14. Surveillance rapprochée
Elijah :
Trois jours, trois longs jours sans avoir pu mettre la main sur l'âme errante. L'ont-ils trouvée ? Non... J'en saurais quelque chose, ils m'auraient convoqué, ils seraient forcément venus me demander de rendre des comptes.
Pourtant, le doute s'insinue. J'ai eu beau parcourir la ville, le pendentif n'a, à aucun moment, émis une vibration m'indiquant qu'elle était dans les parages. Je ne comprends pas, quelque chose ne tourne pas rond. Je dois chercher plus, chercher mieux. J'ignore si les effets sur les objets sont permanents ou s'ils finissent par s'estomper. Je ne peux même pas me renseigner auprès d'un autre, comme Dean, car ça risquerait de leur mettre la puce à l'oreille. Je suis seul, complètement seul.
En attendant, je n'ai pas d'autre choix que de la suivre, elle. J'ai l'impression d'être un psychopathe à me cacher dans les ombres. Hier, j'ai craqué, je ne sais pas pourquoi. J'ai paniqué quand je l'ai entendue quitter son appartement, je me suis montré imprudent et au lieu de réagir habituellement, je me suis emporté, attisant sa curiosité.
Je la vois quitter notre rue et partir jusqu'à son travail. Je reste à distance, hors de question qu'elle me repère. Pour une fois, je ne porte pas de costume, mais un simple jean et un t-shirt. Je me sens complètement à l'étroit dans cette matière rigide mais aux grands maux les grands moyens. Je dois passer inaperçu.
Elle tourne à l'angle et je passe sur le trottoir d'en face, pour la suivre sans avoir l'air de le faire. Elle semble joyeuse, comme d'habitude. Je ne comprends pas ce genre de personne. Comment peut-on être en permanence de si bonne humeur ? Moi, au bout de dix ans de cette vie, j'étais déjà blasé de tout. L'alcool, les sorties, les filles, même dans les années 30 je n'en pouvais plus, et les époques, les modes différentes n'y ont rien changé. Mais elle, elle a toujours un sourire stupide sur le visage, il n'y a que quand elle est sur le toit qu'elle semble retirer son masque. Là-bas, elle semble devenir une spectatrice de la vie.
La vérité c'est que je déteste ça parce que je l'envie.
Je me cache dans une petite ruelle face au salon de thé. De là, je peux la voir travailler et en même temps surveiller l'arrivée d'un de mes pairs. Les heures défilent à une lenteur accablante... mais ça, j'y suis habitué. Quand on est immortel, le temps n'est plus une mesure à prendre en compte, c'est peut-être ça aussi qui rend ma vie si terne, si insipide.
Mon jean me serre de plus en plus et j'ai vraiment l'impression que je vais finir compressé. « Le Jean, seul objet capable de tuer un immortel ». Je ne comprends toujours pas cette mode, même après plus de vingt ans. Qu'y a-t-il de si agréable là-dedans ? L'humanité est-elle devenue masochiste ? Charleen a tout compris, elle porte toujours des robes ! Ça craint si je commence à lui trouver des qualités à cette fouine.
Je pensais qu'après hier, elle reviendrait à la charge, mais non, même pas. Je me suis montré dur envers elle, mais en même temps... Si elle commence à fourrer son nez dans mon monde, j'aurai fait tout ça pour rien. Un humain qui en sait trop n'a généralement pas une espérance de vie bien longue, sauf si les Supérieurs se montrent cléments et se contentent d'effacer la mémoire. Peu de cas nous ont été rapportés concernant cette seconde option, c'est bien qu'elle n'est que peu fréquemment choisie. J'ai dû me montrer détestable pour qu'elle s'éloigne de moi, pourtant, lorsque je l'ai vue si désemparée, je n'avais qu'une seule envie, celle de la prendre dans mes bras, de lui dire que tout irait bien.
Mes yeux se plissent lorsque je la vois sortir du café, je détourne la tête pour ne pas qu'elle me voie et décide d'attendre quelques secondes pour la suivre. Je compte jusqu'à dix et sors de ma cachette.
— Tiens !
