16. Effraction
J'ai passé la nuit à ressasser, à essayer d'aller plus loin dans mes souvenirs... Je deviens paranoïaque et passe mon temps à regarder par la fenêtre, comme si mon agresseur pouvait revenir. Je me demande ce qu'Elijah a fait pour me sauver, je n'arrive pas à recouvrer cette partie de ma mémoire. La dernière chose dont je me souvienne, c'est que j'avais cessé de me battre. J'étais prête à mourir dans cette ruelle. Est-ce que ça va faire de moi quelqu'un d'autre ? Quelqu'un de moins curieux, de plus prudent et raisonnable ? Non, certainement pas. Il reste beaucoup trop de zones d'ombres pour que je me contente de ce qu'il me dit. Si sur le moment, je voulais ne plus rien savoir de lui, j'ai vite repris du poil de la bête.
C'est donc, motivée par cette résolution que je me dirige vers le bureau de Peter, notre gardien. Je me regarde dans le miroir de l'entrée et me pince les joues pour me donner un peu de couleurs, je dois paraître pimpante et épanouie. En gros, il doit me penser folle amoureuse. Prions pour que la propension à jaser de Miss Rose me soit utile aujourd'hui.
Je toque à la porte de la loge et attends patiemment qu'il vienne m'ouvrir.
— Charleen, me salue-t-il, ravi de me voir.
— Bonjour Peter, je..., dis-je en prenant un faux air gêné.
Ses yeux se plissent, il faut que je la joue fine. Que les dieux de la comédie soient avec moi.
— Voilà, vous savez que moi et...
Il prend un air amusé, c'est bien, le poisson mord à l'hameçon.
— Toi et ? fait-il mine de ne pas comprendre.
Il est au moins plus fin que Miss Rose. Je n'en reviens pas de devoir faire ça, c'était peut-être pas une si bonne idée, il va le répéter à sa partenaire qui sera sans doute en train de préparer des faire-part dès ce soir.
— Moi et Elijah, nous... Voyons, Peter, je suis sûre que vous avez compris.
Il éclate de rire devant ma fausse gêne. Mon Dieu, mon jeu d'actrice est encore pire que celui du plus mauvais soap opéra. Même Victor Newman doit être meilleur que moi.
— En fait, j'ai oublié mon portefeuille chez lui et il est en rendez-vous extérieur. En tant que gestionnaire de l'immeuble, je me suis dit que...
— Tu t'es dit que j'aurais un double, devine-t-il.
— Voilà, m'exclamé-je en tapant dans mes mains.
Il réfléchit, visiblement mal à l'aise.
— Écoutez, j'ai vraiment besoin de le récupérer... J'étais tellement sur un nuage ce matin que je n'y ai pas pensé. Je vous les ramène dès que c'est fait ! Promis, le supplié-je.
— Sur un nuage ? me taquine-t-il.
— Ne répétez rien à Miss Rose !
— Je ne lui parle jamais, me dit-il gêné.
Mon œil... S'il pense que je n'ai pas remarqué leur petit manège.
— Alors ? demandé-je en prenant une moue suppliante.
Il se gratte la tête, fronce les sourcils puis finalement relève ses yeux.
— Tu as dix minutes, m'annonce-t-il.
Je m'extasie intérieurement et en même temps... Je me dis qu'il faudrait que je lui demande à récupérer mes clefs, au risque qu'il les passe à n'importe qui.
Je lui adresse un sourire plein de reconnaissance quand il dépose le trousseau dans la paume de ma main et m'empresse de remonter les escaliers. Dix minutes, ça devrait suffire. Je l'espère.
J'arrive devant la porte, mon cœur tambourine. Je vais entrer par effraction chez lui... Pas tout à fait, tu as les clefs ! Oui, c'est vrai. Allez, Cha ! Tu peux le faire !
J'enfonce les clefs une à une jusqu'à trouver la bonne et la tourne pour déverrouiller la porte, la sueur perlant dans ma nuque. Je ne suis pas faite pour le danger... J'aime les règles et encore plus leur respect. Je ne suis même pas capable de prendre le bus en fraudant, alors c'est dire !
