4. L'invitation de Miss Rose
— Tu ne voudrais pas aller le chercher ?
Mes yeux se lèvent au ciel et je me tourne vers elle.
— Non, Miss Rose... Il vous a dit qu'il ne viendrait pas...
— En même temps, si tu ne fais pas d'efforts, râle-t-elle.
Mais un effort de quoi ? Ce mec a été désagréable les trois fois où je l'ai croisé... et je suis là, moi. Alors, qui ne fait pas d'efforts, hein ?
Nous sommes sur le toit de l'immeuble. Comme tous les ans, une petite soirée est organisée par les résidents. Miss Rose est présente, ainsi que la famille Sullivan qui vit au même étage qu'elle, les colocataires du rez-de-chaussée (une bande de filles, toujours prête pour une sortie), tous sont réunis. Nous avons des vies si différentes que je ne les croise que lors de ce petit barbecue annuel. Eux, et d'autres voisins que je ne croise que rarement.
— Bonjour Miss Rose, Charleen, nous salue une voix grave.
Je n'ai pas besoin de me retourner pour reconnaître le gardien de l'immeuble. Miss Rose rougit et se met à triturer ses cheveux. Tiens donc...
Elle ne le lâche pas des yeux lorsqu'il s'éloigne pour se rendre au buffet. Je remarque alors qu'elle s'est vraiment apprêtée ce soir. Elle a relevé ses cheveux et a mis une touche de maquillage. Je vois que Miss Ragot ne partage plus dès lors qu'il s'agit d'elle.
— Offrez-lui un verre, lui conseillé-je, voyant qu'elle ne détache pas son regard de lui.
— Pour quoi faire ?
Sa tête a pivoté vers moi et elle semble ne pas comprendre ma question. Me pense-t-elle si dupe ?
— Il vous plaît.
— N'importe quoi...
Oui, comme en témoigne la teinte cramoisie qu'elle vient de prendre.
— Et si tu allais chercher ton voisin au lieu de dire des âneries ?
Non, mais elle ne lâchera pas l'affaire ? Je suis en train de m'éloigner de cette harpie lorsqu'une idée fabuleuse me vient en tête. Charleen, tu es formidable. Je retourne sur mes pas, un grand sourire aux lèvres. Celui-ci n'échappe pas aux yeux de Miss Rose qui semble tout à coup inquiète. À nous deux, mamie. On veut jouer ? C'est parti !
— Offrez un verre à Peter et j'irai le chercher.
Elle me regarde d'un œil accusateur. Bien sûr, je suis joueuse et je n'ai pas froid aux yeux. Si elle tient tant à ce que mon voisin vienne, elle devra prendre sur elle.
— Je n'irai pas lui offrir un verre.
— Tant pis...
Je croise mes bras, détendue, et observe l'assemblée. Je ne lui donne pas deux minutes avant de capituler.
— Tu ne vas pas le..., tente-t-elle.
— Non, j'ai été claire. Si vous tenez tant à ce qu'il soit là, allez le chercher vous-même.
— Petite peste, râle-t-elle avant de s'éloigner.
La voir défroisser sa tenue et replacer les quelques mèches qui se sont échappées de son chignon m'amuse beaucoup. Elle ne semble pas à l'aise lorsqu'elle tapote l'épaule de Peter. Le gardien se retourne et un immense sourire s'affiche sur son visage lorsque leurs regards se croisent. Il ne serait pas étonnant que l'attirance soit réciproque.
Miss Rose se tourne vers moi et d'un geste du menton me désigne la porte métallique. Elle ne perd vraiment pas le nord celle-là. D'un levé du coude digne de mes plus grosses soirées téquila, je vide mon verre et le repose sur la table pour me diriger vers les escaliers.
Je descends une à une les marches, de façon la plus lente possible. Je crois que si j'avais la possibilité de ralentir encore plus, je le ferais... Mais ça deviendrait du sur place.
Bien trop tôt, je me retrouve devant la porte du voisin. Je lisse ma tenue comme Miss Rose plus tôt et, après m'être élégamment raclé la gorge, mon poing serré vient toquer contre la porte en bois. Quelques secondes plus tard, le loquet émet un bruit et la porte s'ouvre sur une touffe de cheveux en bataille et une barbe mal rasée. God... s'évente ma cheerleader.
— Euh...
J'en perds mes mots, genre totalement. Une multitude de gouttes d'eau parsèment son torse nu et je déglutis en m'imaginant les faire disparaître une à une avec ma langue. Cette vision me trouble au plus haut point. Je suis hypnotisée comme lorsque je tombe sur la publicité Invictus à la TV. Je vous garantis qu'en ce moment même les choristes de Kanye West chantent dans ma tête Oho heee, Oho heeee.
— Quoi ? me demande-t-il froidement, les sourcils froncés.
21st Century Schizoid Man. Fin du game. En une expression et un seul mot ce mec a tout gâché. Je ne tarde pas à revenir sur terre et à retrouver ma contenance.
— En fait, Miss Rose m'envoie vous chercher. Il y a...
— Je lui ai dit que je ne viendrai pas, me coupe-t-il.
Un sourire crispé s'affiche irrépressiblement sur mon visage.
— Vous ne pourriez pas faire un effort ? insisté-je la mâchoire serrée.
— Pour ? me demande-t-il, étonné.
Non mais qu'on l'achève !
— Vous êtes exaspérant et désagréable, vous savez ? Ça ne m'étonne pas que vous soyez seul.
— C'est vrai qu'être sympathique a l'air de vous réussir, se moque-t-il, un sourire arrogant sur le visage.
Je me gratte les sourcils et je sais qu'une personne normale serait remontée sans en rajouter, mais je ne suis pas comme ça. Je suis une plaie et alors si on me cherche, je deviens vicieuse et chiante.
— Bien...
Je me recule et m'assois face à sa porte sous son regard ébahi.
— Vous faites quoi ?
— Je vais passer la nuit ici.
Je bluffe. La moquette est inconfortable et sent le moisi, mais aux grands maux, les grands mensonges.
— Dans le couloir ?
— Yep ! Vous finirez par culpabiliser, réponds-je sûre de moi.
Un sourire démoniaque s'affiche sur mon visage alors que mon voisin lève les yeux au ciel.
— Vous êtes chiante.
— Je sais. Merci.
— Ce n'était pas un compliment.
— Et je ne vous remerciais pas vraiment.
Il referme la porte, me laissant là, comme une conne. Je jette un œil sur ma montre et dans deux minutes, je repars. Miss Rose ne pourra pas dire que je n'ai pas tenté. Je ferme les yeux et fredonne Take on me, j'ai un profond amour pour la musique des années 80. Sous mes paupières se dessine le corps divinement sculpté de mon voisin. Je me rends compte que je ne connais pas son prénom, même Miss Rose l'appelle « Le Voisin ».
— Cindy Lauper et maintenant, A-ha ? Vous n'avez rien de plus moderne ?
— Miley, réponds-je, taquine, en rouvrant les yeux. Alors, vous venez ?
— Je n'ai pas envie de vous retrouver là demain matin.
Il sort de son appartement en fermant à double tour sa porte.
— Je n'ai rien préparé, m'annonce-t-il penaud.
— Il y a déjà plus qu'il n'en faut, le rassuré-je.
Nous quittons le couloir et je le devance dans les escaliers. Mon voisin semble mal à l'aise lorsque nous arrivons sur le toit et reste derrière moi.
— Tout le monde est très gentil, vous savez...
— Je ne suis pas très habitué. Je n'ai pas le temps, avec mon travail.
— Vous travaillez dans quoi ?
— Rien de bien intéressant, se contente-t-il de me répondre sans en dire plus.
Je voudrais bien prolonger la conversation, mais mon voisin me quitte pour se rendre au buffet.
— Tu l'as ramené ! se réjouit Miss Rose en venant vers moi.
— Et Peter ?
Elle se contente de hausser les épaules, mais elle ne me trompera pas, son sourire de midinette ne passe pas inaperçu. Elle en pince réellement pour lui. Ça me rassure, si Miss Rose et ses chats sont capables de séduire, tout n'est pas perdu pour moi.
Le reste de la soirée est agréable et le voisin semble bien s'entendre avec le groupe des colocataires du rez-de-chaussée, ce qui, je dois l'avouer, me rend jalouse. C'est quand même moi qui suis allée le chercher.
Quand il se fait tard, les gens remballent et rentrent chez eux. Je monte sur le muret et m'y assois, les pieds dans le vide.
— J'y vais, ma douce, me hèle Miss Rose depuis la porte. Bonne nuit.
Je lui adresse un signe et retourne à ma contemplation.
La vue est magnifique et d'ici on peut apercevoir la Space Needle, notre magnifique tour. Le ciel, pour une fois dégagé, nous laisse voir la lune et les étoiles qui brillent le plus fort. Il ne faut pas s'attendre à plus, on est quand même en ville. Je ferme les yeux et me concentre sur les bruits des alentours, les voitures, les klaxons, les rires.
— Vous devriez descendre de là.
— Je ne risque rien, le rassuré-je en gardant les yeux fermés.
— Si vous le dites... Je peux ?
Mes yeux se rouvrent et ma tête pivote vers lui.
— Bien sûr, balbutié-je.
Mon voisin enjambe le muret et prend place à mes côtés, dans son éternel trois-pièces. Il ne porte jamais rien de plus relax ?
— Merci, pour l'invitation.
— Miss Rose est tenace, avoué-je.
Un rire me chatouille les oreilles et c'est un son très chaleureux qui me surprend autant qu'il me ravit. Il inspire profondément et nous observons dans un silence religieux la vue. D'habitude, je parle, tout le temps. Mais jamais ici, pas sur ce toit.
Au bout de dix minutes, l'air s'est encore plus rafraîchit et un frisson me parcourt malgré ma veste.
— On devrait rentrer, me propose-t-il.
J'acquiesce et il me tend sa main pour m'aider à descendre. Et là, le choc. Vous savez, ce truc de gamine, cette histoire de papillons ? Je suis en plein dedans. Sa main chaude entoure la mienne et je dois me retenir de glousser comme une ado aux hormones en pleine ébullition.
Lui, par contre... aucun signe de trouble. La douche froide. Je rougis et retire précipitamment ma main lorsque mes pieds foulent le sol.
Je récupère mon saladier et me précipite vers la porte entrouverte. Nous descendons les marches, cette fois c'est lui qui me devance et nous arrivons devant nos portes respectives.
— Bonne nuit, me dit-il avant de s'engouffrer dans son appartement.
Ma main me démange toujours et je prie mon cerveau de ne pas voguer vers des rêves dignes de YouPorn cette nuit. Comment peut-il m'agacer et me faire fantasmer en même temps ?
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