Son visage qui apparaît devant moi me fait sursauter. Bordel ! Ce n'est pas possible...
— Vous m'avez fait peur, la grondé-je.
— Et ? Vous ne pensez pas que le plus flippant des deux, c'est vous ? m'accuse-t-elle.
Je serre la mâchoire, oui, elle n'a pas tort. Vu de l'extérieur, je dois avoir l'air d'un mec bizarre.
— Vous faites quoi ?
— Je ne peux rien vous dire...
Je ne pouvais pas trouver mieux comme réponse ? Elle m'a pris au dépourvu, tenté-je de me rassurer.
— Vous êtes flic ?
— Un truc dans le genre, éludé-je.
— Pourquoi me suivre ?
— Ma hiérarchie m'a affecté à votre protection, mens-je.
Ma foi, elle a été la première à évoquer cette possibilité, autant que je m'en serve. Et en soi, ce n'est pas complètement faux. Je suis un genre de flic pour les morts, non ?
— Et pourquoi ça ? s'inquiète-t-elle.
— Un gars dans notre collimateur semble vous avoir pris pour cible. On en n'est pas sûrs, mais par mesure de précaution, me voilà.
Sa tête s'enfonce dans ses épaules, signe qu'elle croit ce que je lui dis. Mon Dieu qu'elle est naïve ! Elle jette furtivement un coup d'œil autour de nous puis semble penser qu'elle ne craint rien puisqu'elle prend un air conspirateur.
— Tant qu'à faire, faites le dedans. Et consommez ! Les temps sont durs pour mes patrons.
Les temps sont durs ? Depuis mon arrivée, le café n'a pas désempli.
— Et les pourboires, n'oubliez pas les pourboires.
Mais bien sûr ! Elle ne s'inquiète pas pour ses patrons, mais plutôt pour elle.
— Je préfère rester là.
— Faites ça et je crie au stalker, me menace-t-elle.
— Je ne vous stalke pas !
— Ça, les gens ne peuvent pas le savoir.
Je découvre une nouvelle facette de Charleen. Ce n'est clairement pas la fille toute douce que je m'étais imaginé, mais malgré cela, je ne la crois pas assez courageuse pour faire ça. Je ne suis pas stupide, je dois faire bien vingt centimètres de plus qu'elle et peut-être le double de son poids.
— Mon avis n'a pas changé, je préfère rester là.
— Vraiment ? me demande-t-elle en arquant un sourcil.
— Oui..., réponds-je tout de même suspicieux.
Un sourire machiavélique prend naissance sur son visage lorsqu'elle s'agrippe à mon bras en gesticulant dans tous les sens, un peu comme les bonshommes des stations-service. Je la regarde perplexe. Mais qu'est-ce qu'elle fait ?
— Au secours ! commence-t-elle à hurler.
Quand je comprends qu'elle est en train de mettre sa menace à exécution, je plaque une main sur sa bouche et l'entraîne dans la ruelle. Elle tente de crier à travers ma main, mais j'étouffe ses mots. Je la plaque contre le mur et mes muscles se contractent, lorsque je remarque la position dans laquelle nous nous trouvons. Mon corps est collé au sien et malgré la couche de vêtement, j'ai l'impression que sa peau me brûle, c'est douloureux. Nos yeux se percutent et c'est aussi violent qu'un coup de poing dans le ventre. J'ai envie de l'embrasser, merde ! Pour la faire taire, oui, juste pour ça. J'ignore ce qu'elle me fait ressentir et me focalise sur elle. Elle semble s'être calmée, même si je peux sentir son rythme cardiaque qui s'est affolé. Je la relâche et m'éloigne.
— Vous êtes une malade, dis-je en masquant mon trouble
— Et encore... Vous n'avez rien vu, me dit-elle fièrement. Bon, vous venez commander ou je dois recommencer mon petit manège ?
— Allez-y, je vous suis.
Elle me scrute. Elle se sent supérieure juste parce que je n'ai pas voulu qu'on me prenne pour un psychopathe ? Il lui en faut si peu, ris-je intérieurement. Elle ne supporterait pas le quart de ce que je suis. Si elle savait, elle s'enfuirait en courant comme une âme apeurée. Elle se transformerait en pauvre victime.