Ma main vient abaisser la poignée et j'entre à pas de loup. Comme s'il pouvait être là ! J'ai scruté, patienté comme une psychopathe, j'ai lorgné par le judas jusqu'à le voir passer. Une opération digne des plus grosses planques du FBI. Un conseil ? Faire pipi avant, s'il y a une prochaine fois.
Le parquet grince sous mes pieds quand je pénètre dans son salon, les rideaux sont fermés et la cheminée éteinte. Une cheminée, rien que ça. En faisant un tour sur moi-même je prends conscience de deux choses. Tout d'abord, son appartement est bien plus grand que le mien, mais il est surtout beaucoup mieux rangé, à la limite de la maison témoin.
Bon, ce n'est pas tout, mais on n'est pas là pour une simple visite. Mes pas me dirigent vers ce qui semble être un bureau, une bouteille en cristal attire mon attention et j'en ôte le bouchon. Je retiens une grimace de dégoût quand mon nez s'en approche. Sans doute un alcool très fort. En observant la décoration, je me dis que cet homme n'est pas funny-funny. Son appartement est un chouïa trop sérieux. Mes doigts viennent attraper le paquet de documents posé avec beaucoup de soin, je feuillette et ne trouve rien d'autre que des factures...
Je ne sais même pas ce que je cherche, je ne sais même pas s'il y a quoi que ce soit à chercher ! Ne trouvant absolument rien sur le bureau, je me mets à inspecter le premier tiroir, puis le second. Comme dans les films, je tapote au fond de celui-ci... Tu l'as pris pour un parrain de la mafia ? Non, mais il n'est pas clair. Et ? Un tiroir à double fond, sérieusement ? Il pourrait, je l'ai vu dans des émissions. Ma cheerleader, toute de noir vêtue, baisse les bras et quitte enfin ma tête.
Pessimiste, j'essaye d'ouvrir le dernier tiroir, mais sans succès. Je soulève les bibelots qui se trouvent sur le bureau à la recherche d'une clé cachée, mais en vain. À bout de mes investigations, je récupère le trousseau emprunté à Peter. Il pourrait peut-être y avoir mis un double. Je jubile presque lorsque je repère une toute petite clé. Je l'enfonce et retiens mon souffle lorsque je la tourne dans la serrure. Le clic du verrou étire mes lèvres et, si je n'étais pas en train de commettre un presque délit, je serais en train de faire une danse de la joie.
J'ouvre enfin le tiroir et y plonge ma main. Des enveloppes, des cartons, une boîte, des stylos... Une boîte ? Je reviens dessus et la saisis pour la poser avec délicatesse sur le bureau.
Mon cœur s'emballe devant ce petit coffre en bois, mes doigts me démangent et je suis partagée entre la curiosité et la culpabilité. La culpabilité ? Après être entrée par effraction chez lui ? Ce n'était qu'une demie-effraction !
Je frotte mes doigts et l'ouvre enfin en retenant ma respiration. Mes sourcils se froncent et l'incompréhension me saisit lorsque je reconnais un des petits cartons que j'ai aperçu la dernière fois, le jour de « L'Affaire Cupcake ». Le premier est au nom d'une Elena Pavlova, il indique une date antérieure, le deuxième est toujours au même nom, ainsi que le troisième. Les cartons dans les mains, je cherche un sens à tout ça.
Deux scénarios se présentent à moi : soit il est tueur à gages ou quelque chose dans ce genre-là, et si c'est le cas, je suis mal, voire très, très mal. Soit il est un genre d'ange gardien, chargé de protéger des personnes importantes. Bien que là, j'avoue que je sèche, puisque je ne comprends absolument pas le rapport avec moi. Je repose les bouts de papier sur le bureau et mon œil est attiré par un reflet doré.
Mon souffle se coupe lorsque je reconnais mon médaillon. Il m'a dit qu'il ne l'avait pas. Soulagée, je le serre contre ma poitrine, puis vérifie qu'il s'agit bien du mien. Je prends alors conscience des initiales, du fait qu'elles correspondent au prénom sur les cartons... Je m'agenouille et fouille encore le tiroir à la recherche d'un indice, d'une pièce manquante.
