9. Elena
Elijah :
— Qui es-tu ?
Je suis à présent face à elle et l'attrape par le bras. Pourquoi est-elle toujours sur mon chemin ? En permanence. Je suis sûr qu'elle me cache quelque chose. Est-ce que c'est eux qui me l'envoient pour me surveiller ? Je tente de lire en elle, mais n'y arrive pas. Je ne perçois rien dans son regard, rien d'autre que de la surprise et de la crainte. Sa respiration est saccadée et ma main descend sur sa gorge. Non... Elle est bien trop nerveuse pour être une espionne. Et puis, elle serait restée discrète pendant trois ans et tout à coup quoi ? Je n'ai absolument rien fait pour les rendre méfiants vis-à-vis de moi.
Mon œil est attiré par le pendentif qu'elle porte au cou et les initiales E.P. m'interpellent. Elles font imploser chaque parcelle de mon corps. Elle se raidit sous ma poigne qui s'est faite plus forte.
— Lâche-moi, me gronde-t-elle en tentant de libérer son bras.
Suis-je là pour elle ? Mon autre main se pose sur elle et une tempête fait rage en moi. Je déteste faire ça, mais je n'ai pas le choix. Il n'y a pour moi qu'un seul moyen de le savoir. Je ne réfléchis pas plus et pose brutalement mes lèvres sur les siennes. Des images de cette ruelle affluent sous mes paupières, puis d'autres d'elle se battant avec un homme. Elle me repousse et s'éloigne avant de me gifler, laissant dans ma tête une dernière image de son corps sans vie.
— Merde, murmuré-je entre mes dents.
C'est son dernier souffle que je suis venu récupérer. Je dois éclaircir tout ça, être sûr de moi. Il n'y a aucun droit à l'erreur. J'en ai déjà trop fait, je me suis planté depuis le début !
Son regard me supplie de lui dire ce qu'il se passe, mais je fais demi-tour et m'éloigne, la laissant là. Je n'ai pas le temps d'expliquer quoi que ce soit et, surtout, je n'en ai pas le droit... C'est contraire aux règles.
— Elijah ?
Mes pas s'arrêtent d'eux-mêmes lorsque sa voix me percute. Pas de ça, non. On ne fait pas dans le sentimental. Si nous n'avons aucune attache, c'est bien pour une raison.
— Je dois y aller.
Je presse le pas et arrive enfin au bout de la rue. Je me retourne une dernière fois et, d'un mouvement de la main, le temps s'arrête. Je l'observe, immobile, puis me téléporte jusqu'à mon appartement. Mes mains fouillent nerveusement les poches de la veste que je portais hier ainsi que dans les documents abandonnés sur le bureau. J'étale sur ma table basse les deux cartons et sors de mon veston le dernier, celui d'aujourd'hui. C'est elle... Elena Pavlova.
Les noms ne se sont pas effacés... Forcément, elle n'est pas morte. Pourquoi n'ai-je pas vérifié ? Le dernier indique la date d'aujourd'hui ainsi que l'heure : 23h37.
Je ferme les yeux et réfléchis. Pourquoi n'ai-je rien remarqué ? Ce prénom... j'aurais dû comprendre. Tellement habitué à effectuer ma tâche comme un automate que je n'ai pas remarqué qu'il était revenu régulièrement.
Je tente de retrouver dans ma mémoire les anomalies récentes, celles qui pourraient expliquer qu'elle soit toujours en vie. Le tout premier carton date d'il y a quelques semaines. Le vélo. C'est moi... C'est moi qui l'ai sauvée. Elle aurait dû mourir ce jour-là.
Puis le bus... Non, elle est descendue d'elle-même. Là je n'y suis pour rien. Tu l'as peut-être poussée à s'en aller. Mais elle est morte, je l'ai vue ! Mon cœur manque un battement quand je me rends compte de mon erreur, je ne lui ai pas demandé de confirmer son identité. La jeune femme dans le bus n'était pas Elena Pavlova, elle n'était qu'un dommage collatéral.
— Putain, hurlé-je dans mon appartement.
Elle va vraiment me faire chier jusqu'au bout. Je n'attends pas et me téléporte au bout de la ruelle et, d'un mouvement de la main, le temps reprend son cours. Je ne peux rien pour elle. Rien du tout.
Un regard sur ma montre m'indique que l'heure approche. Pourtant, pour la première fois depuis que j'effectue mon devoir, le temps s'écoule avec une lenteur mortelle. Chaque seconde s'égrène et accentue le gouffre que j'ai à la place du cœur. Pour la première fois depuis le début de cette vie, j'ai mal.
Un claquement résonne dans la rue et je sors de la pénombre. Je chasse de ma tête ma culpabilité et mon humanité. Je n'ai qu'un job, qu'une mission : récupérer les derniers souffles et, ce soir, il s'agit du sien.
Mon regard se lève sur la scène que j'ai contemplée mentalement lorsque mes lèvres se sont posées sur les siennes. Elle tente de retenir le médaillon et le dingue la frappe à plusieurs reprises. Je ferme les yeux pour me contenir. Ce n'est pas ta première fois, Elijah. C'est comme toutes les autres.
Elle murmure quelque chose mais, malgré ma concentration, mon cœur bat trop fort pour l'entendre. La scène s'accélère, elle se défend et, dans un cri de détresse, Charleen se met à hurler mon nom.
Ce cri me poignarde en plein cœur. J'amorce un pas vers elle, puis me rétracte. Barre-toi, reste pas là. Tu n'as pas le droit d'intervenir...
Je préfère me détourner et me téléporte loin de cette ruelle, loin d'elle. Chasser son âme pendant des mois ne me pose aucun souci, mais assister à ça est au-dessus de mes forces.
Pourtant, alors que je suis sur notre toit, loin de la scène que j'ai quittée, sa voix hurlant mon nom résonne dans ma tête. Encore et encore, se mêlant aux images de son corps inanimé.
Un coup d'œil sur ma montre, l'affichage digital passe à trente-sept. Je ferme les yeux pour me retenir de bouger. Je dois tenir encore quelques secondes et tout sera terminé. C'est la première fois que mon travail impacte quelqu'un que je connais, c'est juste ça. Oui, tout simplement.
Je n'arrive pas à me convaincre et une bataille fait rage en moi. Elle oppose Elijah et la part d'humanité qu'il doit me rester de mon ancienne vie, une vie dont je n'ai aucun souvenir.
Je me dirige vers le rebord et pousse un hurlement qui se perd dans le ciel nocturne de Seattle. Un rugissement qui pourrait faire trembler la terre, à l'image des secousses qui parcourent mon corps. Je ne peux pas !
L'instant d'après, je suis de retour dans la ruelle et mon bras attrape le col de l'homme pour le tirer en arrière. Une colère monstrueuse s'empare de moi quand, d'un coup de pied, je le retourne. La force que j'y mets le projette contre un mur, à quelques mètres, où il s'écrase. Cette colère contamine chaque fibre, chaque veine de mon corps.
— Pitié, me supplie-t-il.
Pitié ?
— Non !
Ma voix, chargée de colère, claque dans l'air et ma main se lève tandis que je me concentre sur sa gorge. Les yeux de l'homme s'exorbitent de frayeur lorsque son corps se soulève sans que je ne le touche. Il se débat contre l'air, le vide. Son corps prend encore de la hauteur et ses pieds battent l'air à la recherche d'un appui. Mon pouvoir n'est pas palpable. Il n'a pas compris qu'il se battait contre quelque chose d'immatériel. Il tente de retirer la pression qui grandit contre sa gorge. Son regard apeuré croise le mien et c'est à ce moment-là que mon poing se ferme d'un coup sec.
Un craquement se fait entendre et je relâche ma main. Le corps de l'homme s'effondre au sol, désarticulé.
Son souffle apparaît sous mes yeux, mais, cette fois, je ne le prendrai pas. Il n'y a aucune chance. J'ai besoin de lui en tant qu'âme errante.
— Fuis, intimé-je, menaçant.
L'âme de l'homme n'attend pas et court hors de la ruelle, probablement pour chercher de l'aide. Il ne sait pas qu'à présent, il est seul de ce côté-ci. Il a de la chance, j'ai besoin de lui épargner l'enfer pour sauver ma peau et celle de Charleen.
Je m'agenouille précipitamment devant elle et me relève, la portant dans mes bras. Je me retourne et fige le reste du monde, puis je quitte le théâtre de son agression. Ici, je ne pourrai pas m'élever. Au bout de la rue, la vie n'a toujours pas repris son cours. Je fends la foule de passants et arrive enfin sur la route. Même à cette heure-ci, elle est encombrée. J'effectue un bond pour me retrouver sur le toit d'un taxi, puis mes ailes se déploient pour me permettre de prendre de l'altitude.
Nos deux corps s'élèvent dans la rue et alors que notre ascension se poursuit, je baisse mon regard vers elle. Son visage rejeté en arrière est égratigné. Du sang perle de sa bouche, de son menton. Plusieurs hématomes sont apparus et tandis que nous approchons de notre immeuble, je ne peux détourner mon regard.
Sans que je ne sache pourquoi, cette vision m'oppresse le cœur et me serre la gorge. Elle est belle, malgré les blessures. Elle a toujours eu l'air trop pure pour ce monde. Comment en suis-je arrivé là ? J'ai enfreins deux règles ce soir. Sauver une âme et en détruire une autre. Les autres fois, je n'en étais pas conscient, mais aujourd'hui, je l'ai fait de mon plein gré.
Ça n'annonce rien de bon. Je vais devoir redoubler de prudence et, surtout, m'éloigner d'elle pour nous sauver tous les deux.
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