Nous sortons de la ruelle et traversons la route pour entrer dans le salon de thé. Notre arrivée est annoncée par la petite clochette au-dessus de nos têtes. Deux mecs se trouvent derrière le bar, bras croisés. Un comité d'accueil ? Chouette !
— Les garçons, je vous présente Voisin Sympa !
Je devine que l'adjectif est purement ironique.
— Elijah, précisé-je.
L'un des deux me regarde en rigolant tandis que l'autre continue de me toiser comme s'il tentait de me lancer je ne sais quel sort.
— Moi, c'est Jamie, se présente le gars souriant. Et le doberman, c'est Malcolm.
— Pourquoi tu la suivais ? me demande le concerné.
— Non, c'est un malentendu, répond Charleen en rigolant.
Ma tête pivote vers elle, je suis surpris qu'elle tente de me couvrir. Qu'est-ce qu'elle cherche à faire ?
— Il attendait son rencard, mais il semblerait qu'on lui ait fait faux bond. C'est triste, on lui a posé un lapin... Surtout qu'avec ses problèmes de virilité, ça ne va pas l'aider à retrouver sa confiance en lui.
— Vous avez quel âge ? soufflé-je entre mes dents pour qu'elle soit la seule à m'entendre.
— Fermez-la, me répond-elle sur le même ton sans se départir de son sourire. Vous prendrez quoi ? Notre boisson la plus chère ? fait-elle mine de s'étonner. Mais bien sûr, installez-vous, je vous apporte ça.
Je préfère ne rien ajouter, si elle veut jouer, qu'elle le fasse seule. Je m'avance vers le bar et m'installe au comptoir. De là, je pourrai tout voir. Elle me sert une boisson qui doit contenir une quantité effarante de calories, mais je la bois sans dire un mot, ça lui ferait bien trop plaisir que je râle. Je commence à cerner le personnage.
— Bonjour Charleen, la salue un homme qui s'installe à côté de moi.
Ma tête pivote vers lui pour l'observer. Plutôt beau garçon, blond, grand, tout fin et imberbe. La seule chose que nous avons en commun c'est notre taille. Il semble ravi de la voir. Un prétendant ?
— Bonjour Mark, comme d'habitude ?
Un habitué, donc...
— Tu as réfléchi à ce dont on a parlé hier ? lui demande-t-il, presque inquiet.
Je la vois piétiner sur place. Serait-elle mal à l'aise ? Se pourrait-il que ? On va voir qui va jouer maintenant.
— Mark ? Vous êtes le Mark ? demandé-je en me tournant vers lui.
— On se connaît ?
Son air suspicieux ne m'échappe pas, je vais devoir la jouer fine.
— Charleen m'a parlé de vous.
— C'est vrai ?
Plein d'espoir, il s'est tourné vers elle et un sourire crispé naît sur le visage de ma voisine. Maintenant, débrouillez-vous pour le repousser.
— Tu voudrais bien qu'on sorte ce soir, alors ?
Elle hésite ? On voit bien qu'il ne lui plaît pas. Il la rend mal à l'aise, c'est évident.
— Bien sûr ! se réjouit-elle.
Se pourrait-il que j'aie mal interprété ses réactions ? Et si finalement, elle se comportait comme ça parce qu'il lui plaisait ?
— Mais c'est moi qui choisis le programme, ajoute-t-elle.
— Parfait, je t'appelle.
Et il s'en va. Il s'en va ?
— Il n'a rien besoin de consommer lui ? demandé-je grincheux.
Je n'ai pas le temps d'obtenir une réponse que Jamie se jette sur Charleen.
— Tu lui as enfin dit oui ! Je savais que tu lui laisserais sa chance, mon cousin est un gars vraiment bien.
Bien joué, Elijah ! Bien joué de quoi ? Je m'en fous totalement. Elle n'a qu'à faire ce qu'elle veut.
Cependant, une question me taraude... et s'il lui arrivait quelque chose ce soir ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro