

Je souris en les entendant prononcer ces mots qui ont plus de sens qu'ils ne l'imaginent. À l'année prochaine les amis.

FIN