20. Garde alternée
Elijah a passé la nuit sur le sol de ma chambre. Pourquoi ? Je ne sais pas trop, mais ce matin, je me réveille avec mon nouvel accessoire quotidien : les cernes. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit, trop gênée par sa présence. Puis faut dire qu'il ne met pas forcément les gens à l'aise. Il montre clairement son agacement, mais plus ça passe, plus je me plais à le titiller.
À notre « réveil », je lui ai suggéré de rentrer chez lui, mais il n'en a pas démordu, il resterait jusqu'à ce que Dean prenne le relais. Autant, avoir de l'attention de sa part est quelque peu appréciable, autant, là, ça vire à la paranoïa...
Dean est arrivé pile à l'heure pour que nous prenions la route pour le café. Elijah ne s'est pas éternisé et c'est tout juste s'il nous a salués en quittant mon appartement. J'ai l'impression d'être un enfant de parents divorcés. Tiens, maman en a fini avec toi, c'est le tour de papa ! Oui, je pense que Dean serait le papa, il a l'air plus sévère, mais aussi plus cool.
Sur le chemin, je suis mal à l'aise et n'ose pas trop ouvrir la bouche. Elijah m'agace, mais Dean m'impressionne.
— La nuit s'est bien passée ? me questionne-t-il en agitant ses sourcils.
Je ne suis pas stupide et il ne faut pas longtemps à mon cerveau pour comprendre ce qu'il sous-entend par là. Je préfère garder le silence plutôt que lui tendre une perche involontaire, je suis la reine pour ça.
— Tu n'es pas bavarde. Vous devez très bien vous entendre avec Elijah.
Je n'arrive pas à retenir le rire qui sort de ma gorge. Sa tête pivote vers moi alors que nous marchons.
— Vous ne vous entendez pas ? me demande-t-il perdu.
— C'est le moins que l'on puisse dire, confirmé-je. Il passe son temps à mal me parler, à m'envoyer bouler et ce n'est pas faute d'avoir tenté des approches.
— Il n'aime peut-être pas le sexe...
— Pas ce genre d'approches ! le coupé-je, outrée. Je l'aime bien, malgré ses côtés psychorigides, mais la réciproque ne m'a pas l'air vraie, vous vous faites des films.
Et voilà que je parle trop. Miss Rose, sortez de ce corps ! Heureusement, nous arrivons enfin devant le café et je m'arrête avant de pousser la porte.
— C'est vraiment utile ? Que vous soyez là toute la journée, je veux dire.
— Non, probablement pas, mais dans le doute, je préférerais que tu ne meures pas pendant mon service.
Oui, il n'a pas tort. Non, attends... Tu te mets à trouver ça normal ? Je suis étonnée par ma capacité d'adaptation.
Je mets fin à mon dialogue intérieur puis pousse la porte de la boutique. J'indique à Dean une place où il peut s'asseoir et rejoins le vestiaire. Une fois prête, je me dirige derrière le comptoir pour embrasser Malcolm qui fixe intensément mon garde du corps. Je dépose un baiser sur sa joue, mais il ne réagit pas. Son visage est fermé, sa mâchoire contractée, je ne comprends pas vraiment l'expression qu'il affiche.
— Malcolm ? l'interpellé-je.
— Pourquoi t'es arrivée avec lui, Char' ? me demande-t-il la voix cassée.
Mes sourcils se froncent puis mon regard fait des allers-retours entre mon meilleur-ami et mon « nouvel ami » / garde du corps / papa.
— C'est une longue histoire, éludé-je. Tout va bien ?
— C'est quoi son nom ? me demande-t-il en braquant enfin son regard sur moi.
C'est la première fois que je vois cette lueur dans ses yeux, il semble agité et inquiet.
— Dean, il s'appelle Dean, répété-je.
Sa mâchoire se crispe et je peux voir son corps se tendre comme un arc. Quand j'ai connu Malcolm, il était souvent comme ça, en colère et ensuite violent.
— Malc..., tenté-je avant qu'il ne me pousse, me faisant presque tomber.
Je me retourne pour le voir quitter le comptoir et se diriger furieusement vers Dean. Celui-ci lève sa tête de la carte au moment où le poing de mon ami se fracasse sur sa pommette.
— Putain ! Enfoiré ! Espèce de connard ! l'insulte-t-il.
Jamie qui était probablement dans la remise, déboule dans la pièce et saisit Malcolm sous les bras pour l'éloigner de Dean qui, lui, est resté calme. Je parierais même sur le fait qu'il n'a même pas eu mal... La clientèle est à présent debout et je m'interpose pour calmer tout le monde.
— Vous pouvez vous rasseoir, tout va bien, dis-je un faux sourire sur les lèvres.
— Charleen, sors-le d'ici ou je te jure que je le tue, me supplie Malcolm les larmes aux yeux.
Je me tourne vers Dean qui semble tout aussi perdu que moi, puis fais à nouveau face à Malcolm.
— Je reviens, dis-je en secouant la tête pour le rassurer.
J'attrape le poignet de Dean et, sous le regard médusé de Jamie, le traîne à l'extérieur. Nous marchons jusqu'à la petite ruelle attenante à la boutique où je le libère enfin.