— Vous cherchez quelque chose ?
Je sursaute en poussant un hurlement lorsque sa voix interrompt mes investigations.
— Vous m'avez fait peur ! m'exclamé-je.
Je me retourne et me relève en m'aidant du bureau, mes jambes flageolent et mon rythme cardiaque s'emballe. Je prends conscience de son état de fureur et des risques que j'ai pris en pénétrant chez lui.
— Qu'est-ce que vous faites chez moi ? tonne-t-il.
La dureté de son regard me paralyse, il est bien plus qu'en colère, il est glacial. Je frissonne d'appréhension. Je n'ai aucune explication à lui donner, aucun mensonge ne me vient, rien qui pourrait légitimer ma présence ici.
— Je... bafouillé-je.
— Répondez-moi, me gronde-t-il en s'approchant de moi.
Je tente de m'éloigner, mais bute contre le bureau et me retrouve coincée, emprisonnée par ses mains qui saisissent mes bras. Son visage fermé, à hauteur du mien, me terrorise. Ma main cherche à tâtons quelque chose sur le bureau, un objet qui pourrait me permettre de me débattre. Mon geste manque de discrétion et c'est sans étonnement qu'Elijah le repère. Pourtant, au lieu de s'énerver encore plus, il se tend et se recule. Mes doigts terminent leur course sur mon médaillon.
— Où avez-vous eu mon médaillon ? osé-je.
— Vous l'avez perdu ce soir-là.
— Pourquoi m'avoir menti ?
Il se détourne de moi et me tourne le dos, il ne me répondra pas, il ne fait que ça : fuir mes questions...
— Qui est Elena Pavlova ?
Toujours aucune réponse, rien.
— Pourquoi ses initiales se trouvent-elles sur mon médaillon ?
Ses épaules se redressent et je sens que je me rapproche d'un sujet délicat, mais contrairement à ce que j'aurais cru, je n'ai plus aussi peur. Ma curiosité étouffe mes craintes.
— Vous devez le savoir. Qui est-ce ? m'écrié-je.
— C'est vous, vous êtes Elena Pavlova.
Il me déclare ça comme s'il m'annonçait le menu du soir, sans aucune intonation ni aucune émotion. Pour lui, c'est une simple information alors qu'à mes yeux c'est bien plus que ça.
— Non, je me prénomme Charleen, je ne suis pas...
— Alors on vous a menti, vous n'êtes pas celle que vous croyez.
Je ne suis pas Charleen ?
— Vous mentez, murmuré-je les larmes aux yeux.
C'est faux. Je suis Charleen, on ne m'aurait pas trahie. Je suis perdue. Et si toute ma vie reposait sur des mensonges ? Pourquoi m'a-t-on caché ma véritable identité ?
— Sortez de chez moi.
Comment peut-il se montrer si glacial quand il vient de faire exploser mon monde. Je n'ai plus aucune certitude sur rien, je ne suis pas Charleen, mais je ne suis pas non plus cette Elena. Alors qui suis-je ?
— Sortez ! rugit-il.
Je sursaute à nouveau, resserre ma prise sur mon médaillon et lui passe devant pour m'échapper. Je peine à ouvrir la porte, elle semble trop lourde pour mon corps vidé de son énergie après cette révélation. Il s'approche de moi et pose sa main sur la mienne. Son contact a raison de mes dernières barrières et les quelques larmes que je retenais s'échappent. Je ravale la boule qui m'obstrue la gorge dans une ultime tentative de retenir les sanglots. Elijah abaisse la poignée et tire la porte avant de libérer ma main.
— Charleen.
Je perçois une once de douceur dans le ton de sa voix, pourtant je n'arrive pas à lui faire face et m'échappe. Ayant quitté mon appartement sans le fermer à clé, je n'ai qu'à tourner la poignée pour entrer chez moi, juste avant que les digues ne cèdent totalement.
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