Je ne sais pas par où commencer, mille questions fusent dans ma tête, mais aucune n'a vraiment de sens.
— Que lui avez-vous fait ? le questionné-je finalement en me tournant vers lui.
Les yeux de Dean s'exorbitent, puis il se met à rire.
— Qu'est-ce que je lui ai fait ? Votre ami est un taré, je ne le connais pas, je ne sais pas pourquoi il s'est jeté sur moi, d'accord ?
Je me mords la lèvre en réfléchissant et plus je réfléchis, plus je me mords. Autant dire que je suis à deux doigts de saigner.
— Il doit bien y avoir une raison pour qu'il agisse ainsi.
— S'il y en a une, je ne la connais pas, tonne-t-il, me faisant sursauter.
Je ne le connais que depuis hier, mais je ne savais pas qu'il pouvait se montrer aussi effrayant. Je le voyais plutôt comme un rigolo, enfin je crois...
— Bon..., soufflé-je. Malheureusement, vous n'allez pas pouvoir attendre à l'intérieur... Vous devriez rentrer chez vous.
— Charleen, je dois vous rappeler que vous êtes en danger ou ça va finir par rentrer.
Il va s'y mettre lui aussi ? Moi qui commençais à bien l'apprécier.
— C'est un prérequis dans votre emploi ?
— Quoi donc ?
— La méchanceté.
— Retournez travailler, je vous surveillerai du coin de la rue... se contente-t-il de me répondre.
J'opine du chef puis le quitte pour retourner à l'intérieur. Jamie est en train de balayer les débris d'assiettes qui se sont échoués au sol. Il me désigne l'espace privé d'un signe de tête pour m'indiquer où je trouverai Malcolm.
Je n'attends pas et longe le couloir jusqu'à son bureau. Mon poing vient s'abattre mollement contre la porte et je l'ouvre timidement avant de passer ma tête dans l'entrebâillement. Malcolm est assis sur le sofa, la tête dans ses mains. Je me redresse et entre dans la pièce avant de refermer la porte.
J'ai l'impression de retrouver le petit garçon brisé qui était arrivé à l'orphelinat. Je me dirige vers lui puis m'agenouille pour lui faire face.
— Qu'est-ce qui ne va pas ? demandé-je dans un chuchotement presque imperceptible.
Malcolm relève sa tête et plonge son regard dans le mien. Ses joues sont baignées de larmes et ses yeux sont rougis. Mon cœur se serre à cette vision. Je l'aime tellement que le voir ainsi me peine.
— C'était lui, me dit-il la voix cassée.
— Lui ?
— Mon père, c'était lui Charleen.
— Malcolm...
— Tu me prends pour un fou, mais je t'assure que c'est lui. Il s'appelait Dean aussi. Je reconnaîtrais mon père n'importe où, même après quinze ans.
— Malcolm, il n'a pas l'âge d'être ton père, il doit au maximum avoir quarante ans...
— Je te dis que c'est lui ! s'énerve-t-il, me faisant sursauter.
Quand nous étions petits, Malcolm faisait souvent ça, il le voyait partout, tout le temps. Puis un jour, ça s'est arrêté, il avait compris qu'il ne le reverrait jamais. Ma gorge se serre et je voudrais lui dire que cet homme est son père mais hélas, ça me semble impossible. Je me contente de lui sécher les joues qui, aussitôt, redeviennent humides.
— Char'..., m'implore-t-il.
Mes yeux s'humidifient devant sa détresse et tout ce dont je suis capable c'est de le prendre dans mes bras et de le serrer si fort que je m'en ferais mal. Mon cou devient vite trempé tandis que le corps de mon meilleur ami est secoué par les sanglots.
Quand il a retrouvé son calme, Jamie l'a raccompagné chez eux et est revenu travailler. Nous n'avons pas parlé de ce qu'il s'était passé et Dean est resté en retrait. Est-ce qu'il est resté là sans bouger ? Je n'en sais rien... Je n'ai pas vraiment regardé dans sa direction, trop occupée et en même temps trop gênée par cette impression de surveillance rapprochée. J'ai la sensation d'être épiée et que le moindre de mes gestes est analysé ou décortiqué. Dès qu'un inconnu entre dans la boutique, je me mets moi-même à le scanner comme s'il était mon potentiel assassin... J'ai l'impression d'être Derek Morgan, à me la jouer profileuse, le sex-appeal en moins. Lorsque je sors enfin de mon service, je suis surprise de trouver Elijah à la place de Dean.
— Je pensais que ce serait Dean, lâché-je pour le saluer.
Après tout, il n'est pas le roi des politesses, pourquoi devrais-je être celle qui fait des efforts ? Elijah me fixe de ses prunelles assombries et j'attends la réplique acerbe. C'est sa marque de fabrique.
— Désolé de te décevoir, se contente-t-il de me dire, les dents serrées.
Je sais qu'il se retient de m'envoyer balader, il n'y a qu'à voir la façon dont il me regarde. La soirée va être longue... Et la nuit encore plus.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro